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PHystorique- Les Portes du Temps
9 mai 2023

UN ÉPISODE DE LA VIE MILITAIRE A BROUAGE EN 1673

UN ÉPISODE DE LA VIE MILITAIRE A BROUAGE EN 1673

La pièce d'intérêt tout local que nous tirons des Vieilles Archives de la Guerre se place au mois, de novembre 1673, à une époque où la guerre que la France menait contre la Hollande depuis le manifeste publié par Louis XIV le 6 avril 1672, entrait dans une phase nouvelle.

L'Angleterre, dont les flottes s'étaient jointes aux nôtres eu 1672 et 1673, se détachait de nous ; le roi Charles II, sous la pression du Parlement, préparait une paix particulière avec la Hollande, alors que le Stalhoudeir, Guillaume d'Orange, cherchant à ameuter l'Europe contre la France, était parvenu à former, en août 1673, la Grande Alliance de La Haye qui réunissait l'empereur Léopold, l'électeur de Brandebourg, les princes de Brunswick et de Hesse et le duc de Lorraine.

Enfin l'Espagne, par son hostilité croissante, avait contraint Louis XIV à lui déclarer la guerre le 19 octobre.

L'importance, des forces navales de la Hollande obligeait la France à prendre d'importantes mesures pour assurer la défense de ses côtes, et l'attention se portait particulièrement sur celles de l'Aunis.

 On craignait de voir Ruyter embouteiller le port de Rochefort, où les constructions navales et les armements étaient très actifs, en coulant des bâtiments à l'embouchure de la Charente, ou bien opérer des descentes en Ré, en Oléron, et la proximité de l'Espagne augmentait le péril.

Le gouverneur militaire de l’Aunis était alors Charles-Félix de Goléan, comte de Gadagne, dont la résidence officielle était à La Rochelle.

Brouage, dont le port, avait perdu toute importance, restait encore une place de premier ordre comme centre de rassemblement de troupes et comme dépôt d'armes.

Le marquis de Carnavalet en était, depuis 1667, le gouverneur particulier secondé par le lieutenant de roi, le bon Monsieur Camparan qui approchait du terme de sa vie (1).

 

 De la garnison nous possédons un état rédigé par le major de place, M. de Roquefeuil (2).

Cette garnison était formée alors de neuf compagnies régimentaires comprenant ensemble environ 500 hommes.

A l'égard du service dé place, le gouverneur, l’état-major et la garnison de Brouage relevaient du Secrétaire d'Etat de la Guerre, Louvois, soit directement, soit par l'intermédiaire du gouverneur général de l'Aunis ; mais, dans la période de réorganisation imposée par les circonstances, le commissaire des guerres au département de l’Aunis, Lemoyne, rendait compte au ministre de son embarras, devant les divergences d'avis de M. de Garnavalet et de M. de Gadagne.

Comme place maritime, Brouage était dans le département de Colbert qui était administrativement secondé dans la région par son cousin Charles Colbert de Terron, intendant de l'Aunis et intendant de la marine à Rochefort.

 

 A partir du 8 janvier 1674, Colbert de Terron aura près de lui M. de Demuiu qu'il va préparer à lui succéder ; c'est à partir de cette date qu'ils signent et « rendent compte en commun ».

 Pour les fortifications, le partage de la direction générale entre Colbert et Louvois n'allait pas sans créer des difficultés.

Comme il y avait d'importants travaux à exécuter dans l'Aunis, d'ans les îles de Ré et d'Oléron, Vauban y fut détaché en inspection au commencement de l'année 1674.

Vauban, ingénieur militaire, dépendait du chevalier de Clerville, commissaire général des fortifications, au point de vue technique et au point de vue administratif, du marquis de Louvois, secrétaire d'Etat de la Guerre; mais, pour sa mission, il entrait dans le service de Colbert.

Néanmoins, à son retour à Paris, c'est à Louvois qu'il écrit directement, le 27 février, pour rendre compte de sa mission. Il priait aussi le, ministre de lui faire expédier une ordonnance de comptant pour le rembourser des frais de son voyage, ajoutant:

« Ne me renvoyez pas, s'il vous plaît, à M. de Colbert, pour le dernier, attendu que je ne suis ny d'humeur, ny accoustumé de mandier mon pain à sa porte (3). »

On sait que Vauban, protégé de Louvois, détestait Colbert.

- A Brouage même, M. de Carnavalet, entre autres soins, avait à s'occuper des troupes, des postes à établir dans différents ouvrages fortifiés aux environs de la place, et aussi de la police de son gouvernement particulier, spécialement à l'égard des Espagnols, Ceux de la Haute-Navarre et de la province de Guipuscoa, qui avaient de nombreux intérêts dans le Sud-Ouest de la France, se montraient fort inquiets de la nouvelle situation ; ils ne tardèrent pas à faire, par l'intermédiaire de leur Vice-Roi, des démarches auprès du Maréchal d'Albret, gouverneur général de la Guyenne et résidant à Bordeaux, afin d'obtenir un modus vivendi qui ménageât l'intérêt de leurs affaires, à charge de retour, bien entendu.  

D'assez nombreux Espagnols passant par le gouvernement, M. de Carnavalet demandait au ministre quelle conduite il avait à tenir ; pour lui, il inclinait à les bien traiter, d'autant mieux, qu'il s'agissait souvent de déserteurs venant des Flandres.

 Quant, aux déserteurs de nos propres régiments, ils s'exposaient à être, punis avec la dernière rigueur. Il s'agissait le plus souvent de malheureux qui, malcontents dans leurs formations, abandonnaient leur poste et allaient s'engager dans un autre régiment, attirés par l'appât de la prime et l'espoir d'une situation meilleure.

Généralement ils étaient repris et bien souvent passés par les armes, mais pas toujours, ce qui annulait l'effet d'une inconstante sévérité.

Tels étaient, au mois de novembre 1673, les sujets de la correspondance de M. de Carnavalet avec le ministre de la guerre ; et de cette correspondance nous retenons une lettre contenant la relation de l'épisode auquel nous nous arrêtons.

 

«. à Brouage, le 26me 9bre 1673 (4).

Monseigneur.

Ma prévoyance étoit juste lorsque je me suis donné l'honneur de vous demander vos ordres sur le sujet des dézerteurs espagnol, y en ayant passé un icy le lendemain de ma lettre écrite (5), sans passeport, disant l'avoir [laissé] à Roye, à son camarade qui y est resté malade, et que sa été M. le maréchal dumière qui le luy a donné avec un écu à chacun d'eux. Cette déclaration avec votre ordre du 9me de ce mois me l'a fait mettre en liberté.

Il fut hier passé par les armes un soldat de la compagnie de la Vinouze, du Régiment de Champagne, convaincu d'avoir dézerté étant détaché d'icy au fort de la pointe, et allé de là prendre party au château Trompette, dans la compagnie du chevalier de Guermora du Régiment de picardie, lequel ayant été averty deux jours aprez par de ces soldats de sa désertion, le fit arrester et m'en ayant aussy tôt donné avis, j'envoyé au mesme temps le souz-lieutenant de la Compagnie, nommé de Mons, avec quatorze [quatre] soldatz qui l'ont amené et ont été sept jours en voyage.

 Ayez, s'il vous plaît, la bonté d'ordonner au commis de l'extraordinaire quipaye icy les troupes de les faire rembourser de leur fraiz et par mesme de payer au geollier pour 23 jours de noriture, à raison de trois solz par jour, fournie à ce déserteur espagnol et :me faire l'honneur de croire que je suis avec toute sorte de respect.

Monseigneur,

Votre très humble et très obéissant serviteur.

CARNAVALET. »

 

(En marge) Le mémoire'du voyage de l'officier est joint.

« mémoire de ce-que j'ai despancé lorsque je suis allé à bourdeaux pour chercher un déserteur avec quatre mousquetaires.

Brouage le 16e novembre 1673.

premièrement pour le digne au Gua 4 1b, 10 s. 
plus pour la coucher à Riou 4   10
plus pour le digne au petit Niort.  3   15
plus pour la coucher au Pontet 5   0
plus pour le digne et soupe à blaie 8   6
plus pour le passage de blaie à bourdeaux et le retour 3   10
plus pour le desjeuné et digne à bourdeaux ay bailhé  3   10
plus pour le soupe et desjeuné à blaye, ay bailhé et le séjour des chevaux  8   0
plus pour le digne à Saint-bonet 4   0
plus pour la couchera Brie 9   0
plus pour le digne à Sogeon 4   0
plus pour le coucher à hiers 8   10
plus pour le louage d'un cheval pour le prisonnier de blaye jusques à brouage, et le retour       
15   0
plus pour le louage d'un cheval pour moy ay bailhé 10   0
       
Le tout monte à la somme de quatre vingt onze livres onze sols. 

DE MONTS (6),

soubs lieutenant de la compagnie de M. de la Vinouse.»

En faisant le décompte des dignes, des soupes, des couchers et des stations portés sur ce mémoire, on peut très aisément rétablir le journal du sous-lieutenant de Monts, ainsi que l'itinéraire, avec même les particularités propres à l'époque.

L'ingénieur Masse, le père, a laissé quantité de mémoires, notes, cartes et plans qu'il composa entre l688 et 1720, et qui sont, en grande partie, conservés à la bibliothèque du Dépôt des Fortifications.

Ces documents remis en ordre formeraient un véritable guide Joanne ancien poux la région. Il nous sera donc possible, en ne relevant dans ce guide touffu que quelques indications, de suivre la marche de notre petit détachement, en étapes réglées comme suit.

— Vendredi, 10 novembre 1673, Matinée, De Brouage au Gua. 35 kilom. — Le sous-lieutenant de Monts, ayant loué pour son compté, un cheval, sort de Brouage avec quatre mousquetaires montés (des mousquetaires d'infanterie, cavaliers à l'occasion, ou plutôt des gardes de M. de Carnavalet), par la porte d'Hiers.

Cette issue est une voûte longue dé onze toises qui s'ouvre dans le'flancdroit du plus beau bastion delà place :1e bastion d'Hiers, sur le front sud.

Les trois lourdes portes qui coupent cette voûte viennent d'être ouvertes, au lever du jour tardif de novembre, par les soldats du corps de garde situé dans la gorge du bastion, au côté gauche de la sortie.

 

Avant d'être dégagés des dehors de la place, nos cavaliers ont à franchir de nombreux ouvrages et sept fossés par deux ponts dormants et cinq ponts-levis (7) ; puis, presque aussitôt, ils rencontrent, sur la gauche, le cimetière des soldats et commencent à gravir la route qui suit, en pente douce, la côte orientale de l'éperon bas prolongeant la hauteur de la Guilleterie autrefois redoutée de la place et quartier général naturel adopté par tous les capitaines qui assiégèrent Brouage, dans le temps passé.

Le chemin, qui s'est infléchi vers l'Est, franchit ensuite un. col minuscule séparant la hauteur de la Guilleferie de celle du bourg d'Hiers, puis redescend dans une plaine de marais salants.

Le chenal de l'Epine ou de Mérignac ou d'un Denier coupe cette route ; on le passait alors sur un bac moyennant le modeste péage d'un denier qui revenait à la paroisse de Brouage.

En 1689, « M, de Seignelay ordonna qu'on y fît un pont de pierre parce que le caresse où il étoit pensa renverser » (8).

Seignelay visitait alors les fortifications et l'incident est bien connu ; l'ingénieur Masse ne pouvait omettre d'en parler.

Après le chenal d'un Denier, encore un quart de lieue de marais, puis le chemin aborde l'île de Marennes où il s'élève graduellement, pour rejoindre, dans le bourg, la route de Marennes à Saintes, la seule voie de pénétration dans l'île de Marennes.

Nos cavaliers, passant entre Saint Just et Luzac, traversent, quatre kilomètres plus loin, les retranchements du fameux comte de Daugnon.

Masse en a donné un plan, et l'on en retrouve aujourd'hui encore les vestiges dans l'origine du chenal de Recoulaine qui coupe la route entre les points marqués La Puisade et La Prée, sur la carte d'Etat-Major.

 Quinze cents mètres plus loin, sous Saint-Sornin, ils quittaient la route de Saintes pour prendre, adroite, celle de Saujon, qui les conduisit bientôt au bourg du Gua pour le dîner, c'est-à-dire pour le repas du milieu de la journée.

 

Routes de Brouage à Blaye, d'après la « Carte générale » de Masse,

Routes de Brouage à Blaye, d'après la « Carte générale » de Masse, in f° 131 feuille 2 (Bibl. de la Sec. techn. du Génie).

 

Après-midi. Du Gua à Rioux, 28 kilomètres.

Partis du Gua, après avoir cheminé trois kilomètres sur la route de Saujon, nos cavaliers s'engagent, à gauche, dans le chemin sinueux qui passe au ras et du côté Nord de la butte portant le camp romain du terrier de Toulon, puis au-dessous de la tour de Pirelonge, traverse Meursac dont « l'Eglise est grande et bâtie de pierres de taille, mal formée et d'une fabrique fort ancienne, mais raccommodée à diverses reprises » (9), puis Montpellier dont « les habitants sont quasi tous protestants.

Mgr l'Evêque de Saintes en est Seigneur » (10).

Le bourg de Rioux, n'en est éloigné que de 4 kilomètres. C'est là que vont souper et coucher nos voyageurs.

 

Samedi, 11 novembre. Matinée, de Rioux au Petit-Niort, 42 kilomètres.

Au sortir de Rioux, les cavaliers suivent toujours le même chemin qui, traversant Tesson et Villars de Pons, les conduit à Pons où ils prennent la grande route de Saintes à Bordeaux qui,  par Belluire, Plassac et Mirambeau les menait au Petit-Niort.

 Sur chacune de ces localités, Masse a laissé des notices, Nous ne sommes pas surpris de voir nos voyageurs dépasser Mirambeau pour aller se restaurer à un kilomètre plus loin au Petit-Niort, car nous lisons que le grand chemin de Saintes à Bordeaux passe à Mirambeau et dans ce bourg [Petit-Niort] qui est le gîte des Voyageurs» (11), et encore ailleurs :« il y a plusieurs bons cabarets dans ce bourg » (12).

 

Après-midi. Du Petit-Niort au Pontet, 26 kilomètres.

Au sortir du Petit-Niort, nos cavaliers gravissent une rude côte; ce bourg, écrit Masse, « est dominé au Sud par une haute montagne où on monte prez de 400 toises jusqu'à la Croix des Graves. Il seroit à souhaitter qu'on fît circuler ce chemin tout autour du coteau. »

C'est, précisément ce qui a été réalisé dans l'établissement de Route Nationale, n° 137. Cette route évite la côte en décrivant vers l'ouest une demi-boucle au- delà de laquelle ; elle est rejointe par l'ancien chemin qui existe encore.

Nos cavaliers cheminent sur une route très fréquentée, c'est « le grand chemin royal de Paris à Blaye », de viabilité très inégale, pavé par endroits, effondré ou étranglé dans d'autres.

« Il se passe deux fois l'année, écrit Masse, une chose assez singulière à ce chemin, qui est que devant l'ouverture des deux foires franches de Bordeaux, il arrive à Mirambeau et au petit Niort un très grand nombre de charettes attelées de sept ou huit chevaux qui viennent de Paris et autres grandes villes du Royaume, mais il leur est défendu, sous peine de confiscation, de passer la croix des Graves que la foire de Bordeaux ne soit ouverte, et ces charettes se tiennent toutes bout à bout les unes des autres attendant l'heure de l'ouverture de la foire qui commence pour l'ordinaire à minuit, et vont de suite, quelquefois des deux ou trois cents, ce qui ébranle fort le pavé le long de cette route.

 Plusieurs croyent que c'est à la Croix des Graves où se fait la séparation des provinces de Saintonge et de Guienne, mais c'est à une autre beaucoup plus loin, qu'on appelle la Croix rouge. »

Ayant traversé Plaine-Selve et Saint-Aubin, les voyageurs arrivent au pont du Pas des Fenêtres, sur la rivière du Vitrezay, la Livenne; puis, passant par Etauliers, ils touchent au terme de leur étape, au petit bourg du Pontet qu'ils abordent en passant un petit pont, un pontet, sur un ruisseau tributaire de la rivière du Vitrezay.

 

Dimanche, 12 novembre, matinée. Du Pontet à Blaye, 9 kilomètres.

L'étape du matin est courte et c'est la seule de la journée. Le sous-lieutenant de Monts qui note, à Blaye, le dîner et le souper, a employé une partie de son temps à chercher une écurie pour les chevaux et à préparer, pour le lendemain, son passage et celui de ses hommes, de Blaye à Bordeaux, par bateau ; puis, sans doute, s'est-il réservé quelques heures de dimanche pour la distraction.

Il trouvait à Blaye une garnison et des camarades, « il y a, écrit Masse, une grande citadelle, qui étoit autrefois la ville, et un château ; il y a de grands faubourgs ou ville basse qui n'est point close, où il se trouve un grand nombre de cabarets ».

 

Lundi, 13 novembre. Passage à Bordeaux et retour.

Nos militaires durent certainement s'embarquer avant le jour pour profiter du flot qui montait ce jour-là de bonne heure; on était au sixième jour de la lune (13) et le mouvement du flot commençait vers 3 heures et quart du matin.

Dès que se faisait sentir le mouvement de la marée montante ou descendante, toute une flottille de bâtiments et d'embarcations se détachait soit de Blaye, au flot, soit de Bordeaux, au jusant, pour aller d'un port à l'autre.

 C'est ce que rappelle l'ingénieur Masse dans un de ses mémoires. « Il part presque toutes les marées un très grand nombre de petits bâtimens qui vont et viennent sur la Garonne, de Bordeaux à Blaye ; les deux villes sont distantes par eau de 7 lieues (14). »

La durée du, trajet, dans les conditions normales, était d'environ quatre heures. La vitesse du flot dans la Gironde variant de 2 à 4 noeuds, une embarcation, avec l'aide des avirons et de la voile, peut facilement atteindre la vitesse de 5 noeuds suffisante pour franchir en quatre heures les 35 kilomètres qui séparent Blaye de Bordeaux.

Nous avons d'ailleurs une relation de cette traversée effectuée quelques années avant 1673, dans des conditions de marée comparables à celles que nous considérons.

A l'automne de l'année 1669, Claude Perrault, médecin et architecte à qui l'on doit la colonnade du Louvre et le plan de l'Observatoire de Paris, fit un voyage de Paris à Brouage et à Bordeaux (15).

Le dimanche 29 septembre 1669, il passait de Blaye à Bordeaux au cinquième jour de la lune (16) ; la marée du matin était encore plus hâtive que celle du 13 novembre 1673, et c'est à la marée du soir qu'il s'embarqua

«Sur les trois heures, écrit le narrateur, lorsque la mer fut assez haute, nous nous embarquâmes sur la chaloupe du Roi, avec archer, du bureau de la douane et sept matelots qui, ayant levé les voiles et pris les rames, nous firent arriver sur les sept heures à Bordeaux. »

Ce n'est sans doute pas dans la chaloupe du roi que nos militaires prirent place pour le passage, le 13 novembre vers 4 heures du matin, carie sous-lieutenant paya 3 livres 10 sols pour l'aller et retour.

 Vers huit heures, ils arrivèrent à Bordeaux et leur premier soin fut celui de déjeuner ; puis ils vont retirer leur déserteur emprisonné évidemment au Château Trompette.

Cette citadelle occupait la place actuelle des Quinconces ; située au commencement du quai elle commandait l'entrée du port et nos mousquetaires n'avaient que peu de pas à faire pour s'y rendre.

Les formalités de levée d'écrou une fois remplies, ils avaient tout le temps de dîner avant de s'embarquer avec leur prisonnier, un peu avant midi, une grande heure après le plein de l'eau, pour retourner à Blaye avec le jusant.

La relation de Claude Perrault nous renseigne encore sur l'heure propice à l'embarquement et sur la durée du trajet de retour.

 Cl. Perrault quitta Bordeaux le 5 novembre 1669. « Le mardi 5, écrit-il, je partis pour Paris entre, cinq et six heures du matin (l7), je me mis dans une chaloupe avec quatre messieurs de ceux qui dévoient faire ce voyage avec moi et deux de leurs valets. Nous arrivâmes à Blaye un peu après neuf heures, à l'aide de cinq rameurs. »

C'est donc vers 4 heures de l'après-midi que le sous-lieutenant de Monts débarqua à Blaye

Dans la fin de l’après-midi, il eut à s'occuper de louer un cheval pour ramener son prisonnier, de régler ses comptes d'écurie et de préparer son voyage de retour, pour le lendemain. Il note bien le souper de ce jour-là et aussi le déjeuner pris le lendemain matin avant le départ, niais il ne porte aucune dépense de coucher pour les deux nuits qu'il passa à Blaye. Probablement le petit détachement fut-il hébergé à la citadelle.

 

Mardi 14 novembre. Matinée. De Blaye à Saint-Bonnet, 32 kilomètres. .

Ayant décidé de prendre, pour le retour, un chemin autre que celui de l'aller, de rentrer par la route de Saujon et de faire sa première halte, à Saint-Bonnet, le sous-lieutenant.de Monts pouvait gagner cette localité directement par les levées des marais, qui suivent la côte.

Masse indique que cette route est celle que l'on prend dans la belle saison pour aller de Saint Bonnet à Blaye; et dans ce trajet, on passe la rivière du Vitrezay dans un bacq, au passage de Freneau» (aujourd'hui l'écluse des Portes de Freneau).

Cette voie n'était guère praticable, au milieu de novembre, à un groupe de six cavaliers ; il est certain qu'ils prirent la route d'hiver de Saujon à Blaye et leur itinéraire est bien celui que décrit Masse ; en particulier, pour le segment qui nous intéresse, il note :

 « de Saint-Bonnet, quand les eaux sont hautes, on va à Saint-Cir-de-la-Lande, de Saint-Cir-de-la-Lande on traverse la rivière de Vitrezay sur le pont du pas des Fenêtres, de là à Blaye »(18).

Ainsi nos cavaliers reprennent d'abord la routé par laquelle ils sont arrivés à Blaye ; ils la suivent jusqu'au pas des Fenêtres, puis s'engagent, à gauche, dans le chemin qui les menait à Saint-Ciers-la-Lande et de là à Saint-Bonnet où ils firent halte pour le dîner.

Après-midi. De Saint-Bonnet à Brie-sous-Mortagne, 20 kilom.

De Saint-Bonnet, d'après le guide Masse, le chemin sinueux suit d'abord la bordure des marais par Saint-Sorlin et Cônac, puis gagne Saiut-Disaut-du-Gua, Saint-Fort et Brie-sous-Mortagne où les cavaliers vont s'arrêter pour passer la nuit.

Le relevé ne porte que « la coucher», mais la note de 9 livres permet de penser que le souper s'y trouvait compris.

 

Mercredi 15 novembre. Matinée. De Brie à Saujon, 26 kilom.

Après-midi. De Saujon à Hiers, 28 kilom.

Deux kilomètres après avoir quitté Brie-sous-Mortagne, les cavaliers entraient dans le bois de Valleret que Masse nomme la forêt de Valleray ; le chemin sinueux et mollement ondulé traverse Cozes, Grésac et, passant à côté d'Epargnes, comme le signale notre guide, il aboutit à Saujon où nos cavaliers s'arrêtent pour, le dîner.

Dans l'après-midi, trois kilomètres au- delà de Saujon, ils retrouvent leur route initiale qui, par Marennes, les ramenait à Brouage.

Cependant, ils ne poussèrent pas jusque- là ; et, s'ils se sont arrêtés à Hiers pour y coucher, à moins de deux kilomètres du corps de place, c'est probablement parce qu'ils arrivaient trop tard pour y entrer ; les portes étaient fermées à la chute du jour et la consigne devait être plus stricte encore dans la circonstance de guerre.

Le jeudi 16 novembre, le sous-lieutenant de Monts remettait le déserteur à la prison de Brouage.

 Le concierge et garde était un nommé Pierre Leperon, incapable d'écrire son propre nom ; le greffier des Bandes signait pour lui, ce qui était bien l'affaire d'un greffier.

Nous ignorons le nom du prisonnier, mais nous connaissons son malheureux sort; une lettre de M. de Carnavalet, du 27 décembre, nous apprend que peu de temps après fut encore passé par les armes un sergent déserteur de la même compagnie La Vinouze, et que le lieutenant de la compagnie, Laporte, l'avait également ramené de Bordeaux. La grande ville avait une attirance fatale.

Cependant, un peu plus tard, un sergent et un soldat déserteurs furent épargnés grâce à une amnistie venue de haut lieu.

Pour notre malheureux qui avait abandonné son poste du fort de la Pointe, il y avait pourtant une circonstance atténuante.

Le fort de la Pointe était un poste peu enviable si l'on s'en rapporte à ce que Colbert de Terron écrivait à Colbert, de La Rochelle, le 19 octobre 1673 :

« II y a aussi quelque commodité à donner aux soldats et aux officiers que l'on tient en garnison au fort de la pointe, sans quoy il est impossible qu'ils puissent demeurer en santé dans ce fort pendant 1’hiver (19). »

Nous donnons, en terminant, l'état de la garnison de Brouage dû au major de Roquefeuil (20) et reproduit ici exactement sauf addition de signes de ponctuation vraiment nécessaires ; l'original n'en porte aucun.

Il faut savoir qu'il s'agit de l'état d'un moment, d’un court moment, car les compagnies étaient relevées à Brouage par un roulement continuel.

 

Monsenur.

Pour ne vous Enuye point je vous mande lestat des forses des coumpanies de ste guarnysoun sauoir :

pycardie, duamel capytenne presant, durisson Luytenant presant, le soubs luytenant. Estyual presant E soysante 4 houmes, les 12 pyquiers sont coumpris E le tambour, bons soldas quy pauet servy partout. 64.

chanpanie, degranges capytenne presane, soun luytenant dumon, coumpanie noumbreuse mes il y a de fort petis soldas, soubs luytenant Escoupoun avesant.

Champanie, vynouse capytenne absant depuis 3 moys, luytenant Laporte avesant, le soubs luy tenant du mon presant Et 55 soldas bons soldas quy sont en Estat de servy, y coumpris les 12 pyquiers et tambours. 55.

blanchoun capytenne Au regymont de Monseignur le daufin, capytenne presant, son luytenant  presant dechar, le soubs luytenant le chevalliee de terrie presant. Il a dans sa coumpagnie 50 soldas. Il en a perdu sine que le sergant a menés qui ont dezerté. Il est au recrutes, il en fera, y coumpris le 12 pyquiers Et le tambour.

la marine, dénis capytenne presan Et son luytenant destours E sous luytenant Granuille presant Et 63 soldas bon houmes E an Estat de marche par tout, y coumpris le 12 pyquiers E le tambour.

Rambure, le cheuaillie potin capytenne presant Et soun luytenant Mouchy. Il n'a pas de soubs luytenant, 63 bons houmes qu'il y en ha plus part quy ouut seruy loun temps, le tambour Et le 12 pyquiers y sont coumpris sur le nombre 63.

Le regymant du Roy, la fourquade capytenne presant Et soun luytenant absant depuys six semenes, sa coumpagnie est bonne Et Il y a 65 soldas y compris le 12 pyquiers E le tambour. Il n'a pas de soubs luy tenant.

 beauges capytenne, absant depuis 2 mois, au regymane du roy, boune coumpanie tous grans houmes II a 65 soldas. Il na pas ny luytenant ny soubs luy tenant, le 12 pyquiers y sont coumpris et le tabour.

de logery capytenne au Regymant du roy absant seruant au regymant dayme major, luytenant presant la Serre, Et Lemoyne soubs luy tenant presant, très boune coumpanie. Il a 60 soldas mays son luytenant est aus recruees quy sera plus forte, mays a presant II a 30 solda y compris le 12 pyquiers et tambour.

 Monseineur

Vostre très humble Et très hobeysant Et très hoblygé seruiteur

la salle de roquefuiel

 de brouage 5 janvier 1674.

D Jules SOTTAS.

 

 

 

La poudrière St Luc, est située au Sud-Ouest de la citadelle, près du bastion St Luc.

 

 

 

Activité du port de Rochefort au début de la Guerre de 7 ans (1756 à 1763) <==

 

 

 

 


 Brouage fête multi-époque avec les mousquetaires de Calida Costa.

(1). Il mourut à Brouage le 28 avril 1674.

(2). Nous reproduirons cette pièce en appendice, avec les fantaisies d'orthographe et le savoureux accent gascoun de l'original.

(3) Arch. Guer., vol. 149, pièce 413.

(4) A. G. vol. 362; pièces 306 et 307.

(5) Ecrite le ler novembre. Ibid., pièce 107,

(6). Ce de Monts appartenait il à la vieille famille calviniste de Saintonge qui sortit de France après la Révocation de l'Edit de Nantes ?

Notre Histoire Maritime a retenu le nom de Pierre du Gua de Monts, célèbre navigateur, compagnon de Champlain.==>PIERRE DUGUA DE MONS (v. 1560-1628)

Plus près de nous, dans le temps, nous connaissons le général allemand de Monts, gardien de Napoléon III, dans sa captivité, et auteur de Napoléon III aus Wilkelmshöhe (1870-1871), in-8, Berlin, 1909 ; et le comte de Monts, ancien ambassadeur d'Allemagne, à Rome, qui examinait dans le Berliner Tageblatt du 22 novembre 1918, les causes de la défaite allemande.  

(7). Ces dehors multipliés par le comte du Daugnon existaient encore, ils furent rasés par l'ingénieur Ferry, en 1688, alors qu'ils étaient fort dégradés (Suasse).

(8), Masse. Mémoire sur les lieux les plus remarquables... etc. Bibl. de la Sect, techn. du Génie (Dépôt des Fortifie.), ms. in 4° 136, p. 296.

(9). Bibl. Sect. techn. Génie, ms. in-4° 136, 2° partie, p. 128.

(10). Ibidem, p. 129.

(11). Idem, ms. in-4° 136, 2- partie, p. 27.

(12). Ibidem, ms. In-4° 132, fol. 5 v.

(13) L'épacte de l'année 1673 étant 12, une nouvelle lune avait lieu le 8 novembre et la marée du 13 au matin était la neuvième après celle qui avait suivi le passage de la lune au méridien le 8 novembre, vers midi. L'établissement du port de Bordeaux étant 6 h. 50 minutes et chaque marée retardant de 25 minutes en moyenne sur la précédente, l'heure approchée de la pleine mer du matin à Bordeaux le 13 novembre fut 6 h. 50 minutes + (25 m. x 9) = 10 h. 35 minutes, et 9 h. 30 minutes environ, à Blaye, dont l'établissement est 5 h 47 minutes. Cf. Ports maritimes de la France, t. VI, 2e partie, Bordeaux, P- 527, marées.

(14). Bibl Sect. techn, Génie, ms. in-4» 137, p. 75.

(15)Relation du voyage fait en 1669 par M" de Saint Laurent, Gomont, Abraham et Perrault, Bibl. Nat., ms: franc. 24713, publié par Bonnefon, in-8°, Paris, 1909.

(16). L'épacte de 1669 est 28, une nouvelle lune avait lieu le 25 septembre.

(17). Le 5 novembre 1669 était au 12e jour de la lune, la pleine mer avait, lieu à Bordeaux, vers 4 h. 1/2 du matin,

(18). Bibl. Sect. techn, Génie, ms. in-4e 137, p. 69.

(19). Bibl. Nat., ms. Mélanges Colbert, 166, fol. 148.

(20). A, G., vol; 419, pièce 27.

 

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