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PHystorique- Les Portes du Temps
14 juillet 2022

1610 Église Saint-Georges de Vivonne – Le couteau de RAVAILLAC

Église Saint-Georges de Vivonne – Le couteau de RAVAILLAC

Au seuil de l’été dernier, j’ai vécu en Poitou quelques jours charmants auprès de Mélusine... cette troublante fée poitevine qui, par le thème de sa légende, s’associe à certains problèmes de notre destinée dont les hommes ne cesseront jamais de se préoccuper...

Après avoir passé à Lusignan — où elle demeure si vivante — des heures délicieuses près de cette vaporeuse compagne, je me suis arrêté, entre deux trains, dans l’agréable bourg de Vivonne, niché au creux d’un pittoresque vallon à cinq lieues au sud de Poitiers, sur la route de Bordeaux.

Là, dans un vaste lit que bordent plusieurs molles collines, se célèbrent les épousailles de trois gracieuses rivières.

Le Clain s’y unit à la Vonne et au petit Palais — nommé jadis : le Vif et qui, avec la Vonne, a donné son nom à Vivonne.

C’était au soir d’une belle journée de juillet.... Sertie dans son écrin d’émeraude, la « Perle du Poitou » — tel est le titre dont se pare cette séduisante petite ville — étalait ses calmes maisons, coiffées de cheminées sarrasines, au bas de la terrasse, décorée de «ponnes » fleuries (1), où je dînais dans la jolie demeure d’un amphitryon qui mérite de retenir la France — et le monde entier — à table...

Né à Vivonne, ce Camille Arnoux, après s’être orienté, au sortir de l’école, vers les hautes écoles où s’élabore le parfait cuisinier, et s’être perfectionné en cet art dans de grands hôtels d’Ostende ou de Monte-Carlo, créa en 1908, au cœur de la capitale de la Touraine, un « Restaurant Lyonnais » dont la réputation gastronomique dépassa bientôt les frontières du Jardin de la France.

L’incendie déchaîné à Tours par les obus allemands en juin 1940 détruisit ce petit temple de la gourmandise, aujourd’hui ressuscité par son créateur à quelques centaines de mètres de là, dans l’élégant hôtel de l’Univers.

 Mais, tout en s’obstinant courageusement à ménager aux visiteurs des châteaux de la Loire un relai de bouche digne de la patrie de Rabelais, Camille Arnoux a voulu s’assurer dans sa cité natale la maison de ses rêves, où il revient, chaque dimanche d’été, se reposer et se délecter dans le décor de ses jeunes années... C’est en cette propriété que j’avais été invité à dîner, en ce soir de juillet. On venait de me servir un mets étrange et savoureux dont je désirai connaître l’identité.

—- C’est le plat le plus populaire et le plus spécifiquement régional du Poitou, me dit mon hôte... C’est le « Farci ». Il consiste en un pâté d’herbes dont voici la recette... ou, plus exactement, ma recette : Mettre dans une grande terrine en grès un kilo d’épinards, un kilo d’oseille, un kilo de laitues, 500 gr. de feuilles de bette et le cœur d’un chou vert dont on aura conservé les feuilles extérieures, après avoir ciselé toutes ces herbes en julienne avant de les mettre dans la terrine. Y ajouter 500 gr. de lard gras coupé en dé, 200 gr. de farine, huit œufs entiers, du sel, du poivre et des épices. Bien mélanger le tout pour en faire une masse compacte comme un pâté. Envelopper le « farci » dans les grandes feuilles du chou qui doivent être blanchies préalablement à l’eau bouillante. Et mettre le tout dans un filet ou une serviette. Cuire dans une marmite — comme un pot-au-feu — pendant trois heures. Retirer le « farci » dans un plat creux, enlever le filet et couper en tranches. Puis servir chaud. On peut aussi déguster le « farci » froid ou frit à la poêle.

Et, tout en remplissant mon verre d’un vin de Marignv-Brizay qui chante éloquemment les vertus du Poitou, mon interlocuteur reprit :

— Ce « F'arci », Napoléon I er l’apprécia vivement au cours d’un bref séjour à Vivonne...

En 1810, se rendant en Espagne, l’Empereur s’arrêta dans notre bourg... Oh! tout juste le temps nécessaire pour changer les chevaux de la berline qui l’emportait vers la frontière !... Il était sombre et de fort méchante humeur.

Les événements qui se déroulaient dans la péninsule ibérique lui imposaient de sérieux soucis. Durant le temps où l’on renouvelait l’attelage, il décida d'avaler un sommaire repas à l’hôtel de la Treille, qui existe encore au bord du Clain.

 Surprise par cette arrivée inopinée, l’aubergiste lui servit ce qu’elle avait sous la main... quelques tranches de ce « Farci » que l’on conserve toujours dans le garde- manger des foyers poitevins...

Et, après avoir ingurgité avec satisfaction ce pâté, Napoléon retrouva son sourire, félicita celle qui avait confectionné le « Farci » et quitta Vivonne tout farci, lui-même, d’optimisme.

Dans un sourire, la gracieuse épouse de Camille Arnoux ajouta : — Si Ravaillac avait dégusté, lui aussi, quelques tranches de « Farci » en passant à Vivonne, dans cet hôtel de la Croix Blanche où il se borna à dérober un couteau de cuisine, Henri IV n’aurait pas été assassiné...

— Que vient faire Ravaillac en cette histoire?... demandai-je.

—- Eh bien, voilà!... Une tradition locale relie à Vivonne une heure tragique de l’histoire de France... D’après elle, en ce bourg où coulent tant de rivières jaillit aussi la source de la mort du Vert Galant...

En une après-midi d’avril de l’an 1910, un moine roux, tout déguenillé, aux joues creuses et au regard fébrile, contemplait, dans l’église de notre paroisse dont vous apercevez devant vous le clocher massif, un grand tableau — qui se remarque encore aujourd’hui dans ce sanctuaire — représentant Saint-Georges terrassant le Dragon. Le morbide Feuillant fixait avidement cette peinture sans la quitter un instant du regard. Dans ses yeux passaient de sombres lueurs... Il resta longtemps ainsi... Et puis, vaincu par la fatigue, il s’assoupit. A son réveil, il reprit sa contemplation, en proie à une sorte de hantise...

Cet homme se nommait François Ravaillac... Ce fanatique visionnaire, qui d’Angoulême se dirigeait vers Paris et qui considérait le Béarnais comme le dragon de l’hérésie, puisait dans ce tableau, à travers le geste de Saint- Georges, l’ordre de transpercer le monarque qu’il soupçonnait de vouloir faire la guerre au pape.

Sortant brusquement de l’église, il entra dans l’hôtellerie de la Croix-Blanche — qui abrite toujours sa façade en colombage à l’ombre de notre clocher — et, sous couleur de mendier un morceau de pain, il réussit à soustraire un couteau de cuisine qui, le 14 mai suivant, lui servit à poignarder le roi de France.

Ces faits ont, d’ailleurs, été relatés à son procès.

«  Ravaillac à son procès a déclaré que de passage en l’église de Vivonne,  il avait eut une vision en forme d’un « More » dans un triangle, et il  en avait conclu qu’il devait aller tuer le roi Henri IV. »

— Vous estimez donc, chère Madame, répliquai-je, que le « Farci » aurait pu nous conserver l’un de nos meilleurs souverains si Ravaillac avait employé son passage à Vivonne à lier connaissance avec votre savoureuse spécialité poitevine au lieu de méditer devant un tableau de l’église... Je me sens très prêt à admettre qu’un dessein sanguinaire ne résiste point à un chef- d’œuvre culinaire...

Les grands événements ont bien souvent pour base de très humbles causes.

— Et, conclut la jolie Vivonnaise en élevant le débat, j’imagine que si les chefs d’Etats désireux d’en découdre se réunissaient en Poitou autour d’un « Farci », leurs peuples ne seraient plus appelés à se pourfendre périodiquement...

Par sa persuasive onction, notre « farci » les dissuaderait d’avoir recours à cette sinistre farce qu’est la guerre. Et les nations comme les individus cesseraient de transformer d’utiles couteaux de cuisine en de funestes couteaux de Ravaillac...

N’est-il pas plus indiqué, pour le bonheur des hommes, d’utiliser le fer et l’acier à concourir aux agréments de notre vie plutôt qu’à la préparation de notre mort?... Mais cela, quand les hommes le comprendront-ils?...

 

Cet hôtel, anciennement « Hôtel de la Croix-Blanche » a été à nouveau débaptisé et rebaptisé "Le Saint-Georges" début 1994.

 

Roland ENGERAND. La France à table : table, tourisme et santé

 

 

 

 Sur la Terre de nos ancêtres du Poitou - Aquitania (LES GRANDES DATES DE L'HISTOIRE DU POITOU ) <==

 

 


 

(1)   La « ponne »  est une cuve de forme ovale dans laquelle, en Poitou, on fait la lessive.

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