La vallée de Beaufort s'étend, en quelque sorte, des portes de Saumur, vers l'est, à celles d'Angers, vers l'ouest, sur une longueur de plus de trois mayriamètres et sur une largeur en moyenne de quatre kilomètres. Beaufort, par sa situation à égale distance à peu près d'Angers et de Saumur, permettait aux maîtres de son château d'embrasser d'un coup d'oeil leurs riches possessions de la vallée et les clochers des deux principales cités de l'Anjou.
Difficilement on eût rencontré une plus heureuse position.
Ce terrain de la vallée, conquête lente, pacifique, mais difficile de l'homme, a successivement été couvert par les eaux d'un grand fleuve, par les chênes superbes d'une vaste forêt, et enfin par des moissons d'une incomparable beauté. Trois périodes peuvent donc être assignées, en thèse générale, aux révolutions et changements arrivés sur ce territoire.
Dans la première période, c'est à dire depuis les temps les plus reculés jusque vers le milieu du XIe siècle, la Loire est maîtresse du sol.
Dans la seconde, autrement du XIe siècle au milieu du XIVe, de grands chênes remplacent les eaux, le fleuve devient forêt.
Dans la troisième période, les défrichements sur une vaste échelle commencent, et l'agriculture va toujours s'améliorant jusqu'à nous.
Toutefois, nos classifications ne sont pas tellement absolues qu'elles ne puissent souffrir d'exceptions; il ne viendra certainement à la pensée de personne de prétendre qu'en telle année, la Loire a fait place à la forêt et la forêt à l'agriculture; ces changements sont le travail des siècles et des générations; des siècles qui ne' brusquent rien, des générations qui savent attendre.
Ainsi, croire absolument que dans la première période il n'y ait pas eu, lors des basses eaux, des atterrissements qui permissent à de puissantes végations de se manifester, serait une erreur.
Croire que dans la seconde il n'y ait pas eu des tentatives de défrichements, en serait une autre.
Nous avons cherché seulement à distinguer les époques auxquelles il est possible de rattacher les principales modifications que la vallée a subies.
Du reste, ce que nous allons écrire sur chacune de ces trois périodes rendra noire pensée plus nette.
PREMIÈRE PÉRIODE.
La Loire coule dans la Vallée, laissant çà et là des espaces, des îlots habités, durant l'ère gallo-romaine; de ce nombre est, sur la rive droite de l'Authion, non loin du Pont-Rouge, à trois kilomètres environ de Beaufort, le lieu dit le Grand-Buze, autrefois siège d'une villa antique (1). Ajoutons encore l'endroit nommé le Chardonnet (commune de Saint-Mathurin), endroit où douze sépultures gallo-romaines ont été rencontrées en 1849; l'une desquelles renfermait une terre cuite du IVe siècle, représentant en relief un portrait du Sauveur (2).
A cette période se rattachent également de sérieuses tentatives faites pour conquérir du terrain sur les eaux, et pour établir des levées favorables à la circulation. On dut ces tentatives surtout à la sollicitude d'un souverain qui aima l'Anjou et qui même habita la ville de Doué.
En effet, Louis le Débonnaire, au IXe siècle, se préoccupa grandement des levées de la Loire, de aggeribu juxta Ligerim faciendis, comme il est dit dans ses capitulaires (3), et Ménage n'hésite pas à lui attribuer l'établissement d'une ancienne turcie qui, assure-t-il, « estait le vieux chemin de Beaufort (ou plutôt le chemin de Saint-Pierre-du-Lac) à Saumur par le milieu » des marais que forment dAuthion et le Latan (4).
D'autres voient dans ce chemin un tronçon de la route romaine d'Angers à Tours dont les restes sont encore apparents dans la traverse des métairies de la Butte et de la Touche-Bruneau, entre Beaufort et Vivy.
(1) Nouvelles archéologiques, n°21.
(2) Nouvelles archéologiques, n° 20, supplément ; voir aussi le bulletin du ministère de l'instruction publique, année 1852.
(3) Liber IV, cap. X, Ansegise, éd. de 1588.
(4) Ménage Sablé page 234, lre partie.
Quelques antiquaires s'appuyant sur le nom de Touche-Bruneau, pensent que celte dénomination est une réminiscence du nom de Brunehault, reine célèbre par ses constructions et réparations de voies publiques, et ils ne balancent pas à lui faire honneur de l'établissement de la vieille roule d'entre Beaufort et Saumur, dont parle Ménage.
Quoi qu'il en puisse être de ces diverses opinions, il reste vrai que, soit durant l'occupation romaine, soit sous la reine Brunehault, mais très sûrement sous Louis-le-Dèbonnaire, de sérieuses tentatives de conquête sur les eaux de la Loire, coulant alors dans la Vallée, ont été faites.
Les bourgs ci-après appartenaient aussi à la première période, savoir: Andard, Mazé, Brion et Saint-Pierre-du-Lac, ce dernier village, souche à peu près certaine de la ville de Beaufort.
(Visite panoramique de la vallée de la Loire à Candes Saint Martin)
DEUXIÈME PÉRIODE.
Une forêt remplace les eaux de la Loire dans la Vallée; aussi voyons-nous d'après le Cartulaire de Saint-Maur, que Geoffroy-Martel l'ancien, vers 1070, donne aux moines de Saint-Maur le droit de couper des bois de chauffage dans la forêt de Beaufort à la réserve du bois de chêne. Les autres essences étaient le frêne, l'orme, le sanguin et l'érable (1).
C'est dans cette période que Beaufort (Belli fortis) paraît avoir pris naissance ou tout au moins son principal développement du temps de Foulques-Nerra ; le nom de château de guerre forte, traduction de Castrum Belli fortis, est un nom tout à fait à l'avenant des habitudes de ce comte d'Anjou, grand bâtisseur et grand guerroyeur.
(1) archives d’Anjou, T. 1er p. 334 et 388.
Les plus anciennes constructions du château (quelques noyaux amplecton) s'accordent bien avec l'époque de Nerra. Il est de tradition que Beaufort succéda, du reste, à la villa gallo-romaine de Saint-Pierre-du-Lac qui perdit son importance lorsque la Loire l'abandonna, événement arrivé au XIe siècle (l) et qui se perpétue dans le nom de lieu déporta fondu, c'est à dire port a fondu, port à disparu.
Quelques défrichements partiels furent effectués durant celle seconde période, principalement du côté de Saumur, sous la direction et l'influence des moines de Saint-Florent du Thouet, très favorables à l'agriculture, tandis que Geoffroy-Martel et Geoffroy-le-Barbu, comtes d'Anjou, ne l'étaient guères, ces derniers s'opposant à toutes sortes de défrichements, afin d'avoir d'épais fourrés pour la chasse.
Nous lisons en effet dans Dom Jean Huynes, p. 242, ce passage inédit :
« Foulques-Nerra ayant pris le château de Saumur le donna à son fils Geoffroy (Martel l'ancien), lequel tandis que son père vécut n'eut assez de quoi s'entretenir honnêtement selon sa qualité de comte, ce qui l'excitait outre son naturel féroce et convoiteux à imposer plusieurs coutumes odieuses sur ses sujets, ce qu'il fit particulièrement sur la terre de Saint-Florent, car outre le droit de chasse qu’il voulait lui être absolu partout, il défendit aux religieux de faire extirper les bois qui s'étendaient des paroisses de St-Lambert des-Levées et Saint-Martin-de-la-Place, n’y de les réduire en prés et terres labourables…
» Et quant aux champs des sujets... lesquels champs » ils avaient déjà rendu labourables en extirpant une » partie des bois... Goeffroy-Martel s'en attribua par deux fois la moitié de la moisson... Toutefois ensuite commanda qu'on les laissât dorénavant jouir paisiblement des champs qui jusqu'alors avaient été extirpés; mais qu'on se gardât d'en extirper davantage. »
(1) En 1040 la Loire coulait encore à Mazé, Ménage. Sablé, p. 235, lre partie.
Geoffroy-le-Barbu, sou successeur, agit pareillement. Nos forêts de l'Anjou étaient au moyen- âge pleines de grosses bêtes. C'est ainsi que vers la fin du Xe siècle on brûlait dans l'église de Saint-Florent-le-Vieil du suif de cerf au lieu d'huile et de cire, ce suif étant infiniment moins rare.
Quelques-uns de nos comtes, intrépides chasseurs, voyaient donc avec peine les bois disparaître sous la cognée du bûcheron et la charrue du laboureur.
D'autres, au contraire, favorisaient les dessèchements des marais, la formation des levées et les défrichements.
A leur tête je dois citer Henri II, roi d'Angleterre et comte d'Anjou, l'un des grands bienfaiteurs de la Vallée. Ce prince appartient également à notre deuxième période par la charte (1) qu'il octroya vers le milieu du XIIe siècle dans l'intérêt des turcies de la Vallée. Le plan conçu sous les Carlovingiens, depuis lors abandonné à des directions partielles et capricieuses, recouvra son ensemble. Cette précieuse charte mentionne avec une heureuse complaisance les avantages que ce souverain accorda, sous la direction de ses intendants (ministrorum), aux travailleurs des levées. Il réunit ceux-ci en un corps ayant ses privilèges spéciaux et son drapeau, le drapeau de la Vallée : Ad unum vexillum veniant.
Henri fait construire à partir de 1170 une digue de 40 km de long, afin de mettre à l’abri des crues du fleuve la partie orientale de sa vallée angevine.
La charte de Henri II Plantagenêt « la grande Turcie » délivré vers l’été 1166 ou début 1168. La turcie s’élève entre la Loire et l’Authion sur les communes de Saint-Lambert-des-Levées et de Saint-Martin-de-la-Place.
Dans cette même période trouvent place deux fonctionnaires de Beaufort, le segrearius aquarum (2), le segreyer ou conservateur des eaux, et le dominus nemorum, le forestier.
Leur surveillance avait une grande utilité en ce temps-là surtout que la Vallée était une forêt entrecoupée de nombreux marais aux eaux stagnantes, derniers vestiges de la Loire.
(1) charte se trouve imprimée dans Ménage, page 374, Sablé, lre partie.
(2) D'une copie du procès-verbal des bois, commîmes et rifières de la gruerie de Beaufort.
TROISIÈME PÉRIODE.
Elle s'ouvre avec le XIVe siècle. Philippe de Valois y paraît au premier plan, et achève l'oeuvre de Louis-Le-Débonnaire et de Henri II, roi d'Angleterre et comte d'Anjou.
« On croit, dit Ménage (Sablé, p. 325), que ça été Philippe de Valois qui a fait la levée telle qu'elle est aujourd'hui, car ce fut de son temps que les marais furent desséchés, et les forêts de Beaufort abattues, depuis l'Authion jusqu'à la levée, et que les églises des Rosiers et de Saint-Mathurin furent bâties. »
A dater du XIVe siècle, l'agriculture fait de surprenants efforts, et les habitations se multiplient sur la levée d'Angers à Saumur, devenue parfaitement viable; aussi deux personnes pieuses, Jehan Bouhalle et Catherine sa femme (1), fondent-elles, sous l'invocation des Cinq Plaies, l'aumônerie de la chapelle Bouhalle ou Bohalle, pour deux lits pouvant servir une nuit à chaque pauvre voyageur.
Et bientôt se forma le bourg du même nom, qui dépendait autrefois de la paroisse de Blaison (la plupart des bourgs et villages de la levée, rive droite de la Loire, relevant en effet des paroisses de la rive gauche), ce qui prouve une fois de plus l'antiquité de celles-ci et la nouveauté relative des églises de la levée.
Procès-verbaux / Société nationale d'agriculture, sciences et arts d'Angers,
Histoires d'Eaux et de Régions: Recherches historiques sur les inondations de la Loire et du Rhône. <==.... ....==> Charte d’Henri II Plantagenêt pour les levées de la Loire et des Turcies
Aux confins de l'Anjou, à l'endroit où la Loire entre dans le département; nous trouvons à Candes le confluent de la Loire et de la Vienne.
Ménage pense que ces deux rivières s'unissaient originairement à Candes; mais, dit-il (I), à l'endroit de jonction, la rapidité des eaux souleva, avec le temps, de grandes masses de sable qui séparèrent ces deux -rivières, qui ne s'unirent ensuite qu'au-dessous de Saint-Maur, jusqu'à ce que les masses, étant déplacées, elle reprissent , comme de nos jours, leur ancienne jonction près de Candes, et coulassent comme aujourd'hui dans un lit commun. C'est ainsi que s'exprime Ménage, et son explication doit paraitre naturelle à quiconque a pu juger par lui-même des changements que la Loire occasionne même annuellement dans son cours.
1) Grégoire de Tours, liv.IV, p. 215. ( Bib. ville); commencement du VIe siècle.