Colonnes Infernales, Un délégué de Hentz et Francastel en Vendée (février-avril 1794).

Claude-André Simon, né à Amboise en 1770, fut nommé en 1793 garde-magasin de l'Arsenal de Saumur et inspecteur général des armuriers.

 Au début de novembre 1793, il devint membre du Comité révolutionnaire de Saumur, et il ne tarda pas à être connu dans tout le pays pour un vrai sans-culotte.

Le 31 janvier 1794, les membres du Comité révolutionnaire l'envoyèrent à Angers pour consulter le représentant du peuple Francastel au sujet de plusieurs affaires d'administration.

Simon plut à Francastel, qui résolut de se l'attacher en qualité de délégué dans la Vendée.

Le 2 février, le représentant prenait l'arrêté qui suit :

« Le Comité révolutionnaire de Saumur est autorisé à envoyer dans la Vendée l'un de ses membres, pour y surveiller principalement l'enlèvement des subsistances, et entretenir une correspondance active avec les représentants du peuple sur les obstacles qui peuvent se rencontrer dans cette partie, et dénoncer tous les abus qu'il pourra remarquer ».

 Dès le 3 février, le Comité Saumurois prend à son tour un arrête :

 « Simon se rendra de suite dans la Vendée pour y exercer les fonctions désignées dans l'arrêté du représentant ; toutes les municipalités et tous les agents de la force publique seront tenus de lui fournir toutes les ressources en armes, chevaux et voitures qu'il requerra, sous peine d'être poursuivis révolutionnairement. » (L 1209.)

 

La mission de Simon en Vendée dura pendant les mois de février, mars et avril 1794.

Il avait le titre de « délégué des représentants du peuple Hentz et Francastel ».

 Le 10 mars 1794 ces deux représentants écrivaient à Turreau, général en chef de l’armée de l'Ouest, organisateur des colonnes infernales :

« Nous laissons près de toi le citoyen Simon ; il a notre confiance ; tu n'as aucun ordre à lui donner ni à en recevoir ; il est sous ta sauvegarde (1) ».

 On a conservé les lettres que Simon écrivit à ses collègues du Comité révolutionnaire de Saumur pendant les trois mois de sa mission dans la Vendée militaire. Nous allons en publier les principaux passages, d'après les originaux qui se trouvent aux Archives de Maine-et-Loire. (L 1224.)

 

Vihiers, 4 février 1794.

 — J'arrive à Vihiers. J'ai trouvé toute la route couverte de voitures remplies de femmes et d'enfants. A cet aspect, j'ai commencé par voir la nécessité d'avoir des surveillants et des gens actifs pour l'enlèvement des subsistances. Les femmes qui veulent se réfugier, peuvent venir à petites journées, derrière l'armée, et n'ont pas besoin de se faire traîner en voiture. A Vihiers, j’ai trouvé Carpantier arrivant avec sa brigade ; il doit se disposer à battre tout le pays environnant, et je compte sur sa bonne volonté et sur son activité. L'artillerie devenant inutile à Cholet a eu ordre de filer sur Saumur; que cela ne vous effraie point, parce qu'elle est inutile et même embarrassante dans la Vendée.

Quatre cents hommes de notre armée ont été attaqués il y a trois jours aux environs de Tiffauges par La Rochejaquelain (2), à la tête de deux mille hommes ; il a avec lui un rassemblement de cinq mille hommes, dont la majeure partie n'est point armée ; il nous a tué du monde à la petite attaque dont je viens de parler. Stofflet est avec lui. Je ne puis encore juger de rien ni sur les dispositions des généraux ni sur l'existence des brigands.

Demain, j'irai plus loin. Je vais sonder tous les généraux et autres agents. Je vais requérir les municipalités de Vihiers, Coron et Vezins de m'indiquer les endroits où il peut y avoir du blé. Crions sans cesse Vive la République, ou ensevelissons-nous sous ses ruines.

 

Cholet, 6 février.

 — La Vendée que j'appelle le creuset nationnal, ressemble au polybe d'eau, qui se reproduit à mesure qu'on le divise. Le soldat crie toujours qu'on nous mène au combat, et il n'y va jamais. L'officier se plaint du général divisionnaire et de celui de brigade. Le général de brigade et celui de division disent toujours : C'est l'ordre du général en chef, il faut que nous le suivions. L'habitant du pays, extraordinairement égoïste, qui ne voit et ne craint que la perte de son pays, crie toujours lorsqu'on semble vouloir le détruire pour l'intérêt commun ; il se plaint, lui, du soldat, de l'officier et du général ; il a souvent raison. La mauvaise organisation de ce pays nuira beaucoup à mes projets d'utilité publique. J'emploie tour à tour les proclamations, les réquisitions, les menaces. Tout semble dire et vouloir comme moi, et rien ne s'opère. Personne ne sait comment ni en quelle quantité existe l'ennemi. Tous les jours il se montre d'un côté ou de l'autre, attaque quelquefois, mais personne n'y va voir.  Enfin c'est toujours la Vendée. Fiat lux. Ah ! que ne puis-je transférer le Comité de Salut public au milieu de ce pays ! Il verrait bien que jusqu'à ce jour il n'a rien su ni connu de vrai.

 

Cholet, 13 février.

— Que j'ai souffert de ne pouvoir vous donner des nouvelles de ma triste position ! Depuis mon arrivée à Cholet, investi de tous les côtés, sans pouvoir écrire ni d'un côté ni de l'autre, me défiant de nos forces, jugez de ma position.

Enfin le moment est arrivé. L'ennemi nous a attaqués le 8 février, à 3 heures du soir. Nous étions trois mille soldats, mais aucun combattant. A peine s'est-on battu un demi-quart d'heure. La plus affreuse déroute s'est mise dans l'armée. Heureusement cette affaire s'est bien tournée pour nous. J'ai bien souffert de voir ce que je voyais. Je me rappelais alors ce que nous nous étions dit tant de fois sur l'existence de notre armée et le caractère de nos troupes. Il faut cependant rendre justice à quelques bataillons qui se battent bien, et surtout au 78e régiment qui formait l'avant-garde de Cordellier et qui a fait un carnage incroyable de brigands. Mon cheval a reçu une balle dans la cuisse, il est blessé et moi au doigt gauche ; ce n'est rien. Il faut qu'il me vienne beaucoup de voitures ; les moyens de transport nous manquent absolument.

 

Cholet, 14 février.

 — Comme j'écrivais la lettre ci- incluse (3) à l'adresse du représentant du peuple, j'ai reçu votre dépêche. Si tout réussissait à mon gré, je ferais de bonnes choses ; mais il y a bien des entraves dans ce maudit pays.

Dites-moi si la conduite que je tiens, ne paraît point comprise dans ma commission ; mais je fais tout pour le mieux. Vous ririez, si vous me voyiez dans la Vendée : on tombe sur moi comme sur un représentant. J'ai beau dire : « Je ne suis rien, je ne puis rien », tout le monde m'interroge. En vérité, je suis quelquefois fort embarrassé.

La Vendée finira quand on voudra, mais il faut changer de système. Je crois parler assez ouvertement. On goûtera ou on rejettera mes observations ; j'ai dit la vérité ; le reste ne m'est plus rien.

 

Cholet, 15 février.

 — L'ennemi a été battu hier à Beaupréau par la colonne Cordelier. Il a perdu beaucoup de monde. Il nous avait d'abord repoussés. Nous avons eu beaucoup de blessés.

 

Cholet, 17 février.

— Tous les jours je reçois des lettres des différents chefs d'administration militaire, qui m'annoncent que leurs services manqueront incessamment, si on ne pourvoit aux moyens de transport, c'est-à-dire à procurer au pays de Cholet des voitures ou des moyens d'atteler celles qui restent. Il y a des bœufs et des charrettes, mais point de conducteurs, point de courroies pour atteler. Entendez-vous avec Beaudesson et le directeur des charrois pour suppléer à cet inconvénient. Les richesses qui se perdent dans la Vendée par le pillage et le défaut de voitures, sont innombrables; on détruirait le pillage si on pouvait en enlever les objets.

 

Cholet, 18 février.

— Francastel m'écrit qu'il part pour Nantes. Il a été satisfait de mes observations, et le quartier-général va se rapprocher de la Vendée. Je les attends avec impatience.

 

Cholet, 20 février.

— J'ai beaucoup de choses à vous dire depuis hier soir. Une séance tenue avec les généraux de l'année du Nord et Huché, général à Cholet, m'a mis à même de juger du caractère de tous ces personnages et de leur manière de travailler assez souvent. Après un long entretien, réunis pour discuter la marche qu'on devait suivre, j'ai vu que souvent, en conseil de guerre, on se retirait après n'avoir rien décidé, ou que celui qui était le maître, décidait à sa guise, quoiqu'en eussent dit les autres.

 Voici la lettre que j'écris au représentant (Francastel) ; elle vous fera voir ce que je dis et vous instruira de ce que j'ai à souffrir et à faire dans la Vendée. Mais n'importe,, je travaille pour le bien, je suis assez récompensé.

— « Hier soir, il paraissait que quelque détachement pourrait aller attaquer les rassemblements encore faibles qui étaient auprès de Mortagne-sur-Sèvre. Ce projet a été rompu par le retour de Duquesnoy, qui a ordre de se rendre à Saint-Fulgent avec sa colonne, en couchant aujourd'hui à Mortagne. Je l'attendais hier. Je l'ai interrogé sur sa marche et ses dispositions. Je lui ai dit que, pour aller à Saint-Fulgent, il pourrait parcourir les villages où je croyais qu'il y avait des brigands; loin de l'éloigner, cette route serait plus courte d'environ deux lieues, mais peut-être plus difficile ; et cela éviterait à la garnison de Cholet, qui est faible et qui doit se tenir sur la défensive, de faire une sortie qu'il lui était difficile de faire. Il a paru s'opposer à ce projet.

Je dois te dire la vérité toute nue. Duquesnoy me parait vouloir finir la guerre de la Vendée. Je le crois brave et intelligent, mais entre lui et le général en chef (Turreau) il règne une espèce de rivalité, qui déplaît à un républicain. Je ne puis juger lequel a tort.

Je vois que Duquesnoy voudrait avoir la gloire de dire : C'est l’armée du Nord qui a tout fait et le reste n'a rien fait. Je ne veux pas ôter les torts du général en chef, s'il en a; je ne veux pas les augmenter non plus; mais je te prie de faire en sorte que ces rivalités, nuisibles aux intérêts de la République, cessent. S'il y a des coupables, quels qu'ils soient, quelque poste qu'ils occupent, il faut les faire punir ; si ce sont des ignorants, il faut au moins les destituer. Sur de nouveaux renseignements reçus, cette nuit par le général Cordellier, Duquesnoy m'a paru déterminé ce matin à balayer les villages que je lui ai désignés (4).

Je vais aller ce soir coucher à Mortagne, pour suivre sa marche. L'enlèvement des subsistances se fait bien lentement ; nous manquons de moyens pour l'exécuter. L'essentiel est d'abord de détruire les brigands; nous ramasserons aisément les subsistances après. »

 

Cholet, 21 février.

— Rien de nouveau depuis ma dernière lettre. Nous nous sommes attendus à être attaqués depuis deux fois vingt-quatre heures. Nous n'étions pas fiers avec une garnison tout au plus de douze cents hommes, tandis que trois mille hommes d'excellentes troupes qui ne demandent qu'à se battre, se promènent sans cesse à ne rien faire. Mais telle est la destinée des

Républiques naissantes ; il y a tant d'égoïstes sous l'esclavage que, pour rendre libres de pareilles gens, on n'y réussit qu'après des combats et des travaux inouïs. L'homme tant soit peu politique voit cela sans s'effrayer. Il calcule les événements sur les mœurs des peuples, et il ne désespère d'arriver à son but que lorsqu'il voit que la lampe est épuisée. Il en est de même à notre égard.

Nous savons que tous les Français ne sont pas vrais républicains. Eh bien ! nous nous disons : ils pourront le devenir, tant qu'il en existera quelques bons pour les soutenir et les encourager ou leur démontrer l'erreur dans laquelle quelques-uns pourraient être. Nous ne désespérerons que lorsqu'il n'existera plus du tout de républicains, ce qui est impossible dans ma manière de voir. Il n'en faut qu'un pour faire trembler un tyran et ses esclaves; sa fermeté étonne le premier, et sa conduite ouvre les yeux aux seconds. Si aujourd'hui je n'ai pas une réponse des représentants (ils sont à Nantes), je pars demain pour aller les voir.

 Dût-il m'en coûter ma liberté et même la vie, je veux leur dire ce que j'ai dans l'âme. Soit par mes avis, soit par mes actions, je veux contribuer à purger mon pays de cette hydre fanatique et royale qui renaît à chaque instant.

 Quand j'aurai dit une bonne fois la vérité, il faudra ou qu'on change de système ou qu'on me dise : Nous ne voulons pas finir. Et alors, il me restera encore une ressource ; ce sera au grand tribunal que je m'adresserai, au peuple lui-même en la personne de ses représentants.

 

Cholet, 24 février.

— Arrivé à Cholet, je croyais y trouver un Comité révolutionnaire (5) composé de gens de notre espèce et organisé par les représentants. Je n'ai trouvé, au contraire, qu'un certain nombre de membres qui ne m'ont pas paru avoir de grandes facultés, et même n'être pas assez révolutionnaires quelques-uns.

Ces membres me dirent qu'ils avaient été nommés par la municipalité dont ils faisaient tous partie, mais que pour le bien général, ils avaient fait tout ce qu'ils avaient cru devoir faire. Là-dessus, je les en félicitai. Alors ils se plaignirent amèrement de la conduite lâche (c'est leur expression) de cinq de leurs collègues, qui, disaient-ils, les avaient quittés par peur et sans passeports. Sur ce rapport, je blâmai aussi la conduite des absents. Ils s'en tinrent là. Quelques jours après, ils me dirent que ces cinq fuyards, pour couvrir leur lâcheté, s'étaient rendus auprès des représentants et s'étaient dits chargés d'une mission de leur part; qu'ils avaient obtenu un arrêté de Francastel pour s'établir à Saumur ; qu'ils y étaient déjà, et qu'ils attendaient quelques-uns de leurs collègues pour les aider. Je vis même l'arrêté de Francastel, dont ils avaient envoyé copie. Après avoir pris connaissance et lecture du tout, je jugeai que les cinq individus en question s'étaient mal à propos emparés d'un arrêté qui ne pouvait appartenir à aucun des membres, mais bien au Comité tout entier ; et que, si vous y aviez pris garde, ils n'eussent pas exercé sans une commission du Comité entier, comme vous le faites tous les jours, lorsque vous êtes autorisés à envoyer des commissaires quelque part ; moi, par exemple, porteur de l'arrêté obtenu de Francastel et que j'avais demandé, je ne pouvais m'en servir que d'après votre commission. Cependant si le bien public exigeait qu'ils y restassent, ils ont dû y rester provisoirement ; mais ils auraient dû députer un d'entre eux pour porter l'arrêté à leurs collègues et se concerter ensemble pour le bien général. C'est parce qu'ils ne l'ont pas fait que les autres se sont piqués, et parce qu'ils auraient voulu être tous à Saumur. La conduite des cinq n'était pas cependant fort louable. Hier, un des cinq est arrivé. J'ai tout accommodé pour le mieux. Il paraît qu'ils vont aller s'établir tous à Saumur.

 — Les cinq membres qui étaient à Saumur, d'après mes recherches, sont, je crois, les plus révolutionnaires. Ceux qui sont restés à Cholet sont patriotes, mais ne sont pas tous révolutionnaires ni capables d'occuper un poste aussi formidable et aussi intéressant. Comme je vous l'ai observé, ils se disent Comité révolutionnaire. L'arrêté de Francastel le suppose, mais les membres ne sont point nommés et désignés. Il n'y a point d'arrêté qui les constitue tels. Sur mes observations, ils se disposent à prendre cette précaution essentielle pour eux. Très peu de ce nombre sont capables de telles fonctions. Parmi les cinq qui sont les plus capables, le bruit public est que Cambon n'est pas digne d'une telle place ; il est accusé d'avoir eu de très grandes liaisons avec les brigands, lors de leur séjour à Cholet ; il était alors maire ; le bruit public est qu'il a tenu un enfant sur les fonts de baptême avec une fille nommée Arlaut, dont toute la famille et elle sont chez les brigands, qu'il a chanté la grand'messe avec eux, etc. Je ne sais si ces faits sont vrais ; je prendrai des moyens pour les éclaircir. Un nommé Hérault, bon diable mais mâchoire, passe pour patriote. Rousseau, homme lent, peu capable, passe pour avoir eu la confiance des brigands, puisque c'est chez lui et entre ses mains qu'ils ont déposé la caisse des cartes et des assignats ; c’est lui qui les échangeait. Je n'ai rien de certain sur les autres, je travaillerai à ce sujet. Dans la municipalité et le district de Cholet, il est quelques individus que je ne perds pas de vue et que je dévoilerai au besoin. Ainsi vous voyez que la nomination qu'ils espèrent faire faire de neuf d'entre eux, ne doit pas se faire trop vite; il ne faudrait, dans cette place, de gens du pays qu'autant que la nécessité de connaître les individus l'exigerait, et le reste doit être pris ailleurs. Écrivez aux représentants, si vous voulez, ou prenez telle autre mesure que vous jugerez nécessaire.

Le 26 février, au plus tard, à moins de nouveau, je partirai pour Nantes afin d'aller voir les représentants.

 

Sans lieu ni date. — Le 25 février, à 6 heures, du soir, j'ai reçu une dépêche des représentants, qui m'invitaient à aller les joindre à Vieillevigne. Je suis parti aussitôt, mais je n'ai pu les joindre qu'à Nantes.

Arrivé à Montaigu, j'appris que notre armée avait abandonné Vieillevigne pour poursuivre Charette.

Le plan était bien combiné. et il ne devait pas échapper aux différentes colonnes qui l'entouraient. Voyant qu'il n'était pas de force, le Monsieur a tourné notre armée, de manière à s'échapper sans se battre. Cela lui a été très facile par sa connaissance du pays et par le peu d'usage qu'ont nos troupes de suivre de pareilles routes.

J'ai trouvé Prieur à Remouillé, entre Montaigu et Nantes. Nous attendîmes là le retour de Garrau, à la tête d'une autre colonne qui devait se rejoindre ; mais un scélérat de guide l'avait égaré, et heureusement qu'il s'en est aperçu. Nous étions partis pour Nantes, et il nous y a rejoints le lendemain après-midi.

Charette est encore à la tête d'un rassemblement de cinq à six mille hommes, dont une partie armée de fusils, le reste d'autres armes. Maintenant il ne fait plus la guerre en lion, comme auparavant, mais en renard, qui se cache, qui tâche de surprendre son ennemi et qui l'évite, quand il l'aperçoit.

C'est une preuve évidente qu'il ne se croit plus de force à tenir contre nous. Cependant il sera difficile de le détruire où il est. Il est dans un endroit appelé le Bocage.

Représentez-vous la description d'un bois le plus sombre et le plus touffu, entouré de marais impraticables. D'un signal il fait disparaître son armée et elle sait toujours où se retrouver.

La guerre de la Vendée est finie politiquement parlant, mais ce scélérat de pays ne sera pas libre sitôt. Il faudra des marches et des contremarches continuelles pour découvrir et détruire les brigands qui se cachent.

Il faudra (et il y a longtemps que cela devrait être fait) qu'il n' y reste pas un ancien habitant; il faudra détruire tous les moulins et les foyers; il ne faudra garder que quelques postes faciles à défendre, et c'est le dernier plan qui vient d'être adopté à Nantes, en ma présence, par les représentants et le général en chef.

Je suis chargé de rester toujours aux environs de Mortagne, Cholet et Tiffauges, d'y prendre toutes les mesures que je croirai nécessaires pour le bien public, et surtout de travailler et de tâcher d'opérer l'évacuation du pays.

Les représentants m'ont dit qu'ils ne reconnaissaient plus d'autre autorité dans la Vendée que l'autorité militaire, que néanmoins on se servirait des autorités suivant leur patriotisme et les besoins.

Duquesnoy n'est plus dans la Vendée ; il est passé avec sa colonne sur les côtes de Brest; on a senti que sa rivalité ne pouvait faire le bien.

Cordellier a eu une affaire avant-hier et hier avec Charette au Grand-Luc; je n'ai pu savoir le résultat.

Le Comité révolutionnaire de Cholet, composé actuellement de deux partis, les Choletais et les Languedociens, n'est nullement d'accord et se dissout.

 

Cholet, 5 mars.

 — Encore une déroute, mais heureusement sans beaucoup de pertes. D'abord attaqué par un détachement de quinze cents hommes à Vezins et Trémentines, l'ennemi bat et est battu. Un renfort de deux mille hommes vient à la hauteur de Vezins, pour secourir le détachement ; mais nos coquins de soldats n'ont pas voulu se battre, et on n'a pu les rallier qu'au-dessus de Cholet, où nous nous tenons sur la défensive et où nous serons probablement attaqués. Je suis bien fatigué. J'ai un ouvrage diabolique à faire, l'évacuation de toute la ville de Cholet.

 

Le Coudray-Montbault (Saint-Hilaire-du-Bois), 7 mars.

Nous avons évacué Cholet, c'est moi qui ai fait cette opération très pénible. En moins de quatre heures, j'ai fait sortir de Cholet plus de trois mille personnes, tant femmes qu'enfants. Les représentants ont été flattés de cette opération et m'ont dit de les suivre.

Les brigands nous sentent plus forts qu'eux ; ils nous évitent assez souvent.

 

13 mars.

— J'ai marché ces deux jours-ci sur toute la côte du Layon. Nous n'avons encore rien rencontré, mais nous nous attendons à trouver l'ennemi aujourd'hui à Chalonnes. La colonne avec laquelle je marche, est forte de trois mil six cents hommes. Il y a beaucoup de bonnes troupes, et j'espère que les brigands fuyards seront battus si nous les atteignons ; je dis si nous les atteignons, car c'est là le difficile.

Sans lieu ni date. — Je suis parti de Beaulieu le 13 mars avec la colonne du général en chef.

Nous marchions sur Chalonnes, où on nous avait dit que nous trouverions l'ennemi. Avant mon départ, j'avais donné l'ordre de faire couper tous les ponts du Layon, depuis Saint-Aubin- de-Luigné jusqu'à Concourson exclusivement. Deux raisons m'y ont déterminé, la première de forcer tous les habitants au- delà du Layon à s'évacuer et à brûler eux-mêmes leurs moulins et casser leurs fours, la seconde d'empêcher les brigands de passer cette rivière pour y chercher à vivre et se sauver, lorsque nous ferons une nouvelle promenade de ces côtés-là.

 L'ennemi était à Chalonnes, comme on nous l'avait dit. Une colonne avait eu ordre de passer le Layon à Chaudefonds pour l'attaquer par derrière, tandis que nous le forcerions d'en sortir. L'ennemi avait prévu apparemment cette manoeuvre ; il avait coupé les deux ponts de Chaudefonds et de Chalonnes, de manière qu'il a fallu les rétablir. Il a été spectateur de ce travail, sans rien dire ni faire ; et dès qu'il l'a vu finir, il a fui si vite que nos chasseurs n'ont pu l'atteindre. La colonne de gauche en a tué cependant au moins une trentaine qui fuyaient ; et alors nous sommes restés sur les hauteurs de Chalonnes.

 

Le 14 mars au matin, nous sommes partis pour Saint-Florent-le-Vieil sur trois colonnes.

Nous avons tué une centaine de brigands dans les champs et les bois. Jamais on n'a vu un pareil feu. Tout a été incendié ; si nous n'atteignons pas les brigands en masse, nous leur faisons bougrement du mal, et nous resserrons bien leur enceinte.

 A Saint-Florent-le- Vieil, j'ai trouvé Cordellier avec une colonne, qui est à Montrevault; il a parfaitement travaillé au Loroux-Bottereau et dans la forêt de Lépaux ; il brûle aussi à merveille. Nous avons détruit au moins cent cinquante moulins.

De son côté, Haxo travaille Charette, le coryphée de la Vendée, qui la dansera comme les autres. N'écoutez point les criards, les pleurards, les gens qui ne cessent de dire que cela ne finira jamais.

 La destruction de la Vendée ressemble à un homme très dangereusement malade, dont la crise est passée, qui est hors de danger, mais à qui il faut beaucoup de temps et de patience pour se rétablir parfaitement.

Grignon travaille dans la forèt de Vezins, et je crois qu'il ne les ménagera pas.

De mon côté, je fais tout ce que je puis pour le mieux. Je travaille les différentes autorités de la Vendée, qui toutes ont sucé le lait de cette tigresse ; je les harcèle de mon mieux. En vérité, je suis devenu le plus cruel des hommes, mais à la paix j'espère reprendre ma sensibilité naturelle.

 

Nantes, 18 mars.

— Je vous ai dit que la guerre de la Vendée était regardée comme finie politiquement, c'est-à- dire qu'elle ne devait plus inquiéter la République ni les départements environnant cette malheureuse contrée.

Lorsque je suis parti de Cholet, il n'existait plus que deux rassemblements inquiétants dans la Vendée : Charette qui occupait le Bocage, et Stofflet qui occupait la forêt de Vezins; les antres rassemblements n'étaient que des communes sans chefs et sans armes, qui assassinaient les passants et arrêtaient les convois, lorsqu'elles le pouvaient.

Ces deux rassemblements viennent d'être battus d'une rude manière. Grignon nous annonce qu'il a tué au moins huit cents brigands dans la forêt de Vezins.

Par une lettre datée d'hier, Haxo dit que Charette, battu par ses deux colonnes, est en déroute complète ; il fuit et évite le combat le plus qu'il peut; il s'est retiré dans la forêt de Geston, où il n'existera pas longtemps.

Aujourd'hui les représentants et le général en chef ont pris des mesures pour détruire totalement ces deux rassemblements. Toute la rive gauche de la Loire a été balayée de la bonne manière ; les mesures rigoureuses qui ont été prises, ont furieusement désorganisé les brigands qui s'étaient enfouis dans la Vendée et qui comptaient y passer tranquillement l'hiver.

Depuis Thouarcé, toutes les communes au- delà du Layon ont été évacuées et brûlées, à commencer de Chalonnes ; tout a été incendié, il n'y a eu que les femmes et les enfants d'épargnés; tout a été passé au fil de la baïonnette.

A Saint-Florent-le-Vieil, un arrêté que j'ai pris et qui a été approuvé par les représentants, a fait sortir de la Vendée plus de quatre à cinq mille âmes.

Depuis Saint- Florent-le-Vieil jusqu'au Loroux-Bottereau, Cordellier et Turreau ont tué plus de mil cinq cents brigands, épars çà et là.

Quel spectacle horrible que la Vendée! qu'ils sont coupables, les scélérats qui ont abusé du fanatisme et de l'ignorance de ce peuple ! Leur opiniâtreté, leur fermeté à souffrir la mort étonne.

— Quelques ordonnances ont été tuées sur la route de Nantes à Angers. Les malveillants ne manqueront pas d'exagérer cela.

Notre position est très rassurante. Il est bon cependant de vous avertir que dans la Vendée et autres endroits, il ne sera pas sûr pendant quelque temps de voyager seul la nuit.

Une partie des postes de la Vendée et des communes situées sur les bords de la Loire sont remplis de mauvais sujets, dont on se débarrassera.

Les autorités constituées de tous ces pays ne valent rien ; elles seront toutes réformées ou détruites.

Saumur est dans la ligne des communes qui ont été soupçonnées d'avoir des intrigues avec les brigands ; c'est à cette ville, par sa conduite révolutionnaire, par son activité à seconder les grandes mesures qu'exige le salut public, de prouver le contraire.

Je pars demain pour le Bocage, avec une colonne qui coïncidera avec Haxo ; une autre colonne, commandée par Cordellier, va se porter du côté de Cholet et coïncidera avec Grignon.

Sans lieu ni date. — J'arrive en ce moment des Sables- d'Olonne, où j'ai été obligé de me rendre pour un événement assez fâcheux, la mort d'Haxo.

 Il y a trois jours que nous étions inquiets de sa marche et nous ne pouvions le découvrir, ce qui nous gênait dans notre marche.

 Enfin lorsque nous nous disposions à marcher vers un endroit où nous avions lieu de croire que nous trouverions les brigands, nous apprîmes qu'Haxo les avait atteints, le 20 mars; qu'ils fuyaient à toute hâte et qu'alors un parti de cavalerie se mit à leur poursuite avec vigueur.

Alors les brigands, jugeant qu'ils ne feraient pas aisément leur retraite et à qui on avait déjà pris ou tué vingt cavaliers, se mirent en embuscade dans un village et tirèrent sur notre cavalerie, qui avait été un peu trop hardie et trop courageuse. Ils furent obligés de se replier sur l'armée.

 Les colonnes s'effrayèrent et plusieurs firent un tour à droite. Haxo, voulant alors rallier, s'avance avec un petit parti ; il est blessé, et se voyant près d'être pris par les brigands il se brûle la cervelle.

 Pendant ce temps, chose étrange, l'ennemi était en déroute complète. Deux bataillons (le Cantal et le 578 régiment) l'avant pris sur la gauche, le travaillèrent comme il faut.

 L'ennemi est si peu en force que lors même que nous avions été surpris et en déroute, deux seuls bataillons l'ont battu complètement.

Un de leurs officiers a été tué, et un autre chef s'est brûlé la cervelle de dépit, en disant : « Vous fuyez devant deux bataillons! »

 Au résultat, cette affaire qui aurait pu être heureuse, quoique nous ayons eu le dessus, nous a retardés. Il a fallu aller aux Sables changer la garnison et réorganiser les colonnes.

 — Les renseignements nouveaux sur les brigands sont qu'ils ont été dispersés de tous côtés par cette affaire ; ils se sont portés dans l'intérieur du Bocage, du côté de Vieillevigne et de Saint-Philbert.

Je pars demain pour ce détestable pays. Si nous ne détruisons pas tous les brigands, ce qui est impossible, nous leur faisons faire bien du chemin et nous leur en tuons, comme il faut, de tous côtés. Il faut croire que nous en finirons. Au moins, sont-ils fuis de ce côté pour l'inquiétude de la République.

 — Après avoir battu trois fois de suite les rassemblements qui étaient du côté de Vezins, les troupes de Grignon n'ont pas voulu se battre le quatrième jour ; mais Cordellier, qui a une colonne qui va bien, va les joindre.

 Il est parti depuis six jours, et peut-être les a-t-il déjà travaillés à son ordinaire.

 — Un ordre du Ministre demande, d'après un arrêté du Comité de salut public, la mutation des garnisons. Je ne sais si cette opération sera bonne, mais tâche d'empêcher la lutte et les propos aristocrates en bonnets rouges qui changeraient tout.

 

Bivouac de La Maronnière, 26 mars.

 — Je vous envoie copie de la lettre que je viens d'écrire aux représentants : « Depuis ma dernière datée de La Motte-Achard, près les Sables, nous n'avons pas fait beaucoup de chemin. Deux lieues sont les plus grandes marches depuis cinq à six jours. L'envie que j'ai de voir cette guerre terminée, fait que très souvent je me plains et m'ennuie de cette lenteur. Néanmoins l'ennemi est d'une espèce toute particulière. On ne sait quelle marche tenir; on se dirige d'un côté, le lendemain il est d'un autre ; aujourd'hui il est devant nous, nous y marchons, et demain il est derrière. Ils sont dispersés de tous les côtés.

Charette est à Boué, vers Saint-Philbert. Le général vient de concerter un plan de marche et d'attaque de ce côté. La nécessité où nous sommes d'avoir plusieurs colonnes, la difficulté de se procurer des subsistances, font que notre marche n'est pas aussi rapide que nous le désirerions.

 Cependant Charette n'est pas aussi formidable que son nom le fait croire. Sa troupe est dans un état de dissolution, excepté quelques cavaliers et peu d'infanterie. Il ne faut pas néanmoins totalement l'abandonner, parce qu'il se flatte qu'il nous lassera et que nous irons aux frontières. Il se trompe sans doute, dans son calcul.

Charette nous lasser ! Ce serait assez plaisant, lorsque toutes les puissances coalisées ne nous ont pas lassés et ne nous lasseront pas qu'elles ne soient vaincues.

D'après les lettres de Grignon, il parait que Stofflet se fait encore craindre ; cependant la marche de Cordellier pourra nuire à ses projets. J'aurais désiré qu'il y eût une colonne de plus dans cette partie, pour l'empêcher de faire une irruption sur quelques parties qui ne seraient point encore ruinées ou seraient mal défendues.

 Depuis mon départ des Sables-d'Olonne j'ai fait enlever au moins quatre cent pièces de bétail et environ quarante charretées de blé ; Aubertin en a envoyé au moins autant. Peu à peu ils manqueront de ressources. Il faut envoyer des parties de cavalerie en caravanes ; il n'y a pas d'autre moyen de finir ces coquins-là. »

 

Nantes, 29 mars.

— J'arrive à Nantes en ce moment. J'ai rendu compte de mon voyage aux représentants, je vous en envoie copie (6). Je suis bien las et fatigué. Je vais partir de Nantes, traverser l'espace qui se trouve entre Nantes et Saumur, en passant par Montaigu, Mortagne et Cholet.

 Je tirerai du côté d'Angers ; de là, à Saumur.

Cordellier a remporté une victoire sur les brigands à Vezins ; ils s'étaient déguisés en patriotes pour le surprendre, mais il ne les a pas moins battus.

Mortagne-sur-Sèvre avait été laissé avec huit cents hommes, lors de l'évacuation de Cholet.

Tiffauges, qui en est à deux lieues, avait été laissé avec deux bataillons.

Des colonnes ambulantes devaient chasser les brigands et les poursuivre dans l'intérieur de la Vendée, et par conséquent être à même de correspondre ou de soutenir ces deux postes.

Il était convenu, d'ailleurs, que Tiffauges, inutile à conserver, serait évacué ; qu'un bataillon irait renforcer Montaigu, un autre Mortagne. Cette opération a été un peu retardée par la fuite continuelle des brigands, qui ont emporté nos colonnes à leur poursuite.

Cordellier, qui devait se porter à Tiffauges vers le 21 mars, a été retardé par l'arrivée d'un convoi de subsistances qu'il attendait depuis deux jours, de manière qu'il n'a pu secourir Mortagne que deux jours plus tard.

La garnison de Mortagne, qui avait été attaquée plusieurs fois mais qui avait toujours repoussé les brigands, ne recevait aucune nouvelle depuis quinze jours, parce que les lettres qu'elle envoyait ne venaient pas; les ordonnances étaient souvent tuées.

 Cette interruption de correspondance, le défaut de cartouches l'a inquiétée, et lui a fait prendre le parti d'évacuer dans une nuit sans tambour ni trompette. Cette évacuation s'est faite un peu trop tôt, car deux heures plus tard elle recevait des cartouches et du renfort, mais elle l'ignorait. Cette évacuation a été des plus heureuses.

 Les brigands ont voulu attaquer la garnison près de Clisson; elle les a repoussés et battus, et s'est rendue à Nantes, d'où elle doit partir demain pour se rendre de nouveau à Mortagne. Tout le mal que cette évacuation a causé, est la perte de quelques subsistances, que la garnison n'a pas eu le soin d'enlever ou de détruire. Elle a amené avec elle tous ses chariots, tous ses blessés et tous les habitants.

Cordellier est réuni avec Grignon et est plus que suffisant avec leur colonne que je vais suivre, pour détruire Stofflet.

Trois autres colonnes vont achever de travailler Charette dans le Bocage et le Marais.

 

Doué, 11 avril.

— Je dormais tranquille à Angers. J'avais tout lieu de croire que les brigands ne se présenteraient pas au combat, et que si on les trouvait, ils seraient battus. Erreur de ma part.

Quoique je connaisse bien l'armée contre la Vendée, il parait que je lui avais donné trop de confiance. Une colonne de plus de deux mille hommes est mise hors de combat ou plutôt refuse de se battre. L'avant-garde de cette colonne vient au secours et seule met l'armée brigandine en déroute.

 Le lendemain, 7 avril, une colonne se porte sur Chemillé par Nuaillé, une autre par Montilliers; mais faute d'intelligence de la part des généraux Grignon et Dusirat, ils n'étaient point à portée de se secourir.

L'armée de Dusirat est attaquée ; quelques parties soutiennent le feu, plusieurs bataillons même s'avancent à la baïonnette, et loin de continuer ce noble effort, reculent et fuient chacun de leur côté.

 Cet événement fâcheux a donné de l'audace aux brigands, qui ne comptaient point de succès depuis longtemps.

— Je suis arrivé d'hier au soir avec les repésentants à Doué. En arrivant, nous avons trouvé quelques bataillons qui, disait-on, ne voulaient pas retourner à l'ennemi. Nous avons arrêté les malveillants et le reste a crié « Vive la République ! » Il ne faut pas se le dissimuler, l'armée de la Vendée a toujours été très indisciplinée et pillarde.

C'est cette indiscipline et ce pillage qui sont la cause de nos revers. Dès hier soir, les représentants ont pris des mesures pour réorganiser deux colonnes et retourner de suite à l'ennemi. Il faut se flatter que cette nouvelle opération, avec de nouvelles précautions contre les coquins, les fuyards, les lâches et les pillards, nous donnera un meilleur succès.

 

Concourson, 17 avril.

— Depuis trois jours je suis avec une colonne à la poursuite des brigands. J'ai parcouru tout le pays qui se trouve depuis Coron jusqu'à Chemillé, Trémentines, et me suis rabattu vers Vezins.

Nous avions marché de nuit sur Chemillé, croyant les y trouver, mais ils avaient levé le camp. Nous les avions suivis pendant dix-huit heures sans pouvoir les atteindre. A Trémentines, nous en avons tué une trentaine. Nous avons été obligés de revenir sur la route de Cholet pour prendre les pièces. Je pars à l'instant avec six dragons pour rejoindre la colonne. J'étais venu à Concourson pour voir Grignon et l'engager à marcher promptement. Boucret est sur les bords du Layon et enlève les subsistances. Je vous envoie une jeune fille que j'ai fait prisonnière, elle m'a dit beaucoup de choses sur les brigands.

 

Nantes, 21 avril.

 — Notre victoire du 16 avril a coûté la vie à deux chefs brigands, parmi lesquels se trouve Bérard. Le lendemain, nous avons été camper au May et là nous apprîmes que l'ennemi était retranché à Jallais en assez grand nombre. Nous nous y sommes portés.

A 10 heures du matin, l'attaque a commencé. Elle a été assez vive d'abord. Quelques bataillons lâchaient déjà le pied. Je vole vers le général et lui fais prendre une position pour soutenir la retraite, en cas de besoin. Je commande vingt dragons pour charger ceux qui veulent fuir. Les fuyards se sont ralliés, et deux ou trois bataillons ont mis l'armée brigandine en déroute.

Cette affaire a été plus heureuse que glorieuse ; elle nous a coûté vingt hommes et des blessés ; elle a pu coûter aux brigands plus de cent morts et beaucoup de blessés. Nous étions trois mil cinq cents hommes et les brigands tout au plus deux mille, et ils n'avaient pas de chef.

Cette victoire a enlevé aux brigands un repaire intéressant pour eux : Jallais était leur retraite ; depuis longtemps ils y avaient des établissements, tels que boucheries, moulins et autres objets.

Nous les avons poursuivis le même jour jusqu'à une lieue de Gesté, en passant par Beaupréau. Nous n'y avons rien trouvé.

 — Le 20 avril au matin, je suis parti du camp avec dix-huit dragons pour aller à Nantes. A La Regrippière, j'ai trouvé sur une hauteur trois cents brigands armés. Bride abattue, je vise comme un diable : « l’infanterie à droite et à gauche ». Je fais un tapage d 'enfer.

Les brigands croient que nous sommes plus nombreux, et nous les mettons en déroute. Cependant s ils avaient voulu tirer seulement quarante coups de fusil, ils pouvaient nous tuer tous. J'ai fait prisonnier un commissaire aux vivres ; je l'ai livré à la Commission militaire, qui lui fera siffler la linotte.

— Si on poursuit les brigands sans relâche avec plusieurs colonnes, ils ne pourront pas former de grands rassemblements ; mais il faudra toujours des colonnes ambulantes pour les détruire, ce qui sera long. Il n'y aura plus de brigands que lorsqu'il n'y aura plus un seul habitant dans la Vendée.

— J'étais venu à Nantes pour voir les représentants. Je n'y ai trouvé personne. Je vais repartir avec Dusirat pour retourner du même côté que nous venons.

 

Saint-Florent-le- Vieil, 26 avril.

— Dans une, affaire, j'ai fait une chute qui m'a mis, pour ainsi dire, hors de combat.

Sans lieu ni date. — Les brigands ne seront jamais détruits. Les débris de ce qui a été battu à Beaupréau, se sont réunis du côté de Mallièvre et des Herbiers, et ils sont maintenant passés du côté de Châtillon. Je crains que ces gueux-là ne nous coupent encore la route de Saumur.

 

Au quartier général de Doué, 29 avril.

 — Demain matin mercredi, je serai avec vous. Attendez-moi et nous conférerons des affaires publiques. J'espère rester, mais j'ignore si je pourrai réussir.

 

Malgré sa jeunesse, Claude-André Simon fut, par un arrêté de Hentz et Francastel du 29 avril 1794 nommé accusateur public au tribunal criminel du département de Maine-et-Loire.

Son installation eut lieu le 5 mai, et à dater de ce moment il cessa de faire partie du Comité révolutionnaire de Saumur.

 Il prit un logement à Angers, place de l'Etre-Suprême, et fit condamner à mort MM. Delacroix, curé de Saint-Macaire-en-Mauges (10 juin), Chabanel, prieur de Lesvière (10 juillet), Fardeau, vicaire à Briollay (24 août), Laigneau de Langellerie, aumônier du Carmel d'Angers (14 octobre), etc.

 

Après la chute de Robespierre, Claude-André Simon crut échapper à la réaction thermidorienne en se faisant recevoir- membre de la Société populaire d'Angers.

Le 2 août 1794, il fit sa demande qui fut acceptée.

Dès le 26 septembre, un membre dénonça Simon « comme un intrigant, comme l'agent d'une faction à Angers, comme un espion dans le sein de la Société, qui entretenait des correspondances à Paris tendant à détruire toutes les mesures que la Société pouvait prendre pour faire connaître la vérité à la Convention ».

En vain Simon essaya- t-il de se détendre, aux séances des 11 et 13 octobre, en disant qu'il s'était borné à avertir l'ex-représentant Francastel de la dénonciation faite contre lui; sa radiation du tableau des membres de la Société fut arrêtée à l'unanimité le 16 octobre.

 Le voyage qu'il venait de faire à Paris pour revoir Francastel et essayer de le sauver, avait ouvert les yeux sur les menées de Simon...

 

Furieux de cette radiation, Simon fit insérer dans les Affiches d'Angers du 18 octobre l'appel suivant à ses concitoyens :

« Appelé pour remplir les fonctions d'une place importante et délicate, voire concitoyen la remplit sans reproche. On ne peut attaquer sa probité, ses mœurs, sa justice inflexible; on attaque ses opinions, on le calomnie.

Dernièrement j'ai été rayé de la Société populaire d'Angers, pour avoir écrit au représentant du peuple avec qui je correspondais, ainsi qu'avec plusieurs autres, qu'il était dénoncé pour plusieurs faits à moi inconnus, qu'il eût à se justifier s'il était innocent, et que je le dénoncerais moi- même si je le croyais coupable.

Voilà l'origine de la querelle qu'on me fait. Cette lettre écrite à un homme accusé mais non jugé, qui par elle-même n'a rien que de juste, m'a valu d'être traité de lâche, de partisan des horreurs de la Vendée.

— Moi lâche ! Ah ! sans entrer dans le détail de ma conduite, je ne veux d'autre témoignage du contraire que celui des braves chasseurs à cheval du 7e régiment, des braves dragons du 2°, des intrépides chasseurs de Cholet, du citoyen Guillon, commandant des guides de l'armée de l'Ouest, qui ne m'a pas quitté, et de mille autres que je pourrais citer. Pendant cinq mois j'ai suivi l'armée et couché sur la dure, vivant comme le soldat.

 — Moi, partisan des horreurs de la Vendée! moi, qui les ai toujours dénoncées, qui me suis roidi contre le pillage, le meurtre. Qu'on voie ma correspondance, elle est entre les mains du district de Saumur et on saura si j'ai dit la vérité avec courage, avec fermeté contre des hommes (un mot effacé). Ces faits sont consignés dans mes lettres, j'en ai pour témoins plusieurs braves patriotes de la Vendée. Qu'on interroge tous ceux à qui j'en ai parlé, ils verront si je n'en ai pas toujours blâmé les crimes qui s'y sont commis. Si on en a à me reprocher, qu'on les nomme, qu'on les signe, autrement j'ai le droit de dire à ceux qui m'accusent : vous me calomniez.

 — Qu'on interroge une infinité de personnes à qui j'ai sauvé la vie. La municipalité de Doué, le district de Saumur en sont témoins. J'ai été ferme, j'ai été révolutionnaire, mais je ne crains pas le reproche d'une seule cruauté, d'une seille injustice. Il m'en a coûté de faire le récit d'actions que j'aurais voulu taire, parce que j'avais trouvé ma récompense en les faisant »

On n'eut aucun égard à ce plaidoyer pro domo, si contraire à la vérité, et le 19 novembre 1794 un décret de la Convention prononça la destitution de Simon comme accusateur public au tribunal criminel et le remplaça par Gautret, qui occupait ce poste avant lui.

 

Le 20 avril 1795, les administrateurs du district de Saint- Florent-le-Vieil envoyèrent à Gautret, accusateur public au tribunal criminel, un Mémoire sur les atrocités et les crimes commis par Simon dans leur district l'année précédente. Cette intéressante pièce a été publiée par l'Anjou historique (IX, 103).

 

Nicolas Hentz (1753-1842) Avocat au Parlement de Metz (1780-). - Député de la Moselle à la Convention, envoyé en mission à l'armée du Centre, des Ardennes puis du Nord, en Vendée. - Commerçant à Versailles de 1803 à 1811. - Comme régicide, s'exile en Grande-Bretagne (1815), puis aux États-Unis (1816-)

 

Marie Pierre Adrien Francastel, né à Formerie le 30 mars 1761 et mort à Paris le 10 mars 1831, est un homme politique français. Sous la Révolution française, pendant la période dite de la Terreur, il fut un représentant en mission dans les départements de l'Ouest de la France.

 

 L'Anjou historique

 

 

Le 9 juin 1793, la ville de Saumur est prise d'assaut par les Vendéens. (Guerre de Vendée) <==

Le 15 Janvier 1794, de Saumur, le général Turreau organise la promenade des colonnes infernales pour détruire la Vendée <==

==> La Terreur dans le Saumurois – Les prisonniers de la Guerre de Vendée de la Tour Grénetière de Saumur

 

 

 

 


 

(1)   Voici l'arrêté pris à Saumur, le 10 mars 1794, par Hentz et Francastel : Nous autorisons Simon, membre du Comité révolutionnaire de Saumur, à Se transporter près les colonnes agissantes dans l'intérieur de la Vendée, à , tout surveiller, à nous rendre compte des faits, à nous dénoncer les abus, à Pourvoir à ce que l'enlèvement des subsistances et des bestiaux se fasse avec soin, sans nuire pourtant à la rapidité de la marche des colonnes, et généralement à faire tout ce que l'intérêt public lui dictera dans cette mission. Nous lui recommandons d'entretenir avec nous la correspondance la plus active. » (L 1003.)

 (2) La Rochejaquelin avait été tué, le 28 janvier 1794, à Nuaillé.

(3). Lettre écrite, de Cholet, à Francastel, le 14 février :

« Je suis arrivé cette nuit de Mortagne-sur-Sèvre.

J'y étais allé pour examiner notre position et celle des brigands de ce côté. J'y ai trouvé une faible garnison, commandée par un brave militaire (Lefort). Il fortifie cette place tous les jours. Il y a une lieue et demie de là à La Verrie, où est un rassemblement de cinq cents hommes mals armés. Ils attaquent presque tous les jours ses patrouilles et ses avant-postes. Il ne peut faire de sortie parce qu'il n'est pas assez fort et qu'il craint les embûches.

Il serait instant d'attaquer ce rassemblement et de l'empêcher de joindre ou d'être joint par Charette, qui vient d'être battu complètement par Duquesnoy.  Il serait entièrement défait si on l'eût poursuivi. Mais je ne sais par quelle fatalité, lorsqu'on met les brigands en fuite, loin de les poursuivre, on les laisse se rallier et on s'en éloigne. Toujours les soldats se plaignent de ce qu'on leur fait éviter l'ennemi. J'ai fait part de ces plaintes aux généraux : ils m'ont répondu qu'ils n'y concevaient rien, qu'ils suivaient les ordres du général en chef.

Duquesnoy m'a dit que lorsqu'il harcelait les débris de l'armée de Charette, il avait eu ordre de marcher sur Doué à marche forcée, ce qui fait vint-cinq lieues. Il laisse derrière lui les brigands, c'est-à-dire aux environs de Lege, un petit rassemblement près Mortagne, et un assez considérable du côté de Beaupréau et de Cholet.

Duquesnoy va à Doué avec trois mille hommes de l'armée du Nord, et il n'y trouvera sûrement pas l'ennemi. Il semble que chacun le fuit. Il y a beaucoup de division dans les différentes colonnes ; chacun ne veut pas être séparé de la sienne.

L'Armée de Mayenne dit qu'elle n'a plus de force et rie peut se battre, parce qu'on l'a divisée. Les bataillons du Nord qui se trouvent séparés, disent qu'ils veulent rejoindre leur armée.

 Est-ce rivalité de corps ? est-ca rivalité des chefs? je n'en sais rien. Je n'ose m'immiscer dans les opérations militaires; mais je désirerais qu'il y eût plus de rapprochement entre le général en chef et les autres généraux. L'éloignement du premier donne lieu bien des plaintes. »

 (4). Le même jour, 20 février 1794, Simon écrivait, de Cholet, à Lefort, commandant à Mortagne : « Le général Cordelier à écrit cette Duit qu'il était à Montaigu, et que Charette se tenait à Vieillevigne, Saint-Sulpice et Saint- André ; ces endroits font partie des discricts de Clisson et de Machecoul.

Duquesnoy est arrivé hier au soir ; avec sa colonne, il a ordre d'aller coucher aujourd'hui chez toi et d'en repartir demain pour Saint-Fulgent. Je l'ai déterminé à traverser les villages où tu m'as dit qu'il y avait encore quelques brigands mal armée envoie sur-le-champ des éclaireurs, pour savoir ce qui se passe. Prends tous les renseignements possibles pour que ce projet ne manqué pas, car j'ai eu de la peine à 1’obtenir. Ce soir ou demain matin au plus tard, dis au brave Aubin de rester auprès de toi; je compte sur lui pour m'accompagner. De la patience et du courage, et nous te débarrasserons des visites que te font ces Messieurs de temps à autre. »

(5) Sur l'histoire du Comité i évolutionnaire de Cholet, cf. Anjou. historique, 1, 424.

(6). De Nantes, Simon écrit, le 29 mars, à Hentz et Francastel : « Parti le 19 mars de Nantes, je croyais aller coucher à Pont-James, où j'eusse trouvé le général Haxo, qui nous y attendait ; mais nous ne pûmes, sous divers prétextes, nous rendre qu'à une lieue de Nantes. Ne nous voyant point arriver au jour dit, Haxo a marché en avant, de manière que nous avons été trois jours sur la même route que lui, faisant le même chemin et par conséquent une marche inutile. On a envoyé des ordonnances dans plusieurs endroits pour connaître sa marche, mais nous n'avons pas pu le savoir, ce qui me paraît singulier, puisqu'il n'avait qu'une demi-journée sur nous et sur la même route.

Enfin le 22 mars au matin, nous apprîmes la mort de ce général.

Le 21 mars, arrivés à Chalans, après avoir fait trois petites lieues, nous apprîmes que les brigands avaient passé la veille dans un village à une petite lieue de nous ; nous pouvions doubler notre marche et nous fussions arrivés à temps pour secourir Haxo; le général me dit que sa troupe était fatiguée, et il ne marcha que le lendemain fort tard, comme c'est l'ordinaire.

Le 22 mars, nous partîmes pour La Motte-Achard.

Le 26 mars, nous partîmes de La Motte-Achard ; la marche était combinée pour trois colonnes qui le 28 mars devaient se trouver aux landes de Boue, où devait être l'ennemi. Tout cela a été exécuté, à l'exception de la colonne de Machecoul, qui devait être le 27 à Pont-James, qui n'y était pas et qui n'est peint arrivée à l'heure dite à Boue. Comme nous arrivions, les brigands sortaient et allaient du côtè de Geneston. Dans ma route et d'ici à Boué j'ai rencontré des brigands à droite et à gauche. Tout le pays qui se trouve entre la route des Sables et celle de Nantes jusqu'à la hauteur de Remouillé et des landes de Boue, n'est point nettoyé ; il est rempli de brigands. Cambray est chargé avec une colonne de poursuivre Charette.

La colonne sous les ordres du général en chef a ordre de se porter à Montaigu ; le général est à Nantes pour conférer avec les représentants. Les brigands commandés par Charette sont disséminés en plusieurs partis ; ils ne sont pas plus de huit cents hommes armés. »