Description d’Armes et d’Objets divers trouvés dans la Sèvre NIORTAISE en amont de Coulon
Les travaux de canalisation exécutés dans la Sèvre Niortaise, en amont de Coulon, ont mis au jour une assez grande quantité d’armes et d’ustensiles de différentes époques, qui, pour la plupart sont dans un état de conservation aussi parfait qu’on peut le désirer. Grâce à la bienveillance de l’administration des ponts et chaussées, et aux soins de M. Texier entrepreneur des travaux, nous avons pu tout recueillir, et tout examiner.
Je n’entreprendrai pas de déterminer exactement l’âge de chaque chose ; il serait souvent difficile, même à l’archéologue le plus expert en pareilles matières, de fixer une date qui ne put donner lieu à la discussion. Le but que je me propose est de décrire tout ce qui à été trouvé, en faisant connaitre, autant qu’il m’est possible, les diverses périodes dans lesquelles on peut grouper un certain nombre d’objets. Des dessins, mieux que toute description, en feront comprendre la forme au lecteur, qui pourra juger lui-même, et se prononcer sur ce qui fait pour nous le sujet de quelque doute.
Le premier objet qui ait été rencontré, et aussi l’un des plus anciens, est une pirogue ; nous n’hésitons pas à lui donner une origine celtique. Elle se trouvait au milieu de la rivière actuelle, enfouie dans la vase, à environ un kilomètre de Coulon ; elle était à peu près intacte, creusée dans u seul tronc de chêne, et avait 10 mètres de longueur. Malheureusement le bruit de cette découverte se répandit avec trop de rapidité ; de curieux vinrent la voir, chacun en détacha un fragment pour s’assurer de l’essence du bois, de son était de conservation, et avant que des précautions eussent été prises pour l’enlever et la mettre en lieu de sureté, elle était réduite en morceaux. Le fond seul restait en place, et on pouvait encore juger de sa forme et de sa grandeur.
Cette découverte devenue inutile, ne pouvait que laisser des regrets aux personnes désireuses d’avoir sous les yeux un spécimen d’embarcation Gauloise, lorsque le hasard voulut que, quelques jours plus tard, une pirogue semblable fut rencontrée à 500 mètres environ en amont de la première ; celle-là était engagée dans l’un des talus de la Sèvre, et occupait une position particulière, dont nous aurons occasion de parler plus loin. Elle a été enlevée avec soin, et transportée à peu près entière au musée de Niort, ou nous avons pu l’examiner, et en prendre les dimensions.
Cette seconde pirogue (PL.II.F.III) est comme la première, creusée dans un seul tronc de chêne, mais elle n’a que 5m40 de long ; l’une des extrémités a 0m42 de large, et l’autre 0m35 ; au milieu la largeur est de 0m65, les bords ont 0m20 de hauteur, et leur épaisseur est de 0m05. A des distances inégales de chacune des extrémités, à 1m au bout le plus large, et 1m40 à l’autre bout, se trouvent deux cloisons ménagées dans le même tronc d’arbre, et divisant l’embarcation en trois parties. Quel était le but de ces cloisons ? Etait-ce pour conserver aux rameurs des places libres, lorsque la partie comprise entre les deux traverses était encombrée par le produit de la pêche ; ou n’était-ce que pour donner plus de solidité aux bords de la pirogue ?.
On peut aussi se demander comment étaient dirigées ces embarcations, et où se plaçaient les rameurs. On ne voit aucune trace de la fourche destinée à supporter la rame ; fut-elle très grossière, il eut fallu la fixer aux bords du bateau, et on en verrait l’emplacement. On peut donc en conclure qu’ils se servaient, non pas de rames aussi longues que celles employées aujourd’hui , mais de pagaies, plus grandes peut-être que les pelles des marais de la Sèvre, et pouvant servir de pigouilles dans les bas-fonds. Les conducteurs se plaçaient indifféremment dans un endroit ou l’autre de l’embarcation, le plus ordinairement aux extrémités, ou ils se tenaient debout ou assis, lorsque le milieu du bateau était occupé par un chargement quelconque. Aujourd’hui encore sur certains fleuves de l’Amérique, des pirogues semblables à celle-ci, sont conduites par deux rameurs, l’un à l’avant, l’autre à l’arrière.
L’un des bords de notre pirogue, brisé par un choc probablement, a été réparé, et une planche y a été adaptée à l’aide de clous en fer (PL. I. n°5) ; ils ont 0m06 de longueur et sont quadrangulaire ; la tête ronde, large de 0m023, est très aplatie. Ces clous sont très réguliers, et prouvent qu’à l’époque où ils ont été fabriqués on savait parfaitement travailler le fer. Le fait que je viens de signaler peut avoir son importance pour ceux qui croient que l’usage du fer a été apporté par les Romains, car alors la pirogue serait postérieure à l’occupation Romaine ; si elle est antérieure, comme je le pense, l’art de travailler le fer était connu avant les Romains, ce qui ne me parait pas douteux.
C’est près de la seconde pirogue qu’on a rencontré les objets les plus anciens, et appartenant à l’époque gauloise :
PL. I, n°1. Bois de cerf taillé en forme de poinçon ; à la partie supérieure se trouve un trou dans lequel on pouvait passer une lanière destinée à suspendre cet outil ; longueur, 0m14.
N°2. Autre poinçon fait avec un os, un cubitus de cheval ; longueur, 0m13.
N°3. Bracelet en bronze parfaitement conservé.
N°4. Poignard en fer, très mince et ployé en divers endroits ; la pointe est retournée et prouve la mauvaise qualité de cette arme ; soie très petite ; longueur de la lame, 0m11.
Ces quelques objets ont été rencontrés isolément ; mais un peu plus en amont se trouve l’endroit où l’on a fait le plus riche butin. C’est un ancien gué, qui devait se trouver sur le trajet d’une voie romaine fort peu connue et à peine étudiée par M. Lary qui s’exprime ainsi (1) :
« Il existe également une antique voie venant du midi, traversant les communes de Marsais, d’Usseau, d’Epannes, et paraissant se diriger vers un passage de la Sèvre qui porte encore aujourd’hui le nom de gué, ou l’on remarque encore au fond de la rivière un pavé solidement établi (2). Au nord de ce passage, il en existe un second sur l’autre bras de la Sèvre, à 2 kilomètres environ au-dessus de Coulon, ou la voie devait aboutir, après avoir traversé l’ile de Magné. »
C’est en retirant du lit de la rivière les pierres qui formaient le deuxième gué dont parle M. Lary, qu’on a rencontré ce qui nous reste à décrire.
PL. I, n°6. Couteau semblable à ceux qui servaient aux sacrifices ; longueur, 0m20, douille assez forte (3).
N°7. Instrument d’agriculture ou de campement, ayant la forme de la serpe actuelle, douille très allongée ; longueur total, 0m30.
N°8 et 9. Deux fibules en bronze parfaitement conservées, représentées demi grandeur naturelle.
N°10, 11, 12, 13, 14. Agrafes en bronze de diverses formes et diverses dimensions, représentées au tiers de grandeur naturelle.
L’importance de ce passage, pendant la période gallo-romaine, est aussi prouvée par des monnaies en bronze et en argent ; la plus récente est à l’effigie de Trajan. Il y en avait une douzaine environ, parmi lesquelles on peut citer :
1° Denier d’argent de M. Antoine et Octave.
M. ANT. IMP. AVG. III. VIR. R. P. C. M. BARRAT. Q. P.
Tête nue de M. Antoine à droite.
R CAESAR. IMP. PONT. III. VIR. R. P. C.
Tête nue d’Octave à droite. (Cohen).
2° Moyen bronze d’Auguste ; au revers, l’autel de Lyon, avec le nom de Tibère en surfrappe.
2° Moyen bronze d’Agrippa.
M. AGRIPPA. L. F. COS. III.
Tête à gauche avec la couronne rostrale.
R S. C. Neptune debout tenant un dauphin et un trident. (Cohen).
4° Moyen bronze de Néron.
IMP. NERO. CAESAR. AVG. P. MAX. TR. P. PP.
Tête nue à droite.
R S. C. Victoire tenant un bouclier, sur lequel on lit : S. P. Q. R. (Cohen).
5° Moyen bronze de Domitien, au revers la fortune.
6° Moyen bronze de Trajan (104-110 de J.C). (Cohen).
IMP. CAES. NERVAE TRAIANO AVG. GER. DAC. P. M. TR. P.
COS. V. P. P.
Buste lauré à droite.
R S. P. Q. R. OPTIMO PRINCIPI S. C.
Dace assis devant un trophée.
On peut encore signaler la présence d’une très grande quantité de débris d’amphore et de vases de différentes formes, avec quelques fragments de poteries rouges et noires.
Tous les autres objets sont antérieurs au Xe siècle, ce qui peut faire supposer que ce passage a été abandonné vers cette époque.
PL. I, n°15. Soc de charrue triangulaire, analogues à celui dont se servaient les romains : dans certaines contrées la charrue a conservé cette forme ; longueurs du soc, 0m20.
N° 16. Fer de lance avec douille très allongée, dans laquelle se trouvaient encore des fragments du bois ; arête médiane peu saillante : longueur, 0m28.
N° 17. Fer de lance quadrangulaire, très effilé, avec douille ; longueur, 0m21, largeur, 0m01.
N° 18. Fer de lance semblable au précédent ; longueur, 0m30.
N° 19. Fer de lance avec douille assez large, le fer est aplati vers la pointe qui devait être peu aigue ; longueur, 0m17.
N° 20. Fer de flèche, arête peu saillante, avec douille ; longueur, 0m08.
N° 21. Fer de lance avec douille, arête médiane peu saillante ; longueur, 0m19, largeur du fer, 0m35.
N° 22. Fer de lance à peu près semblable au précédent.
N° 23. Fer à cheval assez large, et très usé ; trois clous de chaque côté, engagés dans une rainure semblable à celle qu’on retrouve aujourd’hui sur certains fers anglais.
N° 24. Fer à cheval peu large, avec les branches assez étroites. Des boursouflures faites avec intention sans doute, se trouvent en face des étampures qui sont allongées, et permettent à la tête du clou de s’y engager en partie. Un des clous était encore attaché au fer (4).
N° 25, 26, 27. Clous de différentes formes.
N° 28. Instrument en fer d’usage inconnu.
N° 29. Couteau très aigu, lame droite ; les rivets destinés à fixer le manche sont restés dans la soie, à l’extrémité de laquelle un trou devait être destiné à recevoir une lanière. Longueur : 0m30.
N° 30. Couteau dont la pointe a été brisée. Longueur approximative : 0m14.
N° 31. Grand couteau, appelé scramasaxe, longueur : 0m42 ; largeur : 0m06 ; soie large et plate ; d’un côté une gorge d’évidement, deux de l’autre côté.
N° 34. Petit couteau semblable au précédent ; les gorges d’évidement se prolongent moins loin sur la lame. Longueur : 0m18.
N° 32, 35 et 36. Couteaux à peu près semblables, sans gorge d’évidement.
N° 33. Couteau assez long ; la pointe est légèrement relevée, et la soie est séparée de la lame par une partie saillante. Longueur : 0m36.
N° 37. Petit couteau, manche rond en bronze. Longueur : 0m11.
PL. II. F. I. Bracelet en bronze, très mince ; longueur : 0m18 ; largeur : 0m006 ; brisé en deux morceaux. Il est couvert d’ornements formés de circonférences concentriques, au milieu desquelles se trouve en relief un dessin qu’il est impossible de déterminer. Quel que soit ce dessin, on peut attribuer ce bracelet à l’époque mérovingienne.
Il nous reste à parler d’un pilotis (PL. II. F. II) rencontré à 50 mètres en aval du gué. Il se compose d’une rangée de pieux (P) distants les uns les autres de 3 mètres, traversant obliquement la rivière actuelle, et d’un triangle, dont nous avons étudié la disposition avec le plus de soin possible. La largeur du fond de rivière, LM, après les travaux de canalisation, est de 10 mètres. L’un d »es côtés de ce triangle DC long de 4m40, est sensiblement parallèle au bord de la rivière ; la longueur des autres côtés est : AB, 4m60, et FE, 4m20. La rivière devait s’étendre plus loin sur la rive gauche, et l’angle COB devait être opposé au courant ; une preuve est la pirogue N qui se trouvait engagée dans le talus. L’âge de cette pirogue ne peut être changé par sa présence près du pilotis, et rien ne prouve que ce pilotis ne lui soit postérieur. Il a pu être construit sans la rencontrer ; car en prolongeant sur la rive gauche la ligne de pieux P, on remarque que le pieu P’, à 3 mètres du précédent, n’a pas dû y toucher. Le triangle était maintenu par les pieux H à l’extérieur, et I à l’intérieur ; il devait s’en trouver un autre en p.
Des fouilles ont été pratiquées autour du triangle, il reposait sur de grosses pierres, l’intérieur était aussi rempli de pierres. Les bois étaient encastrés les uns dans les autres, et de telle sorte, que le côté AB qui se trouvait dessus au point K, passait dessous au point O. il y avait encore 3 morceaux de bois superposés ; leur largeur était de 0m15, et leur hauteur de 0m20. Sur le côté AB, on remarque, en R, deux entrailles ou se trouvaient peut-être des traverses destinées à consolider le triangle.
Quand a pu être construit ce triangle ? il serait difficile, je crois, de donner une date même approximative.
Etait-ce un pont ? la tradition qui en place un au gué de Malvault, pourrait faire croire à cette opinion ; mais on trouve un pilotis semblable à 50 mètres en amont, immédiatement au-dessous du gué, et un pont ne devait pas avoir 50 mètres de large, à moins qu’il y en ait deux, ce qui n’est pas admissible.
Etait-ce une écluse ? des travaux de ce genre n’ont guère été pratiqués sur la Sèvre avant le XVIIe siècle, et celle-ci n’a pas été signalée.
On pourrait encore croire à l’existence d’un moulin, mais je me contente de constater aussi exactement que possible, la disposition de ce travail, et de le livrer à l’étude de personnes plus compétentes.
E. Roy
==> Gaule - Cartes Voies Romaines
==> Antiquité d'Ardin sur la Voie Romaine de Saintes à Angers
(1). Revue littéraire de l’Ouest (1839-1840).
(2). Gué de Malvault.
(3). Quelques-uns de ces ustensiles ont été décrits dans Poitou et Vendée, par M. B. Fillon, auquel je dois d’utiles renseignements sur les objets qui font le sujet de notre découverte.
(4). Un fer semblable a été trouvé à Yébleron (Seine-Inférieure). Le tombeau de Childéric par M. l’abbé Cochet.