25 février 1796 RÉCIT HISTORIQUE INÉDIT : LA MORT de STOFFLET par René BIZET
Le 26 janvier 1796, Stofflet, le chef vendéen qui commandait ce que l'on appelait encore l'armée d'Anjou, lançait à ses Vendéens proclamation suivante:
Braves amis,
Le moment est venu de vous montrer. Dieu, le Roi, le cri de la conscience, celui de l'honneur et la voix de vos chefs, vous appellent au combat.
Plus de paix ni de trêve avec la République; elle a conspiré la ruine du pays que vous habitez. Vous enchaîner sous ses lois barbares, vous associer à ses crimes..., tels sont ses projets....
Mais le souffrirez-vous ? Non... Ressaisissez donc avec l'énergie dont vous êtes capables, ces armes terribles que vous ne déposâtes qu'en frémissant.
Volez au combat, je vous y précéderai. Vous m'y distinguerez aux couleurs qui décoraient Henri IV à Ivry..
Et le lendemain, Stofflet faisait porter en Ecosse, par le comte de Maulévrier, une lettre au comte d'Artois pour lui annoncer:
Vos vœux sont remplis, vos intentions satisfaites. L'armée d'Anjou, que des considérations politiques et majeures avaient jusqu'ici conservée en état de paix, vient de se déclarer... Il ne nous reste plus qu'un vœu à former, celui de voir au milieu de nous Votre Altesse Royale... Votre présence est indispensable pour le soutien de la cause... Daignez donc, en secondant nos désirs, hâte un moment aussi précieux pour nous que favorable pour les intérêts de votre gloire.
Ces deux écrits, Stofflet les avait rédigés à contre-cœur. Depuis le 2 mai 1795, date à laquelle il avait signé la paix avec la Convention, malgré bien des vicissitudes, l'ancien garde-chasse lorrain du comte de Maulévrier, devenu dès le début des hostilités vendéennes un des chefs les plus audacieux et les plus écoutés de l'insurrection catholique, voulait conserver aux populations décimées, appauvries par la guerre civile, la tranquillité nécessaire à la renaissance d'un pays meurtri.
La politique modérée du Directoire et de Hoche, l'entrevue qu'il avait eue avec ce dernier le 12 décembre, près de Cholet, l'avaient confirmé dans ses intentions pacifiques.
Mais, ni l'Angleterre, ni le comte d’Artois ne l'entendaient ainsi. Mal instruits des possibilités militaires de Charette, qui opérait seul, et dans des conditions difficiles en Vendée, des ressources de Stofflet, par les émigrés échappés aux massacres de Quiberon, par des agents trop zélés, le gouvernement de Londres, pour servir ses desseins diplomatiques et guerriers, le comte d'Artois pour satisfaire des illusions maladroitement entretenues, exigeaient que les chefs vendéens reprissent les armes.
Stofflet obéit mais ne cacha pas ses sombres pressentiments:
« Mes amis, dit-il à ses officiers, quand l'envoyé du comte d'Artois lui donna, avec le brevet de lieutenant général et la croix de Saint-Louis, l'ordre de se remettre à la tête de ses troupes, mes amis, nous marchons à l'échafaud. »
LE CHEF SANS TROUPE
Hoche avait été averti des ordres donnés d'Angleterre. « La guerre stofflétienne, écrit-il au ministre, durera quinze jours. Il parait que les campagnes ne veulent pas se soulever ». Et c'était vrai. Pourquoi, puisque aujourd'hui le culte se célébrait ouvertement, puisque les pasteurs des âmes n'étaient plus persécutés, pourquoi les paysans de l’Anjou et du Haut-Poitou, qui ne s'étaient révoltés en mars 1793 que pour défendre leur foi et leur religion menacées, auraient-ils repris les armes ?
Les prêtres eux-mêmes, en chaire, depuis plus de six mois prêchaient la paix et recommandaient de respecter l'autorité. C'était le résultat de l'adroite diplomatie de Hoche.
Stofflet, dès qu'il avait su les désirs des princes, avait vainement tenté de reconstituer une armée. Il avait parcouru la région des Mauges, ce coin fidèle enfoncé au sud de la Loire entre l'Evre et les coteaux de Layon. Mais fort peu de paysans avaient répondu à ses appels réitérés.
Quand il entre en campagne, le 28 janvier, il a autour de lui, deux ou trois cents hommes, au plus. Et encore sont-ce, avec quelques officiers d'état-major, ceux que l'on nomme les chasseurs de Stofflet, qui lui composent depuis la grande insurrection une sorte de garde du corps.
Le terrain où va se mouvoir cette petite troupe est détrempé par les pluies, qui ont été particulièrement abondantes en ces premières semaines de janvier. Des torrents coulent dans les champs' ravinés par les averses.
Le ciel prolonge ses menaces et l'armée du Directoire en Haut-Poitou et d’Anjou compte environ trente mille hommes.
Il ne faut donc pas parler de guerre, ni de batailles; ni même de combats. Il y a quelques centaines d'hommes mal armés qui sont harcelés, traqués par des milliers de soldats d'autant plus impitoyables qu'ils sont pressés d'en finir et par tous les moyens.
COUPS DE MAIN
Enfin, puisqu'il faut se mettre en campagne, Stofflet va essayer un coup de main et tente de s'emparer de Chemillé, dont d'ordinaire la garnison est assez faible. Mais, par malheur, Hoche a dû être prévenu des intentions du chef vendéen; il est lui-même à Cheminé avec six mille hommes.
Rien à faire. Il faut fuir : Stofflet rassemble son monde, se dirige vers les villages des Mauges qui lui sont les plus familiers : Neuvy, Chaudron, et prend un repos de quelques heures dans ce château de la Morosière où il a connu, au lendemain de la pacification, ses jours les plus heureux. Mais il faut repartir, et l'on n’est sauvé de l'encerclement que par une pluie torrentielle qui permet à Stofflet et aux siens de cacher leur mouvement.
Mais où aller ensuite ? et que faire ?
Le bocage vendéen était parcouru par les troupes de Hoche qui ne laissaient pas aux paysans le temps de réfléchir aux décisions à prendre.
C'était la ruine générale si le pays avait manifesté l'intention de se soulever. Le chef comprit que, pour ses fidèles, il n'y avait pas d'autre fin qu'une mort inévitable.
Il réunit ses officiers à quelques kilomètres du Pin-en-Mauges, et tous furent d'accord que, non seulement la lutte était inutile, mais qu'elle était impossible.
Stofflet licencia ses quelques deux cents soldats en leur laissant vaguement entrevoir un temps où les circonstances seraient m'oins défavorables.
Mais licencier les soldats, ce n'était pas résoudre le problème essentiel. Stofflet sans troupe en était pas moins un insurgé et sa tête était mise à prix. L'homme était brave. Il l’avait prouvé maintes fois, sur maints champs de batailles. Il avait l'autorité que lui conféraient son expérience, son esprit de justice et aussi sa force physique.
Mais aujourd'hui, si la force peut encore 1'aider à sauver sa vie, ses qualités morales ne lui servent de rien, ni pour rassembler des volontaires, ni pour attendrir ses poursuivants. Il faut, ou se rendre — et c'est sans courage — ou se défendre
— et c’est sans espoir. Stofflet se défendra, malgré tout.
On lui signale Qu'il trouvera, quelques laboureurs dévoués au sud de la forêt de Maulévrier — qu'il connaissait bien, puisqu'il y avait été garde-chasse — aux Aubiers.
C'est à une soixantaine de kilomètres du Pin-aux-Mauges, et à cinq lieues environ de Bressuire. Il se rend auprès de ces fidèles et, à tout hasard, se jette dans Bressuire où il espère trouver quelques approvisionnements, des armes et des munitions.
Son coup de main réussit, mais les provisions sont maigres.
Aussi Stofflet doit-il tenter une nouvelle attaque sur un convoi de vivres et de cartouches qui venait de Châtillon.
Les Bleus sont une quarantaine. Ils sont tués ou désarmés par un nombre à peine supérieur de Blancs : toute « l'armée » de Stofflet.
Mais, dès le lendemain, les soldats de Hoche accourent de tous les côtés.
Le chef vendéen est à Voultegon, sur les bords du Thouet, à dix kilomètres de Bressuire. Il va être cerné.
En hâte, il renvoie ses laboureurs à leurs métairies et reste seul avec un jeune ordonnance et quatre officiers. Les six hommes gagnent la forêt de Maulévrier.
Les Bleus ne trouvèrent personne à Voultegon.
POURSUITES
Le soir même la neige tombe. Ces premiers jours de février étaient exceptionnellement froids let il fallait vivre dans une cachette, au milieu des bois. Impossible de sortir de la forêt, on eût suivi la trace des pas des fugitifs sur le sol blanc. Un fermier consentit à les approvisionner.
Ils menaient là une vie de loups. De temps en temps, le fermier venait .apporter des nouvelles de l'extérieur. Elles étaient décourageantes.
De vieux, de chers amis de Stofflet étaient chaque jour surpris les armes à la main et fusillés. De plus en plus, résister — car. il ne s'agissait plus d'entreprendre — devenait inutile. Les compagnons du chef le lui disaient. Des officiers de son ancienne armée, qui avaient, pour lui l'affection la plus touchante, le lui faisaient dire et lui conseillaient de faire tout de suite sa soumission. Peut-être était-il encore temps.
Stofflet était plus convaincu que personne de la nécessité d'en finir. Dans cette « loge » de la forêt, au milieu du silence, où le moindre bruit était suspect, où le ciel et la terre n'étaient que menaces, il sentait bien que tout était perdu et que tout ce qu'il pourrait faire pour « la cause » serait, en réalité, fait pour rien ou pour lui assurer une mort plus rapide. Qui s'inquiétait de lui ?
Lutter avec la foi en ceux qui vous ont commandé de vous battre, avec l'espoir de leur présence, avec la consolation de leur sollicitude, quoi de plus simple pour un Stofflet ou un Charette? Mais se battre sans exaltation, n'avoir pour suprême idéal que de faire payer cher sa vie à qui veut la prendre et se répéter de jour en jour : .« Tout ce que je peux faire ne servira ni nos idées, ni ceux qui les représentent », quoi de plus amer pour deux hommes qui ont le courage des héros et la résignation des saints, mais désespérée ?
Stofflet pourtant se serait décidé — pour sauver ses derniers compagnons d'armes plus que pour se sauver soi-même — à tenter une démarche auprès de Hoche, si les événements n'avaient tout à coup pris un cours inattendu.
LE MYSTERIEUX RENDEZ-VOUS
C'est là qu'intervient un étrange personnage sur lequel les historiens ne sont pas d'accord : l'abbé Bernier, un des négociateurs du Concordat, et qui devait mourir encore jeune — à quarante-quatre ans — à l'évêché d'Orléans où, en récompense des services qu'il avait rendus, Napoléon l'avait fait nommer.
L'abbé Bernier a joué un grand rôle dans l'insurrection vendéenne. Il en fut souvent l'âme, il en fut le guide, l'administrateur. Il fut, en particulier, l'aumônier, l'homme de confiance de Stofflet; Fut-il aussi l'agent de Hoche et du Directoire ? Pensa-t-il qu'il valait mieux sacrifier ses amitiés de jadis à la pacification totale de l'Ouest? Fut-il intrigant par nécessité plus que par ambition, et ambitieux de servir son pays plutôt que son parti ? Autant de questions qui reçoivent des réponses contraires, selon les opinions politiques de ceux qui ont étudié le caractère et la carrière de l'ancien curé de Saint-Laud d'Angers. Nous n'avons pas à prendre parti ici.
Tenons-nous en aux faits, tels qu'ils nous sont rapportés pour la fin de Stofflet, par son descendant, Edmond Stofflet, qui a puisé ses renseignements aux meilleures sources.
Donc, il y avait deux semaines que Stofflet et ses cinq compagnons étaient cachés dans la forêt de Maulévrier, quand l'abbé Bernier fit savoir à son ami qu'il était indispensable de conférer « avec les délégués de toutes les armées royalistes de l'Ouest sur les moyens de reprendre l'offensive ».
L'abbé était malade. Il n'y avait pas un instant à perdre pour s'entretenir avec lui. Le rendez-vous était dans le pays même où Stofflet avait opéré ces temps derniers, à la ferme de la Saugrenière, près de La Poitevinière, entre le Pin-en-Mauges et Neuvy.
Quoique l'objet de la discussion qu'on proposait au chef vendéen dût paraitre assez ironique à celui qui était terré depuis quinze jours et abandonné de tous, Stofflet n'hésita pas. Il avait son opinion à donner, peut-être même la ferait-il prévaloir et ce serait alors la fin du cauchemar... Il partit avec son aide-de-camp, son secrétaire, un envoyé des Chouans de Bretagne et un domestique.
Il y avait plus de dix lieues à faire dans un pays parcouru en tous sens par les soldats de Hoche. C'était risquer d'être faits prisonniers à chaque pas. Mais la chance aidant et le ciel aussi, le chef et ses compagnons arrivèrent dans la matinée du 23 février à la Saugrenière.
La ferme de la Saugrenière n'était ni sur une route, ni même sur un chemin fréquenté. Elle était perdue dans les champs, dissimulée aux regards par des rideaux d'arbres, et on n'y atteignait que par des sentiers tortueux où l'on enfonçait jusqu'à mi-jambe en cette fin d'hiver. Jamais les Bleus n'auraient eu l'idée de pousser jusque-là dans ce pays des Mauges qu'ils battaient pourtant depuis des mois. Le lieu était donc bien choisi pour une rencontre secrète.
ETRANGES ALLEES ET VENUES
A midi, l'abbé Bernier était au rendez-vous, accompagné de plusieurs personnes, dont un représentant de Charette, Chasnier-Duchesne, un de Puisaye, commandant des Bretons, un de Scepeaux, qui opérait aussi en Bretagne, et tout de suite, la discussion s'engagea sur des questions à la vérité secondaires; le choix du délégué des armées royalistes auprès des Anglais et du Roi; les moyens de recevoir de l'argent pour payer les troupes en campagne; la nécessité de faire reconnaître par l'Ouest, Louis XVIII, comme roi de France, afin qu'il pût accréditer des ambassadeurs auprès des cours étrangères. Tout cela fournit le prétexte à des bavardages. Stofflet n'osait poser franchement le vrai problème : peut-on poursuivre la lutte ? Pourtant, celui-là seul importait.
Tout l'après-midi et toute la soirée, on perdit son temps. On remarqua à peine que Bernier avait envoyé un de ses chasseurs attaché à son service chercher du tabac à Cholet, à plus de quatre lieues de là ! Le chasseur ne devait d'ailleurs pas revenir.
A deux heures du matin, on décida de-remettre à la nuit suivante la suite de la discussion, et de se séparer. Bernier conseilla à Stofflet de rester avec ses fidèles à la Saugrenière. Quant à; lui, il déclara qu'il irait se mettre à l'abri chez un certain Picherit, Vendéen bon teint, qui était le métayer de la ferme de la Petite-Ramée, à quelques centaines de mètres de la Saugrenière.
Cette décision parut naturelle à Stofflet.
Il ne se doute pas un instant que l'abbé ne va pas chez Picherit, mais dans une autre-métairie, au Chêne Percé, « qui se trouve à quelques pas d'un chemin de traverse qui mène à Chemillé, où sont rassemblés des soldats de Hoche ».
Pourquoi ce changement de refuge ?
Pourquoi, alors qu'il était certain que les Bleus ne viendraient ni à la Saugrenière, ni à la Petite-Ramée, aller dans une métairie que leurs patrouilles connaissaient? On n'a pas répondu à ces questions. Mais toujours est-il que, vers trois heures, dans les ténèbres, le- métayer du Chêne-Percé entendit autour de sa maison les rumeurs et les bruits d'une troupe en armes. Il se lève. On frappe à la fenêtre de sa chambre qu'il avait cédée, à Bernier. Il entend un volet qui s'ouvre, une brève conversation à voix basse. Le volet se referme, la troupe s'éloigne.
Où va-t-elle ? D'après les indications recueillies plus tard et les rapports officiels, le général Coffin, qui commande la division de Cholet, a été prévenu qu'il y avait à la Saugrenière une réunion de « brigands ».
Aussitôt il a donné l'ordre à un de ses aides-de-camp d'aller à Chemillé, d'alerter la garnison et d'envoyer à la Saugrenière deux cents hommes et vingt-cinq cavaliers. Ce sont eux qui ont fait halte autour du Chêne-Percé et qui, après les quelques mots échangés à la fenêtre, ont pris le chemin du Souchereau. Pourquoi pas directement celui de la Saugrenière ? Parce qu'ils ne connaissent pas la région.
A la métairie du Souchereau, ils réveillent le fermier, Rimbaud.
— Conduis-nous à la Saugrenière.
— Je ne peux pas.
— Pourquoi ?
— Je suis seul.
Ce n'est pas une raison suffisante et les quelques objections que l'homme fait encore sont aussi vaines.
— En route !
Rimbaud se résigne, marche en tête de la troupe. Il arrive devant le moulin de Vernon; il y a deux chemins. Celui de droite conduit à la Saugrenière, celui de gauche dans la direction opposée. Rimbaud prend celui de gauche. Le chef des Bleus, Loutil, se méfie.
Tu te trompes...
— Mais non.
— J'en suis sûr. Si tu ne nous mènes pas directement là où nous t'avons dit, on te brûle la cervelle.
Et Rimbaud prend alors le bon chemin.
Les soldats arrivent devant la Saugrenière.
Il est quatre heures du matin.
LES DERNIERS INSTANTS
Le chef de bataillon sait son métier. Il fait entourer la ferme par ses hommes, à petite distance. Lui-même opèrera avec douze grenadiers, tandis que l'aide-de-camp de Coffin se présentera à la seconde issue. Tous les mouvements préliminaires sont exécutés en silence. Loutil frappe à a porte principale. Une voix demande :
— Qui est là ?
— Royaliste : c'est Forestier.
A l’autre porte, l'aide-de-camp répond :
— Royaliste : Schetou.
Ces deux noms sont connus des Vendéens, on ouvre.
Autour d'une table, sur laquelle une lanterne étale une lumière jaunâtre, il y a quatre hommes. Les vingt-quatre Bleus qui ont fait irruption dans la salle les mettent en joue. Mais Stofflet n'est pas là.
On commence à fouiller la pièce qui sert de chambre a la fermière, la citoyenne Lizé, à une vieille fille paralytique, Mlle de Grignon. On découvre l'envoyé des Chouans, le secrétaire, l'aide-de-camp, le domestique, mais pas le chef.
— Où est Stofflet ?
— Je n'en sais rien, dit la citoyenne Lizé.
— Nous savons qu'il a passé la nuit ici. Ou est-il cache ?
— Cherchez-le. La maison n'est pas grande. S’il est ici vous le trouverez.
Et les soldats se mettent à la besogne.
Inutilement: pas de Stofflet.
Loutil use d'un moyen qui était habituel a cette époque à ceux qui avaient mission de poursuivre les « brigands » dans les demeures où l'amitié leur donnait asile : il fait ranimer le feu dans l'âtre et pousse vers le foyer la citoyenne Lizé, cependant qu'on arrache de son lit Mlle de Grignon. Les deux femmes vont être « chauffées », comme on disait alors. Et déjà la fermière pousse des cris de douleur
— Où est Stofflet? demande Loutil, une fois encore.
A ce moment, les Bleus qui soufflent sur les bûches ou maintiennent les malheureuses prisonnières entendent un bruit de chute. Tout le monde se retourne. C’est Stofflet. Il est sorti de sa cachette aux hurlements de son hôtesse. Il était dans le grenier, sous un tas d'étoupe.
— C'est moi qu’il faut tuer, laissez ces femmes……
Mais en parlant ainsi, il s'approche, de a porte et de ses poings solides assomme trois soldats qui s'accrochaient à lui. Nul ne s’occupe plus de la fermière ni de la paralytique. On se jette sur le chef vendéen, on le larde de coups de baïonnette. Il est sans arme. Il n'a que ses mains pour se défendre. Il se débat furieusement.
Il atteint la porte; il va l'ouvrir. Après s’être débarrassé d'un Bleu qui l'a saisi aux jambes, un coup de sabre lancé au hasard 1’atteint au front, lui coupe la peau ' qui se rabat sur ses veux.
Il est aveuglé. Son sang coule, il vacille. Il tombe. On le ligotte.
Le cri de victoire des soldats avertit le gros de la troupe que tout est fini.
Tous ces détails ont été donnés par les deux fils de la fermière dont Stofflet avait sauvé la vie. L'un a habité la Saugrenière jusqu’à sa mort, et l'autre entra à la Trappe.
LE MARTYR
Le 24 février, le général Hédouville, qui commandait la division d'Angers, écrivit au Directoire: « Stofflet a été pris cette nuit avec deux de ses aides-de-camp, deux de ses courriers de dépêches et un domestique, dans la ferme de la Saugrenière, canton de Jallais, district de Cholet. Us ont été amenés ici. Ils seront jugés au-jourd 'hui et fusillés demain. »
Ainsi devait-il être fait.
Stofflet, dépouillé de ses vêtements ensanglantés, vêtu d'une blouse de paysan, fit pieds nus le trajet qui séparait la Saugrenière d'Angers, soit huit lieues.
On avait relevé la peau de son front par un lien; il n'eut pas d'autre pansement.
Il arriva dans la ville dans la soirée du 24. Il la traversa entouré de ses compagnons qui, allaient être mis en jugement, comme y avait foule sur son passage.
On hurlait: « Vive la République! » A la vérité, on saluait avec une joie féroce la conclusion, d'une longue lutte dont Stofflet avait souhaité la fin plus ardemment que personne, et qu'îl avait reprise et poursuivie, malgré lui et sans espoir.
Dans la; nuit, une commission militaire interrogea aux chandelles le chef épuisé de fatigue, qui répondit à peine aux questions qu’on lui posait pour la forme.
--- En luttant contre ceux qui m'ont arrêté, j'espérais me faire tuer, déclara-t-il. J’aimais mieux mourir sous leurs coups que de vous donner l'honneur de me juger et le plaisir de me condamner.
A neuf heures du matin, le 25 février. 1796, au Champ de Mars, Stofflet embrassait les amis qui allaient mourir avec lui. Lorrain, il demanda si parmi les soldats qui allaient le fusiller il n'y avait pas un Lorrain. Un homme se présenta; Stofflet lui remit sa montre.
Il refusa de se laisser bander les yeux.
Il prit la main de son aide-de-camp.
— vive la religion ! Vive le roi! S’écria-t-il, tandis que le peloton d'exécution tirait.
Il tomba en même temps que son compagnon. On eut de la peine à détacher leurs mains unies.
Hoche, en annonçant la nouvelle, envoya au Directoire la croix de Saint-Louis de Stofflet, sa ceinture, une dragonne marquée aux initiales du titre et du nom des seigneurs de Maulévrier, dont le chef vendéen avait été le scrupuleux serviteur.
Le général de division Hédonville, chef de l'état-major de l’armée des côtes de l’Océan, au directoire exécutif.
Au quartier-général à Angers, Le 6 ventôse.
Citoyens directeurs, Stofflet et ses cinq complices ont été jugés la nuit derniere et fusillés ce matin à neuf heures, excepté son jeune domestique que le conseil militaire a condamné à la détention jusqu’à la paix.
Nous avons encore eu ce matin un succès aux mines de Monterlais, près d’ingrande. Un rassemblement de cinq cents chouans a été mis en déroute complète par publicains de ce cantonnement, qui en ont tué vingt et blessé un grand nombre. Nous avons à regretter deux volontaires.
Nous venons de prendre cinquante-sept chevaux à Charette ; et ce qui est encore plus intéressant, nous apprenons que les jeunes gens rentrent dans leurs foyers, et déposent leurs armes chez les commandans de noscantonnemens.
Salut et respect. Signé T. Hédouville.
Copie du jugement rendu par le conseil militaire établi à Angers, le 5 ventôse, l’an 4 de la république, par ordre du général de brigade Baillot, commandant la cinquième subdivision, contre Stofflet et complices.
Ont comparu devant nous les nommés Nicolas Stofflet, âgé 44 ans, natif de Luneville, département de la Meurthe, et sans profession, ancien militaire, commandant en chef les rebelles de la Vendée :
Charles Lichtenhein, âgé de 24 ans, né à Prade, en Franconie, ancien officier au service de l’empereur, et un des officiers dusdit Stofflet ;
Joseph Philippe Desvarannes, né à Ancenis, département de la Loire inferieure, anciens commis au district d'Ancenis, et un des officiers dudit Stofflet ;
Joseph Moreau, âgé de 20 ans, né à Chantelon, département de Maine et Loire, tisserand de son état, et brigand ;
Pierre Pinot, âgé de 21 ans, né à Cholet, département de Maine et Loire, tisserand de son état, et brigand ;
Et Michel Grolleau, âgé de 14 ans, né à Cholet, département de Maine et Loire, sans état et brigand ;
Vu le rapport fait par le général de brigade Ménage, de la capture des personnes dénommées, Stofflet, commandant en chef les rebelles de la Vendée ; Lichtenhein, Moreau, Desvarannes, Pinot et Grolleau, autres rebelles attachés au service dudit Stofflet ;
Les autres pièces du procès, ouï le rapport et le rapporteur en ses conclusions, les réponses aux divers interrogats subis par les accusés dans leurs défenses ;
Considérant qu’il est constant que tous lesdits accusés ont été, le 5 ventôse, pris les armes à la main, dans la métairie de la Sogreniere, commune de la Poteviniere, département de Maine et Loire ;
Considérant en outre qu’il est constant que lesdits Stofflet, Lichtenhein et Desvarannes sont chefs et sous-chefs desdits révoltés.
Considérant encore qu’il est constant que lesdits accusés sont auteurs et complices de l’assassinat commis sur la personme de Audion , grenadier des troupes républicaines ;
Le conseil, après avoir délibéré, déclare ledits Stofflet, Lichtenhein, Desvarannes, Moreau et Pinot, atteints et convaincus d'avoir été pris les armes à la main, d’être , en outre, savoir: lesdits Stofet , Lichtenhein et Desvarannes, Vendéens , et lesdits Moreau et Pinot, d’être les complices de l’assassinat commis sur la personne dudit Audion, grenadier.
En conséquence, lesdits accusés se trouvant dans les dispositions de la loi du 30 prairial, art. 3 et 4, qui portent, savoir : le premier,
« Les chefs, commandans, capitaines, les embaucheurs et les instigateurs des rassemblamens armés sans l’autorisation des autorités constituées, soit sous le nom de chouans, ou sous telle autre dénomination, seront punis de la peine de mort ; »
et le second qui dit, « que les hommes armés pris dans ces rassemblemens, s'ils sont déserteurs ou étrangers au département où ils seront pris, seront punis de la même peine. »
Le conseil les condamne à la peine de mort.
Et quant au nommé Grolleau, le conseil ayant égard à ce qu'il n’est âgé que de quatorze ans ; qu’il peut, par conséquent, avoir été instigué à fane partie de ces rassemblemens ; et profitant en outre des dispositions de l'article 20 de la loi du deuxieme jour complémentaire, qui accordé la faculté de commuer les peines, le condamne à la détention jusqu'à la paix générale.
Ordonne que le présent jugement sera mis sur-le-champ à exécution.
Ordonne en outre que copie du présent jugement sera adressée, tant au ministre de la guerre qu'au général de cette division, et aux différentes communes et departemens desquels les accusés sont habitans.
Fait et prononcé séance tenante et publique, par nous président, de l'avis des membres dudit conseil.
A Angers, le 6 ventôse, l'an 4 de la république française, une et indivisible.
Signé, Drahomet, Lefèvre, Damiens, Bayeult, de la Ruelle , Launeph, Dessiller, Massy et Ami, président ; Crolbo , secrétaire.
Nous ajouterons, en ce qui concerne le cimetière du Clon, que derrière la porte, côté droit, furent inhumés les corps du général vendéen Stofflet, de ses deux aides-de-camp Charles de Lichtenheim et Desvarannes, et de son domestique Moreau.
Le vieux cimetière du Clon disparut fut remplacé par une usine détruite pour faire place à différentes rues. Aménagé sur l’emplacement d’une ancienne closerie du même nom, ce cimetière aura commencé à s’étendre en 1776, pour rassembler les restes funéraires provenant de cimetières paroissiaux environnants. Les Archives municipales nous apprennent qu’il a été utilisé jusqu’en 1841, alors que les cimetières de l’Est et de l’Ouest avaient déjà commencé à s’étendre en périphérie de la ville.
René BIZET. Candide : grand hebdomadaire parisien et littéraire
Haut-fourneau de la Poitevinière en les Mauges
Les forges médiévales produisaient des armes et des outils destinés à l’artisanat et à l’agriculture.
L’étude des comptes de la châtellenie de la Poitevinière, conduite par Claudie Herbault, fournit d’intéressantes informations sur l’activité des forges rurales de notre région jusqu’au milieu du XVI e siècle.
Les forges de la Poitevinière étaient implantées dans la forêt du même nom, qui est l’actuelle forêt d’Ancenis, dont le sous-sol est riche en minerai. Les noms figurant sur les comptes de la châtellenie, et les baux de fermage, semblent indiquer que chaque forge était spécialisée dans la fabrication d’un, ou plusieurs types d’outils, d’ustensiles ou d’instruments.
Sont ainsi mentionnées des «forges sochières» produisant des socs de charrue, des «forges paellières» produisant des poêles de différents modèles, des trépieds et des broches à rôtir, des «forges paronères» dont la production ne peut être clairement identifiée, le terme «paron» désignant le timon de la charrue qui était construit en bois et non en fer.
Le manque de combustible, dû à la raréfaction du bois, se faisait déjà sentir dès le XV e siècle.
En 1470, les six forges de la châtellenie sont vacantes. Mais, comme l’explique le châtelain, «la chômée des forges» n’est pas due au manque de main d’œuvre mais au manque de bois entraîné par la réglementation de l’abattage des arbres dans la forêt de la Poitevinière.
Association bretonne et Union régionaliste bretonne