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PHystorique- Les Portes du Temps
19 septembre 2022

1877 Statue de Marguerite de Valois, œuvre de M Badiou de Latronchère au pied du château d’Angoulême

1877 Statue de Marguerite de Valois, œuvre de M Badiou de Latronchère au pied du château d’Angoulême

A la suite d'un concours régional tenu à Angoulême, le 17 mai 1877, une statue de Marguerite de Valois, — princesse née dans cette ville et considérée comme une des grandes renommées de la Renaissance, — fut érigée sur la place de la mairie de cette ville. Deux discours furent prononcés dans cette fête doublement solennelle, l'un par M. Mathieu Bodet, ancien ministre des finances et président du conseil général de la Charente, l'autre par M. Babinet de Rencogne, archiviste de la ville et président de la Société archéologique et historique de ce département.

Pendant un récent séjour à Angoulême, j'ai admiré l'oeuvre justement estimée de notre compatriote et confrère de la Société des amis des sciences, de l'industrie et des arts de la Haute-Loire, M. Badiou de Latronchère.

 L'étude de cette remarquable statue, évoquant la mémoire de l'une des saillantes phases de notre histoire littéraire au XVIe siècle, m'a conduit à considérer les traits généraux des moeurs et de la vie de l'illustre princesse.

 Son époque, si importante également au même point de vue, était celle où florissaient à Lyon la Belle Cordière, Louise Labé, Pernette du Guillet, Jacqueline Stuard et autres étoiles de la pléiade lyonnaise ; c'était aussi l'époque où la renaissance des arts et des lettres se révélait, dès la fin du XVe siècle, dans notre pays de Velay, par de belles peintures murales représentant les sept arts libéraux qui décoraient la bibliothèque (librairie) du chapitre cathédral du Puy (1) ; c'était encore le temps (XVIe siècle) où, dans notre vieille cité podienne, se distinguait, par sa faconde érudite et lettrée, Etienne Mège dit Médias, le premier auteur de nos chroniques locales ; où le roi François Ier, frère de Marguerite de Valois, visitait notre ville en 1533), qui déployait, pour accueillir sa brillante cour, toutes les pompes d'une réception somptueusement artistique (2).

Marguerite de Valois ou d'Angoulême, reine de Navarre, est une des plus intéressantes figures de son temps.

Elle naquit en 1492, dans une salle de la tour du vieux château féodal d'Angoulême, édifice du XIIe siècle, aujourd'hui transformé en magnifique hôtel de ville, style roman modifié (3). Fille de Charles d'Orléans, comte d'Angoulême et de Louise de Savoie, elle n'eût, pour aimer les lettres, qu'à lire les poésies mélancoliques de son grand- oncle, Charles d'Orléans, captif au bord de la Tamise, et auteur des strophes charmantes qui commencent ainsi :

Le temps a laissé son manteau

De vent, de froidure et de pluye ;

Il s'est vestu de broderie,

De soleil luisant, clair et beau.

Marguerite, à douze ans, parut à la cour de Louis XII, en devint le plus bel ornement, et ne brilla pas moins sous son successeur, François Ier.

 Elle y fut la Providence des gens de lettres, des savants, des artistes, et prit même part aux affaires de l'Etat, donnant souvent les meilleurs conseils au roi, son frère, qu'elle chérissait beaucoup. « Son discours était tel, dit Brantôme, que les ambassadeurs en étaient grandement ravis. » — « Aussi, ajoute Clément Marot, par l'industrie de son gentil esprit, elle surpassait la finesse des diplomates les plus consommés. »

Chrétienne animée d'une foi vive, mais éclairée, Marguerite était douée d'un noble caractère, qui répugnait aux préjugés et aux superstitions, legs de l'ancien paganisme.

Accueillant avec une curiosité sympathique les idées nouvelles, elle défendit avec énergie contre la Sorbonne les malheureux injustement poursuivis par ce tribunal redoutable; « mais, comme le fait observer M. Nisard, Marguerite, à l'aide de l'appui du roi, son frère, put jouer le noble rôle de protectrice des lettres, sans donner aucun ombrage, ni exciter à la résistance, en favorisant ce qui était suspect, et en protégeant ce qui était opprimé. »

C'est à sa salutaire influence que l'on doit de nombreuses fondations à Paris et dans les provinces ; par exemple, la création du Collège de France, dont la direction fut offerte à Erasme, grand philosophe de ce siècle.

A l'âge de dix-sept ans, en 1509, elle fût mariée, malgré son peu de sympathie, à Charles IV d'Alençon qui, en effet, ne méritait pas une épouse aussi distinguée.

 Ce fût alors que, le coeur plein d'amertume et entièrement a donné à Dieu, elle composa cette devise qui résumait l'état de son âme : une fleur de souci regardant le soleil, avec ces mots:

Non inferiora secutus, c'est-à-dire: «Ne s'arrètant aux choses d'ici-bas. »

Elle avait aussi adopté plusieurs autres emblèmes, notamment un lis avec deux marguerites, et cette inscription :

Mirandum naiuroe opus, « oeuvre admirable de la nature. »

Après la funeste bataille de Pavie (1525), Marguerite se rendit en Espagne, pour consoler son malheureux frère et ranimer son courage. Ses supplications pour obtenir la liberté du prisonnier, échouèrent auprès de l'inflexible Charles-Quint, dont elle fit néanmoins l'admiration, ainsi que de sa cour, par son éloquence, sa grâce, et son instruction exceptionnelle. Plusieurs langues, en effet, lui étaient familières, principalement l'espagnol, l'italien et l'anglais. Le grec, le latin, l'hébreu même ne lui étaient pas étrangers. Ce fût probablement après son retour en France, au moyen de relations intimes contractées en Espagne, qu'elle parvint à obtenir la délivrance du roi.

Le théâtre a souvent retenti du nom de cette princesse.

Dans l'opéra de Jean de Paris, Boïeldieu a chanté les dons précieux de la reine de Navarre, « cette merveille la plus rare qu'ait pu former la main des dieux. » Parmi les pièces charmantes de Scribe, dans les Contes de la reine de Navarre ou dans la Revanche de Pavie, comédie en cinq actes, cet inépuisable auteur a retracé parfaitement les physionomies des principaux personnages de l'époque : François Ier, le roi chevaleresque, mais faible ; Henri d'Albret, son fidèle compagnon, futur époux de Marguerite ; Charles-Quint, ce monarque dissimulé, inexorable, mais qui finit par être vaincu ; Marguerite, cette fine fleur de la diplomatie qui jointe à la reine et à l'épouse du premier ministre Espagnol, avait prouvé que rien ne saurait résister à l'entente de trois femmes, unies dans un même sentiment : celui de la défense mutuelle.

En 1527, Marguerite, veuve de Charles d'Alençon, mort à Lyon, de ce lâche seigneur, cause de la perte de la bataille de Pavie et de la captivité du roi, épousa, en secondes noces, Henri d'Albret, roi de Navarre, alors souverain sans Etats.

De cette union naquit une fille, la fameuse Jeanne d'Albret, protectrice de la sériciculture en France et mère de Henri IV.

Il ne faut pas confondre cette première Marguerite d'Angoulême ou de Valois avec son homonyme la seconde Marguerite, dite de France ou de Valois, fille de Henri II et de Catherine de Médicis, soeur de Charles IX et épouse de Henri IV. Cette deuxième Marguerite fut l'arrière belle-fille de la première : ce fut la célèbre Margot, ainsi grotesquement surnommée par son frère ; elle n'en fut pas moins la perle et la dernière des Valois, fille, petite-fille, soeur et femme de roi ; exilée pendant vingt ans sur le noir rocher basaltique d'Usson en Auvergne, et divorcée de son propre consentement, après la pacification (1599), elle fut, dit-on, hôtesse par intervalles des manoirs d'Artias, du Monastier et de Vachères, en Velay, qui avaient été fidèles à la cause royale (4).

L'histoire a mentionné les épisodes de sa vie excentrique, ses libéralités à Notre-Dame du Puy, ses efforts pour arrêter les fureurs de la Ligue, ses qualités du coeur et de l'esprit, sa piété et ses oeuvres poétiques et littéraires, en un mot, tous les traits d'une princesse que d'anciens ennemis, et même de nos jours, Alexandre Dumas, ont cruellement travestis.

A cet égard, n'y aurait-il pas lieu de vérifier si, dans un temps où les moeurs de la cour étaient si relâchées, les dénigrements dont elle a été l'objet, comme l'avait été son illustre devancière, Marguerite d'Angoulême, sont tous bien fondés ? Elle a eu certes bien des détracteurs acharnés, mais elle a aussi compté de zélés panégyristes. Scaliger, dont le nom peut faire autorité, dit « qu'elle avait plus de vertus que son royal époux. » Le Père Minime Hilarion de Coste, dans son Eloge des dames illustres, rapporte que « le château isolé qu'elle habita fut un Thabor pour sa dévotion, un Liban pour sa solitude, un Olympe pour ses exercices, un Parnasse pour ses muses, et un Caucase pour ses afflictions. »

En effet, le Dictionnaire de la conversation rapporte que « douée d'excellentes qualités, elle montra pour la foi catholique une ferveur si vive qu'elle s'attira la haine et les calomnies des Huguenots fanatiques. »

 Il suffit de lire les écrits furibonds de d'Aubigné et des autres violents courtisans de Henri IV, pour reconnaître la haine amassée contre cette vertueuse princesse.

En 1572, lors de la Saint-Barthélémy, Marguerite avait sauvé Henri de Bourbon, depuis Henri IV, elle ne fit qu'un ingrat. Le goût excessif de ce prince pour le plaisir et ses intrigues amoureuses lassèrent la douce résignation de Marguerite et lui fit abandonner, de son propre mouvement, la cour de Nérac pour Usson.

On a donc eu tort de dire qu'elle fut exilée.

En 1599, Henri IV obtint son divorce auquel elle consentit ; mais dans l'instruction qui eut lieu à cet égard, pas un seul fait contre son honneur ne fut articulé.

 En 1605, elle abandonna Usson et habita successivement Paris, Milan, Madrid, etc., laissant partout des traces de sa munificence et de ses libéralités ; elle a fondé plusieurs établissements religieux et de bienfaisance, notamment la Providence du Sacré-Coeur. Ses oeuvres comprennent des poésies et des pièces fugitives très estimées ; ses Mémoires sont comptés parmi les meilleurs écrits du XVIIe siècle. Née en 1552, elle est morte en 1615. Nul n'a encore fait son histoire complète.

Naïve et modeste, mais d'une grâce et d'une élégance rare, Marguerite de Valois ou d'Angoulême n'eut le goût du luxe ni des splendeurs. Résignée dans le malheur, après l'ingratitude du roi son frère qu'elle avait tant aimé et servi, mais qui avait faibli à la suite des intrigues des fanatiques, elle consacra toutes ses ressources au soulagement des malheureux, à l'amélioration de ses petits Etats, et continua à encourager les artistes et les hommes de lettres. On la vit, dans sa tranquille résidence du Béarn, entourée de ses sujets et d'une cour composée de tout ce qu'il y avait de plus éminent dans les arts, dans les sciences et dans les lettres : Clément Marot, Bonaventure Despériers, Claude Grirget, Jean de la Haye et autres littérateurs distingués furent au nombre de ses « valets de chambre » ; ce qui fit comparer le splendide château qu'elle avait fait édifier à Pau à un véritable Parnasse.

Marguerite de Valois, sans être d'une grande beauté, avait une figure gracieuse, pleine de douceur, d'intelligence et d'énergie. Une particularité remarquable de sa figure, c'est le profil de son nez convexe ou aquilin des Bourbons, que, semblable à celui de son frère François Ier, elle transmit à sa fille Jeanne d'Albret, laquelle, à son tour, en dota Henri IV, forme qui se perpétua ensuite aux descendants de la même race (5).

Marguerite habita successivement Alençon, enrichissant les hôpitaux de cette ville; puis, Nérac, où lui échut l'héritage du saint évoque Jacques Lefèvre d'Etaples, le plus pieux des savants, le plus chrétien des apôtres de la Renaissance, son admirateur, mort à l'âge de cent deux ans, presque à sa table, à laquelle, par un singulier contraste, avait aussi trouvé place Calvin, le fougueux réformateur. N'oublions pas non plus Guillaume Briconnet, conseilleur et directeur de conscience de Marguerite, en 1521, évêque de Meaux, âme douce et mystique qui était entré sans réserve dans le mouvement donné par Jacques Lefèvre d'Etaples. (Henri Martin.)

Les savants et les poètes, Brantôme, Bayle, Rabelais qui appelait Marguerite sa soeur en poésie, Ronsard et autres ont célébré leur bienfaitrice dans des pièces de vers et des éloges funèbres. Voici une épitaphe par Valentine d'Alsinoïs :

Musarum décima et chariium quarta, inclyla regum

Et soror et conjux Margarita illa jacet.

Dixième musc, quatrième grâce, de roi illustre soeur et épouse, Marguerite repose ici.

Trois jeunes princesses, Anne, Marguerite et Jeanne de Seymour composèrent, en son honneur, plus de deux cents vers latins que traduisirent les plus célèbres poètes du temps, et qui furent recueillis par leur précepteur, le comte d'Alsinoïs, sous ce titre :

« Tombeau de Marguerite de Valois, fait en distiques latins par trois soeurs princesses d'Angleterre, et traduits en grec, italien et français, par plusieurs excellents poètes. »

Les poésies de Marguerite de Valois furent publiées, pour la première fois, à Lyon, en 1547, par le célèbre imprimeur lyonnais, Jean de Tournes, sous le titre de Marguerite de la Marguerite des princesses ; c'est un recueil de petits poèmes, pièces fugitives, épîtres, chansons, ballades, où l'élément mystique tient une grande place.

Le Miroir de l'âme pécheresse, par exemple, oeuvre qui excita la fureur de Noël Beda, syndic de la Faculté de théologie, n'est qu'un commentaire de certains passages de l'Ecriture-Sainte. D'autres oeuvres, publiées successivement, sont empreintes des sentiments religieux les plus éclairés. Certaines productions sont d'un style différent : L'Histoire mythologique des satyres et des nymphes de Dyane, éditée plusieurs fois à Lyon, imite le genre d'Ovide.

Mais le principal titre de gloire littéraire de Marguerite de Valois est l’Heptamèron (les sept étapes), recueil de nouvelles galantes, divisé par journées, dans la forme, mais moins libre, du Décaméron de Boccace.

Peu d'ouvrages ont représenté une société, sous des traits plus fidèles. « Là, dit M. Nisard, commence l'histoire de la prose française. » Il y a dans cette oeuvre des écrits qui ne sont pas des contes. Parmi les singulières anecdotes qui reflètent l'image des moeurs de l'époque, il en est une qui, quoique voilée, est toute personnelle à Marguerite et témoigne de son énergie et de sa chasteté. C'est la quatrième nouvelle de ce livre, sous le titre de « Téméraire entreprise d'un seigneur contre une princesse de Flandre, et honte qu'il en reçut. »

Ce coupable gentilhomme était l'amiral Bonnivet qui, ayant reçu François Ier dans un de ses châteaux, eut la hardiesse de s'introduire la nuit, par une trappe, dans la chambre de Marguerite ; mais celle-ci se défendit si bien unguibus et rostro que l'amiral fut obligé de s'enfuir, tout couvert d'égratignures, de morsures et de sang, ce qui le rendit la risée de toute la cour.

L'Heptaméron a été imprimé à Lyon en 1561, 1572 et 1578, ainsi qu'à Paris, à Amsterdam, à Berne, etc. Cette dernière édition, en trois volumes, avec gravures, a été payée dernièrement 219 fr.; la bibliothèque de la ville de Lyon en possède un joli exemplaire.

Parmi les oeuvres les plus rares qui concernent Marguerite, ligure un livre imprimé à Londres, en vieil anglais, sous le titre de :

A godly medytacyon of the Christian souls... Compiled in French by Lady Margarate, quenn of Navarre, and aptly translated into Englisb by the right vertuose Lady Elisabeth, daughter to our late soverayn, King Henry the VIII.

 « Méditations pieuses des âmes chrétiennes... réunies en français par dame Marguerite, reine de Navarre, et consciencieusement traduites en anglais par noble vertueuse dame Elisabeth, fille de feu roi Henri VIII. »

Quel singulier contraste que celui de l'implacable Elisabeth qui immola si froidement l'intéressante Marie Stuart, et qui consacra ses loisirs à célébrer les pensées de Marguerite de Valois ?

Les lettres de la reine de Navarre, publiées en 1841 et 1842 par le philologue Génin d'Amiens, en deux volumes, sous le titre de Lettres et nouvelles lettres, méritent une mention spéciale. Le style en est ferme et concis: c'est une correspondance qui peut, sous plusieurs rapports, être comparée à celle de Mme de Sévigné, et qui, au grand honneur de Marguerite de Valois, met en relief son esprit et ses qualités solides et généreuses.

Tels sont à peu près les droits de cette princesse au titre de protectrice des gens de lettres et des artistes, comme poète et écrivain (6); mais l'hommage le plus éclatant qui incombe surtout à la génération actuelle, c'est que, devançant les idées de son temps, elle a éminemment contribué à démontrer une des plus hautes vérités que les peuples modernes revendiquent, cherchant par tant d'efforts à l'affirmer: la liberté de conscience.

Je dois à M. Joseph Castaigne, président de la Société archéologique et historique de la Charente, correspondante de la Société littéraire de Lyon, chef vénérable d'une famille adonnée, par son excellent exemple, au culte des arts, des sciences et des lettres, la connaissance de quelques-uns des faits qui viennent d'être exposés et qui intéressent au plus haut point sa ville natale, l'illustre cité d'Angoulême.

Les oeuvres de son père, M. Eusèbe Castaigne, — l'ancien bibliothécaire de cette ville, l'éminent fondateur d'une très laborieuse compagnie d'archéologues et d'historiens, — m'ont fourni également de précieuses indications. Aussi, ne puis-je prononcer son nom, comme chacun le fait, qu'avec une grande reconnaissance.

M. Eusèbe Castaigne a vengé Marguerite, cette femme si pieuse et si intéressante, des calomnies dont sa mémoire avait été souillée par d'anciens fanatiques et des sceptiques modernes (voir Henri Martin, Sainte-Beuve, etc.); rappelons aussi qu'il a publié une foule de pièces inédites sur son beau pays, et en particulier sur Angoulême, oppidum gaulois, le Condate Agesinatum, la Civitas Aquelinensium des Gallo-Romains, l’lculisma d'Ausone, l’Icolisma de Grégoire de Tours, etc. (7).

1877 Statue de Marguerite de Valois, œuvre de M Badiou de Latronchère au pied du château d’Angoulême

 Pouvait-il oublier la plus belle perle de la couronne angoumoisine ? C'est ce qu'il a fait dans sa notice biographique et littéraire sur Marguerite d'Angoulême, qu'orne un portrait, réputé authentique, de cette illustre princesse, à laquelle il a dédié aussi une pièce de vers, terminée par cette strophe :

Salut, ô reine gracieuse,

Femme à la voix harmonieuse,

Poète, conteur tour à tour,

Dont le nom, comme un diadème,

Rayonne au château d'Angoulême,

Aux créneaux de la vieille tour !

La statue de Marguerite de Valois, en beau marbre blanc, exécutée en 1872 par M. Badiou de Latronchère, fut élevée, en 1877, sur un piédestal dû à M. Varin, l'habile architecte de la ville d'Angoulême.

Le monument est érigé au pied de la grosse et vieille tour ronde, crénelée, où Marguerite reçut le jour et dans un square planté d'arbres verts et palissade de lierres épais, parmi lesquels gazouillent de joyeux oiseaux; il est entouré d'un massif ou tapis de marguerites et séparé de la place de l'hôtel de ville par une grille en fer.

Le style du monument est simple et sévère. Le socle, en calcaire jaunâtre jurassique du pays, porte, avec les lettres V et B, initiales des familles Valois et Bourbon, enlacées de rinceaux, les dates de la naissance (1492) et de la mort (1549), et au-dessous une épigraphe commémorative de l'illustre princesse (8).

La tête est surmontée de la couronne royale ; la chevelure est encadrée par une cape à la béarnaise, dont les bords sont courbés, comme ceux d'un casque, et qui ne laisse voir que deux boucles de cheveux sur les tempes; un élégant bavolet flotte derrière ; un collier de pierreries terminé par un médaillon au portrait du roi, son époux, orne sa poitrine. Sa figure est gracieuse, simple et modeste : tout en elle respire la pureté et la candeur, sans exclure un certain sentiment de fine malice.

La main droite, tenant un crayon, est posée sur son coeur, dans l'attitude de l'inspiration et de la composition; l'autre main, appuyée sur la hanche, tient un livre qui rappelle le culte des lettres, le souvenir de ses études. Une robe de soie richement brochée, à larges manches pendantes, serre sa taille souple et élégante. La partie inférieure de ce vêtement couvre, de ses amples plis, les jambes et la chaussure.

M. Badiou de Latronchére (9) a fait partiellement don à Angoulême de cette belle statue qui lui ayant été commandée, sous l'administration de M. Sazerac de Forges, avait été justement admirée à l'Exposition de Paris en 1872.

Dans la localité, on a soulevé quelques critiques, notamment celle du défaut de ressemblance traditionnelle, de la forme du nez, par exemple ; l'auteur se serait, dit-on, plutôt attaché à l'idée, au sentiment inspiré par les oeuvres de Marguerite qu'à la réalité, au moins si l'on a égard au portrait qui a été reproduit par M. Eusèbe Castaigne (10).

Mais cette composition n'en est pas moins considérée généralement comme une oeuvre magistrale.

L'habile statuaire avait montré les mêmes tendances, au début de ses études, lorsqu'il composa le buste du maréchal de France, Fay de Latour-Maubourg, ornement du musée Crozatier au Puy. Il se distingua surtout par un groupe dont le modèle en plâtre figura au salon de 1855.

Exécuté en marbre, quatre ans après, ce groupe reparut au salon de 1859 et fut ensuite placé à Paris dans la cour de l'établissement des jeunes aveugles, en mémoire de Valentin Hauy, fondateur de cette institution.

 C'est une oeuvre qui témoigne du talent que l'artiste devait déployer, également, pour la statue de Marguerite. Hauy est debout, dans l'attitude de la réflexion : une main soutient son visage incliné, l'autre présente un manuscrit qui retombe sur la tête d'un enfant, assis à ses pieds, chétif, privé de la vue et couvert d'habits en lambeaux.

On voit que la statue de Marguerite de Valois a été exécutée d'après le même sentiment, à la fois littéraire et poétique, que celle d'Hauy. Dans l'une et dans l'autre statue, tout est bien compris, bien exprimé. L'auteur a su rendre, ici, jusqu'au pénible aspect de la souffrance et des misérables haillons; là, jusqu'au velouté et au chatoiement de la soie.

La planche gravée, jointe à cette notice et exécutée d'après une photographie, est de M. Camille Robert, artiste en renom de notre pays, dont le crayon et le burin ont produit au Puy, en France et à l'étranger, des travaux estimables et très divers (11). Ajoutons que, dans cette nouvelle oeuvre de notre compatriote, le fini et l'exactitude des détails ont heureusement surmonté les difficultés du travail.

Grâce encore à cette habile reproduction de l'oeuvre de M. Badiou de Latronchère, nos lecteurs jugeront des mérites de celle-ci, comparés avec ceux que nous révèlent d'autres ouvrages du même statuaire conservés au musée du Puy, en particulier les bustes de M. le comte de Macheco, vénérable agronome du département de la Haute-Loire, et du maréchal de Fay de Latour-Maubourg, l'une de nos illustrations militaires.

Si la statue de Marguerite de Valois offre un type des plus corrects de la douceur et de la modestie, l'image de Macheco que fait valoir le moelleux aristocratique du marbre, présente le cachet de la dignité et de la bonté, attributs ordinaires de l'ancienne noblesse française aux beaux jours de son histoire. Dans le buste de Latour-Maubourg sont empreints, en outre, des sentiments de courage et d'énergique résolution.

M. Badiou de la Tronchère, sans que nous ayons à rappeler ici bien d'autres compositions, dont une des principales est la statue en bronze du chirurgien Larrey, à Tarbes, s'est donc bien inspiré de ses sujets qui, par un heureux concours de circonstances, sembleraient, dans leur diversité, avoir été choisis avec une intelligente prédilection.

Il a laissé à Angoulême et ailleurs, comme dans sa patrie, des titres à la reconnaissance publique.

 


(1) Voyez ancienne peinture murale représentant les arts libéraux; — Université de l’église cathédrale du Puy, etc., par M. Aymard, aux Annales de la Société d'agriculture, etc., du Puy, 1850, p, 561 ; — Congrès scientifique de France, 1855, tome I, p. 158 ; — Album 'archéologie religieuse, 1857, p. 89 ; — Annales de 1852, p. 225.

(2) Le roy à son entrée au Puy, était accompagné d'une suite nombreuse de grands seigneurs au nombre desquels se trouvait son jeune frère « Mgr le duc d'Angoulesme » Charles de France, alors âgé de douze ans, fils de Charles d'Orléans, comte d'Angoulême. En l'honneur de ce personnage, on avait placé à la porte principale de la ville (porte Pannessac), au-dessous d'un grand écu de France, deux autres écus aux armes d'Orléans et d'Angoulême. Notre chroniqueur Médicis ne signale pas la présence de Marguerite.

(3) princesse vécut cinquante-sept à cinquante-huit ans, étant morte le 21 décembre 1549, comme le mentionne l'inscription gravées la face principale du piédestal de la statue.

(4) M. Truchard du Molin, dans ses baronnies du Vetay (Roche en Régnier), conteste les excursions en Velay que des traditions attribuent à cette princesse, toutefois, avec des réserves qu'on n'est pas étonné de trouver sous la plume de cet éminent historien, et qui ouvrent ainsi la voie à de nouvelles recherches.

(5) On peut juger de ce trait caractéristique du visage de François 1er — le premier des Bourbons qui en offre le vrai type, — sur deux bas-reliefs, de style très remarquable, conservés au musée du Puv et qui paraissent avoir été exécutés dans notre ville, vers l'époque de l'entrée solennelle de ce souverain.

(6) Voyez la note A, à la suite de la présente notice.

(7) Voyez la note B à la suite de cette notice.

(8) Voici le contexte des inscriptions, à la face principale :

A MARGUERITE D'ANGOULÈME

SOEUR DE FRANÇOIS Ier

NÉE AU CHATEAU D'ANGOULÈME

LE XI AVRIL MCDXCII

MORTE AU CHATEAU D'ODOS EN BÉARN

LE XXI DÉCEMBRE MDXLIX

 

à la face latérale :

L'HEPTAMERON — MDXLI.

 

(9) Voyez la note C à la suite de cette note.

(10) Le statuaire s'est cependant attaché à reproduire le portrait de cette princesse, tel que l'offre un tableau attribué au peintre Clouet et qui lui avait été communiqué par M. de Thiac, président de la Société d'agriculture d'Angoulême.

(11) Voyez la note D à la suite de cette notice.

 

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Commentaires
T
Combien coute votre maison ?
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C
Combien coûte ce type de statue ?<br /> <br /> Gérard
Répondre
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