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PHystorique- Les Portes du Temps
20 mars 2024

La Danse en Poitou

La réputation des Poitevins comme danseurs est fort ancienne et sans doute antérieure au treizième siècle, époque à laquelle le recueil de proverbes appelé le Dit de l'apostoile mentionne :

Li meillor sailléor en Poictou

Deux cents ans plus tard, des villageois amenés de notre province font diversion par leurs joyeuses gambades à la sombre mélancolie du prisonnier volontaire de Plessis-lez-Tours.

Ces bergers et ces bergères dansaient au son de leurs hautbois, cornemuses et musettes.

Tous ces instruments se fabriquaient au bourg de Croutelle, déjà renommé par les travaux délicats — les finesses — de ses habiles tourneurs, et là peut-être, avait été inventé le contre aux deux tuyaux chambrés dans une unique tige de buis, qui remplaça l'antique flûte double à branches isolées, venue des Romains.

C'est de Croutelle que les étudiants de Poitiers tiraient au seizième siècle leurs flûtes et leurs sifflets.

Paul Contaut (1) nous apprend qu'on y faisait encore en 1628 des cornets à bouquin, hautsbois, cornemuses, chèvres-sourdes, flageols, piffres et flustes (2).

Depuis longtemps les hautbois entraient pour la majeure part dans les orchestres quand ils ne les composaient pas uniquement.

On les voit figurer au sacre de Louis XIV en juin 1654, dans les fêtes municipales de Toulouse comme dans la solennité des mairies à Poitiers et à Niort.

Le hautbois du Poitou, dont il est parlé maintes fois dans les anciens auteurs, était le plus souvent employé avec les cornemuses. On désignait sous ce nom de hautbois toute une série d'instruments ; cette famille, puisque telle est l'expression consacrée, a été figurée par le Père Mersenne dans son Harmonie universelle (1636). Le dessus chantait avec les cornemuses, et souvent le chalumeau de ces derniers instruments était fait avec un soprano et un ténor de hautbois du Poitou (Henri Lavoix).

Mais nous n'en avons pas fini avec la danse.

En 1565, Claude Gouffier, seigneur d'Oiron, donne à la cour, pendant le voyage de Charles IX à travers la France, le spectacle de nos divertissements agrestes, et le roi prend un tel plaisir aux branles du Poitou qu'il demeure trois jours au château de son grand écuyer.

Ce branle du Poitou jouissait d'une telle vogue qu'on le voit noté quelques années plus tard dans l'Orchésographie du Langrois Thoinot Arbeau (anagramme de Jean Tabourot), imprimée en 1588.

Cette passion des Poitevins pour la danse éveilla sans doute chez eux le sentiment musical. Un recueil rarissime intitulé : Airs de cour comprenans le trésor des trésors, la fleur des fleurs et eslite des chansons amoureuses extraictes des œuvres non encore cy-devant mises en lumière des plus fameux et renommez poètes de ce siècle, a été imprimé à Poitiers, par Pierre Brossardeu, 1607.

Ces recueils voyaient ordinairement le jour à Paris; la publication faite à Poitiers est l'indice certain d'un mouvement artistique dont la province offre alors peu d'exemples.

Et Michel Lambert, « qui plus est », naissait à Vivonne en 1610. Celui qui devait être dans la suite le beau-père du grand Lulli, n'était encore que simple enfant de chœur à la Sainte-Chapelle de Champigny-sur-Veude, lorsque Moulinié, maître de musique de Monsieur, l'entendit pour la première fois.

Sa voix était si belle qu'il voulut l'emmener à Paris, où il confia au chanteur de Niert le futur maître de chapelle du grand roi (3). Une petite part de son éducation musicale ne reviendrait-elle pas à nos humbles joueurs de musette du Poitou (4)?

Un grave magistrat Pierre Robert du Dorat, lieutenant général de la Basse-Marche, a laissé un gracieux tableau des divertissements champêtres en Poitou au commencement du dix-septième siècle. On nous permettra de n'en rien omettre.

 

DES CORNEMUSES ET HAUBOIS DU POITOU

« De grande ancienneté, on faisait état en France des haubois du Poitou.

« On lit dans Philippe de Commines, dans Bouchet et dans Pierre Mathieu que l'on fit venir de Poitou des bergers qui savaient jouer des haubois, cornemuses et musettes et chanter pour réjouir le roi pendant sa grande maladie mélancolique, desquels haubois tout le Limousin et la Basse-Marche ne manquent pas, car il n'y a point guère de paroisses qu'il n'y ait nombre de telles gens qui en savent très bien sonner, même les gavottes et branles du Poitou tant simples que doubles.

« C'est une chose admirable de voir de pauvres rustiques, qui ne savent point de musique, jouer néanmoins toutes sortes de branles à quatre parties, soit supérieur, la taille, haute contre et basse contre sur leurs cornemuses, musettes et haubois, à la Ionique, car tous les branles que l'on appelle du Poitou, non ceux de France, sont Ioniques ou Lidiens. C'est-à-dire du cinquième au septième ton que Platon au livre de ses Lois et Aristote en sa République, défend à la jeunesse parce qu'ils ont grande- force d'amollir les cœurs, de laquelle danse Ionique parle fort Lucian dans son traité de la danse, et Horace dit que les vierges romaines apprenaient de son temps les mouvements Ioniques.

« Ces musiciens font entre eux les quatre parties et sont si bien accordans avec leurs dits instruments que c'est chose fort belle et fort douce de les entendre et n'y rapportent d'autre artifice que la seule nature qui le leur enseigne, qui est une chose du tout a dmirable de voir tous ces pauvres villageois jouer ainsi toutes les sortes de pièces qu'on leur peut dire et les mettre sur les quatre parties fort bien et avec belle méthode et c'est que les plus versés en la musique ne sauraient guères mieux faire.

« D'autres jouent fort bien de la flûte allemande (5), du fifre, du flageolet, sifflet, chalumeau et telles autres gentillesses que les poètes grecs et latins ont décrites dans leurs bucoliques et pastoralles, de sorte que paravant toutes ces guerres, tributs, subsides et grandes tailles, des passages journaliers des gendarmes qui sont venus depuis l'an 1630 en çà (6), l'on ne voyait par les villes, bourgs et villages et sous les ormeaux, châtaigniers et cerisiers de la campagne que danses au son des cornemuses et hautsbois ou bien des chansons entre jeunes hommes et jeunes filles, les jours des dimanches et de fêtes.

« Le peuple desdits pays observe entre autres choses de danser au son des haubois et des cornemuses aux fêtes des saints de la paroisse, à savoir : la vigile de la saint Jean-Baptiste et la vigile de Noël que l'on fait aux églises champêtres et pendant l'offerte, le curé de la dite paroisse ou son vicaire, commence le premier à chanter le Noël qui dit :

Laissez paître vos bestes, pastoureaux,

Et par monts et par vaux,

puis tous les paroissiens chantent avec lui le reste du Noël. A la sortie de la messe de minuit tous les jeunes laboureurs, bergers, jeunes femmes et bergères, se mettent tous à danser le reste de la nuit au son des cornemuses et haubois jusqu'à la messe du point du jour, que s'il fait beau la dite nuit, que le tems soit serein et qu'il fasse lune, ils dansent devant l'église ou au cimetière selon que la commodité de la place est propre, que s'il fait mauvais temps et pluie, ils se retirent dans quelque grange prochaine et illec le curé leur fait fournir de la chandelle ainsi que j'ai vu pratiquer en mes jeunes années en l'église paroissiale de Dinsac, que de Saint-Sornin de la Marche, et autres.

« Les mêmes danses se pratiquent aussi la vigile de saint Jean-Baptiste, au mois de juin, autour du feu de joie que chaque village faisait, que s'il n'y avait pas de cornemuses et d'hautsbois, ils dansaient aux chansons dont les jeunes femmes et bergères sont fournies à foison.

« Comme au jour de la dédicace des églises paroissiales, les paysans tenaient leurs ballades avec grande joie FAISANT UN ROI, le festinant et dansant le reste du jour avec les femmes et filles du village. …

«…. Saint Augustin au sermon de la Tempérance et saint Cyprien (sermon 3), parle des banquets, ballets et des danses que faisaient les anciens chrétiens aux fêtes des saints devant les églises, si bien qu'il ne faut pas s'étonner si dans la Basse-Marche, dans le Limousin et dans le Poitou, de grande ancienneté l'on a la coutume de danser le jour des fêtes de la dédicace des églises au son des hautsbois et des cornemuses.

« En la solennité de la mairie de Poitiers qui se fait le quatorzième jour de juillet, l'on y voit grande quantité d'hautsbois de Poitou. Ces hautsbois sont employés ordinairement aux ballades du Limousin, la Marche et Poitou, aux mariages, aux frairies et confréries et en toutes réjouissances publiques (7). »

Nous ne voudrions pas multiplier les citations et cependant comment ne pas mentionner encore la Feste de village, petit poème d'un autre robin, Julien Colardeau, procureur du roi à Fontenay, publié en 1637 ?

Il y a de tout à cette fête, jusqu'à des marionnettes, et les divertissements chorégraphiques n'y sont point oubliés :

Cet autre danse les sonnettes

Voltigeant comme un papillon.

Voy-je pas sous ce pavillon

Un joueur de marionnettes.?

 

Un aveugle au bout de la table

Leur joue sur son violon

La gavote ou le pantalon

Ou quelque chanson délectable.

 

Comme on le voit, il n'est pas question de la courante de village, que la Saintonge a pourtant conservée jusqu'à nos jours, ni même du vieux branle du Poitou. Nous ignorons ce qu'étaient les sounettes et le pantalon.

La gavote, encore dansée sous le gouvernement de Juillet, et le passe-pied, dont il va être bientôt parlé, n'étaient que des dérivés du branle. On retrouve dans le passe-pied ces gracieux balancements du corps déjà indiqués dans le branle par l'Orchésographie de Toinot Arbeau en 1588 (8)

A voir comme chacun se serre Fixe en un point également, Il semble que leur mouvement Vient non pas d'eux mais de la terre.

Les demoiselles des bourgades Viennent au son des chalumeaux Et sous un palais de rameaux Se plaisent à voir leurs gambades.

Cet attrait pour nos jolies danses n'a rien pour nous étonner. Le branle du Poitou avait été importé à la cour, il y fut sous Louis XIV le prototype du menuet, que l'on dansait encore au commencement du dix-neuvième siècle, désigné à l'origine sous le nom de menuet poitevin.

A la fin du règne du grand roi, les Poitevins n'avaient point dérogé : ce sont eux qui représentent la France dans le ballet des nations, divertissement donné à la suite du Bourgeois gentilhomme de Molière, dont la première représentation eut lieu à Chambord devant Louis XIV, en 1670.

Boulainvilliers, dans son État de la France, dédié au Dauphin père de Louis XV, mort en 1712, parle encore du grand talent des bergères du Poitou pour la danse et le chant. « On connaît, dit-il, leur réputation à cet égard. »

Il est un touchant souvenir à rappeler à la fin de cette causerie.

Éléonore d'Olbreuse, cette Maintenon protestante du Poitou, avait, nous dit un de ses panégyristes « une forte passion pour la danse et y réussissait admirablement bien, de sorte qu'aucune fille de qualité ne pouvait mieux danser qu'elle faisoit ; surtout elle divertissoit souvent la Princesse et la compagnie par ses danses poitevines et champêtres apprises dès sa tendre jeunesse. »

On sait que la future duchesse de Brunswick-Zell, tout d'abord dame d'honneur de Marie de La Tour, avait été donnée par la duchesse de Thouars à Amélie de Hesse, princesse de Tarente, sa bru, épouse d'Henri de La Trémoille. C'est la princesse dont il est ici parlé.

Éléonore accompagnait alors sa nouvelle maîtresse en Hollande, elle y fut la plus brillante étoile des fêtes de Bréda suivies par le galant duc Georges Guillaume. Le prince, épris cette fois d'une  passion durable, n'hésita pas dans la suite à épouser solennellement la pauvre et sage suivante. Le portrait si heureusement retrouvé suffirait à excuser cette prétendue mésalliance.

Mlle d'Olbreuse cependant ne charmait pas moins par sa conversation vive et spirituelle que par sa beauté, et tout cela ne se rehaussait-il pas encore de la grâce avec laquelle elle dansait le menuet poitevin ?

LÉO DESAIVRE.

La tradition en Poitou et en Charentes : art populaire, ethnographie, folklore, hagiographie, histoire

 

==> Sur la Terre de nos ancêtres du Poitou - Aquitania (LES GRANDES DATES DE L'HISTOIRE DU POITOU )

 

(1). Œuvres de Jacques et Paul Contaut, commentaire sur Dioscoride, chap. CLXXVII du Bouys (Buis). — Poitiers, 1626.

(2). Les « flageoles, piboles, chalumeas et chevries » guidant les pas des bergers qui dansent au son de cette musique rustique, « la couroute de village » sont déjà cités dans un noël gaillard poitevin sans date, mais antérieur à Henri II.

(3). Tallemant des Réaux.

(4). Il est regrettable qu'aucun effort n'ait été fait pour nous rendre tout au moins quelques fragments de la musique religieuse de Michel Lambert.

(5). Ou flûte traversière.

(6). C'est-à-dire vers 1650. Les mouvements de troupes n'ont dû finir qu'après la fin de la Fronde, en 1653.

 (7). Mémoire manuscrit de Robert du Dorat dans la collection Dom Fonteneau, bibliothèque de Poitiers.

(8). Nous nous demandons depuis longtemps s'il ne serait pas possible d'exécuter aujourd'hui le branle poitevin d'après la notation de Jehan Tabourot ?

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