Saintes 21 décembre 1793 LEQUINIO - COMMENT LES AUTORITAIRES DE 93 ENTENDOIENT LA LIBERTÉ DES CULTES

La pièce qu'on va lire est extraite des papiers de feu l'abbé Grégoire (1).

C'est un thème digne des orateurs du congrès de Liège : nous leur recommandons ce document. Il est vrai que ces messieurs, ayant décrété l'abolition de DIEU, n'ont point à se préoccuper du plus ou moins de liberté que pourraient réclamer les sectaires.

 Sous ce rapport, ils dépassent même Lequinio; mais à part ce léger dissentiment, qui n'est qu'un détail, ces messieurs et Lequinio sont dignes de s'entendre : ils ont en commun la théorie de la FORCE pour nous conduire à la LIBERTÉ, et nous avons dans l'oeuvre qu'on va lire un échantillon des douceurs que nous réserve l'aimable liberté que ces messieurs tentent de nous réorganiser.

 M. Berriat Saint-Prix, dans son précieux travail sur la Justice révolutionnaire, a déjà fait connoître aux lecteurs du Cabinet historique quel étoit le citoyen Lequinio.

 On l'a vu travailler à Fontenay, à Rochefort et autres lieux (Cab. hist., t. x, p. 202 et passim). Nous ajouterons quelques lignes à sa biographie.

La révolution le trouva maire de Rennes, où rien ne faisoit pressentir en lui le farouche proconsul de 93.

 Il étoit juge au tribunal de Vannes quand il fut élu à la Législative par le département du Morbihan. Il s'y montra quelque temps fort modéré, puis, entraîné comme tant d'autres, il se jeta dans les plus déplorables excès.

Il fut chargé d'aller révolutionner les départements de l'Aisne, de l'Oise et de l'Ouest, et M. Berriat nous a dit comment il s'en acquitta.

 Il suffit, pour avoir une idée de ses principes, de lire sa correspondance dont Prudhomme nous a conservé des fragments.

Ce fut lui qui, après la mort de Robespierre, fit la motion de purger le sol de la Liberté du dernier rejetton de la race impure du tyran-roi.

Mais la réaction thermidorienne s'étant consolidée, Lequinio essaya de se justifier des actes odieux qui lui étoient imputés et fut décrété d'accusation le 8 août 1795 (2).

Il eut la chance d'atteindre l'amnistie de 1796 qui le rendit à la liberté. Depuis, le Directoire le nomma officier forestier à Valenciennes, et il revint député du Nord au conseil des Cinq-Cents.

Après le 18 brumaire, on le voit commissaire des relations commerciales à Newport dans les États-Unis d'Amérique.

Il revint en France vers 1804 et ne s'occupa plus que d'agriculture. Il est mort vers 1813.

 

 

 

LEQUINIO

REPRÉSENTANT DU PEUPLE,

Aux Citoyens de la Vendée, des deux Sèvres et de la Charente inférieure.

 

CITOYENS,

La plus belle révolution, la plus nécessaire au bonheur du genre humain, vient de s'opérer ; les Français viennent de se délivrer pour jamais du joug le plus accablant dont l'espèce humaine ait été chargée jusqu'ici, celui des ridicules superstitions qui, si long-temps, ont inondé la terre du sang des hommes versé au nom des dieux par la fourberie des prêtres et l'ambitieuse duplicité des rois.

Tous les cultes ne furent inventés que par les despotes qui, pour maîtriser plus sûrement les peuples, eurent besoin de fixer leur esprit sur des objets purement imaginaires, de les occuper entièrement de choses inintelligibles, et qui n'existent pas, afin de les étourdir sur leur malheur et leur esclavage, et de décorer d'une pompe imposante tous les charlatans qu'ils emploierent, sous le nom de prêtres ou ministres, à cette séduction perfide.

C'est par-là que les tyrans sont parvenus, dans tous les pays, à captiver l'imagination des hommes dès le berceau et à les asservir jusqu'à la mort, en leur interdisant la faculté de réfléchir, le droit de raisonner, le sentiment de l'égalité sociale et l'usage de la liberté qui appartient à tous les hommes; ce joug honteux et pesant vient d'être brisé, et c'est dans ce pays, si long-temps le théâtre de guerres religieuses, que le peuple ouvrant enfin les yeux à la lumière, a le premier donné l'exemple de cet élan philosophique qui s'est étendu déjà sur toute la France, et qui gagnera bientôt toutes les contrées de l'Europe.

Mais quelques-uns de ces scélérats qui, depuis si longtemps étoient habitués à mentir au peuple, tentent encore de faire jouer leurs ressorts hypocrites pour se conserver la considération dont ils jouissoient, et les èmolumens qu'ils percevoient sur l'imbécillité publique; ne pouvant arrêter le torrent de lumières el de raison qui va nettoyer toute la France de leurs mensonges grossiers, ils essaient du moins d'en troubler l'onde salutaire, et ils emploient pour cela mille ruses, que l'habitude de tromper, passée chez eux en seconde nature, leur a rendu si familières.

Les uns déposent leurs lettres de charlatanerie presbyteraie, ils affectent même des discours très-philosophiques, un dévouement très-patriotique et un désintéressement sans bornes, tandis qu'en dessous ils excitent des Citoyens foibles et ignorans de leur commune, à porter aux Représentans du peuple des pétitions tendantes à leur obtenir des faveurs qui ne pourraient même pas s'accorder à l'homme reconnu pour avoir été le plus constamment patriote et le plus sincèrement l'ami du peuple; les autres exposent méchamment aux Citoyens faciles à tromper, et surtout aux Citoyennes qu'ils veulent apitoyer sur leur sort, la perle de leur état el la différence de leur position actuelle avec leur position passée; d'autres, sous prétexte de ne prêcher que la morale, s'emparent encore de la parole dont ils ont abusé si long-temps, et ramènent toujours le peuple qu'ils ont promis d'éclairer, au tissu d'absurdités inintelligibles que leurs prédécesseurs leur avoient transmises, et à l'aide desquelles ils tuoient l'intelligence humaine et la raison ; d'autres enfin, des ci-devant ministres protestans s'imaginant que leur culte ayant été un peu moins chargé d'inepties que celui des ministres catholiques, ils peuvent élever leur crédit sur les ruines des autres, voudraient se faire un parti parmi les Citoyens qu'ils avoient coutume de diriger, et de conduire aussi par le chemin de l'erreur, quoique d'une manière moins grossière.

Citoyens, toutes ces ruses sont les derniers efforts de la scélératesse expirante ; votre sagesse, votre patriotisme et votre amour pour la liberté vous mettront suffisamment en garde contre toutes les séductions de ces serpens, en quelques replis qu'ils se contournent pour faire valoir leurs impostures : vous connoissez les principes, et il vous suffit d'un instant de réflexion pour les concevoir.

 Tous les cultes sont libres ; le premier des droits de l'homme est de penser librement et de rendre librement hommage au dieu que son imagination lui peint.

Mais celui-là n'est pas libre, dont l'esprit est tourmenté par les discours et les instigations d'un autre; les esprits foibles et ignorans sont aisément induits en erreur par l'homme qui abuse du pouvoir de l'éloquence pour les dominer, et celui-là est un tyran qui veut soumettre l'opinion des autres à la sienne, et les porter à croire ce qu'il croit et à imiter ses pratiques; il n'y a que la vérité démontrée mathématiquement, ou les vérités physiques dont l'existence tombe sous nos sens à tous, que la raison puisse admettre, et le Citoyen encore qui voudroit forcer à y croire celui de . ses frères qui s'y refuse, n'en serait pas moins un despote : à plus forte raison lorsqu'il ne s'agit que de ces inventions absurdes, qui ne sont que le produit des imaginations délirantes ou d'une perfidie calculée pour maîtriser l'esprit humain et asservir les hommes en étouffant leur raison ; nul n'a donc le droit de prêcher de ces absurdités, et celui qui le fait devient réfractaire à la loi qui consacre la liberté des cultes, puisqu'il veut par la magie de son éloquence, forcer les autres à pratiquer le sien.

Tout homme donc quel qu'il soit, qui s'avise de prêcher quelques maximes religieuses que ce puisse être, est, par cela seul, coupable envers le peuple ; il viole la Constitution républicaine et la liberté, l'égalité sociale même qui ne permet pas qu'un individu puisse élever publiquement ses prétentions idéales au-dessus de celles de son voisin; il mérite donc d'être arrôlé rigoureusement el sévèrement traité comme perturbateur de l'ordre public.

Que chacun de nous rende ses hommages à l'éternel ainsi qu'il lui plaira; qu'il exerce son culte en particulier ainsi qu'il le trouvera bon : voilà la liberté des cultes; mais qu'il ne cherche point à l'inspirer aux autres, car ce serait désormais un délit, et notre devoir nous forcerait à faire tomber le glaive de la loi sur les coupables.

Citoyens, occupons-nous de notre bonheur; occupons-nous de consolider notre liberté par l'instruction; transformons tous les temples qui furent si long-temps ceux du mensonge, en temples de lumières et de vérité; que les bons Citoyens s'y réunissent en société populaire, et qu'il n'y ait pas une seule commune où les rassemblemens si salutaires au peuple et le seul rempart de sa liberté n'aient lieu désormais ; que le jour de la décade, sur-tout, on y consacre ce temps du repos à entretenir les sentiments de fraternité qui doivent changer le peuple François en une seule famille; substituons dans ce jour une communion réelle à cette communion ridicule, où des imposteurs aussi ineptes qu'audacieux, faisoient avaler un morceau de pain-à-chant à vingt individus en même-temps, en faisant croire à chacun d'eux que c'était le corps tout entier d'un homme de grandeur ordinaire, et néanmoins le fils de dieu, qu'ils supposoient un pur esprit; que dans toutes les communes il y ait un banquet fraternel à chaque décadi; que chacun de nous y porte les alimens qu'il aurait consommés dans sa maison; que le repas soit frugal, mais qu'il soit abondant en joie et en fraternité ; que le pauvre partage le dîner du riche, et que celui-ci se trouve heureux d'avoir l'occasion de fraterniser plus intimement avec celui qui est moins bien traité que lui par la fortune, et aux travaux, aux sueurs duquel il doit une grande partie de la sienne ; qu'un discours patriotique ou une lecture philosophique précède ce banquet; que la franchise et l'hilarité l'animent, et qu'il se termine par des danses et des hymnes glorieux à la Nation Française, puisqu'elles célèbrent la liberté que nous avons conquise, et qui de chez nous passera tôt ou tard à toutes les Nations de l'univers.

Voilà, Citoyens, un des meilleurs moyens d'entretenir la fraternité qui doit régner parmi nous et le plus assuré pour se mettre en garde contre toutes les tentatives des malveillans, que les ennemis de notre liberté paient encore pour semer le trouble au milieu de nous, afin de nous diviser et de nous vaincre.

C'est le meilleur moyen de dédommager l'homme depeine, des fatigues que lui ont causées les neuf jours de travail qui ont précédé le décadi, et c'est le plus sûr pour fixer l'égalité sociale et anéantir les derniers restes de l'aristocratie qui souille encore le coeur de quelques êtres insensibles et orgueilleux; les ci-devant grands, les despotes de toutes les espèces se donnoient de grands repas, et c'étoit toujours pour consolider leur orgueil et se coaliser contre la liberté des peuples et l'égalité sociale.

 Hé bien ! employons régulièrement ce moyen pour nous coaliser contre l'orgueil des riches, contre les aristocraties de toutes les espèces et contre tous ceux qui par leurs actions, leurs discours, ou leur conduite, quelle qu'elle soit, voudraient porter atteinte aux droits sacrés de l'homme, à l'égalité sociale et à notre précieuse liberté.

 

RÈGLEMENT.

ARTICLE PREMIER.

Afin que la liberté des cultes existe dans toute sa plénitude, il est défendu à qui que ce soit de prêcher ou écrire pour favoriser quelque culte ou opinion religieuse que ce puisse être; celui qui se rendra coupable de ce délit, sera arrêté à l'instant, traité comme ennemi de la Constitution républicaine, conspirateur contre la Liberté Françoise, et livré au tribunal révolutionnaire établi à Rochefort

II.

Les ci-devant ministres de quelque culte que ce soit, et ceux qui le sont encore, répondent de la tranquillité de leurs communes; aux premiers troubles qui pourroient y avoir lieu, ils seront mis en arrestation, et s'ils y ont eu la moindre part directe ou indirecte, ils seront livrés au tribunal révolutionnaire et condamnés à mort.

III.

Toute pétition des communes en faveur de leur ci-devant ministre n'étant que le produit de leur influence encore subsistante, de l'idolâtrie qu'ils avoient inspirée pour leurs fonctions et de leur intrigue actuelle, elle suffira pour rendre ces ministres suspects, et ceux en faveur desquels ces pétitions seront présentées seront mis à l'instant en état d'arrestation.

IV.

Dans les communes où les ministres des cultes ont abjuré leurs fonctions mensongères, les ci-devant cures ou maisons presbytérales serviront provisoirement, et en attendant que la Convention nationale n'en ait autrement ordonné, de maison commune et de maison d'institution s'il n'y a déjà d'autre maison publique consacrée à ces deux objets.

V.

Attendu l'habitude de mentir, dont les ci-devant ministres des cultes s'étoient fait un devoir, et l'impossibilité qu'ils ne mêlent pas à leurs discours, leurs principes superstitieux et perfides, il est expressément défendu à tout ministre ou ci-devant ministre, de quelque culte que ce soit, de prêcher, écrire ou enseigner la morale, sous peine d'être regardé cemme suspect, et comme tel mis à l'instant en arrestation.

VI.

Les comités de surveillance, les officiers municipaux et les administrateurs de district et de département, sont tous expressément et subsidiairement, les uns aux autres, chargés de l'exécution du présent.

VII

Aucun ministre actuel ou ci-devant ministre d'un culte quelconque, ne pourra être membre d'un comité de surveillance, et ceux qui s'en trouvent membres actuellement, cesseront leurs fonctions à l'instant, sans que toutefois cette destitution les soumette à aucune autre obligation de rigueur pour les fonctionnaires publics destitués.

VIII.

Aucun ministre ou ci-devant ministre d'un culte quelconque ne pourra désormais remplir aucune fonction publique, que d'après l'examen el le consentement exprès et par écrit des Reprèsentans du Peuple.

IX.

Dans toutes les communes, les Citoyens sont invités à se réunir le plus souvent qu'il sera possible, en société populaire, dans le temple qui a si long-temps été dédié au men songe, à y lire les nouvelles publiques, et à s'y éclairer mutuellement par des discussions, civiques et par la lecture des ouvrages des vrais philosophes.

X.

Dans toutes les communes, tous les Citoyens sont invités à célébrer le jour de la décade par un banquet fraternel, qui, servi sans luxe et sans apprêt, porte avec lui le caractère de la simplicité, confonde tous les citoyens, inspire la joie, fasse oublier à l'homme de peine ses fatigues et à l'indigent la misère qu'il éprouve, qui porte dans l'âme du plus pauvre et du plus malheureux le sentiment de l'égalité sociale, et l'élevé à toute la hauteur de sa dignité, qui étouffe dans le riche jusqu'au plus léger sentiment d'orgueil, et jusqu'au germe de hauteur el d'aristocratie dans le fonctionnaire public, et qui répande enfin dans tous les coeurs le doux sentiment de la fraternité sincère qui peut seul faire le bonheur de l'espèce humaine.

A Saintes, ce premier nivôse, de l'an second de la République Française, une et indivisible.

 

LEQUINIO, Représentant.

CHEVALIER, Secrétaire.

 

Après la lecture d'un pareil document, on en est à se demander ce qu'au temps du citoyen Lequinio étoit devenu le sens commun, dans cette France si spirituelle, et si jalouse et si idolâtre de sa liberté !

 

 Le Cabinet historique : revue... contenant, avec un texte et des pièces inédites, intéressantes ou peu connues, le catalogue général des manuscrits que renferment les bibliothèques publiques de Paris et des départements touchant l'histoire de l'ancienne France et de ses diverses localités, avec les indications de sources, et des notices sur les bibliothèques et les archives départementales sous la direction de Louis Paris.

 

 

  À Rochefort, les représentants Lequinio et Laignelot instaurent en octobre 1793 un tribunal révolutionnaire  <==

 

 


 

(1)   Nous en devons la communication à un de nos plus bienveillants abonnés, M. F. Boyer, qui, secrétaire de l'ancien évêque de Blois, possède quelques précieux volumes, une partie des papiers et documents que le savant auteur de l'Histoire des sectes religieuses disposoit pour une Histoire de l'Eglise pendant la Révolution, qui n'a point paru. M. Boyer nous fait espérer d'autres communications intéressantes pour nos prochains numéros.

 (2) Le rapporteur de la commission, chargé d'examiner sa conduite, conclut en demandant qu'il fût traduit devant un tribunal criminel pour : 1° avoir mangé habituellement avec les bourreaux ; 2° avoir, du fruit de ses rapines, payé 12,000 fr. de dettes, acheté des propriétés et envoyé à son frère des sommes considérables ; 3° avoir fait servir la guillotine de tribune aux harangues ; 4° avoir forcé des enfants à tremper leurs pieds dans le sang de leur père; enfin, d'avoir lui-même brûlé la cervelle à des détenus.