Notice Historique sur Paul Esprit Marie de la Bourdonnaye Comte de BLOSSAC et Recherche sur la Promenade qui porte son nom
(Jardin public aménagé au 18ème siècle par le Comte de Blossac, intendant du Poitou. Le jardin est aménagé dans le goût français, de part et d'autre d'une grande allée. Des allées perpendiculaires donnent des vues sur la vallée du Clain.
Le parc occupe une superficie de 9,5 Ha à l'emplacement de l'ancienne nécropole antique de Blossac-Saint-Hilaire.
Durant l’Antiquité, les nécropoles sont toujours situées à l’extérieur de la ville antique, généralement le long des axes principaux. Poitiers n’en compte pas moins de six, fouillées pour la plupart dès le XIXe siècle. La nécropole de Blossac-Saint Hilaire, qui borde la voie de Saintes, est probablement la plus étendue.
Au XVIIIe siècle, ce terrain était occupé par des vergers et limité sur sa partie sud par les remparts d'Aliénor d'Aquitaine reconstruits par Jean de Berry à la fin du XIVe siècle.)
Il est un nom à Poitiers mille fois répété chaque jour: ce nom est Blossac. Il est celui de l'un des intendants de la généralité ; il désigne une promenade aimée de tous et qui fut son oeuvre de prédilection. Un siècle est à peine écoulé depuis l'arrivée de cet homme de bien dans le Poitou, et soixante-douze années seulement nous séparent des derniers jours qu'il y passa. Et cependant nos vieillards, fils de ses contemporains, savent à peine quelques mots de sa vie, de son administration, des établissements qu'il a fondés. Dans le peu qu'ils ont recueilli, la vérité tient une moins grande place que l'erreur. Si leurs souvenirs nous font défaut, les biographes nous sont d'un faible secours.
La plupart de ceux qui ont écrit sur l'histoire de Poitiers et de ses monuments ont bien consacré quelques lignes à leur reconnaissance pour l'administrateur habile et bienfaisant et à leur admiration pour la promenade magnifique créée par ses soins et sa persévérance, mais rien de complet, rien de certain n'a été dit encore. J'essaye aujourd'hui de combler cette lacune.
M. de Blossac est né en Bretagne ; mais comme les hommes célèbres, comme les hommes utiles pour lesquels la patrie est moins aux lieux où ils sont nés qu'aux lieux où ils ont accompli leur mission de gloire, leurs fonctions, leurs actes de bienfaisance, il appartient au Poitou, dans lequel il exerça pendant trente-quatre années les difficiles fonctions d'intendant. C'est là un puissant droit de cité, et nul ne fit plus d'honneur à son pays et ne le servit avec plus de dévouement.
Les intendants avaient été institués en 1635 par Richelieu, dans le but de détruire l'indépendance des gouverneurs de province, qui, pour la plupart, étaient plus rois dans leurs gouvernements que le roi lui-même.
Supprimés par la Fronde, rétablis par Mazarin, les intendants étaient des agents dociles du pouvoir central, et des mutations très-fréquentes et des destitutions leur faisaient sentir la dépendance dans laquelle le maître voulait les tenir. Ils avaient mission de surveiller toutes les parties de l'administration, guerre, finances, justice, marine, commerce, agriculture, instruction publique. Peu à peu ces représentants de l'autorité centrale devinrent odieux par leur despotisme, et, au XVIIIe siècle, toutes les sympathies furent pour les parlements en lutte avec eux et avec l'autorité monarchique. Ils avaient concentré, entre leurs mains, tous les pouvoirs civils de la province, et n'avaient laissé aux gouverneurs que l'autorité militaire et la représentation. La royauté avait gagné à cette institution et avec elle l'unité nationale. L'importance politique de la noblesse avait été détruite, et la pensée de Richelieu avait porté ses fruits.
En présence de cette donnée historique et de ces redoutables fonctions, voyons ce que fut Paul-Esprit-Marie de la Bourdonnaye, comte de Blossac, marquis de Tymeur, conseiller du roi en ses conseils, maître des requêtes ordinaires de son hôtel, nommé en 1751 intendant de la généralité de Poitiers, en remplacement de Jean-Louis Moreau, chevalier, seigneur de Beaumont, intendant depuis 1748.
M. de Blossac, né au château de Blossac le 29 août 1716, fit ses études avec distinction dans l'université de Rennes. Il suivit avec succès la carrière de la magistrature, et, lorsqu'il fut envoyé à Poitiers, il était conseiller au parlement de Paris.
Le premier acte de présence du nouvel intendant dans sa généralité est à la date du 14 novembre 1751. Il fit coïncider son arrivée à Poitiers avec la fête donnée à l'occasion de la naissance du duc de Bourgogne.
Le roi avait désiré qu'on fît entrer dans le programme des réjouissances le mariage de quelques pauvres filles.
On décida que douze mariages seraient célébrés. Le 14 novembre 1751 donc, le cortège partit de l'hôtel de sire François Orré, maire, à neuf heures du matin, M. le maire et MM. les échevins donnant la main aux douze filles à marier. La marche était ouverte par les maîtres jurés des corps et métiers, en habits de cérémonie, armés de leurs pertuisanes, fifres et tambours en tête; par les sergents de maire, portiers et gagistes, vêtus de leurs robes, portant leurs pertuisanes, précédés des hautbois et trompettes ; par les jurés habillés comme les représentait la relation du siège de Poitiers, siège dans lequel cette compagnie « s'était signalée comme messieurs les étudiants en droit. »
La compagnie des grenadiers de la milice bourgeoise bordait les rues, marchant à côté du corps de ville, qui était suivi par M. l'intendant, par Mme de Blossac, par les personnes de distinction et par un nombre infini de peuple.
On arriva dans cet ordre à la cathédrale, où la bénédiction nuptiale fut donnée par Mgr l'évêque, qui fit aux nouveaux mariés un discours « relatif au sujet qui occasionnait leur fortune. »
La cérémonie finie, on se rendit à l'hôtel de M. l'intendant, qui donna aux mariés et à toutes leurs familles un dîner, « dont l'abondance ne diminua rien de la délicatesse et de la magnificence. » La table, qui était de quatre-vingt-dix couverts, était construite en fer à cheval pour la commodité des services, qui furent distribués aux convives par M. l'intendant et par Mme de Blossac, par M. le maire et par plusieurs personnes de distinction. Des ruisseaux de vin coulèrent « avec abondance, tant au repas qu'à la porte de l'hôtel, ce qui donna au peuple une grande satisfaction. » Le dîner avait été précédé par un déjeuner donné par le maire, et, pour que chacun prît part à la fête, Mgr l'évêque « avait régalé le matin et le soir du même jour tous les pauvres de l'hôpital général et tous les prisonniers de la ville. » Il y eut, pendant le dîner des mariés, grande symphonie, et, après, bal jusqu'au moment de tirer le feu d'artifice.
Un Te Deum plusieurs choeurs de musique fut chanté à la cathédrale à 4 heures; M. l'intendant s'y rendit à la tête du présidial en robes rouges. Sur les six heures, quatre de messieurs du corps de ville allèrent au-devant de M. l'intendant, qui vint à la maison de ville avec les vingt-quatre mariés, et on se rendit, dans le même ordre que le matin, sur la Place-Royale, où le feu d'artifice était préparé.
Cette place était alors plantée, tout autour, de deux rangs d'arbres, et renfermée par des barreaux en bois. Au milieu s'élevait la statue de Louis XI, oeuvre du sculpteur poitevin Girouard.
C'est sur cette place d'une étendue assez restreinte, et embarrassée encore par les arbres, par l'entourage en bois qui la séparait des rues environnantes et par la grille de fer qui protégeait la statue, que se donnaient les fêtes publiques, que se tiraient les feux d'artifice et que s'allumaient les feux de joie.
Dans cette soirée du 14 novembre 1751, l'affluence du peuple fut considérable, et la magnificence de la fête fut nécessairement compromise par le défaut d'espace. Ce fut alors que vint pour la première fois à la pensée de M. de Blossac l'idée de la création d'un emplacement destiné aux réjouissances publiques, digne de la population, digne de lui-même.
Toujours est-il que là s'élevait un corps d'architecture représentant un arc de triomphe de 45 pieds de hauteur avec colonnes en marbre jaspé, avec bases, chapiteaux, architraves, frises et corniches en couleur d'or, avec piédestaux en marbre blanc ornés de branches de laurier, de lis et d'olivier. Sur le fronton de huit pieds d'élévation, et au milieu de vases d'ornements, paraissait la déesse Lutine, et au-dessus les armes du roi et des princes. Onze inscriptions latines accompagnaient les ronds, les ovales, les soleils, les couronnés royales et ducales, les médaillons, les arbres, les nuages, les épis de blé, les lauriers, les orangers fleuris, les rochers escarpés, les trois Parques, les Génies enlevant les ciseaux à Atropos, tout le bagage architectonique enfin de l'époque. Ces merveilles de toile et de carton étaient éclairées par un grand nombre de lampions placés dans les vides de l'arc de triomphe.
Une salve de six pièces de canon donna le signal du premier service de l'artifice, qui commença par un grand nombre de grosses fusées « du plus beau spectacle ». Une autre salve annonça le second service de pièces différentes posées sur les quatre faces de la grille qui renfermait le piédestal de la statue de Louis XIV. « La prompte exécution et une forte escopetterie causée par un grand nombre de saucissons et de pots à feu firent paraître ce service de la plus grande beauté ». Le dernier service, composé de girandoles à l'italienne et de gerbes qui donnèrent du feu de plusieurs couleurs, fut suivi d'un soleil fixe et d'une salve d'artillerie, « qui terminèrent cet artifice fait et exécuté par les soins de M. de la Feillée, ecclésiastique qui avait marqué déjà son désintéressement et son savoir dans plusieurs autres fêtes données aux princes et princesses de passage à Poitiers. »
M. l'intendant fit la clôture de la fête par un magnifique souper qu'il donna aux personnes les plus distinguées de la ville, et qui fut terminé par un feu d'artifice « qui partit du dessert de la façon la plus ingénieuse. » Le repas fut suivi d'un bal « dont l'illumination et la symphonie satisfirent autant les yeux que les oreilles et mirent le comble aux sentiments que le public avait pour son nouvel intendant. »
La porte de l'intendant comme celle du maire, comme celle de la maison de ville, fut décorée des armes du roi et des princes. Ces trois hôtels furent illuminés « avec autant d'art que de magnificence par un grand nombre de flambeaux, de bougies et de lampions. »
Le lendemain les nouveaux mariés allèrent remercier M. l'intendant et Mme de Blossac, qui leur firent donner à dîner et distribuer des ustensiles de ménage,. Ce dîner, comme celui de la veille, fut accompagné d'une grande symphonie et suivi d'un bal où plusieurs personnes de distinction « se firent un plaisir de paraître et de danser. » Louis Lefort, peintre et brodeur de l'hôtel de ville, et Pierre Brousseau, architecte, avaient dirigé les préparatifs de la fête.
M. de Blossac avait magnifiquement pris possession, comme on le voit, de sa place d'intendant de justice, police et finances de la généralité de Poitiers. A peine était-il arrivé dans sa nouvelle résidence, qu'il avait déjà « donné au peuple une grande satisfaction » et « mis le comble aux sentiments que le public avait pour lui.» Cet heureux avènement ne se démentira pas : l'affection ira croissant pendant le cours de son administration, et, après un long séjour au milieu des Poitevins, les regrets le suivront dans sa retraite et la reconnaissance publique s'attachera à sa mémoire.
Doué d'une affabilité remarquable, d'une constante simplicité de manières, il n'eut jamais ce caractère rogue que les écrivains du temps reprochent avec amertume aux intendants. Les mutations fréquentes, qui semblaient une des nécessités de leurs fonctions, ne l'atteignirent point, et il resta en possession de la généralité de Poitiers pendant 34 ans, de 1751 à 1784.
Ces chiffres sont le plus bel éloge qu'on puisse faire de son administration habile et paternelle, et cependant sa position fut souvent difficile.
La seconde moitié du XVIIIe siècle fut pleine d'embarras et de dangers incessants. La mauvaise administration du trésor public, la banqueroute sans cesse menaçante, les guerres continuelles, les revers sur mer, aux colonies, les tiraillements dans le ministère, la suppression de l'ordre des jésuites en 1762, l'exil du parlement de Paris en 1753 et en 1771, les persécutions contre les protestants, la liberté de conscience refusée, la liberté individuelle menacée par les lettres de cachet, l'arbitraire dans la création des impôts nouveaux, furent des épreuves dont M. de Blossac sortit avec bonheur.
Grâce à son inaltérable tolérance, le Poitou traversa sans secousses trop vives ces crises, si fatales à tant d'autres provinces. Le conseil supérieur, créé à Poitiers en 1771, resta, sous sa présidence sage et ferme, un corps purement judiciaire qui évita avec soin de se mêler aux tracasseries des partis, et d'intervenir dans les questions politiques.
Une des plus constantes sollicitudes de M. de Blossac fut le soulagement de la classe malheureuse, si longtemps éprouvée par les disettes qui se succédèrent de 1752 à 1769.
Dès l'année 1752, et à peine entré en fonctions, la cherté des blés donna au nouvel intendant l'occasion de montrer sa générosité et sa bienfaisance.
L'année 1753 se présenta plus mal encore, et il fallut aviser aux moyens de secourir les pauvres, que la rareté et le haut prix des subsistances mettaient hors d'état de pouvoir vivre.
Le 19 janvier M. de Blossac écrivit au maire : « La continuation de la misère m'engage à avoir encore recours, cette année, aux différents corps de la ville, et à les prier de contribuer par leurs aumônes au soulagement des pauvres. J'espère que le zèle et la charité ne seront pas refroidis par l'usage qu'on en a fait l'année dernière, et qu'on voudra bien considérer que, sans qu'il en coûtât plus à chaque particulier qu'il n'en eût dépensé en aumônes journalières, souvent mal appliquées, on a évité les importunités des pauvres et le triste spectacle de leur misère. Je vous prie donc d'assembler votre corps pour délibérer sur les secours qu'il jugera à propos de donner, et nommer des députés pour assister à l'assemblée générale qui se tiendra chez Mgr l'évêque, et dont j'aurai l'honneur de vous mander le jour. »
Cette lettre formulait d'une manière précise le véritable mode de donner, l'association des aumônes, la direction bien entendue des secours.
Chacun s'empressa de répondre à l'appel ; les secours furent abondants.
M. de Blossac présidait lui-même quelquefois les réunions du corps de ville ; on en voit un exemple à la date du 1er juillet1755. M. de Blossac représenta à l'assemblée que le bien des pauvres habitants de cette ville « demandait que l'on commuât les repas que MM. les maires donnent chaque année le 14 juillet, jour de leur prestation de serment, en une somme d'argent pour être employée à l'utilité publique, et notamment au casernement de la troupe. »
Cette proposition fut prise en considération, et il fut arrêté qu'à partir du 14 juillet 1755, les repas d'installation des maires élus et à élire seraient fixés à la somme de mille livres par année de mairie, somme qui serait déposée dans le coffre de l'hôtel de ville et employée pour le soulagement des pauvres et à l'utilité et avantage de la ville.
M. de Blossac, qui recevait avec magnificence et souvent, pouvait seul faire au cent membres du corps de ville une proposition qui les privait d'un repas auquel ils avaient toujours attaché un grand prix et qu'ils regardaient comme une obligation imposée en leur faveur.
On s'exécuta toutefois gracieusement, et, dans Une réunion du 7 juillet, sire Orré, maire, annonça à messieurs de l'hôtel de ville qu'au lieu et place du repas, il avait fait faire « huit lits, des draps et des serviettes pour être mis aux casernes de la ville, retourner ensuite et demeurer à toujours au profit de l'hôtel de ville et des pauvres. » Il lui en fut donné séance tenante, reconnaissance et décharge.
En 1767,1768 et 1769, on trouve de nouvelles preuves du dévouement de M. de Blossac pour les classes malheureuses.
En 1770, il fait acheter des blés pour les livrer aux pauvres;
en 1778, il fait prendre des mesures pour faire cesser la mendicité valide;
en 1784, Mlle de Blossac fait elle-même une quête pour les pauvres de l'hôpital général.
Comme son collègue Turgot, appelé en 1761 à l'intendance de la généralité de Limoges, l'intendant de Poitiers ne cessa de lutter contre rétablissement des corvées, de favoriser la vente et la libre circulation des grains, d'ouvrir des routes, et de populariser les nouvelles cultures, surtout celle de la pomme de terre. Il lutta avec énergie contre la création de nouveaux impôts, et fit tous ses efforts pour modérer ceux qui étaient déjà établis. Une ordonnance de capitation du 20 janvier 1763, présentant une réduction de 2,000 fr., porte :
« La satisfaction que j'ai à vous l'annoncer serait bien affaiblie, si je m'apercevais que les pauvres, qui sont toujours maltraités en fait d'impositions, n'ont pas profité de cette diminution. Je me flatte qu'ils n'auront pas sujet de se plaindre, si les précautions que je recommande sont bien exécutées, et si vous observez avec zèle ce que je vous prescris. Je vous le recommande très-instamment, Messieurs vous assurant que vous ne pourrez rien faire qui me soit plus agréable. » Ces quelques lignes peignent l'homme de coeur et l'administrateur consciencieux.
Il essaya constamment de donner essor à l'industrie et de vaincre la répugnance des Poitevins pour cette source intarissable de richesses; il favorisa la culture du mûrier, l'éducation des vers à soie; il entreprit même à ses frais une manufacture d'étoffes de coton qui eut quelques succès, il encouragea en 1782 une manufacture de laine, façon de Turcoing, et une brasserie fondées à l'Hôpital-des-Champs par les sieurs Louage et Paulet. Dès son arrivée à Poitiers, et surtout en 1776, il avait sérieusement fait étudier un projet de canalisation du Clain, ce rêve de nos pères qui dura si longtemps, et qui n'a été complètement détruit que par la création des chemins de fer.
M. de Blossac ne manquait jamais aucune occasion de donner du soutien ou du relief aux nombreux établissements d'instruction publique qui florissaient à Poitiers ; il accueillait avec bonheur les savants , les hommes de lettres, les artistes. L'école royale académique de peinture et de sculpture de Poitiers fut particulièrement l'objet de ses encouragements. « Il honorait souvent de sa présence les séances de cet établissement patriotique, dont il accepta le titre de protecteur. »
Le 13 juin 1776, à l'une de ses visites, Aujollest-Pagès, directeur perpétuel, et Jouyneau-Desloges, lui adressèrent chacun un discours dans lequel « le magistrat citoyen qui gouvernait cette province avec autant de sagesse que de bienfaisance reçut un ample tribut d'éloges. »
Les meilleurs rapports existaient entre l'hôtel de ville et l'intendance; on en trouve à chaque instant des preuves dans les registres de l'hôtel de ville : ainsi, en 1763, Mme de Blossac étant de retour après une assez longue absence de Poitiers, le maire en fit part au corps de ville en disant : « qu'il ne serait pas déplacé de faire une politesse à Mme de Blossac et de lui offrir quelques boîtes de confitures. »
Les avis pris, le conseil, considérant que la ville avait beaucoup d'obligations à M. l'intendant, décida que M. le maire offrirait à Mme de Blossac, à son retour, les présents ordinaires de confitures, sur le compte de l'hôtel de ville, sur quoi le corps de ville, s'étant levé, se rendit à l'hôtel de l'intendance et eut l'honneur de saluer Mme de Blossac. « M. le maire la complimenta en lui présentant une caisse remplie de boîtes de confitures, qu'elle reçut avec la plus grande honnêteté, en remerciant le corps de ville. »
Ces boîtes de confitures devaient être un produit du pays, dont la fabrication est malheureusement perdue pour nos confiseurs, et dont notre science d'antiquaire n'a pu, hélas ! reconstituer les éléments ; toujours est-il que ce présent avait une certaine importance, puisque, d'après le compte du confiseur Bellenaud, on lui paya 234 livres pour les confitures fournies.
Ce n'était pas la première fois que le corps de ville faisait les choses de bonne grâce : le 1er janvier 1762, il avait offert pour étrennes à Mme de Blossac 100 livres de bougie de table de cire blanche, sans tirer à conséquence, dit le registre de l'hôtel de ville; 30 livres à M. le secrétaire de l'intendant, aussi sans tirer à conséquence, et enfin 30 livres en argent aux domestiques de l'intendant, pour leurs menues étrennes, toujours sans tirer à conséquence.
A cette époque la ville était fort obérée, et les doléances traditionnelles de ses magistrats ne faisaient pas défaut. M. de Blossac s'inquiétait de cette situation; il se fit donner l'état des revenus, charges et dettes de la ville, afin de le faire parvenir au ministre et de l'engager à accorder quelques secours. Dans toutes les occasions, il revenait à la charge, et presque toujours sa persistance fut couronnée de succès.
Un grand malheur vint frapper, en 1764, la famille de la Bourdonnaye, et toute la province s'associa à sa douleur. Le 3 avril mourut, avant d'avoir touché à sa 41e année, Mme Madeleine-Louise-Charlotte Lepelletier de la Houssaye, épouse de M. le comte de la Bourdonnaye de Blossac, intendant de Poitiers. « Née d'une famille distinguée par son illustration, elle se fit admirer comme fille, comme mère et comme épouse, relevant les vertus de son sexe par une piété douce et fervente, se vouant à la direction de toutes les bonnes oeuvres elle disparut de la terre regrettée de tous. Sa charité, qui s'étendait sur tous les pauvres, n'était point restée insensible aux besoins du culte divin, et ce fut pour reconnaître ce zèle, dont il avait éprouvé souvent la munificence, que le chapitre de la cathédrale voulut donner à sa dépouille mortelle un lieu de repos dans la basilique de Poitiers. Après le service funèbre, qui y fut célébré le lendemain de son décès, la sainte femme fut déposée au pied des marches du sanctuaire, sous une dalle de marbre noir où se lit encore assez péniblement cette épitaphe qui s'efface tous les jours :
D. 0. M.
AD MEMORIAM CLARISSIMAE DDAE. DAE MAGDALENAE
LUDOVICAE CAROLAE LEPELLETIER DE LA HOUSSAYE,
CLARISSIMI DD. PAULI SPIRITUS MARIAE DE LA BOURDONNAYE
COMITIS DE BLOSSAC , APUD PICTONES PROVINCE PRAEFECTI ,
UXORIS DIGNISSIMAE ET DILECTISSIMAE.
A GENERE HABUIT NOMEN AMPLISSIMIS MUNERIBUS ET
HONORIBUS ILLUSTRATUM ;
A NATURA ORIS ET SERMONIS DIGNITATEM.
MORUM SANCTIMONLE PARENS
AB INSTITUTIONE ARTIUM MULTARUM EXCELLENTIAM
MORUM PERITA, HOMINUM INTELLECTUS JUDICIO PERSPICAX.
ANIMO TAMEN LONGE PRAESTANTIOR EXTITIT.
IN EXQUISISSIMA URBANITATE PRISCI MORIS FEMINA
CANDORE, PIETATE, OBSEQUIO, CARITATEFILIAE, GONJUGIS, MATRIS
NOMEN SUSTINUIT, VICES OBIIT, DEÇUS OBTINUIT.
PLAE GENITRICIS PLURIES ORBATAE AMOR ET SOLATIUM,
INDIVIDUI CONJUGIS GONJUX AMANTISSIMA.
CONNUBIO FELIX, IV FILIOS TOTIDEMQUE FILIAS DEO ET
PATRIAE FELICITER EDUCAVIT ;
AT QUAE PRIMA CURA FUIT ET SUPREMA
SANCTAE RELIGIONIS.
FIDE SIMPLICI ET INCONCUSSA, SPE HUMILI, FERVENTI CHARITATE
ALUMNA PIISSIMA, CULTRIX INDEFESSA, FILIA AMABILISSIMA.
ORATIONI INTENTA, SACRAE MENSAE FREQUENTISSIMA
ITA AD ARAS AFFIXA
UT EXTARET SPECTANTIBUS DIVINE PRAESENTIAE ARGUMENTUM.
PIIS QUIBUSCUMQUE OPERIBUS PBJESENTIA, OPIBUS, EXEMPLO PRAESIDERE...
HANC SIBI, PRAEFECTI SPONSI AEMULA, PRAEFECTURAM DEPUTAVIT
TOT VIRTUTIBUS TEMPESTIVAM. COELO, FUNERI IMMATURAM,
(QUANTO OMNIUM ORDINUM LUCTU ET DESIDERIO ! )
PRAEPROPERA MORS EX OCULIS ABSTULIT , EX ANIMIS
AUFERET NUNQUAM.
DIE 3e APRILIS ANNO SALUTIS 1764, AETATIS FERE 41.
TRISTES RELIQUIAE UT APUD SE REQUIESCERENT
INSIGNIS HUJUS ECCLESLE CANONICIVOTO COMMUNI PETIERUNT.
Cet éloge complet d'une vie si recommandable fut avoué de tous ceux qui connaissaient Mme de Blossac. Mais on a foulé ce marbre depuis 92 ans ; les caractères disparaissent, et il est temps qu'on en renouvelle le tracé, si l'on ne veut pas perdre une oeuvre épigraphique aussi précieuse par la mémoire de la femme éminente qu'elle doit perpétuer parmi nous, que par le style élégant et l'ingénieuse tournure qui en font un modèle du genre.
M. de Blossac ne se contenta point de cette expression de la douleur commune; il voulut aussi exprimer la sienne : sur une plaque de marbre blanc encadrée de marbre rouge, et fixée au pilier voisin, à droite, au-dessus du bénitier, on lit encore cette inscription, dont les lettres dorées en creux sont restées parfaitement intactes:
UXORI
DILECTISSIMAE ET CLARISSBLAE
MAGDALENAE LUDOVICAE CAROLAE
LE PEILLETIER DE LA HOUSSAYE ,
CUI MINIMA LAUS NOBILITAS GENERIS, VARIIS MUNERIBUS
ET HONORIBUS
DECORATAE ,
FIRMA FIDE, PIETATE CONSTANTI, INDEFESSA CHÀRITATE
MAGIS SPECTANDAE;
ANIMI SIMUL ET INGENII DOTIBUS
ORNATAE
PARENTIBUS, SPONSO, LIBERIS , NECNON CIVIBUS
CHARISSIMAE ;
VARIIS PIE ET GLORIOSE BREVIORIS (HEU NIMIUM ) VITAE
MUNERIBUS FUNCTAE;
PAULUS SPIRITUS MARIA
DE LA BOURDONNAYE, COMES DE BLOSSAC
HUJUS PROVINCIAE PRAEFECTUS , CONJUX MOESTISSIMUS
HOC DILECTIONIS, DOLORISQUE, POSUIT MONUMENTUM.
OBIIT 3 AVRIL 1764; ANNOS FERE 41 NATA.
DE PROFUNDIS.
Le haut de l'encadrement qui renferme ce chant funèbre était orné des Armoiries de la défunte ou de M. de Blossac lui-même, peut-être des deux. Elles furent martelées en 1792, et n'ont laissé après elles que les traces grossières du vandalisme officiel.
Le 9 avril, M. Stinville, maire, dit au corps de ville : « que toute la cité avait manifesté son chagrin de la perte de Mme de Blossac, qui réunissait à une piété solide les grâces de l'esprit et du corps; qu'il avait fait inviter toutes les compagnies à la cérémonie funèbre; qu'il avait pensé qu'il était à propos de donner de la part de l'hôtel de ville des marques de vénération à M. de Blossac, ce digne magistrat, en commandant tant aux compagnies uniformes du régiment de milice bourgeoise qu'aux autres de border les rues, en leur faisant distribuer des crêpes, ainsi qu'aux sergents de l'hôtel, tambours, gardes et gagistes de la ville, et enfin en rendant à Mme de Blossac tous les honneurs dus à son rang et à son mérite. »
« Sur quoi, tous messieurs remercièrent le maire de son attention et dirent que l'on ne pouvait trop faire pour M. et Mme de Blossac. En conséquence, il fut arrêté qu'on irait rendre visite à M. l'intendant sur ce triste événement, et que, pour d'autant plus honorer la mémoire de Mme de Blossac, le corps de ville ferait faire pour elle un service solennel dans l'église des pères Jacobins le 14 avril, duquel seraient prévenus MM. de Blossac père et fils; qu'il serait imprimé des billets d'invitation pour toutes les personnes de distinction de la ville; qu'il leur serait donné la droite de la cérémonie ; que l'église serait tendue; qu'il serait élevé un mausolée orné d'écussons; que M. le maire et M. Babault de l'Epine, major de la ville, donneraient leurs soins à ce que cette cérémonie répondît au mérite de la dame pour laquelle elle serait faite, et honorât le corps de ville qui la faisait faire; que M. l'abbé Desvaux serait chargé de prononcer l'oraison funèbre de Mme de Blossac. »
Cette délibération fut ponctuellement exécutée, ainsi qu'on le voit par un mémoire fourni plus tard par Barbier, marchand de l'hôtel de ville, et réglé pour dépenses faites au service à la somme de 754 livres 14 sols.
D'autres compagnies donnèrent aussi des marques publiques de leurs regrets. Mme de Blossac avait organisé une réunion de dames où l'on s'occupait à façonner des vêtements pour les malheureux. Cette réunion, appelée le travail des pauvres, eut lieu d'abord dans une des salles de l'hôpital général, puis dans la grand'salle du collège Sainte-Marthe, puis enfin dans l'église des révérends pères Augustins. On y faisait ordinairement des lectures de morale, et les hommes du monde comme les ecclésiastiques avaient le droit d'y parler. Un étudiant en droit y prononça l'éloge funèbre de Mme de Blossac et se fit vivement applaudir.
M. de Blossac ressentit un chagrin profond de la perte cruelle qu'il venait de faire, et il quitta Poitiers pendant quelque temps pour aller chercher des consolations dans sa famille. Mais les intérêts de sa généralité ne furent pas oubliés, et il s'en occupa plus activement encore que par le passé. La ville de Poitiers avait une représentation municipale composée de cent membres, vingt-cinq échevins dans lesquels étaient compris le maire et le lieutenant du maire, et soixante-quinze bourgeois.
Depuis la charte qui lui avait été octroyée par Eléonore d'Aquitaine en 1199, elle avait reçu de ses comtes, ainsi que des rois de France et d'Angleterre, des franchises et des libertés dont elle se montrait jalouse, et qui, sans cesse attaquées par le pouvoir central, étaient toujours habilement défendues. Elle cherchait surtout à maintenir l'existence de son organisation municipale tout exceptionnelle.
« Ne vous divisez pas, écrivait au maire M. de Blossac alors à Paris ; j'ai vu le ministre; il veut absolument vous faire rentrer dans l'usage commun. Une seule raison l'arrête, c'est qu'il ne veut pas vous priver quant à présent des revenus que procurent à la ville les sommes versées dans son trésor par ses magistrats lors de leur réception. Ne vous divisez pas, ou vous auriez la douleur d'être vous-mêmes les instruments de la mutilation du corps de ville. »
Le conseil, reconnaissant des démarches et des efforts de M. de Blossac pour conserver les privilèges de la ville, nomma une commission composée de sept membres, qui fut chargée de lui adresser une lettre de remercîment.
Ici se place le souvenir de plusieurs tentatives faites par M. de Blossac dans l'intérêt de la province, et particulièrement l'essai d'une manufacture de toile à voiles; cette nouvelle industrie n'eut pas de succès et eut le sort, dit Jouyneau-Desloges, de beaucoup d'autres entreprises utiles commencées sous les meilleurs auspices et suivies d'une ruine totale.
La sollicitude de l'intendant s'étendait à tout ce qui pouvait être utile, et il profita de son séjour à Paris pour porter remède à l'ignorance désastreuse des accoucheurs et des sages-femmes de sa province. Il s'entendit avec une maîtresse sage-femme d'une grande réputation, Mme Ducoudray, pour former des élèves dans le Poitou. Des cours publics eurent lieu à Poitiers, à Niort, aux Sables-d'Olonne. Mme Ducoudray se servait pour ses démonstrations d'une machine modèle présentant tous les cas d'accouchement. Avant de quitter la province, elle fit présent à la ville de Poitiers de cet ingénieux appareil, et elle nomma pour en faire la démonstration le sieur Louis-Joseph Maury, chirurgien de l'hôpital delà Charité. Grandes furent les plaintes de la communauté des chirurgiens, qui voulaient que chacun démontrât à son tour. M. de Blossac fut obligé d'intervenir; le chirurgien Maury resta en possession de son droit, et il ajouta à ses litres celui de démonstrateur des accouchements, ainsi qu'on le voit dans l'almanach provincial du Poitou.
Des concours furent ouverts, et un prix proposé « aux garçons chirurgiens les plus habiles à se servir de la machine dans un cas d'accouchement de deux enfants. Sur treize concurrents qui travaillèrent, à la satisfaction de l'assemblée, le prix fut adjugé par M. le maire à Joseph Poupin, garçon travaillant chez le sieur Delisle, maître chirurgien. » Le prix consistait en un étui de chagrin garni de lancettes, « orné d'argent, aux armes de la ville et de M. de Blossac, qui eut la bonté de l'envoyer de Paris. »
L'année 1766 nous apprend deux événements relatifs à la famille de M. de Blossac : la réception de son fils aîné comme conseiller au parlement de Paris et son mariage. Ces deux circonstances firent naître entre M. de Blossac jet le corps* de ville un échange de; lettres pleines des meilleurs sentiments. Le coeur du père de famille devait bientôt être déchiré par une perte cruelle, celle de ce fils aîné, décédé à Paris au mois de mai 1767.
M. de Blossac, si douloureusement éprouvé par la mort de sa femme et par celle de son fils aîné, arrivées à si peu; de distance l'une de l'autre, devint plus compatissant encore pour les souffrances d'autrui. Dans l'ordonnance rendue pour l'imposition de la capitation de Cette année 1767, il disait : « La diminution que j'accorde à cette ville est considérable; elle vous mettra à portée de soulager les pauvres et tous ceux qui sont surchargés; c'est ce à quoi je vous prie d'avoir la plus grande attention, en faisant d'ailleurs observer par les collecteurs une répartition juste et exacte, à peine de répondre des surtaxes en leur propre et privé nom. »
L'année 1771 fut marquée à Poitiers par l'établissement d'un conseil supérieur.
Le parlement de Paris avait été exilé en 1753 ; rappelé bientôt, il recommença son opposition, qu'il ne suspendit un instant que pour proscrire l'ordre des Jésuites en 1762, en même temps qu'il faisait brûler les livres des philosophes par la main du bourreau. Son opposition devint plus vive que jamais lorsque le chancelier Maupeou entreprit la réforme de la justice; après divers avertissements, il fut de nouveau exilé en 1771, et cette mesure s'étendit bientôt à toute la France. Des conseils supérieurs furent alors substitués aux parlements, ou établis dans quelques villes importantes. M. de Blossac fut nommé premier président de celui de Poitiers, et il exerça cette nouvelle fonction avec habileté, sagesse et modération.
A la rentrée du conseil supérieur et du présidial, le 18 novembre 1773, M. de Blossac, premier président, prononça, disent les Affiches du Poitou, un discours remarquable sur les qualités du vrai magistrat. « Il parla d'après son coeur et ses lumières à des magistrats faits eux-mêmes pour servir de modèles, et ce fut la justice qu'il leur rendit en finissant. »
Au mois de décembre de cette même année, un édit de création d'un second office d'avocat général au conseil supérieur de Poitiers fut donné à Versailles, et M. Charles-Esprit-Marie de la Bourdonnaye, fils de l'intendant, fut pourvu de cette place, bien persuadé, dit le roi, qu'il marchera sur les traces de son père, qui remplit à notre satisfaction la place de premier président.
Son installation se fit le 24 décembre 1773, avec une grande solennité
Au mois de février 1775, il fut promu à de nouvelles fonctions; il prêta serment en qualité de maître des requêtes le 8 février, et le 13 il entra au conseil d'Etat.
Au mois de mars 1779, M. de Blossac père reçut du roi une pension de mille écus, en récompense de ses longs services dans l'administration, distinction d'autant plus flatteuse, dit Jouyneau-Desloges,.que M. de Blossac ne l'avait point sollicitée.
A dater de cette époque, on ne douta plus à Poitiers que M. de Blossac ne songeât à se retirer des affaires, et on. eut la certitude que son fils était désigné pour son successeur. L'adjonction à l'intendance fut en effet accordée le 7 août 1781, et, le 26 octobre suivant, M. l'intendant adjoint fut installé à Poitiers.
Il se maria quelque temps après avec Mlle Anne-Louise de Berthier de Sauvigny, fille de l'intendant de Paris. La célébration du mariage eut lieu le 5 février 1782. Quelques jours après, M. Pallu-Duparc, maire, convoqua le mois et cent pour aller saluer Mme de Blossac la belle-fille, qui venait d'arriver à Poitiers. Il la complimenta en lui présentant une caisse remplie de boîtes de confitures, « qu'elle reçut avec la plus grande honnêteté, en remerciant le corps de ville. »
Chacun voulut célébrer cet événement à sa manière. Un étudiant dédia sa thèse à Mme de Blossac, qui lui fit l'honneur d'assister à l'argumentation; cette fois, elle eut lieu en français, ainsi que la position des questions.
Au mois d'août, M. et Mme de Blossac assistèrent à la distribution des prix du collège de Thouars, où l'on joua une tragédie du sacrifice d'Abraham, avec chant et danses de caractère, et avec un prologue en vers à la louange des nobles visiteurs.
Les poètes ne firent pas défaut non plus à Poitiers; on célébra les vertus des jeunes époux sur tous les tons, en vers français et en vers latins.
Dans une églogue en vers latins, signée H.-B. Briquet, Daphnis demande à Micon s'il sait que le fils de Blossac est arrivé avec son épouse. Micon répond qu'il le sait, et que même il a fait des vers pour son arrivée. Daphnis veut les entendre, et il offre en récompense une corbeille d'osier. Et Micon chante les jeunes époux, leurs vertus, leur bienfaisance, leur grâce, leur modestie, leur beauté, et chaque strophe commence ou se termine par ce vers :
« Dicamus bona verba, venit Blossaccea proies ! »
Et le jeune Catineau de la Roche, apprenti imprimeur à Poitiers, âgé de 12 ans, traduit ainsi ce vers dans le numéro suivant du journal : « Formons des chants agréables, l'arrivée de Blossac nous y invite. » Enfin, quand Micon a chanté, Daphnis ravi lui donne sa corbeille d'osier.
Mme de Blossac la belle fille, comme on l'appelait ordinairement, accoucha d'un fils au mois de janvier 1783; ce quatrain fut adressé à son mari :
Fortunate, tenes dulci de conjnge natum, Urbis complentur, credito, vota, preces, Justus erit, prûdens, fortis, bonus atque peritus, Ut par sit matri, par tibi, par sit avis.
Un second quatrain suivit bientôt le premier :
Dum genitrix fit Bertherides enixa puellum, Concipe fausta, miser; corda, puella, cave : Namque beare inopes gaudebit more parentum, Ad se cuncta trahet corda, Cupido novus.
Ces vers furent ainsi traduits par un écolier de rhétorique du nom de Chauveau :
Berthier, d'un fils devenant mère, Que tout ce qui gémit espère ; Que la beauté veille à son coeur; En lui les malheureux retrouveront un père Et le sexe un vainqueur.
Mais, au moment où l'on se félicitait le plus et où tous répétaient en assez méchants vers, mais avec une véritable effusion :
Vivent Blossac et Sauvigny ! Vivent et le père et le fils ! Protecteurs-nés de la province, Ils sont également chéris
Et des Poitevins et du prince, une grande douleur menaçait les heureux administrés. MM. de Blossac, le père et le fils, furent nommés, au mois de janvier 1784, à l'intendance de Soissons, en remplacement de M. Louis Lepelêtier, marquis de Montmélian.
Le corps de ville écrivit à M. de Blossac pour lui témoigner sa douleur d'une séparation à laquelle il s'attendait si peu.
M. l'intendant répondit : « Vos regrets ne peuvent être » plus forts que les miens. Des circonstances favorables » à mon fils m'arrachent à une province que je regardais » comme une patrie; plaignez-moi, Messieurs, du sacrifice que j'ai été obligé de faire, et gardez-moi dans votre souvenir. »
Dans une autre lettre, M. de Blossac disait : « Je n'oublierai jamais les agréments dont j'ai joui parmi vous; » heureux mon successeur d'être destiné à les goûter à l'avenir. Il a fallu des motifs irrésistibles pour me faire » consentir à les lui céder. »
Ces motifs'irrésistibles, ces circonstances favorables à son fils, qui arrachaient M. de Blossac à.la province de Poitou, c'était pour le père le besoin de repos, après une longue carrière si bien remplie, et pour le fils le désir de se rapprocher de la famille de sa femme et de ses propriétés de la Bourgogne.
M. de Blossac fut unanimement regretté dans le Poitou; son départ causa dans la province, dans laquelle « il avait vécu comme un père au milieu d'une famille chérie, » une douleur profonde. Des regrets sincères furent exprimés dans toutes les occasions et par toutes les compagnies. Les poètes furent encore cette fois les interprètes de la pensée de tous. Je citerai une seule pièce :
Dois-moi, plaintive Eglé, d'où viennent tes alarmes,
Et pourquoi tes beaux yeux sont-ils baignés de larmes?
Belle demande, hélas ! ne sais-tu pas, Damis,
La perte que je fais? j'en suis inconsolable :
On m'enlève à la fois deux pères, deux amis.
Sur nos communs malheurs comme toi je gémis ..
Si pourtant tu me vois faire à ce couple aimable,
Avec un front serein, mes pénibles adieux,
C'est que plus près du prince il sera plus heureux.
Lorsque M. Boula de Nanteuil fut nommé à l'intendance de Poitiers, le corps de ville lui écrivit, en parlant de MM. de Blossac : « Nous avons joui pendant plus de trente années, sous leur administration, du bonheur » le plus parfait. Ils nous ont traités en pères tendres ; » notre reconnaissance et notre attachement sont sans « bornes... »
Des lettres de 1786, 1788 et 1789, datées de Soissons, de Rennes et de Poitiers, prouvent qu'il existait toujours entre les anciens administrateurs et les anciens administrés les rapports les plus gracieux.
La dernière lettre de M. de Blossac que nous connaissions est datée du château de Blossac, le 10 janvier 1789, en réponse à une lettre du corps de ville à l'occasion du nouvel an; on y lit ces lignes : « Je suis heureux de voir qu'on ne m'a pas oublié dans la ville de Poitiers; je crains fort qu'elle ne souffre de la misère qui » devient générale; les circonstances présentes m'affligent pour elle. »
Ces quelques lettres d'affectueux souvenirs sont les seuls documents que nous avons trouvés à Poitiers sur MM. de Blossac, après leur départ pour Soissons, en 1784. A dater de ce moment, on ne savait plus rien d'eux.
J'ai dû dès lors m'adresser à quelques personnes de Soissons, de Laon, de Rennes, pour les prier de me communiquer les documents qui pouvaient exister dans ces villes.
A Soissons, les recherches ont été infructueuses, les archives ayant été détruites, une partie pendant la révolution, et le reste en 1814, par suite de l'incendie de l'hôtel de ville et du tribunal, allumé par les bombes ennemies. On a interrogé les vieillards, qui se rappelaient bien confusément MM. de Blossac, mais qui, à l'âge où ils avaient pu les voir, attachaient peu d'importance aux actes de l'administration. La bibliotheque de la ville, celle du séminaire, les collections particulières n'ont rien offert de relatif à notre sujet.
A Laon, les archives de la préfecture nous ont fourni quelques détails.
Ainsi, quoique nommés tous deux à Soissons, MM. de Blossac n'y prirent pas la même position qu'à Poitiers; le fils exerça seul les fonctions d'intendant jusqu'au mois d'août 1789, époque à laquelle il fut remplacé. M. de Blossac père vivait habituellement dans son château de Blossac. C'est donc à tort qu'à Poitiers on a attribué jusqu'à présent à M. de Blossac père ce qui s'est fait; à l'intendance de Soissons de 1784 à 1789.
M. de Blossac fils était fort actif, et il signala son passage à l'administration par diverses créations importantes, et notamment par la reconstruction du palais de l'intendance de Soissons, qui sert aujourd'hui de sous-préfecture et d'hôtel de ville. Il fit avec distinction, en qualité de commissaire du roi, l'ouverture de l'assemblée provinciale du Soissonnais en 1787, et prit des mesures énergiques pour conserver à ce pays les grains nécessaires à sa consommation, et que Necker songeait à lui faire enlever de vive force pour approvisionner Paris. Plus ferme ou plus heureux que son père, il sut résister à ce ministre et obtenir gain de cause contre lui auprès du roi, qu'il alla trouver tout exprès à Versailles.
Il résigna ses fonctions le 11 août 1789, malgré les prières de ses amis et les voeux de ses administrés. C'est à lui et non à son père qu'il faut appliquer le bénéfice de la délibération du comité permanent delà ville de Crespy en Valois, du 8 août 1789, et qui porte : « Considérant la perte que la province ferait par la retraite d'un magistrat si juste et si intègre, perte qu'il serait fort difficile de réparer, et jaloux de remplir le voeu unanime de tous les corps, de toutes les communautés de la ville et de tous les citoyens, le comité permanent a arrêté d'une seule voix de supplier nos seigneurs de l'assemblée nationale de faire tous leurs efforts près de Sa Majesté pour l'engager à ne point accepter la démission de M. de Blossac, en cas qu'il l'ait donnée ou la donne par la suite, et de conserver à la province du Soissonnais un intendant qui fait sa consolation et son bonheur, et qui est digne de la reconnaissance publique. »
M. de Blossac fils émigra; son émigration fut constatée par le département de la Vienne le 21 juin 1792. Il s'attacha au comte de Provence, rentra en France en 1814 avec les Bourbons, et suivit le roi Louis XVIII à Gand en 1815. Conseiller d'Etat en 1814, pair de France en 1815, il s'est trouvé démissionnaire par refus de serment en 1830. Il est décédé en 1840, dans son château d'Arcys-sur-Cure, département de l'Yonne.
A Rennes, il existe peu de documents sur la famille de M. de Blossac. M. Meillet, bibliothécaire de la ville, qui avait été secrétaire de quelques membres de la famille, est mort sans laisser de notes. Les anciens titres ont été détruits en 1595 au château de Coëtion, pillé et brûlé par les troupes de Henri IV. Ce château appartenait à Gilles de la Bourdonnaye, seigneur de Coëtion, l'un des plus zélés ligueurs de la Bretagne. Un des membres de cette branche, Yves-Marie de la Bourdonnaye, chevalier, seigneur de Coëtion, fut intendant de Poitiers en l'année 1690. Les archives accumulées depuis 1595 dans la famille de la Bourdonnaye ont été brûlées en 1792 au château de Blossac.
Après avoir quitté Poitiers, en 1784, M. de Blossac père était allé installer à l'intendance de Soissons son fils Charles-Esprit-Marie, puis il s'était retiré dans son château de Blossac pour y jouir des douceurs de la retraite. Il y mourut à l'âge de 84 ans, le 14 septembre 1800 ; il fut enterré dans la chapelle du château, où reposait déjà le coeur de sa femme, qui y avait été transféré en 1764, lors de l'enterrement de cette dame dans la cathédrale de Poitiers. M. de Blossac n'avait point émigré, et la fin de sa carrière fut paisible et entourée de respect, malgré les temps difficiles dans lesquels elle s'accomplit.
M. de Blossac eut de son mariage avec Madeleine-Louise - Charlotte Lepelletier de la Houssaye quatre garçons et quatre filles.
Mme de Lancosme, Charles-Esprit-Clair et Charles-Esprit-Marie ont seul laissé des descendants.
CHARLES-ESPRIT-CLAIR, deuxième fils, devenu aîné par la mort de son frère, conseiller au parlement de Paris, arrivée au mois de mai 1767, prit le titre de marquis de la Bourdonnaye, titre delà branche aînée, qui lui revenait par la mort de son oncle, frère de M. de Blossac l'intendant. Celui-ci était resté jusqu'à sa mort le chef de la branche cadette, dont le titre était comte de Blossac.
Charles-Esprit-Clair, marquis de la Bourdonnaye, marechal de camp, maire de Rennes, mourut à l'hôtel de Blossac à Rennes, le 17 mai 1829; il fut enterré au château de Blossac, qui lui appartenait ; il avait épousé Mlle de Chauvelin.
Le fait suivant peut être cité comme preuve de l'union et des sentiments élevés traditionnels dans la famille de la Bourdonnaye. Lors de la promotion de pairs, faite en 1815, c'est à Charles-Esprit-Clair, comme aîné, que fut déférée la pairie; mais celui-ci se hâta de représenter respectueusement à Louis XVIII que son frère cadet, Charles-Esprit-Marie, l'ancien intendant de Soissons, ayant émigré et perdu sa fortune pour la cause royale, cette haute récompense lui revenait de préférence, et qu'il n'entrerait à la chambre des pairs que si son frère en faisait d'abord partie. Sur ses instances, la substitution eut lieu.
Charles-Esprit-Clair laissa un fils unique,
CHARLES-ESPRIT-ARTHUR, né à Paris, maréchal de camp, député du Morbihan sous la restauration et le gouvernement de juillet; il fit toutes les guerres de l'empire. Il avait épousé Mlle de Lantivy; il mourut à Paris le 11 avril 1844, et fut enterré au château de Blossac, qui lui appartenait. Il laissa deux enfants, Mme la comtesse de Bréon et M. CHARLES-ESPRIT-ROGER, marquis de la Bourdonnaye, aujourd'hui chef de la branche aînée et propriétaire de l'hôtel de Blossac à Rennes, ainsi que du château de Blossac.
CHARLES-ESPRIT-MARIE de la Bourdonnaye, intendant de Soissons, troisième fils, prit le titre de comte de Blossac, titre de la branche cadette; il eut de son premier mariage avec Mlle de Berthier de Sauvigny, décédée à Bruxelles le 29 décembre 1793 :
1° EDMOND, officier au service d'Angleterre, décédé à Carthagène en 1812 ;
2° RAOUL, officier dans un régiment de dragons français, décédé en Espagne en 1812 ;
3° LÉOPOLD, décédé à Brelteville en 1797;
4° ISIDORE, auditeur au conseil d'Etat, sous-préfet de Sancerre, décédé à Autun en 1819 ;
5° AMÉDÉE, officier supérieur dans la garde royale, puis lieutenant-colonel d'état-major, décédé en 1846 à son château d'Avrolles (Yonne), marié à Mlle de Tulle de Villefranche, fille du marquis de Villefranche, pair de France;
6° CAROLINE-MARIE-LOUISE , mariée en 1812 à M. Edmond de Droullin, marquis de Ménilglaise, veuve en 1815, décédée à Paris en 1835.
Les enfants de M. AMÉDÉE comte de la Bourdonnaye sont :
1° HERMINE , mariée à M. le vicomte Charles de Vaulchier, décédée laissant trois filles en bas âge;
2° CAROLINE , mariée à M. René de Vaulchier, frère du précédent : une fille ;
3° LÉON, comte de la Bourdonnaye, marié en 1856 à Mlle Clotilde de Tocqueville.
Les enfants de Mme la marquise de Ménilglaise sont :
1 ° ANNE-ALPHONSINE, mariée en 1835à M.Denis-Charles, marquis de Godefroy-Ménilglaise, ancien sous-préfet, chevalier de la Légion-d'Honneur ;
1 M. de Godefroy-Ménilglaise, à l'obligeance duquel je dois ces détails, est membre correspondant de la Société des Antiquaires de l'Ouest depuis sa fondation.
2° PHILIBERTE-CHARLOTTE, mariée en 1836 à M. Pierre-Henri, marquis de Pleurre.
Charles-Esprit-Marie, comte de Blossac, l'intendant de Soissons, épousa en secondes noces, à Londres, en 1813, la veuve du comte de Grailly, née Charlotte-Antoinette de Ste-Hermine, fille d'une Polignac et du comte de Ste-Hermine, tenant à l'illustre maison de Bretagne et portant à ce titre l'hermine dans ses armes ; cette dame vit encore et habite Périgueux.
Les enfants de ce second mariage sont:
1° GASTON, comte de la Bourdonnaye, chevalier de Malte, marié à Mlle Blanche du Tertre ;
2° CLAIRE, mariée d'abord au «Comte d'Honincton, puis à M. Aymard, marquis de la Tour-du-Pin-Gouvernet, chef de nom et armes de la Tour-du-Pin.
Lorsque, ce qui est arrêté en principe pour tous, lorsque le moment d'élever un monument à M. de Blossac sera arrivé, lorsque cette dette de la reconnaissance publique s'acquittera avec éclat, de nombreux descendants de l'illustre intendant de Poitiers pourront, comme on le voit, se réjouir de L'hommage rendu "au chef de leur noble famille.
Nous l'avons dit, M. de Blossac, dès la célébration de la fête de 1751, avait conçu la pensée de créer une promenade publique à Poitiers. L'occasion de commencer l'exécution de ce projet s'était bientôt présentée, et l'intendant la saisit avec empressement.
L'industrie séricicole, introduite en France par Louis XI, protégée par Charles VIII, à son retour d'Italie; par François Ier, qui avait a si grande mine sous le fer et sous la soie; » par Henri IV, malgré l'austère Sully; par Louis XIV, d'accord avec Colbert; l'industrie séricicole prit un nouvel essor dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, et Louis XV fit donner des ordres à tous les intendants pour l'amélioration des pépinières royales et pour l'acquisition de terrains propres à la plantation des mûriers.
J'ai été assez heureux pour découvrir un acte authentique, du 31 mars 1753, qui révèle d'une manière incontestable l'origine de la promenade de Blossac, origine que la tradition n'avait pas conservée. Je transcris en entier ce titre précieux.
L'an 1755, et le 31 mars, après- midi, par-devant les notaires royaux, gardes-scel à Poitiers, soussignés, ont été présents : messire Paul-EspritMarie de la Bourdonnaye, comte de Blossac, marquis du Tymeur, conseiller du roi en ses conseils, maître des requêtes ordinaire de son hôtel, intendant de justice, police et finances en la généralité de Poitiers, demeurant audit Poitiers, paroisse Saint-Didier, d'une part ;
Et messire Hubert Irland, chevalier, seigneur de Beaumont, Putille et Fief-Clairet, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, ci-devant conseiller du roi, lieutenant général criminel en la sénéchaussée et siège présidial de cette ville, y demeurant, paroisse de Saint-Hilaire-de-la-Celle, d'autre part ;
Entre lesquelles parties a été dit que Sa Majesté ayant jugé à propos, pour le bien et utilité de cette province, de faire des plantations de mûriers blancs pour élever des vers à soie, mondit seigneur de Blossac a fait chercher avec attention un terrain convenable où il en pût placer un grand nombre; qu'il n'en a point trouvé de plus à portée et dans une situation plus avantageuse que celui appelé le champ des Gilliers, situé dans l'enceinte de cette dite ville, au bourg de St-Hilaire, paroisse de Sainte-Triaise ; qu'il avait proposée mondit sieur Irland, qui en est propriétaire pour la plus considérable partie, de lui céder et transporter, pour et au nom du roi, la portion pour laquelle il y est fondé, et qui fait partie de sa terre de Fief-Clairet, ce qui a été accepté par mondit sieur Irland, dans la vue de concourir au bien public, Lequel a, par ces présentes, vendu, cédé et transporté à mondit seigneur de Blossac, acceptant pour et au nom du roi, savoir : une pièce de terre labourable appelée les Gilliers, située dans l'enceinte de cette ville, contenant en total quarante-quatre ou quarante-cinq boisselées, confrontant du côté du soleil levant à la terre appelée le Rabat, dépendant du doyenné de Saint-Hilaire, du côté du midi au chemin allant de la communauté du Calvaire à la porte de la Tranchée à main droite, du côté du couchant aux jardins et maisons qui ont leur entrée dans la grande rue de la Tranchée, et du côté du septentrion à une pièce de terre, ci-devant le Pré, dépendant du chapitre de Saint-Hilaire ; et tout ainsi qu'elle se poursuit et comporte, et qu'elle est désignée par le plan figuré qui en a été levé par le sieur Bonichon, ingénieur pour le roi des ponts et chaussées de cette généralité.
Cette vente faite pour et moyennant le prix et somme de quatre mille livres, qui a été payée comptant, à la vue de nousdits notaires, par mondit seigneur de Blossac à mondit sieur Irland, en espèces sonnantes au cours de l'ordonnance, qui en quitte mondit seigneur de Blossac, qui a déclaré que ladite somme provient d'un remboursement de pareille somme qui aurait été fait par les officiers municipaux et communauté de la ville des Sables, à qui elle a été ci-devant prêtée pour parvenir à sa clôture et à la construction des bureaux et barrières nécessaires à la perception des droits du tarif, et qu'antérieurement elle provenait d'économies faites sur les fournitures de la milice; s'oblige en outre mondit sieur de Blossac de faire annuellement acquitter par Sa Majesté, sur les fonds destinés à l'entretien des pépinières royales de cette généralité, tous les devoirs et fonciers tant nobles féodaux que simples fonciers dus et accoutumés être payés, savoir : à Messieurs du chapitre de St-Hilaire-le-Grand de cette ville, de qui les lieux présentement vendus relèvent, la rente de trois livres quinze sols, et aux sieurs chapelains dudit chapitre celle de 24 boisseaux de froment et 46 sols 4 deniers en argent, aux termes qu'ils sont dus et aux lieux qu'ils sont exigibles, à commencer pour les termes de l'année dernière 1752, dont Sa Majesté demeure chargée... promesse de garantir de tous troubles et évictions... garantie hypothécaire...
Fait et passé en l'hôtel de mondit sieur de Blossac, l'an 1755, le 31 mars, après- midi. — Ont signé les parties la minute des présentes, demeurée à Rousseau, l'un d'eux.—Contrôlée et insinuée à Poitiers, le 5 avril 1753, par Reynaud.
Cet acte de vente ne contient pas d'établissement de propriété, et ne nous apprend pas comment la famille Irland en était devenue propriétaire. Nous allons essayer de suppléer à cette omission en puisant à des sources irrécusables.
Cette pièce de terre des Gilliers, avant d'appartenir à la famille Irland et de faire partie de leur terre de Fief Clairet, avait été comprise dans le fief héréditaire des Gilliers, situé dans la partie haute de la ville. La famille Gilliers, originaire de la ville même de Poitiers, figure dans ses annales dès l'an 1300, époque à laquelle Guyot Gilliers était châtelain de Poitiers.
On trouve un maire de ce nom de 1393 à 1399. Le collège de Puygarreau fut fondé le 7 avril 1478 par Françoise Gilliers, dame de Puygarreau et de Verneuil, veuve de Jacques Bardin, conseiller au parlement de Paris.
Le château ou baronnie du Puygarreau, qui a appartenu pendant une longue suite de générations à cette famille, est situé dans l'arrondissement de Châtelleraut, entre Saint-Gervais et Lencloître.
C'est encore aujourd'hui une noble ruine, quoiqu'elle ait été bien endommagée depuis quelques années. Un parc de 144 hectares en forme la dépendance. Cette terre fut acquise, par M. Charles-Esprit-Marie de la Boudonnaye, des deniers dotaux.de sa femme Anne-Louise de Berthier de Sauvigny. Vendue nationalement, puis rachetée, elle fut attribuée à M. Amédée, comte de la Bourdonnaye, son fils; après la mort de celui-ci, en 1846, elle échut en partage à sa fille aînée Hermine, épouse de M. le vicomte Charles de Vaulchier. Elle n'a jamais appartenu au général Arthur de la Bourdonnaye, de la branche aînée, ni à son héritier actuel, M. Charles-Esprit-Roger J.
Le 31 avril 1549, René Gilliers, écuyer, seigneur de Salles, vendit à Jean Jouise, seigneur des Gilliers, pour la somme de cinq cents écus sol, l'hôtel et métairie de la Tranchée, sis en la paroisse de Sainte-Triaise, autrement appelée la métairie des Gilliers, tenant d'une part à la rue Gauguier (rue Ste-Triaise), d'autre par le derrière aux murailles de la ville, le chemin par lequel on va à Tison entre-deux, d'autre par le haut devers ladite rue Gauguier à une petite treille appartenant à Thenette Garnier, d'autre es vignes et treilles, des chanoines et chapitre de St-Hilaire, la muraille entre-deux, en ce compris un logis des appartenances de ladite métairie par lequel on sort en la grande rue de la Tranchée, devant la maison où pendait pour enseigne les Trois-Maures, à la charge de payer quarante-trois sols 4 deniers aux chapelains et bacheliers de St-Hilaire, 4 boisseaux de froment aux clergeons, un boisseau de froment au chapelain de la Madeleine.
Cette propriété était tombée dans la famille de Sainte-Marthe, ainsi que cela résulte d'un acte en date du 11 août 1649, portant adjudication par décret des biens du sieur de Sainte-Marthe, à la charge par l'adjudicataire de payer 43 sols 4 deniers, dus pour raison des maisons, granges et terres appelées les Gilliers.
Ce fut à la date du 14 février 1698 que la terre des Gilliers passa dans les mains de la famille Irland, ainsi que le constate un échange entre messire Jean Irland et messire Louis Lefevre de Caumartin. Par cet acte, le sieur Irland donne en échange au sieur de Caumartin une métairie sise au bourg de Massognes, et le sieur de Caumartin donne en contre-échange audit sieur Irland la part et portion lui appartenant dans la maison et métairie des Gilliers.
Nous avons vu, par le titre du 31 mars 1753, comment le champ des Gilliers avait été détaché de cette propriété par messire Hubert Irland, lieutenant général en la sénéchausséeet siège présidial de Poitiers.
Ainsi Louis XV a ordonné des plantations de mûriers; l'intendant, en son nom, a trouvé, acheté et payé un terrain convenable ; un expert en a levé le plan, le sieur Bonichon, ingénieur pour le roi des ponts et chaussées de la généralité de Poitiers, homme habile, qui secondera si bien plus tard les vues de M. de Blossac en trouvant le secret de tracer tout à la fois une pépinière utile et une promenade magnifique.
Comment cette pièce de terre, portée longtemps sur l'état des pépinières royales sous le nom de champ des Gilliers,est-elle devenue ensuite la propriété delà ville de Poitiers, sous la désignation de place des Gilliers d'abord, de parc de Blossac ensuite ? Nous allons le dire et suivre dans ses actes l'intendant de la province, et dans ses transformations successives l'oeuvre à laquelle son nom a été donné par la reconnaissance de nos pères.
La pièce des Gilliers achetée originairement par M. de Blossac confrontait du côté du midi au chemin allant de la communauté du Calvaire à la porte de la Tranchée, du côté du couchant aux jardins et maisons qui ont leur entrée dans la rue de la Tranchée. Ce chemin mettait en communication Tison et la Tranchée, laissait à droite la vigne du sieur Latouche, et traversait un groupe de maisons entre lesquelles il prenait le nom de rue de l'Engin, ou de Beauvais, ou de Beauvoir, et dont on voit encore l'entrée dans la rue de la Tranchée; en contre-bas de Blossac et près du mur d'enceinte. Dix-huit maisons et plusieurs parcelles en jardins et en vignes composaient cette rue, qui formait un faubourg dépendant du chapitre de Saint-Hilaire. Quatre-vingt-huit ventes et baillettes de domaines et déclarations concernant la rue de Beauvais sont consignées sur les registres capitulaires de ce monastère.
Du côté du nord et du levant, le champ des Gilliers était borné par les maisons de la rue de la Tranchée, par un pré et par un terrain appartenant au chapitre de Saint-Hilaire et contigus à un terrain appartenant à M. de Valabon, et à un autre terrain appartenant à M. Dugué; enfin au levant il touchait à la pièce de terre appelée le Rabat, appartenant au doyen du chapitre de Saint-Hilaire.
La vue du plan annexé à cette notice fait comprendre de suite, par l'ancienne disposition des lieux établie par le sieur Bonichon, lors de l'acquisition de 1753, et par le tracé de la promenade fait par cet ingénieur, quels étaient les terrains qu'il fallait acquérir encore pour compléter le parc et le renfermer entre la rue de la Tranchée, les murs d'enceinte de la ville, la rue Saint-Antoine et la rue de Tison.
Les terrains du chapitre de St-Hilaire, le Rabat, les terrains de M. de Valabon et de M. Dugué, les deux parcelles dépendant du jardin des Capucins, prises pour établir le rond-point en face de la grille, et la vigne du sieur Latouche, furent successivement achetés et payés des deniers provenant des ressources mises à la disposition de la généralité, ou du coffre de l'hôtel de ville.
Au midi, le rempart de ville fut conservé dans toute sa longueur comme contre-fort de la terrasse actuelle ; au couchant, on acheta successivement les maisons et jardins dépendant de la rue de l'Engin ou de Beauvais, qui fut supprimée, et on arriva alors jusqu'à l'ancien mur de ville qui allait de la rivière du Clain à la porte de la Tranchée, et qui était flanqué de la tour des Bouchers , qui existe encore aujourd'hui près de la rivière, de la tour à l'Oiseau, de la tour de Maumusart, de la tour Barré, de la tour Ronde, et enfin de la tour de la porte de la Tranchée elle-même, qui alors était placée plus bas à droite que la porte actuelle et vis-à-vis la rue Sainte-Triaise.
L'ancienne porte de la Tranchée et celle de Saint-Lazare ou de Paris furent démolies en 1786 par l'ordre de M. Boula de Nanteuil, intendant de Poitiers, sous le prétexte qu'elles étaient trop étroites, et il statua qu'elles seraient remplacées par des grilles. C'est une double destruction à jamais regrettable, surtout alors que les nouvelles entrées n'occupent plus le même emplacement que les anciennes.
1 nom de tour des Bouchers peut s'expliquer par cette mention que je trouve dans le registre des délibérations du corps de ville de l'année 1725 : « Il est donné ordre de réparer la brèche faite aux murs et rempart, par laquelle les bouchers, par fraude, font passer leurs boeufs. »
Le rempart actuel qui joint la tour à l'Oiseau et la nouvelle porte de la Tranchée fut aussi construit en 1786 sur les fondements de l'ancien mur de ville et dans le style des fortifications du moyen âge.
Les deux pavillons qui accompagnent la grille de la Tranchée furent construits en 1789 par M. Vétault de la Jubaudière, architecte du comte d'Artois, apanagiste du Poitou. M. de Blossac, pour éviter le passage des routiers par l'intérieur de la ville, avait fait construire la route de la Chaussée à la Tranchée, qui formait les beaux boulevards du Grand-Cerf et de Pont-Achard ; cette voie aboutissait à l'ancienne porte de la Tranchée, à laquelle elle arrivait directement.
Lors de la construction de la porte actuelle vis-à-vis de la Tranchée, la route fut détournée brusquement et forma cette montée rapide qui existe encore aujourd'hui. M. de Blossac avait fait étudier aussi un projet qui avait pour but de faire déboucher la route de Paris à la rue Neuve, projet repris de nos jours dans les études faites au sujet des voies d'accession de la ville au chemin de fer.
La porte de sortie de la promenade qui louche à la porte de la Tranchée fut ouverte en 1788 par les soins de M. Boula de Nanteuil. Cette porte mesquine et l'escalier plus mesquin encore qui raccompagnait ont été remplacés dans ces derniers temps par une porte en fer et par un escalier appuyé par des constructions dans le style du mur d'enceinte et des pavillons de la porte de la Tranchée.
La porte du milieu, sur la rue de la Tranchée, fut établie en 1790 et payée des deniers de la ville au serrurier Gobet, à raison de huit sols trois deniers la livre pesant. Elle était d'abord placée à l'alignement du mur d'enceinte delà promenade; en 1837, elle fut reportée à l'alignement de la rue de la Tranchée, telle qu'on la voit aujourd'hui.
Enfin, pour remplacer la plate-forme circulaire qui terminait du côté de Tison, au nord-est, la terrasse qui domine le Clain, une porte en fer, proposée dès 1832, fut établie en 1837, et coûta la somme de 2,276 fr. 78 c.
Cette porte, vivement réclamée, rétablissait la communication si utile qui existait autrefois entre le bas de la ville et le faubourg de la Tranchée, à travers les terrains des Gilliers.
Les limites du parc de Blossac, arrêtées dès l'année 1772, n'ont pas changé depuis. Des tours formant l'ancienne enceinte, une seule, la plus grosse et la plus élevée, a conservé un nom connu de tous, la tour à l'Oiseau; elle a offert à mes recherches quelques documents curieux.
Dès avant le règne de Charles VII, Poitiers avait acquis une certaine renommée pour la fabrication des armes; on disait au XIVe siècle : « les armes de Paris et de Bourges sont bonnes ; celles de Toulouse et de Poitiers sont excellentes » On peut voir dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest de 1842 quelques détails sur des établissements industriels formés à Poitiers au XVe siècle, et l'aventure si bizarre de l'armurier Antoine Bote, appelé à Poitiers par les maire et échevins, et dont les ateliers, déjà en voie de prospérité, furent si singulièrement détruits par les gens « armés et embâtonnés » envoyés par les religieuses de l'abbaye de Ste-Croix.
Cet essai d'établissement d'une manufacture d'armes, renouvelé depuis à Poitiers sans plus de succès, devait réussir plus tard, mais au profit d'une ville voisine, Châtellerault, dont les armes, comme celles de Poitiers au XIVe siècle, sont universellement appréciées.
Dans une ville qui avait la réputation de fabriquer des armes excellentes, il devait se rencontrer des hommes habiles à les manier, et l'histoire de Poitiers révèle à chaque page l'adresse et le courage de nos ancêtres.
La compagnie des chevaliers et archers du jeu royal de l'arquebuse ou de l'oiseau avait surtout acquis une réputation méritée d'adresse. Elle remontait à une haute antiquité, et devait beaucoup, pour son organisation et pour les privilèges dont elle jouissait, à Jean de Torsay, chevalier, seigneur de Lezay et de la Mothe-St-Heray, qui avait rempli les charges éminentes de grand maître des arbalétriers de France et de sénéchal du Poitou sous le règne de Charles VI.
Jean de Torsay fut enterré dans l'église de Notre-Dame-la-Grande, dans une chapelle fondée par lui, et chaque année, le jour de l'octave des trépassés, messieurs de l'hôtel de ville faisaient célébrer un service solennel en exécution de la fondation qu'il avait faite par son testament.
Les chevaliers de l'arquebuse étaient exempts de certaines taxes et impositions auxquelles les directeurs des aides essayaient constamment de les assujettir. Aussi voit-on en 1772 le conseil de ville déclarer qu'il prend fait et cause pour la compagnie, et qu'il l'aidera à soutenir les privilèges qui lui avaient été accordés « par les rois prédécesseurs et confirmés par Louis XIV, de glorieuse mémoire, en 1652, lors de son passage à Poitiers. »
La contestation durait encore en 1724; au mois de mars, en effet, le maire se plaint au conseil que les chevaliers négligent leur exercice parce que le directeur des aides refuse de faire jouir celui qui gagne le prix, en abattant l'oiseau, des droits qui lui sont accordés par les privilèges ; ce qui, ajoute-t-il, a occasionné une instance, et il propose, en attendant une décision, de faire délivrer tous les ans cinquante livres pour le gagnant, de faire porter la compagnie à cent hommes, et de veiller à l'entretien de l'uniforme, afin d'être en état de paraître dans l'occasion. La proposition est accueillie.
En quoi consistait le jeu de l'oiseau?
Les comptes de la ville de 1725 portent cette mention : « Seront refaits les contre-murs et glacis et partie de la voûte de la tour à l'Oiseau, et réparé le surplus aux fissures, observant de laisser au milieu d'icelles une ouverture carrée de douze pouces pour la passée de la perche à l'oiseau ; sera aussi refait le parapet du pourtour. » La perche à l'oiseau était donc assujettie dans le milieu de cette tour.
Le lieu où se plaçaient les archers pour tirer l'oiseau nous est encore révélé par une délibération du 19 mai 1738. «Le portier de la porte de la Tranchée se plaint que la galerie où se placent les chevaliers, lorsqu'ils tirent l'oiseau, est presque entièrement détruite par les pluies. » Ordre est donné de faire les réparations. C'était donc sur l'ancienne porte de la Tranchée que se tenaient ceux qui disputaient le prix, et cette distance assez longue prouve l'habileté des tireurs.
Quel oiseau plaçait-on sur la perche, et quels prix étaient donnés aux vainqueurs ?
Les comptes de la ville vont encore nous l'apprendre : le 10 mars 1732, il sera payé 23 livres 13 sols au sieur Dumon, orfèvre, qui a fourni la valeur des prix pour ceux qui ont tiré le coq pendant les trois jours gras; — le 1er avril 1737, il sera payé à Dumon, orfèvre, 24 livres pour dieux cuillers et tasse d'argent pour ceux qui ont gagné le prix à la dernière assemblée du coq; —le 15 juillet 1737, payé 50 livres à Louis Piaut, qui a abattu le coq; — le 20 février 1741, payé 31 livres 17 sols a Guédon, orfèvre, pour deux tasses et une cuiller d'argent du poids de trois onces et quatre gros et demi et treize aunes de ruban, pour le coq tiré le dimanche 12 février 1741.
Enfin, une mention du 24 juillet 1769 porte ceci : Sera payé 50 livres à celui des soldats de la compagnie uniforme des grenadiers de cette ville qui a remporté le prix et fait l'exercice et le service pendant l'année 1769, au lieu des chevaliers de l'arquebuse, dont la compagnie n'existe plus.
Après cette date de 1769, il n'est plus question du jeu royal de l'arquebuse, si cher à nos pères, qui attirait une si grande affluence de peuple au bourg de St-Hilaire, qui était l'occasion de fêtes nombreuses, et qui donnait à la tour à l'Oiseau une si grande importance. La fête de l'Oiseau n'existait plus; on essaya plus tard de détruire la tour à l'Oiseau elle-même.
Le 3 janvier 1820, en effet, on reprit un projet d'établissement d'une route au pied et sous la terrasse de Blossac, route qui devait établir une communication entre les routes d'Avalon et de Bordeaux, de Limoges et de la Rochelle. Ce travail nécessitait la démolition de la tour à l'Oiseau.
Consulté, le conseil municipal nomma trois commissions ; c'était trop de deux pour enterrer le projet : chose rare, unique peut-être, tout n'en marcha que plus vite, et on se laissa éblouir par les promesses de l'ingénieur en chef des ponts et chaussées, qui déclara « qu'il » ne prendrait pas toute la tour, mais la moitié seulement; qu'il élèverait un mur droit en place du mur circulaire; qu'au lieu de la plate-forme actuelle de la tour, il y aurait une espèce de balcon qui, par la grandeur de ses dimensions et l'élégance de ses formes, laisserait peu de regrets à ceux qui voyaient avec chagrin le projet dont il était question. »
Le conseil municipal consentit à tout. Je ne nommerai pas cet ingénieur en chef qui eût si élégamment sacrifié la tour à l'Oiseau et ses mâchicoulis imités du moyen âge. J'aime mieux rappeler qu'un autre ingénieur, M. Compaing, notre collègue, a heureusement copié cette architecture dans la construction des deux entrées du tunnel qui passe sous les murs de Blossac. Il faut louer aussi les administrateurs de la cité d'avoir continué ce système d'ornementation dans les réparations faites à l'escalier de la promenade qui touche à la porte de la Tranchée.
Comment, malgré l'arrêt de mutilation signé en 1820 par le conseil municipal, la tour à l'Oiseau resta-t-elle intacte ?
Je l'ignore; je suis heureux de n'avoir pas à consigner ici la réussite de ce projet de vandalisme officiel.
Les Poitevins ont toujours été fiers de montrer leur promenade aux étrangers. Tous leurs efforts ont toujours tendu à y amener leurs souverains, les princes ou les personnages de distinction qui traversaient leur ville.
Le 10 juin 1777, le frère du roi, Monsieur, qui fut depuis Louis XVIII, partit de Versailles pour aller à Bordeaux, Toulouse, Marseille et Toulon ; arrivé à Poitiers, on lui parla de la promenade; il désira la voir : il la traversa à pied.
Arrivé à la tour à l'Oiseau, Monsieur, promenant ses regards sur le Clain et ses prairies émaillées se récria avec un ton d'étonnement et de satisfaction sur la beauté du point de vue, et Son Altesse Royale en prit occasion de monter sur l'un des sièges en pierre, comme pour jouir plus à loisir de la perspective.
Le noble et spirituel visiteur ne pouvait rien faire qui séduisît davantage toute la population; il fut reconduit avec enthousiasme, et les étudiants en droit, la compagnie de cavalerie bourgeoise et les grenadiers de la ville l'escortèrent jusqu'à une assez grande distance. C'est sous l'empire de cette admiration que Jouyneau-Desloges s'écrie : « La Beauce est fière de ses moissons, Paris vante ses Tuileries; on cite le Blossac de Poitiers. »
Si on en croit Denesle, « ce séjour enchanté, cet Eden de notre contrée est le seul monument existant dans notre ville. »
Dès l'année 1774, la place des Gilliers eut son poète.
Le 30 juillet, un service solennel fut célébré à la cathédrale pour le repos de l'âme du roi Louis XV. Un magnifique catafalque fut dressé par les soins du corps de ville. Quatre colonnes de quarante pieds d'élévation étaient consacrées à la guerre, à la religion, à la justice et aux arts: à la colonne de justice, on voyait la main de justice, le glaive, la balance et les armes de M. le comte de Blossac, intendant de la province, premier président du conseil supérieur.
Dans un petit poème bucolique, composé en patois poitevin à l'occasion de ce catafalque, et dans lequel sont décrits les monuments les plus remarquables de Poitiers, un berger raconte à son ami les merveilles qui ont frappé ses yeux; après avoir traversé un grand nombre de rues, il arrive :
Tout devont in endret qu'eils noumont lez Gilers,
Aussitou qu'apreçu quai grand porte de fer,
Et tous qu'aies greillons peinturluris en ner,
Jaraicoton, lez eil me ronliant dans la tête,
Lie sétiant jamais fat ine somblable fête.
Ensute j'avonci dans ine ollez d'humeas,
Bin plane, bin sablie, et tirie au cordeas ;
Toutes etiant de même, et in rang.de teilloux
Fasait aux deux herez le cercle et le brecioux.
Y voyais lian dedons coume ine pépinère,
Au l'était tout planté de très bonne manère;
Tous quez àbres fasiantin bel alignemont;
lis etiant magnefique et taillis propremont.
De l'in à l'autre bout ine yrete chermille,
Bin finement copie, était toute à la file.
Pre descendre au sainfain l'iavait dos escalers
Entouris de chemoins et d'un bois de mourers.
Et pis mas qui sans poine allais dans quez allie,
Au m'arait ben faulu quasiment la journie,
Pre trouvé mon routin : j'allais et revenais,
Y sçavais rin du tout le sendier qui prendrais.
Après bin dos détours j'avise enfin la porte,
Y n'avais eu jamais d'embaras de la sorte.
Un autre poète, M. Delâtre, a célébré dans ses vers la place des Gilliers. Voici le début :
Quel spectacle charmant se présente à mes yeux ! Est-ce un nouvel Eden, qu'on rencontre en ces lieux ? Une grille superbe annonce le Gillier. ....
Au-devant de mes pas, ma vue au loin s'élance,
Un berceau verdoyant dans les airs se balance,
La glacière est ainsi décrite :
Le glaçon de l'hiver en ce lieu conservé
Rafraîchit le palais dans le coeur de l'été.
Le poête aperçoit au détour de la grande allée :
On groupe de beautés de cent autres suivies,
Les grâces et les ris accompagnaient ses pas,
Et l'amour indécis ne se prononçait pas.... .
Un défilé d'amour, en croisant mon passage,
M'engage à parcourir les détours d'un bocage,
Retraite du plaisir, asile des amans.
La destruction du labyrinthe arrache ces plaintes au poète :
Labyrinte, bosquets, séjour délicieux,
Qui naguère ombrageas le plus charmant des dieux,...
Où chercher désormais tes tapis de gazon ?...
Des sillons inégaux remplacent la fougère,
Le berger cherche en vain les pas de sa bergère...
Du lieu disgracié m'éloignant lentement
La terrasse se montre et finit mon tourment,
Tout ce qu'en mille aspects peut offrir la nature,
Ruisseaux, bois et vallons, coteaux, prés et verdure,
Dans un seul point d'optique, apparaît à mes yeux.
Le poète ne se lasse pas d'admirer, et il termine ainsi résolument son oeuvre :
Sans l'ombre de la nuit, j'y resterais encore ;
J'y volerai demain au lever de l'aurore.
C'était en avril 1798 que le labyrinthe, très-peu regrettable, qui couvrait le terrain appelé aujourd'hui le grand pré, avait été transformé en cirque pour les fêtes nationales. Le poète des Gilliers avait fait paraître sa description quelques jours après. Cet opuscule fut accueilli par une critique assez vive, et si la promenade eut des admirateurs, les détracteurs ne firent pas défaut.
« Le parc, dit l'un de ces derniers, n'offre rien qui prête à la belle poésie. Ces longues allées toujours raides et alignées; ces gazons brûlés et qui se broient sous les pieds; ces prétendus berceaux soutenus sur des troncs élancés mais dépéris, dépouillés de leur plus belles branches, presque sans ombrage, et plus propres à couvrir le vieux Titon que les amours et leur mère, tout annonce un art attentif, mais trop jaloux, toujours aux aguets, semble-t-il, pour réprimer l'élan de la nature et ne songeant qu'à se montrer à sa place. »
C'est au 9 août 1756 qu'il faut reporter la date de la première fête qui fut célébrée sur la place des Gilliers.
Des réjouissances publiques eurent lieu à l'occasion de la prise de Minorque sur les Anglais. Un Te Deum fut chanté à la cathédrale à cinq heures du soir. Un dîner splendide fut donné à l'hôtel de l'intendance, à la suite duquel on se rendit à la place des Gilliers, où l'on avait fait dresser une salle illuminée par plusieurs ifs ardents, flambeaux et pots à feu. Un feu d'artifice fut tiré et bien exécuté ; il s'y était rendu une nombreuse compagnie et une quantité prodigieuse d'habitants, pour lesquels il y avait des fontaines de vin. «Mme l'intendante dansa avec M. le maire en présence de Mgr l'archevêque de Bordeaux, de Mgr l'évêque de Poitiers, de M. l'intendant et de beaucoup de personnes de distinction. » Ensuite il s'alluma différents feux par la ville, les maisons s'illuminèrent, « et tout le monde donna les marques de la plus grande joie. »
A. partir de ce jour, le terrain des Gilliers devenait bien cher aux habitants de Poitiers ; M. de Blossac était récompensé des efforts qu'il avait déjà faits pour doter la ville d'une promenade publique, et il s'attachait plus que jamais à l'augmenter et à l'embellir. Les ouvriers n'y manquèrent pas pendant l'hiver de 1757, et cependant le généreux administrateur ne borna pas là sa sollicitude pour les malheureux.
— Lors des réjouissances faites à Poitiers à l'occasion de la convalescence de Louis XV, il fit remettre, le 15 mars 1757, à MM. les curés, qui en firent aumône aux pauvres honteux, quatre cents livres de ses deniers particuliers. L'exemple du bien à son entraînement; le corps de ville, touché de cette conduite généreuse, fit distribuer lui-même, sur la place du Pilori, des aumônes qui s'élevèrent à la somme de quatre cent trois livres.
Portée sur l'état des pépinières royales, la place des Gilliers coûtait, pour son agrandissement et son entretien, beaucoup plus que la faible somme allouée par le surintendant des finances; aussi, quoique la propriété n'en fût pas encore définie, on faisait argent de tout, on puisait partout pour continuer l'oeuvre si bien commencée. La ville devait prendre nécessairement une large part dans les dépenses. Aussi Jean Razay, maire, rappelle-t-il au conseil de ville, le 11 janvier 1760, que, pour témoigner une juste reconnaissance à M. de Blossac, qui décorait de plus en plus la promenade, la ville a fait construire en fer une grande porte à l'entrée de cette place, avec balustrade de chaque côté reposant sur des appuis en pierre de taille, et d'après les dessins de M. Duchêne, ingénieur des ponts et chaussées; qu'il faut payer cette dépense. Le corps de ville décide que le coffre de l'hôtel sera ouvert par les gardiataires des trois clefs, et que sur les 3,000 livres provenant de la dernière prestation de serment dudit sieur Jean Razay, en sa charge de maire, il sera délivré 600 livres à Servant, entrepreneur, et 1,284 livres à Meunier, serrurier.
L'année suivante, la grille est peinte à l'huile aux frais de la ville, et, le 25 janvier 1762, Je corps de ville, qui s'attache avec ardeur à la continuation des travaux, prend une décision importante. Le maire dit « que la grille de fer posée à la promenade de Blossac, autrement des Gilliers, » avait été trouvée fort belle, tant par les étrangers que par les personnes de la ville; qu'il manquait néanmoins deux salles pour mettre le public à couvert ; qu'il serait à propos de faire construire deux pavillons « à la moderne, de grandeur et beauté suffisante pour décorer davantage cette place. » Sur quoi le conseil remercie le maire de ses soins et arrête qu'il sera incessamment travaillé à la construction de deux pavillons à côté de la grille de fer, « sur les plus beaux plans et les plus justes proportions. »
Ainsi, l'intendance d'une part, le corps de ville de l'autre, marchaient désormais concurremment et mettaient leurs ressources en commun. Gela ressort particulièrement d'une déclaration faite, au mois de juin 1762, au corps de ville, par Pierre Chauvet-Dutheil, échevin, de laquelle il résulte qu'il a employé la somme de 1,525 livres, lui provenant de la libéralité de M. de Blossac , à payer les ouvriers qui ont travaillé à la décoration de la place des Gilliers.
Au mois de mai 1763 , sur le désir manifesté par M. l'intendant que la ville prît des arrangements avec M. de la Bugendrie, propriétaire du jardin de la Baume, vis-à-vis la promenade neuve, pour y faire une allée d'arbres et une avenue jusqu'à la rue de la Tranchée, le corps de ville, les avis pris, arrêta que l'on traiterait incessamment cette affaire, et « que l'on ferait tous ses efforts pour obliger M. l'intendant, en cette partie. »
A cette époque, la rue de la Baume existait déjà; toute la partie de droite et le milieu du côté gauche formaient de vastes plantations de mûriers. On appelait généralement cette rue la Baume des Capucins, parce qu'elle semblait servir d'avenue à ce couvent, dont la porte d'entrée se trouvait à peu près sur le même emplacement que la porte actuelle des bains Ricordeau. Delà, une rue tortueuse, bordée de murs de clôture percés de petites portes de jardins, conduisait sur un emplacement irrégulier qui précédait la grille de Blossac.
Cette arrivée était indigne de cette belle promenade ; on l'élargit donc au moyen de diverses acquisitions, et M. de Blossac la fit planter d'ormeaux des deux côtés. Elle porta longtemps le nom de rue des Capucins.
Ces arbres furent abattus depuis, lorsque des maisons remplacèrent les anciens: murs de jardins, et un article du Journal de Poitiers du 1er septembre 1808 nous révèle que cette rue était alors dans le plus triste état. L'auteur, après avoir signalé diverses améliorations à introduire dans la cité, propose de rendre au parc national le nom de Blossac, et de donner le même nom à la rue qui conduisait des Capucins à la promenade.
« On est effrayé, dit-il, du nu et de la solitude de cette rue; elle respire un silence sinistre ; vous y croiriez sentir l'influence de quelque être malfaisant, et comme si le Tartare du désert, ou quelque Mandricard, avait coutume d'errer autour de ces lieux. Donner à cette solitude le nom de rue de Blossac, le nom de celui qui l'avait autrefois parée d'arbres, serait un moyen sûr de répandre au milieu de cette désolation une douce teinte de sentiment. » Ce voeu a été rempli, cette rue porte aujourd'hui le nom de rue de Blossac.
De l'église, du couvent, des jardins et du bois des Capucins, il ne reste plus rien aujourd'hui. La cause s'en trouve dans cette mention de la feuille d'annonces des Affiches de Poitiers, à la date du 12 mars 1792.
« A vendre . 1° La maison ci-devant conventuelle des Capucins de Poitiers, distraction faite d'un jardin entouré de murs, situé du côté des Gilliers; d'une grange à côté, et des tableaux, autels et autres effets mobiliers, estimés, charges déduites, 13,244 livres;
» 2° Un jardin renfermé de murs et une grange faisant partie de la maison des Capucins, estimés, charges déduites, 2,150 livres ;
» 3° Une maison occupée par Mlles Amiet, dépendant de la maison conventuelle des Capucins, estimée 2,408 livres. »
Les maisons furent achetées par des particuliers ; l'Etat garda le jardin pour lui. C'est encore maintenant une propriété dépendant du ministère de la guerre, dont les constructions prirent originairement le titre pompeux d'Arsenal, et qui ne sont aujourd'hui que des écuries et des magasins à fourrages.
Jacques Stinville, seigneur de Fayel, l'un des maires qui se sont le plus occupés de leurs fonctions, arriva aux affaires cette même année 1763. De concert avec Pierre Chauvet-Dutheil, échevin, il prit, d'après le désir de M. de Blossac, et sur l'invitation du corps de ville, les arrangements nécessaires pour acquérir les emplacements et maisons qui étaient au bout de la promenade des Gilliers, formant la rue de Beauvais ou de l'Engin, pour, « en démolissant lesdites maisons et réunissant lesdits emplacements à la promenade, en faire une des plus belles du royaume. »
Deux pavillons s'élevaient par les soins et aux frais de la ville à l'entrée des Gilliers; M. de Blossac fit observer à M. le maire qu'ils n'étaient point établis suivant les règles de l'art, et qu'il était à propos de changer les plans. M. le maire communiqua au conseil ces observations, et le 12 décembre 1763, les avis pris, M. le maire, MM. Joussant et Pallu-Dupinier, échevins, furent priés de voir M. l'intendant, de se faire fournir de nouveaux plans, « et de faire pour le mieux. » On fit mieux en effet, et au lieu de deux constructions lourdes et sans style, reliées par une espèce d'arcade triomphale, on commença la construction de deux pavillons isolés, dont les dessins, qui existent aux archives du département, font regretter vivement que le projet n'ait pas été mis complètement à exécution.
En 1802, on voyait encore les ruines de ces deux pavillons, élevés déjà à une certaine hauteur, et dont l'un devait faire « un asile élégant contre le chaud, le froid ou la pluie, et l'autre un logement pour le jardinier ».
A cette époque, on avait couvert de tuiles les murs afin de les conserver. Cette précaution n'aboutit à rien, et au lieu de continuer l'oeuvre commencée, on fit successivement disparaître le tout.
Suivant dom Fonteneau, il y avait quatre cimetières à Poitiers : celui de Saint-Pierre à l'est, celui de Saint-Cyprien au sud, celui de Saint-Germain au nord, et celui des Gilliers à l'ouest; aussi, lorsque en l'année 1770 on ouvrit la terre pour la plantation des arbres, on trouva, dit l'abbé Gibault, un grand nombre de tombeaux sans ornements , des urnes nombreuses, mais peu riches, des distributions et des thèmes funèbres difficiles à expliquer .
On y trouva aussi les restes de l'un de ces aqueducs qui amenaient dans l'antique Lemonum ces eaux si abondantes que nous font regretter tous les jours nos établissements modernes. Suivant l'intéressant travail de M. l'ingénieur en chef Duffaud, notre collègue, cet aqueduc est celui de Basse-Fontaine, dont on voit encore de la tour à l'Oiseau les ruines imposantes sur la gauche de la route de Bordeaux ; de là, il se tient toujours à l'est de la route, dans le faubourg même, où il disparaît dès que le terrain s'abaisse, se retrouve dans Blossac et à l'hôtel des Trois-Piliers, laissant à l'est l'amphithéâtre.
Il n'est pas douteux qu'il ne traversât sur arcades ou sur un mur plein de quatre mètres de hauteur la dépression du terrain entre le faubourg et Blossac.
L'agrandissement de Blossac enleva encore cette année une parcelle de terrain aux pères Capucins,, auxquels la ville accorda une indemnité de cent livres. Elle paya mille dix livres pour ouvrages ; et réparations faites aux murs et voûtes des pavillons, et pour avoir fait combler l'une des tours du rempart, vis-à-vis la terrasse des Gilliers, dans laquelle se retiraient les gens de mauvaise vie.
Quelques travaux de détail, quelques acquisitions peu importantes eurent lieu en 1771 et 1772. La promenade avait alors acquis toute l'étendue qu'elle a actuellement, et les plantations étaient terminées.
Notice les aqueducs romains de Poitiers, par M. DOFFADD, ingénieur en chef, membre de la Société des Antiquaires de l'Ouest, volume de 1854.
Voici quelles étaient et quelles sont encore les dimensions du parc de Blossac. Nous les prenons dans le Guide du voyageur à Poitiers, de M. Ch. de Chergé, ouvrage qui, sous un titre modeste, est un véritable livre d'histoire et d'archéologie, et où l'esprit se rencontre à chaque page:
Contenance. . . ... ... . 9 h. 54 a. 20 c.
Longueur depuis la porte d'entrée jusqu'au rempart. 555 mètres.
Dans sa plus grande largeur 240
Dans sa plus petite largeur. ..... 110
Largeur de la grande allée. .... 10
Largeur des allées latérales. . . . . 6
Longueur du boulingrin. . ... . 160
Sa plus grande largeur......... ..100
Sa plus petite. ......... 65
Longueur intérieure du grand carré. . . 50
Largeur intérieure du grand carré. . . 40
Diamètre intérieur du rond-point. . . . 50
C'est à cette époque de 1772 qu'il faut placer l'installation des armes de M. de Blossac sur la principale porte d'entrée de la promenade. La modestie de l'intendant s'opposa sans doute à ce que cette preuve de la reconnaissance publique fût l'objet d'une solennité. Toujours est-il qu'on n'en trouve aucune trace soit dans les Affiches du Poitou, soit dans les registres de l'hôtel de ville, soit dans les archives de la préfecture.
La ville de Poitiers avait eu d'abord pour promenade le Pré-l'Abbesse, « auquel les habitans avoient leur plaisance et esbat en toute saison, soit de jour, soit de nuyt. »
Nicolas-Joseph Foucaut, chevalier, intendant de 1685 à 1690, avait créé le Cours en 1686, sur des terrains provenant de l'abbaye de Saint-Cyprien. C'était là que se donnaient rendez-vous, le mercredi saint, les cavaliers et les équipages élégants'.
En 1726, M. Lenain, intendant, avait créé la promenade du Pont-Guillon, sur les bords du Gain.
En 1783, M. de Blossac fils avait fait planter la place Saint-Pierre et avait décidé la création d'une rue qui devait relier les deux places de Saint-Pierre et de Sainte-Radégonde et le boulevard du Pont-Neuf. Ce projet faisait disparaître les; rues tortueuses du Tourniquet et du Vauvert, et débarrassait à jamais la cathédrale et l'église de Sainte-Radégonde des masures qui les environnaient du côté nord. — Ce projet, repris en 1827, n'eut malheureusement pas de succès, et il aboutit, en 1830, à l'achat, moyennant 4,200 fr., d'une construction misérable attachée au flanc de Saint-Pierre, et qui fut détruite pour faire place à la regrettable construction du presbytère actuels.
M. de Blossac avait également donné l'impulsion aux autres villes de la province de Poitou.
Châtellerault et Saint-Maixent lui doivent leurs belles promenades; des plantations furent faites aussi par ses ordres sur l'emplacement qu'occupait le château de Lusignan.
Il engagea le maire de Fontenay le Comte, M. Savary de Fief-Lambert, à établir au- delà de la porte Saint-Michel une promenade qui prit dans la suite le nom de place de Blossac.
Mais la promenade de Poitiers était l'oeuvre de prédilection de M. de Blossac; il y songeait constamment. Elle était complété mais il y manquait une avenue digne de son importance, digne de la ville et digne du fondateur lui-même. Aussi avait-il conçu le projet de relier la promenade avec la place Royale par une rue bordée de constructions uniformes. L'hôtel de l'intendance devait commencer cette rue en face de la grille, à l'angle de la rue Saint-Antoine, sur un terrain que M. de Blossac avait provisoirement acheté de ses deniers personnels. Le plan de cet hôtel, de ses jardins, de la rue à percer, des façades qui devaient la décorer, était exposé dans son cabinet, et il se faisait un plaisir de le montrer à tout venant. Les indemnités à accorder aux riverains montaient tout au plus à 80,000 fr.
Les constructeurs auraient été aidés par la commune ou par des spéculateurs pour les frais des façades. — La construction de l'hôtel de l'intendance devait coûter 200,000 livres, en sorte que le projet total montait à 100,000 écus. M. de Blossac y attachait la plus haute importance, et il tenait par-dessus tout à ce que personne ne pût répéter le mot de Charles-Quint à son passage à Poitiers : C'est le plus beau village que j'aie vu.
Le gouvernement ne consentit pas à fournir les fonds nécessaires, et l'intendant ne voulut pas demander pour cet objet un impôt extraordinaire sur la généralité. Il prit un autre moyen; il fit tous les ans une épargne sur l'excédent de la capitation, sur les autres fonds variables et sur les dépenses imprévues. La collecte devait être longue à faire, mais le caractère administratif de M. de Blossac était un peu lent, et à ce point de vue il voyait patiemment dans le lointain le moment où il pourrait commencer l'exécution de son projet favori. « C'est, dit Jouyneau-Desloges, ce point de vue presque exclusif pour lui qui le rendait souvent si chiche et quelquefois absolument négatif, lorsqu'on sollicitait auprès de lui des améliorations, des secours, des indemnités, des encouragements, quelque utiles qu'ils fussent. »
Cependant il était parvenu en 1778 à réunir environ 50 mille écus. Dès qu'il s'était vu une certaine somme, il l'avait placée chez un financier qui en payait les intérêts. Le gouvernement le savait, et les contrôleurs généraux approuvaient les retenues et le placement. M. Necker fut le seul qui refusa son approbation ; il dit à M. de Blossac « que, quoique sa réserve fût déjà assez forte, elle ne pouvait s'élever de longtemps au point nécessaire à sa » destination; que l'Etat avait besoin de fonds; qu'il pouvait arriver que le financier auquel il avait confié sa réserve fît banqueroute ; qu'elle serait plus en sûreté au trésor royal, qui la rendrait dans un temps plus prospère. »
Il fallut bien faire ce que le ministre exigeait. Le financier fit banqueroute six mois après, et le trésor royal ne voulut jamais rendre au Poitou l'argent que son administrateur avait été forcé de lui remettre. Ainsi, dit Jouyneau-Desloges, se renouvela pour cet intendant et pour la ville qu'il avait eu le dessein d'embellir l'aventure de Perrette et du pot au lait.
Pauvre M. de Blossac, dit M. David de Thiais, notre collègue, dans sa notice si chaleureusement écrite, pauvre M. de Blossac, il faisait oeuvre d'abeille, et les bourdons ont mangé son miel. Toujours est-il que Poitiers doit fort peu de reconnaissance à l'illustre Genevois M. Necker .
Le peu de succès de son entreprise empêcha peut-être M. de Blossac d'en former de nouvelles; mais il ne perdit pas l'envie d'être utile; il s'efforçait d'obtenir pour sa généralité des grâces de la cour. On l'y raillait de l'entendre continuellement demander quelque chose pour sa pauvre province du Poitou, et s'il eût vécu sous un gouvernement plus paternel et moins embarrassé dans ses finances, il est à croire que « notre pays serait sorti, sous M. de Blossac, de l'état de dépérissement et de langueur dans lequel on le laissa. »
Le successeur de M. de Blossac à l'intendance de Poitiers fut M. Antoine-François-Alexandre Boula de Nanteuil, chevalier, seigneur de Marreuil, conseiller honoraire au parlement de Paris.
Le corps de ville lui écrivit, à la date du 19 janvier 1784 : « Le roi vous a nommé pour succéder au digne magistrat que nous regrettons si vivement ; nous vous en félicitons avec nos concitoyens. Vos talents, l'étendue de vos lumières, votre mérite nous assurent de la continuation de notre félicité. »
Les Affiches du Poitou du 26 février 1784, après un éloge pompeux de MM. de Blossac, ajoutent : « Si nos larmes coulent, le roi nous donnera un homme selon son coeur pour les essuyer. Mais où le trouver? où? dans le fils de M. Boula de Montgodefroy, cet illustre magistrat qui de tout temps s'est attiré l'estime et la vénération de ses concitoyens ; dans le gendre de M. Lenoir, lieutenant général de police de Paris ; enfin, dans M. Boula de Nanteuil, qui, réunissant les vertus de ses pères, sera notre consolateur et notre appui. »
M. Boula de Nanteuil tint ce qu'on attendait de lui; il fut l'un des intendants qui ont rendu le plus de services au Poitou. Comme son prédécesseur, il s'occupa surtout des moyens de pourvoir à la subsistance publique, et la province qu'il était chargé d'administrer trouva dans son activité et son dévouaient les ressources les plus précieuses pendant la disette et le haut prix des blés de l'année 1785.
La ville de Poitiers, qui s'était montrée si reconnaissante envers M. de Blossac, ne le fut pas moins envers M. Boula de Nanteuil, et, le 4 septembre 1786, M. Chabiel de Morière, maire proposa au conseil le projet d'un tableau qui contiendrait les armes de M. de Nanteuil, une devise et une inscription latine analogues aux circonstances. Les avis pris, il fut décidé que l'exécution de ce tableau serait confiée à Aujollest-Pagès, directeur de l'école de peinture, et qu'il serait offert à M. l'intendant à son arrivée à Poitiers. Ce projet n'eut pas de suite. Au tableau on préféra une médaille. L'ordre de la frapper fut donné à l'hôtel des monnaies de Limoges, où elle était en voie d'exécution, quand un inspecteur de passage en cette ville s'opposa à la continuation du travail, en alléguant le privilège réservé à la monnaie de Paris.
Le 19 septembre, Duvivier, graveur à Paris, auquel on s'était adressé par suite de cette opposition, livra à la ville, moyennant 2,520 fr., une médaille en or, trois en argent et cent en bronze. Le 14 décembre, à midi, le corps de ville se rendit à l'hôtel de M. de Nanteuil et lui offrit la médaille d'or. Une médaille d'argent fut donnée au premier secrétaire de l'intendance, une autre fut déposée dans le trésor de l'hôtel de ville, la troisième fut remise au maire. Les médailles de bronze furent distribuées aux échevins et aux personnes considérables de la ville.
Cette distribution fut célébrée par une pièce de vers signée Chauveau, et qui finit ainsi :
Oui, Nanteuil, à jamais ta mémoire chérie
Vivra jusques aux temps de nos derniers neveux.
Cette médaille , du module de 54 millimètres, porte d'un côté les armes de Poitiers, et au-dessus « Civitas Pictavium; » l'écusson est accompagné de nombreux épis de blé qui font allusion au fait mentionné dans l'inscription du revers, qui est ainsi conçue : « Antonio-Francisco-Alexandro Boula de Nanteuil, qui, régnante munificentissimo Ludovico XVI, provincise Pictonum praefectus, illi gravis annonse difficultate oppressée frumentum subministrari providentissime curavit, hoc grati animi monum. Pictav. municipium vovet, conse» crat. MDCCLXXXVI . »
Bon nombre de ces médailles existent encore; j'ai vu entre les mains de M. Doré, percepteur, receveur à Poi^ tiers, celle qui avait été donnée à M. Chabielde Modère, maire, son parent.
« Un portrait de M. Boula de Nanteuil existe à Poitiers dans le cabinet de M. Bonsergent, bibliothécaire de la ville; c'est un pastel d'une exécution admirable, et qui est dû au talent de Mme Louise Vigée, plus tard célèbre sous le nom de Mme Lebrun. Il serait digne d'une administration éclairée de faire prendre une copie de ce tableau remarquable, et d'accorder à ce portrait la place que lui assigne le nom de l'administrateur bienfaisant dont il reproduit la fidèle image. »
Cette indication et ce voeu , qui se trouvent au Dictionnaire des familles de l'ancien Poitou, article Boula de Nanteuil, 1er vol., page 425, sont aujourd'hui d'un précieux à propos. Le conseil municipal de Poitiers a fait exécuter en Bretagne une copie d'un portrait de M. de Blossac, qui est à l'hôtel de ville. On ne peut donner à ce portrait un plus noble pendant que le portrait de M. Boula de Nanteuil.
M. Boula de Nanteuil prit un soin tout particulier de la promenade de Blossac; à son entrée en fonctions en 1784, il l'avait trouvée en parfait état d'entretien; tous les terrains nécessaires pour la compléter avaient été achetés, mais l'attribution de la propriété restait encore à déterminer. L'Etat, la généralité, la ville avaient fourni des deniers; des rentes nombreuses grevaient une partie des terrains. Une correspondance active et des conférences multipliées eurent lieu entre les parties intéressées, et les négociations avec le chapitre de St-Hilaire furent poussées activement.
Le 3 janvier 1787, pouvoirs avaient été donnés par le chapitre à François-Marie Tournefort, chantre en dignité, et à François-Amable Dancel, chanoine, de traiter avec M. de Nanteuil et le corps de ville touchant les droits utiles appartenant audit chapitre, tant dans l'enceinte des Gilliers que dans les objets pris pour le grand chemin de la Tranchée à la porte St-Lazare.
Les conditions de leur mandat étaient : 1° qu'il serait fourni à chacun des dignitaires et chanoines composant le chapitre une clef des Gilliers, pour y entrer quand bon leur semblerait; 2° qu'il serait fourni un titre nouvel aux sieurs chapelains et bacheliers de cette église des rentes qui- leur étaient dues ci-devant sur les corps de logis situés rue de l'Engin, réunis à la place des Gilliers, montant à 37 sols, ainsi que de celle de deux livres qui leur était également due sur un logis appartenant à M. Bouriat (i) , et acheté et démoli pour ouvrir l'entrée de ladite place dans le milieu de la rue de la Tranchée; 3° que dans l'acte il serait reconnu que tout le terrain des Gilliers était dans la directe mouvance et seigneurie du chapitre, et qu'il en relevait à cens; 4° que le chapitre ne payerait aucuns frais.
Ce mandat, donné au nom du chapitre par Leboûx, doyen, président, fut suivi d'un prompt résultat, et une délibération signée parle même doyen, en date du 23 janvier 1787, porte : « MM. le chantre et Dancel nous ont dit avoir terminé avec M. de Nanteuil, pour l'affaire concernant les Gilliers. Ils ont rapporté et mis sur le tablier les ordonnances, pour la somme dont ils sont convenus. Nous avons remercié mes dits sieurs des peines et soins qu'ils se sont donnés, et nous avons fait mettre lesdites ordonnances, ainsi que l'état des terrains et des rentes qui y étaient assises, dans la petite fenêtre du tablier, du côté droit, pour y avoir recours en temps et lieu, et M. Basset s'est chargé de la clef. »
M. de Nanteuil rendit compte au corps de ville de celte opération ; il annonça qu'il avait fait payer la valeur des terrains et des rentes, et que rien n'empêchait la ville d'entrer en possession à partir du 1er avril 1787.
M. de Nanteuil se réservait pour lui et ses successeurs l'usage de la glacière et le droit pour le maître de la manufacture de soie de prendre, par préférence, les feuilles de mûrier dont il aurait besoin.
La ville devrait payer aux chapelains de Saint-Hilaire, au curé de la paroisse Saint-Paul et à la communauté des Cordeliers quelques menues parties de rentes qui ne montaient pas à 100 livres par an ; elle devrait payer en outre la somme de 1,200 livres par an, à partir du 1er avril 1788, pour les gages du jardinier.
Une clef de la promenade serait donnée à chacun de MM. de Saint-Hilaire, pour s'y promener quand bon leur semblerait lien serait remis une aussi à M. l'intendant.
Les arbres, qui dépérissaient en grande partie, seraient remplacés successivement par des ormeaux qu'il laisserait prendre dans les pépinières royales, autant qu'il le pourrait.
Messieurs de l'hôtel de ville témoignèrent leur reconnaissance à M. de Nanteuil; mais, fidèles à leur habitude de se plaindre toujours et de crier misère, ils essayèrent encore de se soustraire à l'obligation du payement des redevances et de l'entretien ; ils dirent que M de Blossac les avait assurés que la promenade était sur l'état du roi comme pépinière royale, pour laquelle Sa Majesté accordait 1,200 livres par an, et qu'ils ne doutaient pas que le gouvernement ne leur continuât la même faveur; ils exposèrent qu'ils trouvaient un grave inconvénient dans la quantité de clefs à remettre : « non de la vôtre, monsieur l'intendant, disaient-ils, elle vous est justement due, mais à l'égard de messieurs de Saint-Hilaire. Celles qu'ils exigent pour chacun d'eux leur sont inutiles, parce que la promenade ouvre de très-grand matin et ferme bien tard, et qu'ils n'ont pas besoin d'y aller la nuit. »
M. de Nanteuil répondit, le 30 avril, que M. de Blossac ne lui avait laissé aucune note qui lui fît seulement soupçonner qu'il eût promis de continuer à faire acquitter les 1,200 livres accordées au jardinier sur l'état des pépinières royales; qu'il ne pouvait prendre cette somme sur le fonds de dépenses; qu'il engageait la ville à la payer sur ses propres ressources, et que ce serait peu pour elle en échange d'une propriété dont la formation avait coûté des sommes considérables.
Il ajoutait : « Selon votre désir, je pourvoirai aux gages du jardinier jusqu'au 1er juin; mon intention, en abandonnant la promenade à la ville, n'a été que de faire le bien de la communauté; mais si la légère augmentation qui en résulte vous paraît devoir être mise en balance avec les avantages que j'ai en vue de vous procurer, vous pouvez ne point accepter ma proposition, »
Le 14 mai, la proposition fut acceptée avec reconnaissance, tout en suppliant l'intendant de continuer à la ville ses bonnes intentions pour la promenade, dont elle acceptait l'administration et l'entretien, auquel d'ailleurs « il lui serait bien difficile de pourvoir. »
Le 21. avril 1788, le corps de ville, habile à saisir toutes les occasions de s'exonérer de cet entretien, écrivit à MM. de l'assemblée provinciale pour obtenir de leur protection d'en être déchargés, par cette considération « que cette dépense pouvait être à la charge d'une province dont tous les habitants partagent tôt ou tard le lustre et les avantages de la capitale, leur mère commune et le point de ralliement pour tous. »
Le 28 mai, MM. delà Lézardière, Lamarque et Thibaudeau, syndics de la commission intermédiaire provinciale du Poitou, répondirent qu'ils avaient trouvé sur l'état des pépinières qui leur avait été remis par M. de Nanteuil, et dont il avait l'administration, la place de Blossac; qu'ils avaient continué d'y porter les soins ordinaires, et que, comme il n'appartenait pas à la commission intermédiaire de faire des innovations, elle remettrait sous les yeux de l'assemblée générale prochaine la lettre du corps de ville.
Mais, l'assemblée générale tardant trop à se réunir, une nouvelle lettre du conseil de ville appela une nouvelle réponse de la commission intermédiaire, qui, par l'organe de M. Thibaudeau, déclara, le 10 novembre 1788, qu'elle consentait à ce que la ville eût l'administration de la place des Gilliers, et qu'elle continuerait de faire payer sur les fonds de la province les 1,200 liv. allouées jusque-là par année pour l'entretien de, cette place.
La propriété pleine et entière de la promenade appartenait donc à la ville; elle seule allait l'administrer désormais comme bon lui semblerait. Elle était débarrassée du payement de la somme de 1,200 livres pour les gages du jardinier, et, suivant le traité fait avec MM. du chapitre de Saint-Hilaire en 1787, il n'y avait plus à sa charge que les rentes dues à chaque fête de la Saint-Michel aux sieurs chapelains et bacheliers de l'église de Saint-Hilaire, et qui consistaient en vingt-quatre boisseaux de froment et en 5 liv. 15 sols 4 deniers dus sur les maisons qui avaient fait partie de la rue de Beauvais ou de l'Engin.
Les rentes de l'année 1788 furent encore payées par le sieur Dauvilliers, caissier des fonds destinés au service des dépenses des pépinières de la généralité de Poitiers, suivant ordonnance de M. de Nanteuil, du 28 février 1788.
La dernière pièce relative à ces rentes est un mémoire du sieur Bardeau, fermier du revenu des ci-devant chapelains de Saint-Hilaire, à la date du 15 février 1791, qui réclame les arrérages échus pour l'année 1789 et l'année 1790, et montant à 115 liv. 8 sols 8 deniers. Le sieur Leroy, trésorier de la municipalité, répond au bas de cette pièce qu'il ne payera pas, parce que le sieur Bardeau n'a pas qualité pour recevoir; que, s'il y a lieu de payer, c'est entre les mains du receveur du district qu'il faudrait le faire, ces rentes étant dues à l'Eglise; qu'au surplus, les rentes dont est question sont supprimées en vertu du décret du 10 septembre 1790.
Ces arrérages furent-ils payés à qui de droit ? Je n'en ai pas trouvé la trace.
La ville de Poitiers, ainsi que nous venons de le voir, était dotée d'une promenade magnifique ; mais qu'était devenue l'industrie séricicole, cause et point de départ de cette création ?
M. de Blossac avait fondé une magnanerie dans la maison qui porte le n° 86 de la rue des Trois-Piliers, en face de la rue de la Baume, près des vastes terrains qui étaient plantés en mûriers de chaque côté de cette rue. Les premiers essais furent encourageants; le pays se couvrit de mûriers ; mais, après quelques années de langueur, l'établissement fut abandonné, les fonds manquèrent. On se plaignait, dit Jouyneau-Desloges, de ce que quelques particuliers, usant du crédit qu'ils avaient dans les bureaux de l'intendance, faisaient cueillir les feuilles pour les vers qu'ils élevaient dans des maisons particulières. Tandis que rétablissement de M. de Blossac périssait, quelques particuliers tiraient des revenus de cette industrie. D'un autre côté, les mûriers avaient été élevés en tige, au lieu de rester en taillis, et le mal en avait été considérablement augmenté.
La magnanerie de M. de Blossac était tenue par la famille de son maître d'hôtel, « dont le fils s'est distingué, pendant la révolution, au service de plusieurs puissances étrangères par une bravoure brillante, et a conquis sur les champs de bataille le titre de baron et les plus glorieux insignes de l'honneur. »
Les premières fêtes de la révolution de 1789 eurent un grand éclat à Poitiers, et Blossac en fut presque toujours le théâtre.
La grille d'entrée, parfois magnifiquement illuminée, supportait, comme avant, les armes de la famille de la Bourdonnaye : un écu de gueules à trois bourdons d'argent, surmonté d'une couronne de marquis, et telles qu'on les voit encore aujourd'hui.
Après le décret du 19 juin 1790, qui prohibait les armoiries, elles restèrent encore assez longtemps à leur place avant que l'on songeât à les faire disparaître. Mais une pétition adressée à la municipalité réclama l'exécution du décret. Le maire temporisa d'abord, puis enfin, et le 26 décembre seulement, il rendit un arrêté qui statuait que l'écusson serait enlevé; qu'il en serait substitué un autre portant trois fleurs de lis et les mots : la loi, le roi; que cet écusson serait surmonté du bonnet de la liberté, au lieu de la couronne de marquis; que sur la petite porte de la promenade il serait écrit ces mots : parc national, au lieu de ceux de parc de Blossac.
Deux commissaires furent nommés pour faire exécuter ces changements, qui eurent lieu en effet. Un arrêté du 3 juillet 1792 en offre la preuve par l'ordre donné de faire repeindre, avant le 14 juillet, le bonnet de la liberté placé sur la porte du parc national.
Le 30 juillet 1805, les emblèmes de la république furent enlevés, non pour y replacer les armes de M. de Blossac, mais pour y substituer un médaillon en fer doré au milieu duquel était la tête de Bonaparte.
Le 1er août 1806, le conseil municipal modifia avec autant d'adresse qu'il le put un projet de couronnement de la porte de la Tranchée, surmonté d'un buste de l'empereur du prix de 2y600 francs.
— Qui pourrait, disait l'auteur du projet, se refuser à cette dépense? Le conseil ne s'y refusa pas, il ne l'osait; mais il discuta longuement les détails d'exécution, et se tira d'embarras en faisant placer sur la grille un aigle en fer doré d'un prix qui s'accordait mieux avec le mauvais état des finances de la ville.
Le conseil eut encore à résister, à la même époque, à l'un de ces projets qui n'ont aucune raison d'être et qui ont leur point de départ dans l'intérêt de quelques artistes ou de quelques entrepreneurs. Un sieur Andréone proposa l'érection d'une statue équestre de l'empereur au milieu de Blossac. Ce monument devait coûter une somme énorme; il eut de zélés partisans. Le conseil municipal fit encore une fois traîner les choses en longueur, et parvint à se débarrasser de l'artiste en lui faisant payer quelques centaines de francs pour prix de son inintelligente et maladroite initiative.
A la première restauration, l'occasion était favorable pour restituer au monument ses véritables armoiries, celles du fondateur; mais on ne fut pas plus sage qu'avant, et les emblèmes impériaux furent enlevés pour faire place aux fleurs de lis et aux L couronnées.
Mais, le 16 avril 1815, lors de la remise des nouveaux drapeaux à la garde urbaine, le cortège se rendit au parc national, et l'effigie de Napoléon fut replacée sur la grille au bruit de l'artillerie et des cris de Vive l'empereur! On se rendit ensuite à Saint-Porchaire, où un Te Deum fut chanté solennellement.
Le 27 juillet, le drapeau blanc flotta de nouveau sur les édifices publics et sur la porte d'entrée de Blossac. Toutefois on se pressa peu pour enlever les emblèmes de l'empire, qui restèrent en place jusqu'au mois de décembre. Nul ne songeait à y porter la main; mais, le 8 décembre, on lut sur les murs de la ville un arrêté ainsi conçu : « Le sous-préfet prévient ses administrés qu'il a reçu les ordres les plus sévères pour faire disparaître des édifices publics les bustes et portraits de Bonaparte et de sa famille, et tout signe qui pourrait rappeler son gouvernement; ils doivent être brisés et détruits. — Ces tristes monuments de la basse adulation et de la tyrannie doivent entièrement disparaître. » — S'il existe de pareils objets dans les maisons particulières, les propriétaires seront invités à les anéantir. »
Cet arrêté, que nous laissons à apprécier sous le triple rapport de l'histoire, de l'archéologie et du bon goût, n'admettait pas le moindre délai; il reçut une prompte exécution.
Plus tard, le bon sens public et le retour vers l'étude de l'histoire et de l'archéologie firent rendre à la promenade de Blossac les armoiries de la maison de la Bourdonnaye.
Trois fois, depuis cette époque, la France a changé de gouvernement, et ni la royauté de juillet, ni la jeune république, ni le nouvel empire n'ont porté la moindre atteinte à ces emblèmes si chers aux Poitevins.
De nombreux travaux de charité furent entrepris en 1789 pour venir au secours de la classe ouvrière. Les boulevards reçurent alors d'importantes améliorations, nécessitées par la construction du pont Neuf.
Le 26 et le 27 novembre 1770, un orage épouvantable avait éclaté sur Poitiers et ses environs; la pluie était tombée en si grande abondance que les moulins avaient été emportés, et que le pont St-Cyprien, le pont Joubert et le pont de Rochereuil avaient eu plusieurs arches rompues.
M. de Blossae fit dresser par M. Barbier, ingénieur, le projet d'un nouveau pont, qui fut adjugé, le 20 avril 1777, moyennant 299,800 livres, et dont il posa la première pierre le 17 août 1778.
C'est seulement en 1844 que les abords du pont Neuf, qui n'avaient jamais été réglés et qui étaient devenus un affligeant dépôt de matériaux et d'immondices, ont été transformés en une promenade aujourd'hui très-fréquentée. Dois-je dire que cette création est due à mon initiative et à mes soins ?
Dès 1772, comme en 1789, comme en 1820, on avait eu la pensée de faire passer la route de Limoges à La Rochelle par le boulevard de Tison et par le terrain appelé la Garderie, compris entre le mur de soutènement de la terrasse de Blossac et l'ancien mur de ville.
Ce projet n'a jamais pu se réaliser. Dès lors il fallait utiliser ce vaste emplacement et le mettre en harmonie avec le paysage qu'il domine. Rien de plus facile ordonner jusqu'à parfait nivellement le transport dans cette enceinte des décombres et des terres qui proviennent des constructions qui se font dans la ville; déterminer une allée de ceinture le long des remparts et du parapet de la terrasse; diviser l'intérieur en pelouses et en massifs d'arbustes et de fleurs seulement, de manière à ne jamais masquer le point de vue delà promenade; rétablir l'ancien escalier; multiplier les bancs ; prendre les eaux vives qui sortent du bassin et du jet d'eau de la grande allée pour décorer et utiliser un terrain jusque-là stérile et d'un aspect repoussant. Avant tout, et comme l'art ne s'improvise pas,
CONFIER A UN ARTISTE DE PROFESSION, A UN JARDINIER PAYSAGISTE QUI AIT FAIT SES PREUVES, le dessin, l'ordonnancement et la direction de cette; création nouvelle, qui peut devenir à peu de frais un jardin délicieux.
De 1789 à 1798, quelques travaux d'entretien furent effectués dans le parc de Blossac. Une grande partie des massifs était encore plantée en mûriers, mais leur état de langueur et de dépérissement obligea l'administration à les faire arracher. En attendant le moment de faire des plantations nouvelles et pour améliorer les terrains, on permit aux malheureux de les cultiver en légumes.
Les militaires faisaient alors l'exercice dans les allées; la cavalerie et les artilleurs même y faisaient des manoeuvres. On mit bien vite un terme à cet état de choses, qui occasionnait des dégâts continuels, et on sentit le besoin impérieux d'un emplacement vaste et déterminé par des limites bien arrêtées, qui servît aux fêtes publiques, aux jeux des enfants et aux manoeuvres militaires.
Le 22 avril 1798, le bureau de bienfaisance de Poitiers prit l'initiative, et, puisant dans la loi du 7 frimaire an V le droit de diriger les travaux de charité de la commune, il arrêta l'établissement d'un atelier de charité au parc national. Au lieu du labyrinthe et des bosquets, « dans un état de décrépitude prématurée, » qui couvraient sans profit et sans agrément un vaste terrain, on créa ce magnifique emplacement aujourd'hui appelé le grand pré.
Vainement, depuis cette transformation, quelques propositions maladroites ont été faites pour en modifier la forme ou la destination; il restera à jamais une heureuse arène offerte aux joyeux ébats de l'enfance, et un vaste amphithéâtre consacré aux grandes solennités.
La glacière fut aussi modifiée et restaurée à cette époque, et le bureau de bienfaisance fit déterminer une réserve importante au profit des hôpitaux. Depuis, et en 1838, un nouveau bail mit à la charge du preneur la fourniture « de 600 kilogrammes de glace pour être mis à la disposition de MM. les médecins attachés aux hôpitaux ou au bureau de bienfaisance pour le service de ces établissements '. »
Les améliorations faites à cette époque avaient été sollicitées depuis quelques années par Denesle, directeur du jardin des plantes de Poitiers, qui fit paraître, le 24 mai 1798, un mémoire intitulé : Observations ou vues générales sur les changements, améliorations et autres objets d'agrément dont le parc national peut être susceptible .
Il concluait à la destruction des ormeaux et des mûriers surtout, « dont l'éducation si négligée dans le principe, dont le dépouillement fait sans jugement et sans précaution, ne laissaient apercevoir que des arbres tronqués et difformes. » Il se récriait contre ces répétitions sans fin de tilleuls et de charmilles, et demandait qu'on plantât des acacias, des platanes, des sorbiers, des arbres de Judée..., des arbres verts surtout, « dont la vue est récréée dans la saison où le jardin est dénué de tout ornement. » Il appelait de tous ses voeux des tapis de verdure, une place d'exercices pour la jeunesse, une rotonde enfin pour la danse, où l'on verrait déployer les talents, la légèreté et les grâces d'un sexe enchanteur fait pour captiver et nos suffrages et notre admiration. » Il demandait instamment qu'on changeât de place un cimetière placé à l'extrémité de la promenade du Cours, sous les yeux des promeneurs, et qu'on se hâtât de jeter bas tous les arbres de la grande allée, arrivés à un état complet de dépérissement. Il réclamait en différents endroits des eaux vives, prises « soit dans le Clain au moyen de pompes à feu ou autres machines hydrauliques, soit à la source féconde de la Cassette, comme l'avait proposé l'ingénieur Dalesme. » « 0 Romains ! s'écriait-il à ce sujet, » un pareil séjour, de votre temps, eût offert partout des eaux jaillissantes qui auraient procuré aux habitants de votre cité une eau pure et salubre, objet de première nécessité, tandis qu'aujourd'hui ils en sont absolument privés. Des aqueducs dont les vestiges existent encore, attestent la solidité de vos constructions..... Ce que vous aviez fait pour Poitiers nous reste encore à faire aujourd'hui ; quelles peuvent être les raisons de cette insouciance ?... »
Ces raisons, les voici : en 1794, le budget des recettes de la ville n'était que de 35,447 fr.; en 1804, il n'avait encore atteint que le chiffre de 80,609 fr.'.
Cependant les voeux de Denesle ont été accomplis en grande partie. Un garde assermenté a été préposé à la surveillance du parc dès l'année 1808, et, il faut le dire, il n'a jamais eu à constater de dégâts véritables. Un fait bien connu ne se renouvela pas. Alors que le parc n'était qu'en voie d'achèvement, il avait subi une mutilation déplorable.
Les officiers du régiment du Roi, alors en garnison à Poitiers, excités par les fureurs d'une longue orgie, trouvèrent très-plaisant de couper en une nuit tous les arbres récemment plantés. La plaisanterie fut jugée de très-mauvais goût, le régiment dut quitter la ville, et les principaux coupables furent punis par la privation de leur grade.
Le cimetière St-Cyprien n'existe plus; les mûriers ont été détruits et remplacés par des acacias, mais en si grand nombre, que celui qui les demandait si instamment s'en plaindrait peut-être aujourd'hui. D'autres améliorations ont été successivement apportées. « C'est en 1837, dit M. Ch. de Chergé sous l'administration de M. Regnault de Lapparent, maire de Poitiers, que les vieux arbres plantés par M. de Blossac, et qui dépérissaient, ont été remplacés par de jeunes tilleuls. Ils forment déjà une large bande de verdure favorable aux promeneurs, que vous y verrez se presser, aux jours de fête, après -midi en hiver, et le soir en été, surtout quand le colonel du régiment en garnison a la galanterie (et un colonel est toujours galant) d'ajouter le charme d'une délicieuse musique aux plaisirs des yeux et de la promenade.
Ce bassin, dont le jet d'eau encadre d'Une manière si gracieuse dans les massifs verdoyants ses gerbes brillantes et argentées, a été construit en 1840, sous l'administration de M. Jolly. Il est alimenté par la machine hydraulique de l'ingénieur Gordien et par le château d'eau situé non loin de là.
Plus tard enfin, les soins pleins de goût d'un de nos édiles, M. Pilotelle, ont ajouté à notre promenade jusqu'alors trop nue, trop grave, trop sévère, le charme des fleurs, qui mêlent leur coquetterie, leurs couleurs et leurs parfums passagers aux parfums éphémères des acacias et des tilleuls. Pourquoi les exigences d'un budget trop restreint ne lui ont-elles pas permis de faire quelques réserves, quelques économies pour ajouter aux vases élégants qui décorent les ronds- points et les carrés, une belle statue, ou tout au moins un beau buste de celui qui économisait et se faisait chiche afin de nous enrichir.
Ce voeu, qui fut émis, il y a plusieurs années déjà, par notre ami M. Beauchet-Filleau, nous le renouvelons, et il sera exaucé, car il est fondé sur la justice, la reconnaissance et le bon goût. »
Ce voeu avait été ainsi formulé par M. Beauchet-Filleau, article de la Bourdonnaye de Blossae du Dictionnaire des familles de l'ancien Poitou :
« La mémoire de l'homme de bien dont nous venons de rappeler l'administration si utile aux Poitevins mériterait, ce nous semble, d'être honorée, dans la cité qui lui doit tant d'améliorations, par quelque monument spécial. Ce n'est pas assez, à notre avis, d'une délibération de MM. du corps de ville, qui ne fit, en attribuant au parc des Gilliers le nom et les armes de celui qui l'avait créé, qu'accomplir un acte de stricte justice et de rigoureuse nécessité. »
M. Foucart, en parlant des services rendus au Poitou par M. de Blossae, dit : « Depuis longtemps on s'étonne que la ville de Poitiers n'ait point élevé un monument à cet homme auquel elle doit tant de reconnaissance. »
« Notre parc est assez vaste, dit M. David de Thiais pour contenir l'image de son fondateur! Nous aimons donc à penser que l'administration municipale, si jalouse de bien faire, s'empressera de satisfaire le voeu général en faisant placer le buste de M. de Blossac sur le théâtre même de sa gloire. »
Plusieurs fois, en effet, le conseil municipal s'est préoccupé de ce projet; mais tout manquait pour l'exécution. On ignorait le lieu et la date de la naissance de M. de Blossac, le lieu et la date de sa mort; on ne savait rien de lui après son départ de Poitiers en 1784. L'origine de la création de la place des Gilliers, la part que l'Etat et la ville y avaient prise, presque tous les faits relatifs au fondateur ou à son oeuvre, étaient entièrement inconnus. Son image enfin restait un mystère pour tous.
« Grâce aux indications et à l'intervention de MM. Jeannel et Foucart, un portrait de M. de Blossac a été découvert dans sa famille en Bretagne, et ce portrait, dont notre hôtel de ville possède maintenant une copie faite par suite d'un vote exprès du conseil municipal, ce portrait servira, nous l'espérons, de point de départ pour l'érection d'un monument plus grandiose et plus durable à consacrer à M. de Blossac dans la belle promenade qui conserve son nom . »
Ce témoignage de reconnaissance est donc aujourd'hui une idée généralement acceptée. Tous ont réclamé une statue, un buste, un monument spécial, dans d'irréprochables conditions de convenance, d'harmonie et d'exécution artistique.
Nous connaissons maintenant l'administrateur et ses actes; nous avons dans son portrait un élément indispensable à l'exécution du projet, et que l'on regrettait depuis longtemps de ne pas posséder. Ce monument à élever, ce témoignage de la reconnaissance publique ne dépend donc plus maintenant que d'une occasion favorable, de la volonté ou de l'inspiration d'un artiste, d'un vote des représentants de la cité.
J'ai parlé de reconnaissance; ce n'est pas à dire que M de Blossac ait avant nous rencontré des ingrats ; j'ai besoin de justifier nos aïeux. Le corps de ville, en faisant placer les armes de la maison de la Bourdonnaye sur la principale porte d'entrée de la place des Gilliers, en donnant à cette promenade le nom de Blossac, en inscrivant ce nom sur une des rues de la cité, le corps de ville, dis-je, s'est rendu l'interprète de la reconnaissance de tous, et il a justifié cette épigraphe prophétique d'un plan géométral de la place des Gilliers, dédié à M. de Blossac en 1771 :
SEMPER HONOS, NOMENQUE TUUM, LAUDESQUE MANEBUNT (i)
Le monument dont tous nous sollicitons l'érection ne serait donc pas la réparation d'un oubli, d'une ingratitude; il serait une fois de plus la manifestation d'un noble sentiment.
1 II existe de ce plan une gravure réduite et sans échelle ; M. Bonsergent, bibliothécaire de la ville, en possède un exemplaire. L'exécution en est très-médiocre. M. Pichot a gravé sur pierre lui-même un plan géométrique de Blossac levé par M. Dutilleux, géomètre de première classe, avec échelle à 1,250.
Ce travail, fait dans les premiers temps de l'établissement de la lithographie à Poitiers, ne laisse rien à désirer sous le rapport de l'exécution. D'autres plans se trouvent dans les archives de la préfecture, notamment le plan original dressé en 1753 par l'ingénieur Bonichon, et dont le plan annexé à cette notice est une réduction.
Extrait des Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest
Fortification de Pictavia, Poitiers capitale des Pictons. <==.... ....==> Sur la Terre de nos ancêtres du Poitou - Aquitania (LES GRANDES DATES DE L'HISTOIRE DU POITOU )
La Mairie de la Ville de Niort a dû prendre naissance aussitôt après la concession des priviléges de franche-commune, accordés à cette cité par la reine ALIÉNOR, duchesse d'Aquitaine. Niort est une ville de commune.....
(I) dans cette maison qu'est né, en 1764, Denis-Placide BOURIAT, mort à Paris le 40 décembre 1853, à l'âge de 89 ans. Après de brillantes études à Poitiers, il vint à Paris, où il remporta plusieurs prix de chimie et d'histoire naturelle et une médaille d'or du prix de cinq cents livres. Il fut étroitement lié avec Fourcroy, Vauquelin, Parmentier, Montgolfier, Chaptal, de Candolle, Delessert, Lastéyrie, Berthollet, Guyton de Morveau. Avec eux et d'autres hommes des plus célèbres de l'époque, il fonda la société d'encouragement pour l'industrie nationale, et il en fut l'un des membres les plus actifs et les plus appréciés. Cinquante-trois rapports et mémoires témoignent de son zèle et de sa science. Membre de l'académie impériale de médecine, de plusieurs sociétés savantes, professeur à l'école de pharmacie pendant 29 ans, chevalier de la Légion d'Honneur, Bouriat remplit encore de nombreuses fonctions administratives. Il eut toujours une vive affection pour le Poitou; son immense fortune et ses rapports journaliers avec les hommes les plus distingués lui permirent de rendre des services signalés à un grand nombre de ses compatriotes. Quelques enfants de Poitiers ont eu une vie plus brillante, mais peu ont fourni une carrière aussi longuement consacrée à la science et à tout ce qui peut pratiquement conduire au soulagement de la misère et à l'amélioration des classes pauvres et ouvrières.