Le Wagon de l'Armistice - Clairière de l'Armistice en forêt de Compiègne
AUTOUR DE L'ARMISTICE du 11 novembre 1918 Michel DICHARD
Dans le présent numéro de nos Annales Historiques Compiégnoises, consacré à l'histoire de Rethondes, il aurait été impensable de ne pas parler de l'armistice du 11 novembre 1918 ! Le monde entier connaît en effet le nom de ce village et l'associe communément à la signature de l'armistice qui mit fin aux combats du premier conflit mondial, sur le front occidental.
Pourquoi «l'armistice de Rethondes» ?
Peut-on pour autant parler de "L'armistice de Rethondes" ? L'expression fut employée par le général Weygand, chef d'état-major du maréchal Foch, dans son livre sur Le Il Novembre. Or Weygand savait parfaitement que la convention d'armistice ne portait aucun nom de lieu, mais il se souvenait sans doute que, le 10 novembre 1918, il avait accompagné Foch à la messe dans l'église du village le plus proche, Rethondes, comme le rappellent aujourd'hui les plaques commémoratives apposées sur le monument (voir la photographie). Weygand emploie d'ailleurs indifféremment les formules "clairière de Rethondes" ou "carrefour de Rethondes ".
Témoignage du Général Weygand
Le général Mordacq, chef du cabinet militaire de Georges Clemenceau, parla quant à lui, d'une signature "à Rethondes, dans une clairière de la forêt de Compiègne ". Autre témoin militaire, autre demi-vérité... Mathias Erzberger, le principal signataire du côté allemand, se borna à intituler le chapitre de ses mémoires consacré à l'armistice, "A Compiègne", sans autre précision géographique. Tous ces écrits datent des années mil neuf cent vingt ou trente.
Voyons maintenant du côté des historiens. Quand Jacques Chastenet, dans le tome IV de son Histoire de la IIIème république (1955) parla "d'un épi de voie ferrée proche du carrefour de Rethondes", il ignorait manifestement que le dit carrefour se situe à environ 2500 mètres au nord du village, mais il retint le nom de Rethondes et non pas celui de Compiègne. Pierre Renouvin, grand mutilé de guerre et célèbre historien diplomatique et militaire, reprit l'expression de Weygand pour évoquer une de ces "Trente journées qui ont fait la France" ; or son livre date de 1968, soit cinquante ans après l'événement. La formule "Armistice de Rethondes" lui parut sans doute comme la plus parlante. Ce faisant, il consacrait une tradition mais pérennisait une inexactitude...
En préambule à la conférence prononcée devant les deux sociétés d'histoire de Compiègne, en novembre 1998 (cf. Annales Historiques Compiègneoises, N° 75-76), j'évoquai la réaction du député-maire de Compiègne Fournier-Sarlovèze qui, en 1922, à l'occasion de l'aménagement, dû en partie à son initiative, de la "Clairière de l'armistice", s'était élevé contre ce qu'il appelait "la légende de Rethondes", c'est, à dire contre l'habitude déjà bien prise de nommer ainsi le lieu de la signature.
Je rappellerai ici la réponse du ministre des Travaux Publics : "Monsieur le Maire, votre ville est suffisamment riche en souvenirs historiques pour se montrer généreuse et laisser à une petite localité de sa banlieue le bénéfice de rappeler qu'elle fut le lieu où s'accomplit le dernier épisode de la Grande Guerre". Cette réponse toute parisienne n'a guère dû plaire ni aux habitants de Rethondes, traités de "banlieusards", ni au député-maire de Compiègne...
Car chacun sait - ou devrait savoir -, que le lieu où fut signé l'armistice est situé en forêt sur la rive gauche (sud) de l'Aisne, et donc sur le territoire de la commune de Compiègne, cependant que Rethondes se trouve sur la rive droite (nord). D'ailleurs, Le panneau installé près du «wagon» dans la Clairière le rappelle clairement :
" ICI, SUR LE TERRITOIRE DE COMPIEGNE... ".
En marge de la grande Histoire, il m'a semblé intéressant de rappeler ici l'origine de cette confusion, qui remonte à la création de la voie ferrée Compiègne-Soissons, ouverte en 1882.
Cette ligne transversale, tracée entièrement au sud de l'Aisne, desservait donc indirectement Rethondes par deux établissements placés hors du territoire de la commune. Une halte, située sur la rive sud de la rivière (sur le territoire de la commune de Trosly-Breuil) était appelée "halte du pont de Rethondes". Mais une autre station, bien plus importante avait été créée à des fins d'exploitation forestière, à l'ouest du rû de Berne et de la maison forestière du même nom, à proximité de l'actuelle route nationale 31, dont l'emplacement est toujours visible. Bien que située sur le territoire de la commune de Compiègne (le rû de Berne matérialisant la limite entre Compiègne et Trosly-Breuil), la station devait être rapidement appelée par ses exploitants "gare de Rethondes", pour éviter toute confusion avec celle de Compiègne, très éloignée. C'est à partir de cette gare, utilisée et aménagée par le génie militaire au cours de la guerre, que fut créé l'embranchement conduisant au fameux épi de tir d'artillerie lourde montée sur plates-formes, permettant de tirer en direction du nord vers Noyon.
Dans les souvenirs qu'il confia en 1984 à son fils, un habitant de Rethondes, Charles Béjot, âgé de sept ans à l'époque de l'armistice parle "d'un épi de tir qui porta le nom de Rethondes et connu et répertorié par l'Etat-major sous ce vocable". Je n'en ai pas trouvé trace dans les volumineuses archives du S.H.A.T. mais, outre le fait que je n'ai évidemment pas tout vu, l'expression a très bien pu n'être utilisée qu'oralement.
Sur l'ordre de mission de la Direction des transports militaires désignant l'ingénieur Toubeau, pour rechercher un emplacement pour les trains, figure seulement l'expression "gare de Rethondes" (une copie de ce document, daté du 7 novembre 1918, est exposée dans l'actuel wagon). Ce court texte ne parle d'ailleurs pas de l'épi de tir, on en verra plus loin la raison. Bien que le lieu choisi pour signer l'armistice eût été très proche du carrefour du Francport, ce nom n'a jamais été employé et c'est celui de Rethondes qui prévalut ; la formule «armistice de Rethondes» était ainsi née...
Après la fin de la guerre, une fois prise la décision d'aménager ce lieu devenu historique, le député-maire Fournier-Sarlovèze demanda à la Compagnie du Nord de modifier le nom de la gare. Après un premier refus, elle finit par accepter et choisit de la rebaptiser : "Rethondes Armistice Compiègne". Curieux compromis, qui revenait à maintenir la confusion que le maire de Compiègne voulait précisément éviter ! Ainsi, malgré sa protestation parfaitement justifiée, l'habitude est demeurée, ailleurs qu'à Compiègne et dans sa région, de citer spontanément Rethondes quand on parle de l'armistice.
Le wagon de l'Armistice - Visites privées
Recherche et choix d'un lieu pour signer l'armistice
Grâce au général Weygand, qui écrivit après la mort de Foch, on connaît les motivations du maréchal, dont le Q.G. était depuis le 18 octobre 1918 à Senlis, pour ne pas vouloir y recevoir les plénipotentiaires allemands : le souvenir encore vif des atrocités commises en 1914 dans cette cité, la trop grande proximité de la capitale et de ses curieux en tous genres, la volonté de traiter en toute tranquillité... Foch choisit ainsi d'installer son train de commandement en forêt de Compiègne pour y recevoir la délégation allemande.
La Direction des transports militaires aux armées reçut donc l'ordre, dans la matinée du 6 novembre, de rechercher un emplacement discret pour y placer deux trains. L'exécution en fut confiée à M. Toubeau, ingénieur technicien du réseau Nord, dont dépendait alors la gare de Rethondes (voir plus haut).
Sur plan, cette station semblait convenir à l'installation des trains, mais ne répondre qu'imparfaitement au souci de discrétion du commandement. La visite effectuée sur place par M. Toubeau confirma cette impression. On rechercha alors un autre endroit à proximité de la gare : le raccordement direct des lignes de Soissons et de Villers-Cotterêts, dont il subsiste encore des traces.
C'est en s'y rendant par la route que les techniciens traversèrent une voie ferrée dont ils ignoraient l'existence ! En remontant cette ligne vers le nord, ils tombèrent sur des positions de tir d'artillerie lourde à grande portée, à environ deux kilomètres de la gare. Les deux voies pouvaient recevoir les deux trains, moyennant quelques aménagements et vérifications. L'emplacement trouvé répondant parfaitement au critère de discrétion, le commandement entérina ce choix.
Comme l'écrivait en 1959 M. Toubeau : "C'est ainsi que fut choisi in extremis et par hasard le terrain qui devait recevoir le train du maréchal Foch et celui des plénipotentiaires allemands... ".
Plaque apposée sur l'église de Rethondes, évoquant le séjour du Maréchal Foch et de son adjoint Weygand
L'emplacement était-il connu des Allemands ? On peut répondre affirmativement, en s'appuyant sur un document assez exceptionnel, aujourd'hui présenté dans une salle du Mémorial de l'Armistice, et qui a une histoire : il fut offert en 1961 par M. Pierre Laze, ingénieur de la SNCF à la retraite. En août 1918, alors sous-lieutenant au 227ème régiment d'artillerie, il découvrit dans un abri allemand situé à 500 mètres du hameau de La Poste (commune de Conchyles-Pots) un extrait de cartes d'état-major de la région, allant de Ribécourt à Vieux Moulin. Il s'agit en fait d'un montage (Zusammendrück Süd) réalisé à partir d'une carte française au 1/25000°, sur laquelle ont été ajoutés des termes écrits en allemand : die Schône Berge (les Beaux Monts), die Wald (forêt) von Laigue, Schloss (château) Ste Claire... On remarque (voir reproduction), au sud du coude de l'Aisne au Francport, tracé en couleur bleue, un embranchement de voie ferrée qui part de l'est de la gare (Bhf, abréviation pour Bahnhof) et conduit à un épi de tir. Or ce montage est daté du 19 mai 1918 ! Ce qui prouve que les Allemands, connaissaient, eux, l'existence de cette voie ferrée, sans doute par observation aérienne, ce qui relativise quelque peu les propos de Weygand quand il écrit : "le masque de bois a été choisi pour en dérober l'emplacement aux vues aériennes". Notons cependant que le tracé bleu de l'épi compte quatre voies, alors que les témoins oculaires (voir 2ème partie) n'en comptèrent que deux.
Les deux trains spéciaux de l'armistice
Du train du maréchal Foch, on connaît surtout le fameux wagon restaurant transformé en voiture salon, dans laquelle eurent lieu les pourparlers et la signature de l'armistice.
En novembre 1998, à l'issue de la conférence déjà évoquée, le général Gamache, président du Mémorial de l'Armistice, rappelait l'épopée qui, dans les années 1990, le conduisit en Thuringe récupérer les morceaux du fameux wagon "2419 D", détruit par le feu à la fin de la seconde guerre mondiale. Ces pièces sont exposées dans une salle du Mémorial. Cette voiture faisait partie d'un ensemble de dix wagons, parmi lesquels on trouvait, outre les voitures de service et de protection, un autre wagon-restaurant (destiné aux repas du maréchal, de ses officiers et de rares civils, dont l'ingénieur Toubeau), un wagon salon (appartement du maréchal), deux wagons-lits (un pour l'amiral Wemyss et les officiers britanniques ; un autre pour le général Weygand et les officiers de son état-major) ...
Le train arriva en fin d'après -midi du 7 novembre, vers 19 heures. Il avait quitté Senlis deux heures plus tôt. Comme le rappelait le lieutenant-colonel de Mierry, ancien de l'état-major de Foch en 1918 , dans un article des Nouvelles Littéraires daté du 8 novembre 1930 : "Quel est le point de destination ? Tout le monde l'ignore, sauf le maréchal et son chef d'état-major; le secret a été bien gardé... "
Le train des plénipotentiaires allemands a été constitué de manière volontairement identique à celui du maréchal, avec le même nombre de wagons, mais moins de confort semble-il. Un des wagons utilisés à une histoire qui mérite d'être racontée. Il faisait partie d'un convoi spécial offert par la Compagnie des chemins de fer du Nord à Napoléon III en 1855. Ce wagon-terrasse fut agrandi en 1908, quand il passa aux Houillères du Nord. Durant la guerre, il fut successivement utilisé par Galliéni (alors ministre de la guerre), Nivelle (en 1916-1917), puis rattaché au train de Foch. Cette voiture, répertoriée ALS N°ll, a été en fait assez peu utilisée par la délégation allemande. Après de nombreuses péripéties, elle est, depuis 1995, la propriété d'un négociant en vins de RomanècheThorins, dans le Beaujolais.
Le train attendit les parlementaires allemands en gare de Tergnier le 7 novembre à 11 heures et ne rejoignit l'épi de tir que le 8 à 7 heures du matin. Laissons encore la parole au lieutenant- colonel de Mierry : "dans l'épais brouillard qui enveloppe le carrefour de Rethondes (sic) un feu rouge apparaît puis grandit. C'est la lanterne arrière du convoi allemand refoulé de la station. L'œil de la conscience allemande, dit le général Weygand.." Pourquoi "refoulé" ? les trains avaient été poussés par les locomotives, de manière à permettre leur ravitaillement en eau et en charbon, sans déplacer les wagons dans lesquels travaillaient les négociateurs.
Quand, le 8 novembre peu avant 9 heures, les plénipotentiaires allemands s'avancent sur le chemin de caillebotis pour rejoindre le wagon-salon où les attend le maréchal Foch, la petite histoire rejoint la grande. Je n'aurai pas l'audace de la raconter ; mais pour en savoir plus, rien ne remplace une visite approfondie du Mémorial de l'armistice....
Bibliographie :
- Général Weygand : Le 11 Novembre, Flammarion, 1932.
- Pierre Toubeau : Deux trains en forêt de Rethondes, 1959.
- Roger Thorette : "Note sur l'armistice", L'information historique, mars-avril 1969.
Remerciements : Je dois à l'obligeance du général Gamache, l'actif président du Mémorial de la Clairière de l'Armistice, l'autorisation de reproduire la carte allemande et des extraits de l'article de M. Toubeau. Je joins à mes remerciements le régisseur du Mémorial, M. Le Goaër, en particulier pour ses informations concernant le sort du wagon de Napoléon III.
Montage, réalisé par les Allemands, à partir d'une carte française, attestant leur connaissance de l'épi de tir du Francport, dès mai 1918.
(Document du Musée de l'Armistice).
TEMOIGNAGES : Rethondes, la guerre et l'armistice
Comment les habitants de Rethondes ont-ils vécu l'armistice et plus généralement la période de la guerre ? Pour le savoir, nous avons fait appel à M. Jean-Charles Béjot, descendant d'une famille installée à Rethondes depuis plus de trois cents ans... En véritable mémorialiste de son village, il a patiemment recueilli des documents et témoignages sur cette époque (et sur bien d'autres).
Nous présentons ici trois documents :
- un extrait des souvenirs d'enfance de M. Charles Béjot, déjà cité ;
- un article évoquant les travaux d'aménagement routier «immortalisés» par une inscription «néoromaine» originale.
- les souvenirs de l'ancien chef de gare de Rethondes au moment de l'armistice ;
On pourra trouver ces témoignages quelque peu anecdotiques et juger qu 'ils n 'apportent guère à l'Histoire. Il nous semble pourtant qu 'ils permettent de saisir sur le vif les réactions, les peines et les joies des habitants ou des occupants d'un village qui subissait la guerre au quotidien.
Je remercie vivement M. Jean-Charles Béjot de nous les avoir communiqués. (Les annotations ont été rajoutées par mes soins. M.D.)
(1) Rethondes pendant la Grande Guerre
En décembre 1984, M. Jean-Charles Béjot transcrivait les souvenirs manuscrits de son père, alors âgé de 73 ans. Les souvenirs d'enfance de Charles Béjot sur la guerre à Rethondes commencent par une évocation de la figure de son père mobilisé. Ecrits dans un style proche de l'oralité, ils intègrent des informations que le jeune Charles ignorait certainement à l'époque, mais qui ont sans doute été recueillies ultérieurement par lui auprès d'autres témoins. C'est ce qui fait incontestablement leur intérêt.
"Et voilà la guerre, pour nous cela ne nous touchait pas, sauf que je vois ma mère pleurer, en écoutant le Père Lépine, le garde champêtre, avec sa cloche, annoncer la mobilisation générale pour le 2 août ; de ce temps je n'ai aucun souvenir si ce n'est les pleurs de ma mère (1). J'ai su que mon père était de la réserve et devait partir le 10ème jour mais dans mon souvenir je ne le vois pas s'en aller. Il se rendit au dépôt d'infanterie de Saint-Mihiel où, en guise de gamelle réglementaire, il eut une assiette en faïence (2) ...
Nous au village, c'était l'attente, l'armée avait fait sauter le pont de fer. Je crois que c'est le 2 septembre, en allant dans ma chambre, je vois sur la barre de mon lit deux paires de bottes avec des Allemands dedans et qui se reposaient tout habillés, de la paille partout, les portes ouvertes, des courants d'air, des hommes qui circulaient partout. Pour ma mère et nous les enfants une seule pièce où nous fûmes relégués en attendant ... et puis ils n'étaient plus là, pour revenir le 7 ou 8 septembre, presque sans bruit (3). Ils mangèrent une vache prise au cultivateur et dépecée là où est actuellement l'école (à l'époque c'était des jardins). Suivis par des Zouaves, un des zouaves fut tué dans les bosquets de l'hôtel Billet (au 2 rue du maréchal Foch) à gauche du pont par un homme de l'arrière-garde, première victime qui fut enterrée à Rethondes, il y est encore.
Il n'y a pas eu de combats ici mais à Carlepont, où les zouaves souffrirent beaucoup. Les cultivateurs furent réquisitionnés avec leurs voitures de moissons et de la paille pour descendre les blessés vers je ne sais quelle ambulance.
Et puis Rethondes prit le rythme de la guerre, village de cantonnement, de repos et de départ pour le front qui n'était pas bien loin (4). Tous les locaux vides étaient occupés, surtout les greniers qui étaient garnis de paille et les villas des Parisiens pour loger les officiers, pas l'état-major, une petite ambulance (5) au 4 de la rue de Verdun ; on ne sonnait plus les cloches, la messe était affichée en grandes lettres sur le mur en face de la boulangerie.
Rethondes devint un lieu de passage pour le ravitaillement du front nord est, par suite de l'immobilisation de la gare de Ribécourt, un genre de voie sacrée avec son aller et retour : pour cela la route de Saint-Crépin fut élargie par la troupe et inaugurée par le Président Poincaré (6).
Il y eut longtemps un ballon captif, une saucisse avec son treuil sur le long des chemins en observant les lignes ennemies. Il faut dire que d'ici on voyait les mêmes ballons en face. Combien de fois la pauvre saucisse (et surtout les observateurs dedans) dessous la menace d'un avion se dirigeant vers elle, descendit en catastrophe de crainte d'être incendiée. Des observatoires en charpente furent érigés en forêt et dans le Mont Saint Mard.
Les cantonnements : le Major (7) était au 23 de la rue du maréchal Foch. Toutes les maisons étaient numérotées et étiquetées. A chaque porte une planchette marquée 0, dessous H (8), dessous Ch., avec le nombre de places pour les hommes et pour les chevaux (il en reste encore quelques- unes). Un service auxiliaire les entretenait, si bien que mon grand- père, après un départ de soldats, visitait les greniers (et) s'en revint au grand dam de ma grand-mère, avec plus de cent puces, toutes prises à la main dans le lit conjugal. C'était la marque des soldats, vêtus de laine, sans hygiène sur le front (...)
Puis il y avait la visite des locaux libres d'occupants pour y trouver toujours la même chose : des cartouches, du pain et du tabac et parfois quelques objets sans valeur. Il y avait aussi les popotes qui apportaient un peu de ravitaillement et surtout les roulantes : là les gosses y allaient souvent. Je me souviens de ces bouillons plus que gras et bien chauds, parfois avec un peu de rata, mais moins bon (9), souvent du riz, des pâtes ou des légumes secs, des fois une fantaisie : du riz au chocolat. Quant à moi, on avait fini par m'interdire la fréquentation des soldats, car il paraît que je rapportais des vilains mots à la maison...
...Il y avait une forte concentration de troupes autour de la gare de Rethondes et de l'épi de tir (10) et de l'artillerie de défense antiaérienne et nous les gosses, dans la journée, nous comptions les coups de D.C.A. dont les explosions se plaçaient dans le ciel en petits nuages, comme les points noirs d'un dé à jouer ; le soir il y avait des pinceaux lumineux des projecteurs qui balayaient le ciel. Parfois le matin on trouvait dans les rues des petits éclats d'obus qui étaient tombés sur les toits.
La guerre continuait, l'ennemi menaçait. Rethondes était bombardé depuis Bailly et Tracy-leVal, surtout les convois de ravitaillement qui montaient par Saint-Crépin et la forêt de Laigue. Puis la peur panique venait et le soir, à la nuit tombante, les habitants de Rethondes s'en allaient, avec leur brouette et leur literie, dormir dans les carrières de Grisette (11).
Et le printemps était revenu, après la dure année 1917 ; les Allemands poussaient leur effort (12), si bien qu'au mois de juin il fallut évacuer : point de ralliement, Senlis, étapes dans les granges, puis monter dans les wagons à bestiaux avec de la paille, ravitaillement en cours de route, pour aller à Dax ( Landes).
A l'automne le retour fut plus rapide. Nous nous installons dans Vieux-Moulin chez ma grand-mère. La vie reprenait : mon père, réformé temporaire, allait travailler à Rethondes car les couvertures des maisons en avaient pris un coup : ardoises en papier goudron etc. A cause de l'Aisne, Rethondes n'était pas encore autorisé à être habité, mais les gens s'en moquaient et rentraient chez eux (13).
Puis vint le grand jour : un jour comme les autres, il faisait beau, c'était l'été de la Saint Martin ... Ce fut le 11 novembre, la signature et la grande joie ; au village ce fut Gaston Richard qui devint chef sonneur, pourvoyeur en soldats oisifs et en pinard de l'intendance (14). Ils sonnèrent tant que deux cloches y perdirent leur voix. Elles furent refondues longtemps après..."
Le pont de Choisy-auBac, détruit dès 1914
II Une inscription «néoromaine» à Rethondes
C'est sous ce titre que M. Hubert Morand publia dans le Journal des Débats un article au ton humoristique - repris dans le Progrès de l'Oise en 1931. L'auteur de l'épigraphie, Eugène Albertini (1880-1941), fut élu membre de l'Académie des Inscriptions et Belles lettres en 1938. La traduction de l'inscription latine que nous reproduisons est due à M. Jacques Chauveaux, natif de Rethondes ; ce trésorier payeur général de la Creuse dans les années soixante dix était aussi un fin latiniste...
«En décembre 1914, une division mi-française mi-africaine occupait un secteur de la rive droite de l'Aisne, jalonné par Quennevières et Tracy-le-Val (15). Une seule route, simple chemin vicinal, permettait de ravitailler la division en munitions et en vivres ; elle partait de Rethondes-gare et se dirigeait vers le nord-est par Saint-Crépin et Offémont. Comme elle était dans un état déplorable, une compagnie du 13ème territorial d'infanterie fut chargé de la refaire. Pendant deux mois, les 250 hommes réparèrent, avec des moyens de fortune, ce chemin défoncé, sans cesse parcouru par des convois et des batteries d'artillerie : tâche longue et rude, car il manquait le principal, à savoir la pierre, qui arrivait difficilement, par chalands, de Bourgogne et de plus loin encore. La tâche terminée, le commandant de la compagnie, le capitaine de M... - c'est lui qui nous a raconté cette histoire - voulut commémorer pour les siècles à venir cet ingrat et fécond labeur. Une borne milliaire s'offrait à lui sous les espèces d'un tuyau en ciment aggloméré que l'agent voyer du canton avait oublié dans un fossé. Quant au rédacteur de l'inscription, le capitaine l'avait également sous la main : c'était un sous-officier de sa compagnie, le sergent Albertini (Eugène) (16), entré premier à l'Ecole Normale, épigraphiste réputé. Voici le texte de cette inscription lapidaire, quoique sur ciment :
Raymond POINCARE
Président des Gaules La route qui va de l'Aisne vers les Germanies
Afin que plus rapidement et plus complètement
Les ennemis du nom gaulois soient vaincus Il s'occupa à la refaire Il la fortifia avec des fascines Il la couvrit de pierres A la diligence de B... de M...du 13ème corps de territoriaux Année 1915
(Raimondus Poincaré / Praeses Galliarum / viam ab Axona ad Germanias / quo celerius ac plenius / hostes nominis Gallici / profiglaretus / reficiendam curavit / lignis munavit / lapidus stavit / curam agente B. de M. /Vexillationi XIII seniorim / anno MCMXV)
Cette borne, fichée dans le sol à l'ombre d'un chêne, se trouve encore, paraît-il, à mi-chemin de Rethondes et de Saint-Crépinaux-Bois (17). Elle fut inaugurée solennellement, avec discours du capitaine et du latiniste de la compagnie, et les hommes burent un quart de vin à la santé du donateur anonyme de ce monument que les orateurs déclarèrent, bien entendu, "plus durable que l'airain"...Le lendemain, un tringlot, qui était descendu de sa carriole pour regarder de près, dit en s'asseyant à côté de son camarade : "c'est encore une invention de curé, c'te machine-là !"
Le sergent Albertini, qui était hier, dans le civil, professeur des antiquités de l'Algérie à l'université d'Alger, vient d'être nommé professeur de civilisation romaine au Collège de France (18). Quand nous apprendrons qu'il doit traiter des routes romaines et spécialement des pierres milliaires, nous courrons l'entendre : il s'y connaît !...»
III "Les cloches de Rethondes donnent le signal de la joie"
Dans cet article, paru en 1949 dans le Progrès de l'Oise, M. Austrucq, chef de gare alors en retraite à Neuville-sousMontreuil (Pas-de-Calais), rappelle la manière dont il a vécu l'annonce de l'armistice : en témoin mais aussi en acteur.
«A l'automne de 1918, je fus désigné pour remplacer le chef de gare de Rethondes qui partait en congé. J'étais loin de m'imaginer qu'étant appelé à assurer le service à cette gare, je serais le témoin d'événements aussi considérables.
Un matin, un coup de téléphone m'avisa qu'un train dans lequel se trouvait le maréchal Foch allait venir en gare et que je devais dès son arrivée le diriger sur une des voies de l'épi de tir. Quelques heures après, j'étais avisé qu'un second train dans lequel se trouvaient des Allemands me parviendrait et que, dès son arrivée, je devais le refouler sur la voie parallèle à celle où était placé le wagon du maréchal (19). Ces trains arrivèrent successivement, celui des Allemands en dernier. Je les aiguillais selon les instructions données. Dès que le wagon du maréchal fut mis en place, un officier télégraphiste vint me demander où il fallait qu'il installe l'appareil téléphonique reliant le wagon du maréchal avec la gare. Je lui désignai la table se trouvant dans le bureau du chef de gare où j'avais installé mon lit de camp.
Puis le soir vint et, par une nuit brumeuse et humide, la gare de Rethondes rentra dans un calme impressionnant. Sur mon lit de camp je ne pouvais dormir. Ma curiosité me faisait échafauder des hypothèses. J'étais presque certain que la guerre allait finir, mais ce "presque" était encore une incertitude insupportable.
Le jour venait petit à petit, la tentation de connaître le but de cette réunion était pour moi de plus en plus forte. Je pris l'écouteur du téléphone. Rien, personne ne parlait sur la ligne, ni en allemand, ni en français.
Vers 6hl5, après avoir allumé ma lampe, je me levais sans avoir fermé l'œil. N'y tenant plus, je tournai la magnéto d'une main tremblante. On me répondit aussitôt. Je demandai à qui j'avais l'honneur de parler en disant «ici le chef de gare». Un capitaine d'état-major dont le nom m'a échappé m'a répondu aimablement. S'il vit encore et lit cet article, qu'il en soit remercié. Je m'excusai auprès de lui de mon indiscrétion et lui demandai s'il était possible de savoir ce qui s'était passé cette nuit sur l'épi de tir. L'officier me pria de ne pas m'impatienter et me promit de me rappeler dès qu'il aurait le communiqué qu'on préparait. Je raccrochai. J'avais le cœur qui battait ; je me disais "Dans quelques instants j'apprendrai la bonne nouvelle". Et je pensais à tous ceux qui l'attendaient comme moi depuis quatre ans. Vers 6h35 (20), la sonnerie du téléphone retentit. Le capitaine avait tenu sa promesse. L'écouteur à l'oreille, je l'entendis qui me priait de prendre du papier et un crayon. Et il commença à me dicter le communiqué de notre victoire. Ma main tremblait. Bientôt je ne fus plus capable d'écrire ce qu'il me dictait. Mais j'avais le principal : signature de l'armistice, cessation des hostilités à 11 heures, retrait des troupes allemandes, remise d'armes, de canons, de matériels divers etc. Cette liste était devenue trop longue. Je remerciai le capitaine, et - c'était peut-être enfantin -, je lui criai «Vive la France», comme cela, au téléphone.
Au comble de la joie, je me précipitai sur le quai, annonçant à tous la grande nouvelle. Deux fusils se trouvaient dans mon bureau. Je les pris et vidai les magasins en tirant en l'air vers la forêt qui se trouvait en face. Ayant informé des soldats de passage, je leur conseillai d'aller sonner les cloches de l'église de Rethondes. Bientôt, au- delà de la rivière, je les entendis qui commençaient à sonner, donnant le signal de l'allégresse à toutes leurs sœurs de France.
Des trains passèrent, chargés jusque sur les marchepieds. Dès qu'on leur apprenait la nouvelle, les soldats arrivaient, munis de cartes postales de Rethondes et me demandaient d'y apposer le timbre à date de la gare. D'autres présentaient une page de leur livret militaire...
La gare de Rethondes était devenue historique grâce à son épi de tir».
Annales historiques compiégnoises
Autre témoin exceptionnel, le général Émile Riedinger, le chef du bureau de l'état-major du maréchal Foch. Le 11 novembre 1948, il racontait les détails des négociations. Il retrace ici le déroulement de la signature de l'armistice à laquelle il assista. Il décrit ensuite les conditions dans lesquelles fut réalisée la première et unique photo de cette négociation. (Audio)
de Verdun à Compiègne, Commémoration du Centenaire de l’armistice 11 novembre 1918. <==.... ....==> 11 Novembre 1918, la France sonne le tocsin à 11 heures, Vive la France Libre
NOTES :
(1) Charles Béjot était né le 25 novembre 1911.
(2) Arthur-Charles Béjot avait effectué son service militaire à Ham, au bataillon du 54° R.I. dont le P.C. était à Compiègne. Mobilisé le 12 août 1914 au 161° d'infanterie, il y fit toute la guerre. Ayant passé 30 mois au front, 14 à l'hôpital ou en convalescence (4 fois blessé) il est le type même du Poilu.
(3) C'est la période de la bataille de la Marne. Les zouaves évoqués plus loin appartenaient à l'armée Maunoury qui se heurta à celle de von Klück, solidement rétablie au nord de l'Aisne.
(4) De l'automne 1914 au printemps 1917, le front se stabilisa sur la ligne Autrèches, Moulin-sous- Touvent, Quennevières, Tracy-le-Val ; le repli tactique opéré par les Allemands repoussa le front de Tergnier à Vaillysur-Aisne, mais leurs offensives du printemps 1918 le ramenèrent sur une ligne Ribécourt Nampcel. Noyon ne fut définitivement libéré que le 28 août.
(5) Ce terme est alors équivalent à celui d'infirmerie. Plus tard on en restreignit l'usage au seul véhicule.
(6) Voir le 2° document. Mais il n'y est pas dit que Poincaré soit venu ...
(7) Officier supérieur chargé des problèmes d'un régiment (commandant).
(8) A l'époque les sous-officiers étaient comptabilisés avec la troupe.
(9) Pourtant le rata, si on en croit lachanson, ce n'est pas de la soupe ...
(10) L'épi de tir utilisé par l'artillerie lourde à grande portée était orienté pour tirer en direction du nord, vers Noyon. L'auteur ne nous dit hélas pas quand il fut réalisé (voir 1° partie).
(11) 1 km à l'est de Rethondes, dans le parc du château de Sainte-Claire.
(12) Il s'agit bien sûr des offensives déclenchées en Picardie à partir de la fin mars 1918 par le général Luddendorff.
( 13) A cause du pont détruit, les habitants reprirent le bac traditionnel. Mais très vite un passage continu dut être rétabli, puisque Foch et Weygand allèrent à la messe à Rethondes.
(14) Voir le document N° 3.
(15) Il s'agit de la 35° division coloniale, dont le PC était à Bemeuil-surAisne. En juin 1915, placée en réserve de groupe d'armée, elle était destinée à exploiter en cas de succès contre le saillant de Quennevières.
(16) Professeur à Compiègne avant la guerre (?), membre de la Société Historique depuis 1907, E. Albertini avait été incorporé au 13° Territorrial, dont le PC était à Compiègne.
(17) Ce qui reste de la borne est depuis peu placé, par le soin de M. J. Ch. Béjot, le long du mur de l'église de Rethondes, non loin de la plaque rappelant la visite du maréchal Foch.
(18) Son ouvrage sur l'Empire romain (1929) a été réédité dans la collection «Peuples et Civilisation».
(19) Le train comptait 10 wagons, mais on ne connaît plus que LE wagon.
(20) L'armistice fut signé à 5 H 12 du matin ; le premier message radio partit de la Tour Eiffel à 5 H 40.
les membres de la délégation française – les généraux Parisot et Bergeret, le vice-amiral Le Luc, l'ambassadeur Léon Noël et le chef de la délégation, le général Charles Huntziger – sont loin de se douter qu'ils sont enregistrés : "A l'époque, il n'y avait pas de capacité technique, ce sont les premiers enregistrements sur bandes, on ne pouvait pas imaginer que ça puisse se faire", assure à franceinfo Xavier Aiolfi, expert en souvenirs historiques et militaires du XXe siècle. Ces bandes magnétiques et les enregistreurs viennent tout juste d'être mis au point par une société allemande. Dissimulé dans le bois aux alentours de la clairière, le PC technique écoute attentivement toutes les négociations.L'armistice est signée le 22 juin à 18h50 par les deux parties. L'administration de Pétain est désormais tenue de "collaborer" pour le maintien de l'ordre, d'"assurer les intérêts de la puissance occupante" et de livrer sur demande les ressortissants allemands réfugiés en France.....
Dans le documentaire "1940, les secrets de l'armistice", des enregistrements sonores inédits des négociations entre la France et l'Allemagne témoignent de l'inflexibilité des nazis qui malmènent les représentants Français. Ces documents oubliés ressurgissent mais leur histoire reste mystérieuse. "Je tiens à vous dire qu'il y a certaines conditions que nous n'accepterons pas quoi qu'il arrive."
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