Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
PHystorique- Les Portes du Temps
TRADUCTION
Derniers commentaires
16 novembre 2024

MOLIÈRE EN AQUITAINE - Carcassonne

M. Bazin, l'historien de Louis XIII, l'un des biographes les mieux renseignés sur Molière, disait qu'il était impossible de se rendre compte de l'existence nomade de l'illustre comédien, de 1646 à 1653; et que, de l653 à 1655, on ne pouvait le saisir qu'à de très-rares intervalles.

Un chercheur infatigable des plus érudits, M. Emmanuel Ray­mond, a entrepris de résoudre ce problème, en ce qui concerne le Midi de la France, et trace ainsi l'itinéraire de Molière à travers la Guyenne, l'Agezais et dans le Languedoc :

Au mois de janvier 1649, Molière commençait à donner des re­présentations à Bordeaux, où il avait été attiré par le duc d'Epernon, gouverneur de la Guyenne.

Les troubles de la Fronde, qui éclatè­rent alors dans cette province, obligèrent le duc d'Epernon à quitter Bordeaux précipitamment, départ qui entraîna aussi celui de Molière et de sa troupe.

Le 5 mai 1649, M. E. Raymond retrouve Molière à Toulouse qui, pour se rendre en cette ville, avait dû nécessairement traverser la Guyenne et l'Agenais.

L'illustre comédien fut chargé par les Capitouls de rehausser l'éclat des fêtes données alors au comte du Roure; commandant militaire du Languedoc, par une représentation spéciale qui eut 1ieu dans le Capitole.

Le 17 décembre 1649, M. Emmanuel Raymond constate, par preuves authentiques, la présence de Molière à Narbonne, oû il donna des représentations avec sa troupe jusqu'à la fin de jan­vier 1650.

De là, Molière se porte dans le comtat Venaissin, le Lyonnais, le Dauphiné et le Forès, où M. Raymond cesse de le poursuivre, car il n'est plus dans son domaine.

Quatre ans après, Molière reparait en Languedoc, et se trouve à Montpellier lors de la tenue des Etats de 1654. Dans celte ville, il joue plusieurs fois et crée le ballet des Incompatibles, composition bizarre où figurèrent les principaux personnages des Etats, avec le personnel de la troupe ; c'étaient : les marquis de Bellefont, de Vil­lars, de Cenaple, de Laverdin, de Rebé; le comte de Merinville ; le vicomte de Larboust , les barons de Florac, de Gange, de Fabrègue, de Villeneuve, de Fourques, etc.

Après la session des Etats, Molière donna des représentations dans les petites villes voisines de Montpellier ; et, vers la fin de 1655, il se rondit à Pézénas, où furent tenus les Etats de celle année, sous la présidence du prince de Conti.

Là, du 17 dé­cembre 1655 à la fin de février 1656, il ne cessa de donner des re­présentations dans l'hôtel même où logeait le Prince.

Après avoir exploité quelques villes environnantes, Molière se trouvait à Narbonne, le 17 mai 1656, où il accomplissait, devant un officier public, la cession d'un titre de 5,000 livres, dont  le prince de Conti l'avait gratifié pour ses représentations. Après avoir terminé celte affaire, Molière se mit en route pour Bordeaux.

En juin 1656, poursuivant sa destination, Molière se trouvait à Carcassonne et dut se rendre en visite (1) au château de Pennautier, qui est aux portes de cette ville.

 

Il s'arrête ensuite à Castelnau­dary, passe à Toulouse et fut rendu à Bordeaux dans le mois d'août où il représenta sans succès une tragédie de sa composition, la Thébaïde, pièce dont le Président de Montesquieu a rendu compte.

Après les représentations de Bordeaux, Molière rebroussa che­min; il traversa de nouveau la Guyenne et l'Agenais, et le 17 no­vembre 1656 il assistait à Béziers à l'ouverture des Etats.

C'est dans cette ville qu'il donna la première représentation du Dépit amou­reux, ouvrage qui fut suivi de plusieurs autres pièces. La troupe tic Molière séjourna à Béziers jusqu'au 16 avril 1657, époque où les comédiens nomades se dirigèrent vers le nord pour se fixer définitivement à Paris.

D'après cet itinéraire, qui est on ne peut plus rigoureusement exact, il est bien évident que Molière traversa trois fois la Guyenne et l'Agenais : une fois, en 1649, deux fois, en 1656 ; que dans ces trois parcours il était accompagné de sa troupe; que pour l'entretenir et subvenir aux frais de voyage, il n'avait d'autres res­sources que le produit des représentations qu'il donnait dans les villes où il passait; qu'il lui était impossible, avec les moyens de transport défectueux qui existaient alors, de franchir d'une seule· traite la distance qui sépare Bordeaux de Toulouse; que, dès lors, rencontrant sur son passage des villes riches et populeuses, telles que: Langon, La Réole, Marmande, Tonneins, Agen, Mois­sac, Castelsarrazin , Montauban, villes encadrées par un grand nombre de résidences seigneuriales habitées par des familles opulentes, il n'ait pas eu l'occasion de donner des représentations dans ces villes, ou de faire des visites dans les châteaux avoisinants.

Ce n'est pas possible. Molière, incontestablement, a dû donner des re­présentations dans les différentes villes de la Guyenne et de l'Agenais qu'il a traversées, et n'a pas manqué d'être appelé en visite dans quelques-uns de ces splendides châteaux où tous les genres de luxe étaient évidemment recherchés.

Et cependant, nous ne savons rien de ces représentations ! Nul chroniqueur n'a pris la peine de nous en révéler les particularités, de nous dire où elles furent données, et quelles sensations elles produisirent; nul paléographe n'a essayé de compulser les archi­ves locales, les livres de mémoire ordinairement tenus dans les châteaux, où nous aurions pu saisir le mouvement d'intérêt et de curiosité qu'excita le passage de Molière clans nos contrées.

Il est peut-être temps encore de réparer cette indifférence ou cet oubli , et la REVUE D'AQUITAINE, heureuse de prendre l'initiative en un tel sujet, vient aujourd'hui, avec confiance, faire appel aux hommes studieux qui aiment et leur pays et les gloires qui l'ont il lustré; elle les sollicite donc de vouloir bien concourir par leurs efforts et leurs recherches à combler la fâcheuse lacune qui existe encore dans l'histoire des pérégrinations et du séjour de Molière dans le Sud-Ouest de la France.

Les moindres communications que l'on voudra bien nous adresser à ce sujet, seront immédiatement publiées dans la REVUE D'AQUITAINE, avec le nom des auteurs, à moins d'intention contraire.  

Mais, nous dira-t-on, comment procéder aux investigations que vous nous proposez, et quels sont les jalons à suivre?

Voici les procédés employés par M. Emmanuel Raymond; ils seront maintenant d'autant plus faciles à mettre en pratique, que nous savons pertinemment l'époque où Molière s'est montré dans la Guyenne et l'Agenais : de janvier à mai 1649,  et de juin à no­vembre 1656. ·

Qu'y a-t-il donc à faire?

Examiner, d'abord, si dans les livres de police où sont mention­nés les permis de séjour accordés aux comédiens, bateleurs, pèle­rins, saltimbanques, il en a été délivré sous les noms suivants : Molière, - Jean-Baptiste Poquelin, - Jacques ou Madeleine Béjart, - Charles Dufresne; car c'est sous ces divers noms que la troupe de Molière demanda des permissions de jouer dans les dif­férentes villes où elle passa; à Nantes, par exemple.

Rechercher ensuite si dans les livres des dépenses municipales, aucune somme n'a été accordée à des comédiens pour représentation extraordinaire, ainsi que l'a constaté M. Raymond, à Toulouse, où les Capitouls, en 1649, accordèrent 75 fr à Ch. Dufresne, associé de Molière, pour une représentation.

Les annales municipales, résumant les faits principaux dont chaque ville a été le théâtre, peuvent aussi être consultées avec fruit. Dans les anciennes auberges, réputées pour avoir été le lieu des exhibitions de tout genre, on pourrait aussi saisir quelques traces du passage de nos comédiens.

 A Toulouse, l'auberge de l'Écu, rue du Poids-de-I'Huile ; à Narbonne, l'auberge des Trois-Nourrices, fossés Saint-Paul, leur ont donné asile.

Une autre source d'indication peut exister dans les livres de re­cettes des maisons hospitalières, parce que les chefs des villes étaient parfois dans l'habitude d'imposer aux comédiens de passage une ou plusieurs représentations au profit des pauvres ou des hospices.

C'est à l'aide de mentions de ce genre trouvées dans les archives des hô­pitaux de Narbonne et de Lyon que l'on a pu constater le passage et le séjour de Molière clans ces deux villes.

 Pour les visites faites clans les châteaux, on peut consulter les livres de raison ou les mémorials que tenaient les châtelains et dans lesquels ils consignaient les faits les plus curieux ou les plus impor­tants accomplis clans leurs manoirs.

En l'absence d'annotations, un nom, une qualification restés à telle pièce du château, peuvent en­core servir d'indication : Chambre des comédiens, - Salon de la comédie, - du ballet, etc.

Quelquefois même le nom de la pièce jouée est resté au salon ou à la salle où elle fut représentée : et ce nom peut aussi appartenir à la localité, car il ne faut pas perdre de vue que Molière et sa troupe, à cette époque, jouaient à l'improvi­sade, et qu'avec la plus grande prestesse ils exécutaient des pièces de circonstance.

Voici encore un autre repère :

Dans la troupe de Molière se trouvaient deux hérauts-d'armes amateurs, émules des d'Hozier et des Le Menestrier, qui allant et venant, redressaient à tout propos des arbres généalogiques fautifs, complétaient les pièces manquant aux écus, ou relevaient des émaux ternis; grâce à leur science héraldique, ils pénétraient auprès des plus nobles familles et avaient ainsi l'occasion d’y introduire la troupe. Ces deux héraldistes étaient: Jacques Béjard et Tristan Lhermite, sieur de Vauzelle.

 Ces deux compagnons de Molière ont publié, durant leur séjour dans le Midi, l'armorial de tous les barons, comtes, évêques, abbés, prélats ayant séance aux Etats généraux du Languedoc; bien mieux, ils ont dressé et publié sans la moindre lacune l'armorial complet de tous les archevêques qui, depuis le IIIe siècle jusqu'au XVIIe, se sont succédé sur le siège de Narbonne.

 C'est à l'aide de ces habiles généalogistes que la troupe de Molière s'attirait les bonnes grâces de la noblesse, et qu'en 1656 elle obtint des Etats généraux, réunis à Béziers, une gratification de 500 fr.

En Guyenne, en Gascogne, dans l'Agenais, patrie de tant de familles illustres, Jacques Béjard et Tristan Lhermite durent se livrer, leurs études favorites et, par suite, se mettre en rapport. avec des personnes de distinction de ces différentes contrées.

Si donc on trouve dans les archives d'un château des armoiries ou des gé­néalogies signées des noms de Jacques Béjard ou de Tristan Lher­mite, on peut être certain que la troupe de Molière n'est pas loin!

Maintenant, nous dira-t-on, quel intérêt y a·t-il pour une ville, pour le propriétaire d'un château, pour Molière lui-même, pour l'art enfin, de savoir par le menu où l'illustre bohème aura passé sein temps, de 1649 â 1657 ?

Pour ce qui est de l'intérêt indirect, relatif aux villes ou aux résidences seigneuriales, nous ne pensons pas qu'il y ait en France, une seule ville, un seul château qui ne s'énorgueillit d'avoir donné l'hospitalité à Molière?

Et personne, nous le croyons du moins, ne blâmera la réflexion que faisait, au mois d'avril dernier, le Journal de Toulouse, en annonçant la découverte de M. Emmanuel Ray­mond; «  ainsi point d'incertitude; le Capitole compte une illustration de plus, car aujourd'hui il est bien certain que notre Hôtel-de-Ville donna l'hospitalité à Molière, et que dans son enceinte furent dressés, en 1649, les tréteaux de l'incomparable comédien. !  

Le château Lagrange, ou Molière et sa troupe furent hébergés pendant les représentations de Pézénas, en1655, attire autant l'in­térêt et la curiosité du voyageur lettré, que le fauteuil du perru­quier Gély, où Molière, en se jouant, ébaucha tant de scènes charmantes.

Quant à l'intérêt de l'art, il est des plus grands !

Molière est un peintre-philosophe-réaliste par excellence! car tous les caractères qu'il a introduits sur la scène ont existé dans la vie réelle. Or, mieux. on connaîtra les lieux où son existence vagabonde s'est écoulée, et plus sûrement on parviendra à découvrit les ori­gines de toutes ses créations; et mieux on connaitra les person­nes avec lesquelles il fut en contact, et mieux aussi on pourra apprécier la justesse ou la vérité de ses portraits.

Avant d'atteindre l'apogée de sa gloire, Molière pratiqua la vie dans tous ses détours, dans tous ses passages obscurs et difficiles, souvent même en proie aux plus dures nécessités. Or, c'est en vivant qu'on apprend la vie, c'est en voyant qu'on apprend à peindre, et c'est en souffrant qu'on apprend à penser. Aussi, grâces aux différentes positions où il s'est trouvé a-t-il pu, mieux que personne, étendre son investigation philosophique sur la société tout entière, sans se laisser intimider par les situations les plus élevées, sans dédaigner les positions les plus humbles.

A la cour il fronda l'immoralité des grands seigneurs et l'arrogante va­nité des marquis; 1a ville lui livra ses précieuses, ses avares, ses hypocrites, ses jaloux, ses pères quinteux, ses vieillards égoïstes, ses médecins burlesques, et aussi ses bourgeois parvenus, avides de singer le grand monde et le bel air.

A la province, Molière em­prunta les petites manies de ses habitants, leurs tracasseries intestines, leurs étroits calculs, leur ignorance, leurs préjugés el leurs faux jugements ; c'est ce qui nous a valu M. de Pourceaugnac, les Thibaudier, les Sottenville, les Harpin et Mme la comtesse d'Escar­bagnas , titre réel composé du nom de deux fiers qui existent en­core aujourd'hui : Escars, dans la Creuse, et Bagnas, dans l'Hé­rault. Descendant ensuite plus bas, Molière recueillit, loin des villes, ces types vulgaires qui, mis en opposition avec des natures d'un ordre plus élevé, se font ressortir réciproquement. Ainsi, dans le Dépit amoureux, la brouillerie et la réconciliation entre Marinette et Gros-René, où sont peints, dans la simplicité villageoise, les mou­vements de dépit et les retours de tendresse, donnent aux mêmes scènes, entre Eraste et Lucile, un cachet de distinction qui aurait moins de relief sans cette juxtaposition. Dans l’Ecole des Femmes, la niaiserie grotesque d'Alain et de Georgette ajoute un vernis char­mant à l'innocente candeur d'Agnès; enfin, l'amour simple et sincère de Pierrot pour sa Charlotte, met mieux en évidence le libertinage effronté de Don Juan.

Il est incontestable que c'est dans ses voyages à travers la pro­vince que Molière a recueilli ces naïves peintures, qui, sans manquer de grâce et de finesse, ont, comme les bambochades de Téniers ou de Van-Ostade, le mérite du coloris, de l'entrain et de la vérité !

 C'est donc à nous, qu'il gratifia de ses premiers essais, à rechercher minutieusement les lieux où il préluda à la composition des mer­veilles qu'il produisit plus tard sur les scènes de la capitale; c'est à  nous à concourir à l'achèvement des études sur Molière, que tant de beaux esprits poursuivent avec ardeur depuis· deux siècles, études qui sont loin encore d'être terminées; c'est à nous enfin qu'il ap­partient, faute de mieux, de recueillir les pièces qui doivent éclairer ces précieux débats t

C'est donc pour atteindre ce but que nous faisons aujourd'hui cet appel à nos lecteurs; ainsi qu'à tous ceux qui s'intéressent à la gloire des lettres et des arts en France!

Léon Desretz, Revue d'Aquitaine : journal historique de Guienne, Gascogne, Béarn, Navarre.

 

 

Molière à Carcassonne

M. Auguste Baluffe a publié dans le Ménestrel (2) une fort intéressante étude dans laquelle il raconte par quel concours de circonstances Molière fui amené, dans l'hiver de 1651-52, à donner à Carcassonne avec sa troupe, une série de représentations théâtrales.

 

Et d’abord, si Molière vint dans notre ville ce ne fut point, comme on pourrait le croire, par suite du hasard de ses pérégrinations. Il s’y rendit pour plusieurs raisons.

 En premier lieu les Etats de Languedoc devaient s’y tenir.

Ils y furent tenus, en effet, du 31 Juillet 1651 au 10 Janvier 1652. Cette assemblée attirait de très grands personnages. Elle y attira, cette année- là, le comte d’Aubijoux, gouverneur de Montpellier, et lieutenant-général en Languedoc.

 

 

 

 

Le comte d’Aubijoux, par la nature de ses fonctions, représentait le Roi (3), et il était de tradition parmi ceux [auquel cet honneur était échu, de faire royalement figure devant les Etats. « Ils ne regardaient pas à la dépense. Et c’était à qui éclipserait ses rivaux passés et futurs par un plus grand déploiement de luxe, par une plus brillante série de fêtes, de festins, de spectacles et de concerts.

Le comte d’Aubijoux, dernier descendant de l’illustre maison d’Amboise, mondain élégant, et qui, disait-on, avait été l’un des premiers amants de la belle Ninon, n’était pas homme à se laisser distancer sur le terrain des plaisirs en tous genres.

Certes, les Etats se réunissaient pour s’occuper d’affaires, mais il s’agissait aussi pour eux de s’amuser. Et c’était là la grande affaire de d’Aubijoux. »

Or d’Aubijoux était un des plus vieux amis de Molière, un de ses plus anciens protecteurs ; c'était pour lui que Molière avait joué pour la première fois en Languedoc (en 1647).

Quelle distraction plus prisée pouvait- on offrir à Messieurs de Languedoc qu’une série de représentations données par Molière et sa troupe ?

Notez que cette année-là le Parlement de Toulouse, pour faire régler un conflit d’attributions, avait adressé aux Etats une délégation de marque : le premier, président de Montrabe (un des plus grands seigneurs de Toulouse et ami de Goudelin), le président de la Terrasse, les conseillers Papus, Caumels, Fermât (l’émule et l’ami de Pascal, dit Cousin), Frézals (qui fit voler par les capitouls une pension d’honneur à Goudelin), Laffont du Terreil le président aux requêtes.

Tous étaient gens distingués ; plusieurs sont restés célèbres, el tous, amis de Molière, partisans de sa doctrine théâtrale, aimaient le théâtre ailleurs que dans les livres.

En outre, la société élégante et choisie qui, en de telles occurrences, se donnait rendez-vous à Carcassonne méritait aussi l’honneur d’avoir Molière. « Si la Ville n’était pas grande, de vrais amis de spectacles elle était vite pleine.

« On a pu en avoir une idée approximative par le Voyage de Chapelle el Bachaumont fait en 1656 et qui, à quatre ans de distance, n’a pu nous donner que des impressions synchroniquement identiques et exactes...

 La banlieue de Carcassonne, alors très aristocratiquement habitée, pouvait à elle seule composer un public d’élite et peupler une salle de spectacle, même plus vaste que les locaux dont on disposait d’ordinaire (4). M. de Baisant, l'ami de Chapelle, qui ne l’oublie pas dans son Voyage, n’aurait eu qu’à battre le rappel de ses amis et de ses amies pour avoir un auditoire, si la notoriété de Molière n’avait pas produit cet effet.

« Mais Molière était en pays de connaissance à Carcassonne, et la recommandation elle-même du comte d’Aubijoux, si elle pouvait maintenir ou accroître la faveur dont il jouissait, ne pouvait plus ni la lui attirer, ni la lui mériter ; Molière avait déjà fait ses preuves à Carcassonne en 1647.

Et c’est un lieutenant du Roi, le comte de Bretend, qui lui avait, en quelque sorte, décerné un certificat de maîtrise, dans une lettre du mois d’octobre de cette année, où il déclare sa troupe : « toute remplie de fort honestes gens et de très bons artistes. »

Voilà pour l’organisation des têtes et pour le public. Parlons maintenant plus spécialement de Molière el de sa troupe. Comment M. Baluffe a-t-il établi que c’était à Molière et à sa troupe qu’était dévolu le soin de divertir les États du Languedoc à la fin de 1651 ?

La démonstration est assez compliquée, quoique péremptoire. Depuis que M. Balufife l’a mise en avant (5) elle a été adoptée par les plus autorisés des biographes de Molière,(6). Il nous suffira de dire qu’elle s’appuie sur une lettre de Dassoucy à Molière, dans laquelle « l'Empereur du Burlesque » raconte comment il a quitté Carcassonne en compagnie du conseiller Frézals, déjà nommé.

Dassoucy accompagnait donc Molière à Carcassonne. C'était lui qui avait composé la musique de l’Andromède de Corneille. Par une série d’ingénieuses déductions M. Baluffe établit que ce fut cette pièce qui fut le clou de la saison théâtrale et que ce ne pouvait, d’ailleurs, être une autre que celle-là.

Ici se placent de fort curieux détails sur l’importance des exhibitions féminines dès cette époque. « Les pièces à femmes ne datent pas de nos jours ; l’exhibition des belles gorges et des nudités en général a des précédents d’un âge avancé. Molière avait trop l’intelligence de ses intérêts pour se soustraire à cette obligation du goût public. Mais, poète en cela encore, il tâchait de concilier le sacré et le profane, et puisqu’il fallait au public de belles femmes, voire des tableaux vivants, il s’arrangeait pour que l’art y trouvât supérieurement son compte. Et c’est ainsi que l’Andromède de Corneille, dès la première heure, était entrée au répertoire. La poésie d’un grand poète voilait de son manteau de pourpre et d'or le côté, au fond peu idéal, de certaines exhibitions plastiques. Disons d’ailleurs là l’honneur de Molière que cette fois il avait mis toutes ses délicatesses d'âme et d'esprit dans le choix de « la belle actrice » chargée d’être belle par- dessus toutes.

 Il revenait de Paris avec une véritable merveille de jeunesse, de grâce et de radieuse fraîcheur, un vrai printemps, un avril en fleurs. C’était Mademoiselle de Menou qui n’avait que quatre vers à dire dans son personnage d'Ephyre, une jeune néréide, mais qui devait faire admirer en un silence éloquent l’éblouissante splendeur de ses formes adorables.

Or tel était le charme divin de la ravissante jeune fille, que ce fut Molière lui-même, tout le premier, et avant de quitter Paris, qui éprouva l’irrésistible pouvoir de l'enchanteresse.... »

Voici quelle fut probablement la distribution des rôles :

Jupiter : Duparc

Junon : Mademoiselle Madeleine Béjart.

Neptune : De Brie.

Mercure, et un page de Phiné : L Louise (Louis Béjart).

Le Soleil, et TIMANTE : Joseph Béjart

Vénus, Cymodocé, Céphale : Mademoiselle De Brie.

Eole, Ammon : vausselle (J. B. de Lhermitte.

Melpomène, Céphale : Mademoiselle Hervée (Geneviève Béjart).

Ephyre : Mlle De MENOU,

Cydippe, Lyriope :  Mlle Madelon (V auselle-Lhermitte).

Puinée : Chasteauneuf.

Céphée : Du Fresne.

Cydippe, Cassiope : Mlle Vausselle (femme de J.-B. Lhermitte).

Persée : MOLIERE.

Choeur du peuple : Lestang.

Huit vents : Valets.

S'il faut en croire Chapelle, la rivalité des trois principales actrices (Madeleine Béjart, De Brie et Vauselle) qu’il compare à Junon, Pallas et Cypris, causait à Molière passablement de tracas et d’ennuis. Chapelle lui donnait le sage conseil de s’abstenir dans cette dispute :

Tiens-toi neutre, et tout plein d’ Homère,

Dis-toi bien qu’en vain l'homme espère

Pouvoir jamais venir à bout

De ce qu'un grand Dieu n'a su faire. . ..

L’année 1851-52 à Carcassonne, marque une date dans l’histoire de Molière, et à cause de l’ Andromède, une date mémorable dans les annales du théâtre en province. — Grâce à de nombreux et intéressants travaux, les voyages de Molière dans notre région commencent à être exactement connus. Un des premiers qui se soit occupé de cette question est M. Léon Galibert, de Narbonne, qui publia en 1858 les Pérégrinations de Molière dans le Bas-Languedoc, d'après des documents inédits (1642-1658). Paris, Dubuisson, in-12. Ce charmant petit volume est aujourd'hui une rareté bibliophile.

C. Jourdanne. La Démocratie de l'Aude

 

 

.==> Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière à Fontenay le Comte, le jeu de Paume dans l’Ouest

 

 


(l) Dans le style de l'époque, on appelait visite une représentation privée qui avait lieu dans un château, dans un palais de prince ou de grand-seigneur. En 1661, Molière et sa troupe firent plusieurs visites, notamment citez le cardinal de Mazarin, où la représentation eut lieu dans la chambre même du ministre, alors malade.  

(2) 17 et 24 Décembre 1893 ; 7, 14 et 21 Janvier 1894.

(3) M. Baluffe commet une erreur quand il dit que le comte d’Aubijoux était délégué par le roi pour présider les Etats de Languedoc. Le président des Etats était toujours un ecclésiastique. L’archevêque de Narbonne était président-né ; à son défaut la présidence était donnée au plus ancien prélat. Lorsqu’après l’édit de Béziers (1632) les prérogatives des Etats furent diminuées par l’autorité royale, et que la charge de gouverneur de Languedoc lut devenue un simple commandement militaire et plus tard un titre honorifique, ce fut souvent un des trois lieutenants généraux de Languedoc qui fut chargé de représenter le roi aux Etats. — V. Cachou. Les Etats de Languedoc el l'Edit de Béziers. Paris, Hachette, 1887 in-8, p. p. 9 et 264.

(4) Quel était ce local, en d’autres termes où avaient lieu les représentations théâtrales au xvn e siècle, M. Baluffe ne le dit pas. On sait que la salle actuelle du théâtre ne fut construite qu’en 1795 dans l’église des Jacobins. Il paraît que vers la fin du XVIIIe siècle une salle, plus ou moins mal agencée, existait au n° 40 de la rue Saint- Vincent (aujourd’hui rue du 4 Septembre),

De plus, à l’ancienne Académie (plus tard pension Montés, rue Victor-Hugo n° 31) était un manège utilisé parfois pour les représentations. (Mahul, Cartul. de Carcassonne, vi, 2e, 365).

(5) Le Molieriste, Septembre 1884.

(6) Paul Mesnard (Notice biographique sur Molière, Paris, Hachette, p. 127). —Louis Moland (Molière, su vie et ses œuvres, Paris, Garnier, 1886.

 

Publicité
Commentaires
PHystorique- Les Portes du Temps
Publicité
Publicité