Luçon, Noël 1608 - Un sermon inédit d’Armand-Jean Du Plessis Richelieu

Le 17 avril 1607, Richelieu est nommé évêque de Luçon avant de devenir cardinal puis ministre de Louis XIII en 1624.

Ce discours ne présenterait  il aucun intérêt général, que nous sommes fiers de compter Richelieu dans la glorieuse série de nos évêque, nous estimerions toujours d’un grand prix, puisque ce sermon  a été prononcé à Luçon, quelques jours après la prise de possession du siège par Richelieu, le 25 décembre 1608.

Verbum earo factum est

Nous lisons dans le texte de notre Evangile que lorsque l'ange annonça la naissance de Jésus-Christ, les pasteurs furent les premiers auxquels il s'adressa et communiqua cette sainte nouvelle pour, par après, l'épandre dans le monde.

J'ai cru, peuple catholique, que la divine Providence, qui conduit toutes choses) avec une infinie sagesse, en avait ainsi use pour nous apprendre que c'est particulièrement à ceux que Dieu a établis pasteurs de son Eglise à qui il appartient de faire entendre au peuple que le fils de Dieu est venu au monde, voilé de notre humanité pour nous ôter le voile du péché; qu'il est sorti du ventre d'une Vierge pour nous faire sortir de nos misères.

C'est pourquoi, voyant qu'il a plu à Dieu de me donner la charge de vos âmes et par conséquent me rendre pasteur, je me suis résolu, me rencontrant ce jourd'hui si heureusement en ce lieu, d'embrasser l'occasion que la fête me donne d'y faire naitre, en même temps que mon Sauveur est né, le premier témoignage de l'affection que j'ai à son saint service, particulièrement en ce qui est de l'édification de vos consciences.

Mais reconnaissant que je ne puis rien de mon moi-même, que c'est de Dieu qu'il le faut attendre et le vouloir et le parfaire, je ne puis que je ne vous supplie de joindre vos prières aux miennes, de mettre le genou en terre avec moi pour implorer les grâces du ciel par l'entremise de la sainte Vierge qui nous assistera sans doute, principalement puisque j'entreprends cette action pour la gloire de son Fils. Ave Maria.

Le Fils de Dieu a pris de toute éternité naissance de son père avec tant d'heur qu'au même instant qu'il a reçu son être il l'a communiqué, et par conséquent s'est trouvé produit et producteur en même temps.

Celui même qui sans commencement est engendré d'un père prend être humain d'une mère, et, en se faisant homme, commence à être ce jourd'hui ce qu'il n'était auparavant.

Qui plus est, le Verbe incréé reçoit souvent une sainte naissance en nous, lorsqu'étant échauffés de l'amour du grand Dieu nous concevons son fils Jésus et l'enfantons, produisant pour l'amour de lui des oeuvres de notre charité. Ces merveilles sont grandes que l'Eternel soit fait en temps, qu'un Dieu soit homme, que le parfait épouse l'imparfait, que l'infini s'allie au fini; enfin qu'une personne seule ait trois naissances, naissances si admirables que la première le rende Dieu de Dieu, la seconde homme de femme, et la troisième spirituelle selon l'esprit auquel il est conçu; si admirables que la première nous fournit l'objet de notre souverain bien, la deuxième nous donne le prix de notre rédemption, et la troisième nous apporte un doux fruit dans nos âmes ; si admirables enfin que la première met le Verbe au Ciel afin que nous en jouissions, la deuxième nous le donne en terre afin que nous le voyons, et la troisième le loge en nos âmes pour que nous le goûtions intérieurement.

Ces trois naissances sont représentées par les trois messes de ce jour. La première se dit lorsque les ténèbres couvrent toute la terre, pour nous apprendre que nos yeux sont bandés en ce qui est de la génération éternelle du Fils de Dieu, pour nous apprendre que notre entendement est trop faible pour s'élever jusqu'en la connaissance de ses hautesses : Generationem ejus quis enarrabit.

La deuxième se dit lorsque le jour commence à poindre et qu'il ne peut encore dissiper les ténèbres, pour nous faire connaître que bien que nous ayons quelque lumière en ce qui est de la naissance temporelle du Verbe, il y a toutefois des mystères cachés lesquels nous ne pouvons comprendre, pour nous faire connaître que cette naissance est évidente quant à l'effet, obscure quant à la manière, Licet scire quod natus sit, non licet scire quomodo natus sit. Jésus-Christ est né, dit saint Ambroise (1), mais nous ne savons pas comment il est né.

 On célèbre la troisième, lorsque le soleil a entièrement éclairé notre horizon, lorsqu'il a fondu les nues qui s'opposaient à sa lumière, afin que nous sachions qu'il n'y a rien qui nous empêche de connaître l'être que ce grand Dieu prend en nos âmes lorsqu'elles sont dignement préparées à le recevoir.

 

C'est de ces trois naissances dont saint Jean parle en l'évangile de ce jour.

De la première, il dit : In principio erat Verbum, le Verbe était de toute éternité ; de la deuxième, et Verbum caro factum est, le Verbe s'est fait chair ; de la troisième, et habitabit in nobis, et il fait sa demeure en nous.

C'est de ces trois naissances desquelles je parlerais aussi, si le jour ne me conviait particulièrement à me restreindre aux deux dernières qui sont la temporelle et la spirituelle.

Je commencerai à discourir de la temporelle par laquelle le Verbe s'est fait homme de telle sorte qu'il demeure et fils de Dieu et fils de l'homme, étant lui-même et Dieu et homme.

Mais comment se peut-il faire que deux ne soient qu'un, que la pluralité soit véritablement en l'unité. Ces mystères sont merveilleux, il faut de l'attention pour les entendre.

Il est certain que nous trouvons en Jésus-Christ deux natures en un seul suppôt, deux substances en une personne, et ce sans confusion, car la nature humaine est véritablement distincte de la divine, et il ne faut pas s'imaginer que des deux il est fait un mélange pour en composer une troisième, mais bien que chacune d'elles demeure entière en soi-même, que les deux sont véritablement unies en la personne du Fils de Dieu. Ainsi que nous voyons que le corps et l'âme qui sont différents, sont joints ensemble pour faire l'homme qui n'est qu'un.

En Dieu la distinction des personnes n'introduit pas une diversité d'essences, car bien que la personne du Père soit autre que celle du Fils, la substance de l'un est toutefois la substance de l'autre.

Ainsi en Jésus-Christ la distinction des natures n'induit pas la diversité des personnes, car bien qu'en iceluy la nature du Verbe soit autre que celle de l'homme, la personne de l'un est toutefois celle de l'autre.

Davantage l'unité de la nature ne confond pas en Dieu la pluralité des personnes, car bien qu'au Père et au Fils il ne se trouve qu’une essence, il y a toutefois deux personnes réellement distinctes.

Ainsi en Jésus-Christ l'unité de la personne n'empêche pas la distinction des natures, car bien qu'en la nature et divine et humaine il n'y ait qu'un suppôt, sans doute il y a deux substances distinctes, mais si parfaitement unies qu'elles sont aussi inséparables entre elles que le Père et le Fils qui sont en une seule essence.

Cette union est admirable, aussi a-t-elle été souhaitée de longtemps. Les saints patriarches, les prophètes et tout ce qu'il y a eu de fidèles au monde l'ont désirée comme l'unique moyen de leur salut. Ils s'écriaient à toute heure : Obsecro, Domine mille quem missurus es. Seigneur, envoyez-nous celui que vous nous avez promis. Ayant rempli l'air de leurs soupirs, et couvert la terre de leurs larmes, transportés de l'excès de leurs désirs, ils prenaient le ciel à partie : Rorate cæli desuper et nubes pluant Justum ; aperiatur terra et germinet Salvatorem. Cieux envoyez-nous la douce rosée qui peut éteindre les ardeurs du péché qui nous consomme, que la terre s'ouvre et que d'elle sorte le rare et précieux germe qui doit être le sauveur et rédempteur de tous les hommes.

L'Épouse était touchée de cette même passion lorsqu'elle dit à son époux au saint Cantique : Osculelur me osculo oris sui. Qu'il me baise d'un baiser de sa bouche. Les anciens expliquant ce que c'est qu'un baiser, nous enseignent que c'est un moyen par lequel l'amant procure de tirer l'âme de celui qu'il aime, et en parlant proprement, le baiser n'est autre chose qu'une union des âmes, une transformation d'une personne en autre, de façon que le baiser le plus parfait est celui par lequel on donne véritablement son être. C'est celui que l'Épouse veut de son époux, elle demande l'être de celui qu'elle aime, c'est le baiser qu'elle souhaite, et c'est celui qu'elle reçoit aujourd'hui selon que saint Jean nous témoigne par ces paroles : Et Verbum caro factum est.

Mais on me pourra dire : Vous prêchez que le Verbe s'est fait Chair, qu'il est descendu en terre, comment se peut-il faire que celui qui est partout vienne en un lieu ? Nous ne disons pas que le Verbe est venu en terre pour avoir commencé d'y être, puisque celui qui est et éternel et infini est de tout temps partout, mais nous disons qu'il y est descendu parce qu'il a voulu prendre chair humaine et s'y faire paraître comme de notre humanité.

Il est venu en terre sans se mouvoir d'un lieu en autre. Il est venu en terre : un Dieu au ciel, il est venu au ventre de sa mère et toutefois est demeuré au sein de son père. Exivi a Patre et veni in mundum. (Joa. 16.)

Mais on me dira, passant outre, pourquoi ne dites-vous pas que le Père et le Saint-Esprit soient venus en terre pour la même raison pour laquelle vous dites que le Verbe y est descendu ? Je réponds en un mot que le Verbe est venu seul à nous parce qu'il s'est le seul vêtu de notre humanité.

Je m'imagine des esprits curieux, qui voudront pénétrer plus avant ces mystères, demandant comme il se peut faire que le Père, le Fils et le Saint-Esprit aient tous trois produit le mystère de l'Incarnation et que le verbe ait été celui seul qui l'ait terminé. Ces mystères sont hauts, mais il faut satisfaire tout le monde.

Il est certain que les trois personnes qui sont en Dieu ont produit le mystère de l'Incarnation, car les ouvrés de la sainte Trinité ne sont pas divisées selon les personnes, et la personne hors de soi-même n'opère pas comme personne, mais comme Dieu, de façon que ce qui se fait au dehors est commun à toutes les personnes puisqu'elles ont une même déité.

Or, bien que le Père, le Fils et le Saint-Esprit aient formé le corps de Jésus-Christ, créé son âme, produit l’union de ces deux parties, il n'y a toutefois que le verbe qui se soit fait homme. Vous le concevrez aisément par un exemple familier. Trois diverses personnes peuvent bien travailler ensemble à un habillement, bien qu'une seule s'en doive servir, et quand elles ont mis fin à leur ouvrage, on peut dire avec vérité que toutes trois l'ont fait et néanmoins une seule s'en pare. Ainsi les trois personnes ont voulu coudre le riche habillement de la nature humaine, ont voulu étoffer cette robe sacrée bien que le verbe seul la dut vêtir, bien que lui seul s'en dut servir et en fit parade.

Peut-être serez-vous encore désireux d'entendre pourquoi c'est que le verbe a plutôt pris ce vêtement et une chair, que le Père et le Saint-Esprit.

Ces merveilles me ravissent et je connais qu'elles doivent plutôt être admirées par respect qu'étudiées avec curiosité. Je ne laisserai toutefois, révérant ces mystères, de vous dire qu'il était à propos que celui qui avait au ciel un père sans mère eut en terre une mère sans père, que celui qui était né de toute éternité naquit en temps, et que celui qui tenait le milieu en la Trinité le tint entre Dieu son père et les hommes, se rendant le souverain médiateur du monde. Davantage le Fils de Dieu est le commencement de toutes choses puisqu'il est le Verbe éternel par lequel elles ont reçu leur être : Omnia per ipsum facta sunt. L'homme est la fin de tout ce qui est fait puisque le monde est créé pour lui. Il était donc bien convenable que le verbe s'unit à l'homme pour réunir les deux extrémités, la créature au Créateur, la fin et son principe.

Qui plus est, la faute d'Adam offense principalement le Verbe, et par conséquent il a du venir au monde pour réparer le tort qu'on nous a fait en l'offensant.

Je sais bien que le péché du premier homme est contre les trois personnes, mais nous disons qu'il touche principalement le Fils par ce que Adam voulut se prévaloir de sa sagesse qu'on attribue au fils comme étant produit par l'entendement.

Je pourrais étendre davantage le discours de ces saintes considérations, mais je m'aperçois que le temps se passe. Je suis tenu de paître les colombes aussi bien que les aigles, c'est-à-dire que je me dois accommoder à la portée des simples comme à celle des plus capables.

Le prophète Ezéchiel vit quatre animaux qui avaient les ailes, les pieds et la face d'homme. C'est la vraie figure de ceux qui annoncent la parole de Dieu. Il faut qu'avec les ailes d'une sainte méditation ils s'élèvent en la contemplation plus relevée pour satisfaire aux doctes, et que par après ils s'abaissent pour cheminer avec le peuple, qu'ils se rendent si intelligibles que les moins instruits puissent tirer du fruit de leurs discours.

C'est à ce propos que saint Augustin dit : Patiantur columbae dum pascuntur aquilæ, patiantur aquilæ dum pascuntur columbae. Que les colombes aient patience pendant qu'on repait les aigles, et que les aigles souffrent à leur tour qu'on repaisse les colombes.

Je vous ai jusqu'ici entretenus des merveilles de la naissance temporelle du Fils de Dieu, merveilles que les plus grands esprits ne peuvent comprendre. Maintenant je vous ferai voir si clairement ce qui est de la naissance spirituelle, que le moindre de cette compagnie la pourra concevoir aisément, bien qu'elle soit si excellente que j'ose dire que Jésus-Christ n'est né au monde que pour naitre dans nos âmes.

Dieu a créé l'homme avec une infinité de prérogatives et d'avantages sur le reste de ses créatures afin qu'entre toutes ses oeuvres cela fut un objet digne de son amour, et de fait nous voyons qu'il aime tant ce précieux chef-d'oeuvre de ses mains, qu'il ne craint point de dire que son contentement et ses délices sont en la demeure qu'il fait avec lui : Deliciæ meæ esse cum filiis hominum.

Lorsque le Tout-Puissant eut tiré de rien le grand univers, il donna la mer aux poissons comme en partage, l'air aux oiseaux, la terre à tant d'espèces d'animaux qui s'y voient, de façon que s'étant réservé le ciel pour son trône, il ne reste rien de créé au monde qu'il put donner à l'homme. Quelques-uns veulent dire que sa part est en terre, mais je ne peux souffrir cette opinion. Car il n'est ici-bas que par emprunt, et nous voyons qu'au bout de quelque temps son âme vole au ciel méprisant ce séjour. Au reste il est tout autre que les animaux privés de raison qui tirent leur être et leur vie de la terre, et partant il est raisonnable que son partage soit plus noble.

Remarquez, je vous prie, un témoignage étrange de l'amour du Sauveur du monde. Vous avez vu comme il a disposé tout l'univers de telle sorte que l'homme est demeuré à dépourvu. Vous savez pourquoi, la raison en est bonne.

Il a voulu lui donner, non la terre, non l'eau, non l'air, mais soi-même, mais sa divine essence qu'il lui a assignée comme un saint héritage. Ce n'est pas tout : Dieu ne s'est donné à l'homme que pour le convier et l'obliger à se donner à lui. Il fait paraitre le désir qu'il a de posséder cette créature, lorsqu'au Proverbe 23o il lui adresse ces paroles : Fili mi, præbe mihi cor tuum.

L'Ecriture est pleine de passages qui témoignent celle passion. Mais à quelle fin le Créateur du monde souhaite-l-il nos âmes, à quelle fin demande-t-il nos cours?

C'est, peuple catholique, pour y faire un temple sacré au séjour duquel il établisse ses délices: Deliciæ meæ esse cum filiis hominum. C'est pour faire en nos âmes une sainte maison en laquelle il puisse accomplir ce que saint Jean nous promet en notre Evangile : et habitavit in nobis. Saint Augustin (2) nous enseigne que l'âme du juste est le siège de la sapience : anima justi est sedes sapientiæ.

Saint Bernard (3) dit le même : Anima sedes Christi est, ibi libertas inhabitat. Vous voyez donc clairement que Jésus-Christ fait sa demeure en nous.

Si vous aviez une maison vous n'auriez pas patience que vous ne l'eussiez vue de dehors, de dedans. Vous voudriez vous-même en prendre possession.

L'âme est la maison du grand Dieu. Saint Bernard le publie : Anina domus est sponsi. Vous concevez donc aisément que Jésus-Christ vient en votre âme, puisque c'est sa maison, de laquelle il peut et doit prendre possession.

Je m'assure qu'il n'y a personne en cette assemblée qui, pour le moins une fois en sa vie, étant touché d'un véritable repentir de ses offenses, ne se soit aperçu sensiblement d'avoir son Dieu pour hôte.

O que c'est chose douce de faire naître en nous celui qui a sauvé le monde, de loger en nos cours celui que tous les cieux ne peuvent contenir. Il faut que je vous donne le moyen de jouir de ce bonheur.

Orose, auteur fort ancien et saint Jérôme avec plusieurs autres, remarquent que lorsque Jésus-Christ naquit, la paix était générale par toute la terre. Orose, l'un de ces auteurs, remarque davantage que cette merveille ne doit pas être attribuée à la prudence ni à la force des hommes, mais bien à la toute puissance du grand Dieu qui voulut faire en ce temps ce que jamais on n'avait vu auparavant.

Nous reconnaissons clairement que la divine Providence avait disposé cette paix, en ce que nous voyons que les prophètes l'ont prédite. Isaïe la découvre à l'ail au ch. 2 lorsqu'il dit en parlant du temps du Messie : Conflabunt gladios suos in vomeres et lanceas suas in falces, levabit gens contra gentem gladium. Michée en fait autant au 4e de sa prophétie, ou après avoir dit que Jésus-Christ naitrait en Bethléem, il ajoute : Et erit pax.

Le Fils de Dieu, mes chères âmes, est venu en terre avec une paix générale pour nous apprendre qu'il n'y a rien que son Père chérisse et aime davantage qu'une sainte union, et qu'au contraire il n'y a chose au monde qu'il abhorre et qu'il haïsse plus que la discorde, la division et la guerre. Vous pouvez connaitre par là que jamais il ne fera sa demeure en vous, si vous n'êtes premièrement dépouillés de toutes sortes de passions, et que la tranquillité de vos âmes ne le convie à faire quelque séjour.

Dieu par sa bonté a tellement favorisé les armes de notre Roi qu'appaisant les troubles il a mis fin aux misères de son état, nous ne voyons plus la France armée contre soi-même et épancher le sang de ses propres enfants. La paix est en ce royaume, mais ce n'est point assez pour inciter le doux Jésus à venir faire sa demeure avec nous : il faut qu'elle soit en ros villes, en nos maisons et principalement en nos coeurs. La paix publique s'entretient par l'obéissance que les sujets rendent à leur prince se conformant entièrement à sa volonté en ce qui est du bien de son état.

La paix se maintient aux villes, lorsque les personnes privées se contiennent modestement dans le respect qu'elles doivent aux lois et aux ordonnances de ceux qui ont autorité.

La paix est aux maisons, quand ceux qui demeurent ensemble vivent sans envie, sans querelle, sans inimitié les uns contre les autres.

La paix est en nos cours, lorsque la raison commande comme reine et maîtresse, que la partie inférieure qui contient le peuple séditieux de nos appétits obéit, et que toutes deux se soumettent à la raison éternelle, de laquelle la nôtre emprunte ce qu'elle a de lumière.

Vous voyez, mes bien chères âmes, ce qui est de la paix, il est en vous de l'acquérir en vos villes, en vos maisons, et en vous-mêmes. En un mot, si vous la voulez, il faut que vous ayez la justice, puisque la paix est unie avec elle d'un lien si étroit que l'une n'est jamais sans l'autre : Justitia et pax osculatæ sunt. La justice et la paix s'entrebaisent, dit le Psalmiste.

Saint Augustin triomphe en l'explication de ces mots et conclut que si nous n'aimons la justice qui est l'unique amie de la paix, la paix ne sera point avec nous.

Aimez-donc, je vous prie, la justice. Rendez à Dieu ce que vous lui devez. Obéissez à ses saints commandements, par ce moyen vous aurez la paix et contraindrez par une douce force le Sauveur du monde à venir en vous, vous le contraindrez à loger en notre âme qui est un saint palais de sa divine majesté.

 

Ainsi vous posséderez Dieu; celui dans lequel cette machine tourne sera en vous. Jésus-Christ qui est votre maître, sera en votre âme pour vous servir. Tandis que vous aurez votre Dieu pour hôte, rien n'ira mal pour vous; quoique la terre tourne, vous demeurerez ferme; quoique la mer enrage, vous aurez le calme.

Nous lisons qu'un grand capitaine se trouva un jour en très grand péril sur la mer, lorsqu'il vit que la tempête menaçait entièrement sa barque du naufrage. Il se mit en prière, il supplia Dieu d'apaiser les ondes courroucées, de retenir ce monstre impitoyable, d'empêcher sa ruine; mais voyant que le secours du ciel ne venait point, il se tourne étonné vers ses compagnons pour les avertir qu'il fallait se résoudre à la mort. Comme il pensait ouvrir la bouche pour leur dire cette triste nouvelle, il aperçut entre eux un jeune enfant : il prend courage, il court à lui sans dire mot, il le charge sur ses épaules, croyant que Dieu aurait pitié de cette âme innocente et que par ce moyen il pourrait se sauver.

Imitons, Messieurs, je vous prie ce brave capitaine. Nous sommes en la mer de ce monde, agités de mille tempêtes, battus de mille orages qui menacent nos âmes de leur perte, ayons recours à un enfant, ayons recours à Jésus-Christ qui prend naissance aujourd'hui. Mettons-le, non sur nos épaules, mais dans nos cours et sans doute son innocence nous garantira du naufrage et nous conduira au port de salut.

Tout notre bien dépend de Jésus-Christ. C'est la fontaine du bonheur, c'est la fontaine d'où coule toute grâce, il faut que celle source soit en nous; si nous voulons l'avoir aimons la paix, car sans doute celui qui l'aimera sera aimé de Jésus-Christ qui en est le prince.

Il n'y a rien au monde qui soit si désirable que la paix. Samuel étant allé en Bethléem pour oindre David que le Tout-Puissant voulait établir monarque des Juifs, privant Saül de cette dignité dont il s'était rendu indigne, l'Ecriture remarque que les anciens de la ville furent au devant de ce saint prophète, qu'ils lui demandèrent si son entrée était pacifique ; à quoi il répondit : Pacificus est ingressus meus, ad immolandum Domino veni. Mon entrée est pacifique : je suis venu pour sacrifier au Seigneur. Je me reconnais de tout indigne (des grâces) que le grand Dieu départ aux moindres de ses créatures. Je ne puis toutefois que je ne souhaite ardemment celle que Samuel reçut à son entrée. Je puis dire avec vérité : Ad immolandum Domino veni. Je suis venu pour sacrifier au Seigneur. Mais je souhaite de pouvoir dire aussi, maintenant que j'arrive en ce lieu : Pacificus est ingressus meus, mon entrée est pacifique.

Je puis dire que je suis venu pour sacrifier au Seigneur. J'ai ce matin offert le corps de Jésus-Christ à Dieu son Père, je lui ai présenté le précieux sang de la victime innocente ; je lui offre vos cours et lui donne le mien, pour rendre cette proposition véritable, Mais je ne puis moi seul donner effet à l'autre, sa vérité dépend de vous. Je ne puis dire que mon entrée est pacifique, si vous ne m'en donnez l'autorité. Je ne puis me prévaloir de la paix si...... .....(4) je ne m'assure de vous-mêmes.

Je vous supplie autant qu'il m'est possible de la désirer aussi ardemment que je fais et d'y contribuer du vôtre. La paix nous est honorable, et utile à l'Eglise, nous en recevrons l'honneur et l'Eglise le fruit.

Aristote et Pline, qui ont été curieux de découvrir les secrets de la nature, remarquent une merveilleuse propriété en une pierre : elle foule sur l'eau étant en masse, et va au fond lorsqu'elle est mise en pièces. Je puis dire, mes frères, que nous sommes la pierre de ces philosophes ; si nous nous unissons, si nous faisons un corps, si nous sommes en masse, nous flotterons toujours dessus les ondes et nous ne pourrons faire naufrage. Mais si nous sommes séparés, la moindre tempête sera suffisante pour nous couler à fond et pour nous perdre. Rien ne se conserve qu'en temps qu'il est un, et rien ne périt qu'en temps qu'il se divise.

Je proteste que j'emploierai si peu que j'ai d'esprit, si peu que j'ai de forces, pour maintenir l'union de laquelle dépend notre conservation,

Je vous conjure d'en faire autant, je vous conjure de me secourir en ces saintes intentions ; le Tout-Puissant bénira nos desseins, principalement si nous l'en supplions avec dévotion; élevons tous nos coeurs en lui, ravissons de son sein une sainte étincelle du feu de charité, afin qu'en ayant embrasé nos âmes, nos prières soient plus ardentes et plus dignes d'être exaucées.

Seigneur, toute cette assemblée se prosterne à vos pieds pour vous supplier humblement de lui vouloir donner la paix ; la paix en son âme, la paix avec son prochain, la paix avec vous, elle dresse ses voeux vers votre majesté, elle implore votre aide, sachant que vous êtes le père de la paix, sachant que vous êtes celui qui la donne, qui la maintient et qui l'augmente. Bon Dieu, regardez cette troupe de votre œil de pitié, exaucez ses prières.

Lorsque vous avez daigné venir au monde, vous avez mis la paix partout. Rendez-nous si heureux, qu'arrivant en ce lieu, je la trouve partout. Bon Dieu, je vous demande non que je la mette, mais que vous la mettiez. Je demande la paix, non pour mon contentement, mais pour votre gloire. Accordez-moi donc ma requête et je vous promets que nous userons si dignement des bienfaits de votre main libérale, que vous aurez sujet de nous en faire d'autres un jour au ciel, où nous espérons tous la paix céleste à laquelle nous conduise le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

FIN

LUÇON. - M. BIDEAUX, IMPRIMEUR DE L'ÉVÊCHÉ.

 

 

 

Armand Jean du Plessis de Richelieu, de la Sorbonne à l’évêché de Luçon (Time Travel 1606) <==

 

 


 

(1) Ambr. contra Hæreticos. (Note du manuscrit.)

(2) Sup. ps. 9. (Note du manuscrit.)

(3) Hom. 14 de advent. serm. 27. (Note du manuscrit.)

(4) Mot illisible.