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PHystorique- Les Portes du Temps
6 novembre 2022

1854 Tombeau dit « de Laleu » du prieuré Saint-James de Boisfleury

En 1854, la ville de La Rochelle n'a pas encore de musée d'antiquités; mais il faut espérer que cet établissement existera prochainement. En attendant, quelques morceaux curieux ont été déposés dans le vestibule qui précède le grand escalier de la Bibliothèque, et c'est là que j'ai trouvé le curieux tombeau, du XIIe siècle, dont je vais vous entretenir.

Dès que M. Thiollet, membre de la Société française d'archéologie a été arrivé à La Rochelle pour assister au Congrès, je l'ai prié de dessiner ce tombeau.

Voici la gravure que j'en ai fait faire, d'après son dessin:

Rapport___Académie_de_La_[

 

M. Menut, membre de notre Société, avait fait, avant la tenue du Congrès, une notice sur ce monument on y trouve des détails intéressants que je vais d'abord reproduire :

 

Il existe dans les communes de Saint-Maurice et de Laleu, près de la pointe de Chef-de-Raie, un assez grand nombre de monticules en terre ou en rocailles rangés symétriquement et que , dans le langage du pays, on appelle des Chirons.

Quelques personnes pensent que ces accidents de terrains pourraient bien être des Tumulus. Cette hypothèse ne reposant sur aucun fait positif, nous ne ferons que la mentionner ici. Il y a vingt ans environ, on a trouvé, il est vrai, dans un de ces chirons, situé au fief Saint-James, des ossements, des cercueils en pierre et quelques vases en poterie.

La présence de ces objets semblait tout d'abord indiquer un heu consacré anciennement aux sépultures ; mais la découverte, à la même époque, de fonts baptismaux et d'une assez grande quantité de pierres taillées et de larges dalles, ne laissa aucun doute sur l'existence en cet endroit d'une ancienne chapelle dont le fief a conservé le nom, mais dont le souvenir est complètement effacé dans le pays.

Une découverte plus importante a été faite dernièrement dans le même lieu.

M. Fouré, docteur médecin à Laleu, possède en majeure partie le chiron principal du groupe dont nous venons de parler, celui autour duquel les autres paraissent rangés avec un certain ordre.

Il est situé à quatre cents pas environ de la poudrière, au couchant, et se trouve le plus rapproché de la batterie de Chef-de-Raie.

Par tradition de famille, M. Fouré savait que sous ce tertre étaient enfouis les restes d'une ancienne construction ; car déjà M. Jousseaume, son beau- père, y avait trouvé autrefois les cercueils en pierre et les autres objets dont nous avons donné plus haut l'énumération ; mais les fouilles en étaient restées là , lorsqu'il entreprit à son tour quelques déblaiements et, à peu de distance du sol, les ouvriers mirent à découvert un tombeau parfaitement conservé.

 Enlevé avec beaucoup de soin, il fut transporté dans la cour de l'habitation du docteur Fouré où il nous a été permis de l'examiner à plusieurs reprises.

 Dans l'espérance d'arriver à un cercueil, les recherches furent continuées ; mais, pour toutes dépouilles, on découvrit au- dessous de la couche végétale un crâne et un fémur reposant sur le roc.

 L'épaisseur du premier et les sutures de ses parties dénotent qu'il appartenait à un homme âgé. Son volume est grand ; sa configuration n'offre aucune particularité. La parfaite harmonie de toutes ses protubérances révèle seulement un homme d'intelligence. Le fémur, par ses dimensions, indique un homme d'une stature fort élevée.

Tombeau dit « de Laleu » du prieuré Saint-James de Boisfleury (3)

Le tombeau découvert mérite une description.

 Il se compose d'une pierre tumulaire supportée par six colonnettes, dont trois sur le devant et trois en retrait, lesquelles viennent s'appuyer sur trois lions reposant sur un soubassement fait en pierre de Saintonge, dite de Crazannes, comme le reste du monument.

La pierre tumulaire, de forme prismatique, a 1 mètre 95 centimètres de longueur sur une largeur de 55 centimètres à la tête et de 50 centimètres seulement aux pieds. Ce sarcophage qui, du reste, a presque la forme de nos cercueils en bois, paraît avoir été adossé à un mur, la tête à l'occident et les pieds à l'orient.

 Cette disposition explique pourquoi les sculptures qui le décorent n'ont été placées que sur un des pans inclinés et aux pieds. Les ornements, sculptés en relief, consistent en une espèce de coiffure à quatre lobes égaux, décorés chacun de deux rangées de perles ; une croix grecque fleuronnée avec un chapelet de perles au milieu ; une palme perlée dont les extrémités sont recourbées et un marteau. Il n'y a aucune trace d'inscription.

Au- dessous des pans existe une bordure ornée de cinq palmettes perlées, et de feuillages placés sans symétrie aux deux extrémités. Aux pieds, on voit un feuillage à sept branches dont le dessin rappelle celui de la bordure.

 Les colonnettes, hautes de 33 centimètres, sont octogones. La base représente un cône tronqué et le chapiteau une corbeille, etc. ; ils ne sont séparés du fût, qui est droit sans renflement, que par deux tores. Les lions sont couchés et comme affaissés sous le poids qu'ils supportent.

 Les dalles du soubassement offrent pour toute moulure un chanfrein et un socle.

En face de ce monument, deux questions se présentent à l'esprit. On se demande à quelle époque ce tombeau a pu être construit et quel est le personnage dont il recouvrait les dépouilles ? C'est ce que nous allons examiner.

Nous avons déjà fait connaître que ce tombeau a été trouvé dans un heu où s'élevait autrefois une chapelle sous l'invocation de Saint-James.

L'origine de cet édifice, que nomme à peine le Père Arcère dans son histoire de la Rochelle, est restée inconnue ; seulement, il y a tout lieu de penser, d'après sa dédicace, que cette chapelle était de construction anglaise.

Le terrain mis à nu par les fouilles, laisse apercevoir un pan de muraille et la base d'une colonne qui rappelle complètement le style de l'architecture romane secondaire en usage dans le XIIe siècle. Elle se compose d'un tore lisse et d'un filet.

Si maintenant nous examinons le tombeau, nous sommes portés à croire qu'il remonte à la même époque. Ces colonnettes prismatiques, ces chapiteaux en corbeille, la position des lions, leur présence même, sont autant de caractères distinctifs de l'architecture romano-byzantine.

Enfin, les palmettes perlées qui décorent le monument représentent, suivant M. de Caumont, un des types du roman secondaire Poitevin et Saintongeois.

D'après ces considérations, le doute ne paraît plus possible. Ce tombeau a bien été élevé dans le XIIe siècle.

 

Quelques personnes ont assigné à ce monument une date postérieure. Cette erreur est le résultat d'une confusion facile à expliquer.

Un vase en poterie grossière, de ceux employés encore aujourd'hui aux usages domestiques, a été trouvé renfermant huit médailles.

Cette découverte a été faite non pas sous le tombeau, comme nos contradicteurs semblent le croire, mais dans un terrain tout-à-fait distinct.

On y remarque un grand-blanc de Charles VII frappé pendant la domination anglaise; — un denier-tournois de Louis XII;—quatre jetons de Nuremberg des XVIe et XVIIe siècles ; enfin deux jetons de Charles II, duc de Gonzague, de Nevers et de Rethel, dont l'un porte le millésime de 1610.

Ne consultant que cette date, on est arrivé naturellement à conclure que le tombeau devait être du XVIIe siècle.

Rien ne peut justifier une pareille opinion, et il serait impossible à l'archéologue de retrouver dans les sculptures du monument aucun des caractères de l'architecture de la renaissance qui régnait alors.

La découverte de ces médailles prouve seulement, comme on l'a dit ailleurs, que le lieu où elles ont été trouvées a servi aux sépultures jusqu'au XVIIe siècle. Il est présumable qu'elles avaient été placées dans un tombeau non apparent recouvert par le pavé de la chapelle.

Nous touchons à la partie la plus difficile de notre travail d'interprétation.

Les pierres nous ont laissé lire leur âge. Demandons leur maintenant à qui appartenaient les dépouilles qu'elles recouvraient.

La pierre tumulaire, selon l'usage du XIIe siècle, ne porte aucune inscription. Il nous est donc impossible de connaître le nom du défunt ; mais il nous reste à chercher la signification des ornements placés sur cette tombe; peut-être nous fourniront-ils des renseignements sur la condition sociale du personnage qui nous occupe.

D'abord, cette croix fleuronnée, cette palme, cette coiffure et ce marteau ainsi réunis sur le tombeau, sont-ils des armoiries parlantes ? Je ne le crois pas.

 Les armoiries parlantes, employées dès la plus haute antiquité, étaient des signes de reconnaissance qui faisaient allusion aux noms des nations, des villes ou des individus.

Ils étaient simples , faciles à deviner et à retenir : ainsi, la ville d'Ancône gravait sur ses monnaies un coude (Ancôn, en grec et en latin, signifie coude, pli de coude) ; Colbert portait d'azur à la couleuvre d'argent, de Coluber en latin ; la famille Fontanes , de sable à la fontaine d'argent ; la maison de Cardona en Espagne, de gueule à trois chardons.

Ces symboles répondent parfaitement par leur simplicité au but des armes parlantes. Aussi ne pouvons-nous admettre qu'on ait eu l'idée de se servir des quatre figures détaillées précisément pour représenter un nom.

Plus nous examinons ce tombeau, plus les ornements qui le décorent nous paraissent symboliques.

Par suite, nous inclinons à penser qu'il a dû être élevé à la mémoire d'un dignitaire d'une association à la fois civile et religieuse du moyen-âge. D'abord, il ne faut pas oublier que ce fut toujours un honneur d'être enterré dans les églises et que les hommes éminents par leurs dignités étaient les seuls dont les cendres fussent honorées d'un monument.

On enterrait les autres sous le pavé. Il nous est donc permis d'avancer que ce tombeau devait recouvrir les dépouilles d'un personnage qui occupait une position assez élevée dans le XIIe siècle, époque à laquelle il fut érigé.

Tombeau dit « de Laleu » du prieuré Saint-James de Boisfleury (1)

Reste maintenant à trouver à quel ordre il pouvait appartenir.

Est-ce à celui des Templiers institué au commencement du XIIe siècle ?

La croix fleuronnée de la pierre tombale rappelle bien, il est vrai, une des marques distinctives de cette célèbre milice ; on pourrait aussi reconnaître la capuce, coiffure ordinaire des chevaliers, dans l'espèce de coiffure sculptée sur la pierre ; la palme symboliserait la victoire temporelle remportée par ces intrépides défenseurs de la foi chrétienne ; mais alors, dans cette hypothèse, comment expliquer la présence du marteau, emblème du travail.

 Il nous semble qu'un glaive serait mieux placé sur la tombe d'un membre d'un ordre militaire comme celui des chevaliers du Temple.

Une autre opinion nous paraît pouvoir être soutenue avec quelque avantage. Elle consiste à voir dans ce monument le tombeau de l'architecte de la chapelle de Saint-James.

 Il n'y aurait rien d'impossible, en effet, à ce que la construction de cette chapelle d'origine anglaise eût été confiée à un des membres de cette fameuse confrérie de maçons, constructeurs cosmopolites, qui étaient si en faveur dans le moyen-âge, particulièrement en Angleterre.

Ses associés, divisés en architectes ou maîtres, en compagnons et en ouvriers, avaient des signes, des mots qui leur servaient à se reconnaître.

Dans leur langage, ils employaient l'allégorie ; leurs outils étaient emblématiques, leurs ouvrages symboliques.

Dans cette hypothèse, les sculptures de la pierre tombale acquièrent une véritable signification.

Le marteau, pour les maçons, était l'emblème du travail, et la coiffure celui de la puissance ou d'un haut grade dans l'ordre.

La croix et la palme personnifieraient ici les idées religieuses de cette association ouvertement protégée par le clergé de cette époque.

Il n'y a pas jusqu'aux autres ornements, à l'exception des colonnes, qui ne paraissent établis d'après les nombres trois, cinq et sept, consacrés dans cette association. Ils se composent de trois branches de feuillage , de cinq palmes et d'un feuillage à sept branches ; enfin le monument est supporté par trois lions pour rappeler peut-être que la justice doit présider à toutes les actions du maître-architecte, car vous n'ignorez pas qu'il était d'usage autrefois de rendre la justice et de faire certains actes publics entre des lions couchés et posés sur des piédestaux : de là la formule inter.leones qu'on lit en tête d'anciennes chartes.

Voilà, Messieurs, toutes les explications que nous pouvons vous donner sur cette énigme qui nous est léguée par le temps.

Un seul point nous semble complètement éclaira : c'est l'ancienneté du tombeau découvert qui remonte au XIIe siècle. Mais, reconnaissant notre impuissance à sonder plus profondément le mystère qui entoure cette tombe, nous souhaitons qu'un plus habile que nous vienne dissiper les ténèbres devant lesquelles nous nous arrêtons.

Nous ne terminerons pas sans exprimer le voeu de voir ce tombeau figurer dans un musée d'archéologie dont la Société devrait provoquer la création.

 La section des sciences naturelles rassemble les productions des trois règnes de la nature de notre département ; il appartient à la Société littéraire de recueillir tout ce qui pourrait faire revivre le passé de notre ancienne province.

Quant à la question de savoir s'il serait utile de proposer à la Société de contribuer à la continuation des fouilles, nous ignorons si elle y trouverait une juste compensation de ses sacrifices.

Tout ce que nous savons, c'est que les pierres retirées du chiron, à l'exception d'une qui a une moulure en spirale, n'offrent aucune sculpture. D'un autre côté, le manque de route et les vignes qui entourent le chiron présenteraient des difficultés assez grandes pour l'enlèvement des décombres.

Par tous ces motifs , nous pensons qu'il convient d'abandonner à M. Fouré le soin de continuer les fouilles lorsqu'il le jugera à propos, tout en le priant de vouloir bien prévenu- la Société dans le cas où la pioche mettrait à découvert quelque chose d'intéressant.

La Rochelle, 7 novembre 1854.

 

 

Tombeau dit « de Laleu » du prieuré Saint-James de Boisfleury (2)

M. Menut terminait son travail en demandant que ce monument fût déposé dans un lieu public, pour commencer par là un musée d'archéologie. Cette excellente pensée a été accueillie, et c'est au vœu ainsi exprimé que l'on doit probablement le dépôt de cet intéressant morceau de sculpture dans la salle du rez-de-chaussée, servant d'accès au grand escalier de la bibliothèque et du musée de peinture. M. Thiollet partage à peu près l'opinion de M. Menut. Je pense, dit- dans les notes qu'il m'a remises avec son dessin, «  que le monument a été élevé à la mémoire d'un fondateur d'église, qui était à la fois architecte et ecclésiastique les ornements qui se trouvent gravés sur une des faces le font supposer.

Ces sculptures sont le marteau de tailleur de pierre et la palmette composée, qui indiquent qu'il était constructeur et ornemaniste. La croix indique qu'il était ecclésiastique les extrémités de la croix sont ornées, ainsi que la surface des branches, par des perles. Le bouton placé au-dessus pourrait bien représenter une coiffure ce bouton dessiné en grand « figure suivante, a été mutité pour arracher le pistil du  milieu de la fleur non épanouie. Le centre laisse voir la « place de ce pistil qui a dû être en métal ou simplement « en pierre rapportée et scellée dans une ouverture pentagonale creusée à cet effet, le bloc de pierre n'ayant pas permis d'y tailler cette saillie.

«  Le bouton étant formé de quatre lobes, celui du devant porte, entre ses nervures, trois rangs de perles, tandis que « les trois autres n'en ont que deux. »

Les colonnettes qui venaient reposer sur les lions, ont été supprimées, ou brisées dans le trajet de Laleu à La Rochelle et la pierre figurant le tombeau repose immédiatement sur les lions, comme le montre le dessin, p. 611.

Mais, au moyen de la figure que nous donnons p. 609, on peut rétablir le monument tel qu'il existait à Laleu au moment de la découverte.

M. Thiollet a encore dessiné une pierre tombale, beaucoup moins intéressante que la précédente, mais déposée également dans le vestibule de la bibliothèque publique. Très fruste, cette pierre offre la représentation d'un végétal palmé (Y. ta p. 615). Il paraît que ce couvercle a été trouvé, l'année dernière dans l'enceinte des Templiers à peu de distance des restes que M. Thiollet a dessinés sur la même planche, et que nous avons visités pendant le Congrès de La Rochelle.

Nous avons émis un vœu en faveur de la création d'un musée d'antiquités à La Rochelle, et voté quelques fonds pour faire mouler des sculptures du moyen-âge aux environs les bonnes dispositions de l'administration municipale ne sont pas douteuses, et la haute protection donnée aux travaux archéologiques par Mg Landriot, évêque de La Rochelle et de Saintes, favoriseront, nous l'espérons, l'exécution de ce dessin.

Ainsi la Société française d'archéologie aura une fois de plus contribué à la création d'un musée dans une ville importante.

Nous avons visité, avec beaucoup de soin, les deux tours qui défendent l'entrée du port de La Rochelle eues offrent des détails de construction très-curieux M. Thiollet en a fait des dessins et des plans qui me permettront de vous en entretenir, quand ils auront été gravés. Toutes les maisons anciennes de la ville ont été visitées. J'ai insisté auprès de l'administration municipale pour que l'on conserve les porches en pierre, qui bordent encore les principales rues de La Rochelle et qui donnent à la ville un certain cachet qu'il serait regrettable de lui voir perdre.

On a pu bien recommander les très-bonnes vues lithographiées de l'Hôtel-de-Ville de La Rochelle.

 

 

 

Musée des Beaux-Arts de La Rochelle, 28 rue Gargoulleau 17000 La Rochelle

Bulletin monumental / publié sous les auspices de la Société française pour la conservation et la description des monuments historiques ; et dirigé par M. de Caumont

 

 

Nieul-sur-Mer Le Port du Plomb ou Port Savari de Mauléon, relevant de la seigneurie de Laleu <==

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