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PHystorique- Les Portes du Temps
23 février 2022

L’hôtel de Sully (duc Maximilien de Béthune) à Châtellerault et Charles Androuet du Cerceau Maitre-Architecte du Roi (1594-1606)

L’hôtel de Sully (duc Maximilien de Béthune) à Châtellerault et Charles Androuet du Cerceau Maitre-Architecte du Roi (1594-1606)

Les tours du Pont et l'hôtel Sully, à Châtellerault, d'un style architectural identique et saisissant, ne peuvent échapper à la curiosité du voyageur qui explore la seconde et riante ville du département de la Vienne ils semblent avoir été construits sous l'empire d'une idée commune dont la répercussion est évidente.

L'aspect général et comparé de ces deux monuments autorise à croire que le plan de chacun d'eux a été conçu et mis à exécution à la fin du seizième siècle, au moment où le gros œuvre du pont allait être achevé. L'harmonie des lignes, l'élégance et la finesse de l'ornementation nous rappellent encore, bien qu'ils fussent à leur déclin, les belles formes et le goût persistant de la Renaissance.

Ces considérations jointes à celles que nous allons développer établiront que ces deux édifices sont de la même époque et t'œuvre remarquable d'un habile architecte. Et, par une étude approfondie et des signes matériels probants, nous arriverons à conclure que Charles Androuet Du Cerceau, le troisième des quatre fils du célèbre graveur Jacques 1er a construit l'hôtel dit de Sully.

En effet, ce personnage notable, membre d'une famille qui s'était illustrée sous François 1er, Henri II, Henri HIII et Henri IV, avait été chargé par le ministre Sully de terminer le pont dont nous avons écrit l'histoire dans les Mémoires de notre Société (2).

Sollicité en même temps par quelque riche seigneur de la contrée, peut-être François de La Béraudière, marquis de l'ile-Jourdain et de Rouhet, gouverneur de Châtellerault pendant quelques années, Charles Du Cerceau aurait édifié ce bel hôtel.

Il laissait ainsi à sa ville d'adoption une couvre digne du nom qu'il portait, mais dont elle ignora trop longtemps l'auteur.

Nos recherches sur les origines de l'emplacement où s'éleva l'édifice successivement appelé hôtel Montpezat, hôtel Rouhet, hôtel Sully permettent d'établir qu'il faisait partie du fief dit « Le Savinier », situé à l'ouest de la ville.

Un aveu rendu par Pierre Berlant, seigneur des bâties de Poitiers, déclare que l'hébergement de ce nom et ses appartenances n'étaient qu'un fondis placé derrière les maisons des Cordeliers (3).

D'après une copie de l'Inventaire des titres du duché de Châtellerault, une sentence du 8 mai 1507 condamne un certain René de Bonnoust à payer 55 sols et 6 deniers de rente pour une maison « qui fut à Imbert Chandelier, sise sur la Grand'rue qui tend de l'église Saint-Jacques au pont, vis-à-vis le four du Savinier, la ruelle qui conduit de ladite église au Palais, entre deux ».

En marge de cette déclaration, une note de beaucoup postérieure à la copie est ainsi conçue :« Logis de M. le Marquis de l'ile, à présent M. Roffay. »  Nous verrons plus loin à quelle époque ce dernier l'occupait.

En 1541, un nommé Mathurin Philippes rend au marquis de l’ile une déclaration pour une cour et fondis sis à un des bouts du Carroir du Palais sur la rue qui va de ce carroir aux maisons et jardins du prieur de Saint-Jacques.

Il résulte clairement de ces textes que le marquis de l'ile-Rouhet possédait divers terrains dans le fief du Savinier, en particulier celui où s'éleva. l'hôtel dit de Sully, qu'il est facile de reconnaître aux tenants et aboutissants si précis révélés par la sentence de 1507.

Enfin, dans un accord intervenu le 25 avril 1610 entre Emmanuel Philibert et François de La Béraudière, son puîné, l'un et l'autre fils de François, gouverneur de Châtellerault, et de Jeanne de Lévis-Couzans, les deux frères prennent l'engagement réciproque, « vu l'amitié qui les unit,» de ne pas profiter de l'avantage qui pourrait leur être fait par les testaments de leur père ou mère et de partager leurs successions suivant la coutume du Poitou.

Cet accord avait été passé à Châtellerault en l’hôtel de Bouhet, jadis dit de Montpezat. Nous pourrions induire de ce texte que l’hôtel Rouhet est venu par succession aux mains de François de La Béraudière, puisque sa femme, Jeanne de Levis, citée plus haut, avait pour mère Hilaire de Lettes Des Prez-Montpezat, fille d'Antoine, maréchal de France, et de Liette du Fou.

C'est ce qui résulterait de la lettre ci-dessous (4).

Nous devons maintenant exposer les faits sur lesquels il convient de s'appuyer pour établir les preuves de la proposition émise plus haut: à savoir que Charles Androuet Du Cerceau a terminé le pont de Châtellerault, en même temps qu'il construisait l'hôtel de Sully.

Nous avons déjà constaté que cet architecte du roi avait pris la haute direction des travaux du grand pont de pierre dès l'année 1594 et l'avait conservée jusqu'à sa mort, qui arriva en 1606.

Son fils René acheva en 1609 l'ouvrage conçu en 1564 sous le règne de Charles IX.

 Par conséquent, il faut attribuer à Charles Du Cerceau la conception du plan des tours reliées par un pavillon central aujourd'hui détruit, lesquels ouvrages défendaient, l'entrée du pont sur la rive gauche de la Vienne.

C'est l'opinion de Roffay des Pallus dans son Mémoire sur la ville et le duché de Châtellerault rédigé en 1738.

Il s'exprime ainsi : « Ce pont et les édifices qui l'accompagnent furent commencés par Catherine de Médicis et finis sous le règne de Henri IV, en l'année 1609, par les soins et les ordres du duc de Sully, lors sous-intendant des finances, fortifications et bâtiments du roi. La conduite de ce bel ouvrage fut donnée à Charles Androuet Du Cerceau, un des plus habiles architectes de son temps. »

Entrons dans la discussion du petit problème archéologique soumis à la Société.

Sur les quatre angles de l'encadrement d'un œil-de-bœuf placé au-dessus de la porte de la façade méridionale de l'hôtel regardant le jardin, on constate l'existence de lettres en relief entrelacées de haut en bas dans cet ordre 1° C, 2' D, 3° F;- Et sur le fronton grec qui couronne cet encadrement on distingue encore le millésime nous fixant sur l'époque de l'achèvement de l'hôtel.

En effet, les chiffres romains MDC entrelacés nous reportent à l'année 1600.

 

Bulletins_et_mémoires_de_la_[

La façade septentrionale donnant sur la cour d'honneur, contiguë et parallèle à la rue Saint-Jacques, reproduit les mêmes lettres C, D, F, sculptées sur la clef de deux fenêtres géminées que relient un écusson très élégant surmonté d'un seul bandeau. Toutefois, soit par la maladresse d'un ouvrier, soit par ignorance ou tout autre motif la place respective des lettres que nous avons indiquée plus haut a été intervertie.

En effet, sur la clef de la croisée, à gauche du spectateur, s'il se tient dans la cour d'honneur et tourne le dos à la rue Saint-Jacques, on voit seul un F parfaitement sculpté aussi en relief et sur la clef de la croisée, à droite, les lettres C, D, entrelacées.

abc

Ces trois capitales doivent, selon nous, être ainsi lues et interprétées: FECIT CHARLES DU CERCEAU.

Sans doute il eût été plus correct de renverser cet ordre, c'est-à-dire de placer sur la croisée de gauche les initiales C, D et sur celle de droite la lettre F, on lirait alors CHARLES DU CERCEAU FECIT, inscription répondant exactement à celle de la façade méridionale de l'hôtel.

Dans l'un et l'autre cas la lecture développée de ces monogrammes vient à l'appui de notre opinion.

Espérons qu'elle ne sera pas contestée. Les peintres; les sculpteurs, les architectes signent volontiers les œuvres dignes de leur renommée.

Nous avons exposé ailleurs que « Charles Du Cerceau, maistre architecte du roy et conducteur de l'œuvre des ponts de Chastellerault », avait succédé à Robert Blondin, mort en 1594 après avoir dirigé pendant vingt ans les travaux du pont.

 Les traitements de l'un et de l'autre étaient de deux cents livres, somme modique pour les services rendus. Ces détails sont confirmés par les réclamations que présentèrent les veuves des deux architectes afin d'obtenir le paiement des gages revenant à leurs maris au moment de leur décès.

La première, Jeanne Guillemin, demanda, le 9 décembre 1594, la somme de 36 livres et quelques sous qui restait due à son mari Robert Blondin.

En 1609, Marguerite Basequin (et mieux Basquin), veuve de Charles Androuet Du Cerceau, obtint, en son nom et à celui de ses enfants (5), un versement de 600 livres revenant à son mari « pour ses peines, voyages et frais »

On saurait la date précise à laquelle René Androuet, sieur Du Cerceau, succéda à Charles, son père, si le plumitif des audiences du bureau des finances de la généralité de Poitiers ne manquait aux archives de la Vienne pour les années comprises entre 1597 et 1633, lacune regrettable à laquelle il serait impossible de suppléer.

Mais il est à croire que, Charles Du Cerceau étant mort en 1606, son fils René lui succéda aussitôt.

 Dans tous les cas, ce dernier est qualifié « architecte du Roy, demeurant à Châtelleraut » sur un acte de vente du 14 août 1612 (6).

L'année précédente il avait rédigé le mémoire et devis des réparations à faire aux grands chemins et bâtiments de la province, sur les ordres du duc de Sully, grand voyer de France en même temps que lieutenant général en Poitou.

A la demande très pressante du doyen de la faculté de médecine de Poitiers, Le Coq, Louis XIII avait accordé par lettres données à Saumur, le 16 mai 1621, la somme suffisante pour établir un jardin botanique, un amphithéâtre et les salles nécessaires à l'enseignement public du corps médical.

Dès 1619 un emplacement situé dans le quartier des Basses-Treilles (7) et appartenant au susdit Le Coq avait été choisi comme répondant aux intentions du roi par les trésoriers de France Certany, de La Lande, Thoreau et Palustre. L'estimation des terrains avait été confiée à deux experts, dont l'un fut René Androuet Du Cerceau, l'autre Isaïe Bernard, architectes du roi elle s'éleva à quatre mille livres (8).

Nous allons exposer ici le résultat de nos recherches sur cette famille d'architectes dont certains membres ont été parfois confondus. Ils figurent, d'ailleurs, dans cette pléiade d'artistes et de grands constructeurs de la Renaissance qui s'appellent Philibert de L'Orme, Pierre Lescot, Jean Goujon, Métezeau, Bullant, auxquels nous ajouterons François Primatice et Sébastien Serlio, venus en France le premier en 1538, le second en 1541, sur la demande de François Ier, ce grand restaurateur des arts et des lettres.

 

Si nous recherchons les propriétaires successifs du susdit hôtel à partir de 1600, nous sommes en présence de difficultés sérieuses.

Les documents manquent ou, s'il en existe, nous les ignorons. Il faut donc se résigner à utiliser les matériaux à notre disposition, lesquels sont loin d'être complets.

Dans un acte de donation entre vifs insinué à Châtellerault le 27 octobre 1779, on voit la description très précise de l'emplacement de l'hôtel Rouet et celle non moins intéressante du riche mobilier qu'il contenait.

 A cette époque, Antoine Roffay, conseiller du roi, président des dépôts à sel, et sa femme Marie-Anne Van Voorn, voulant donner des preuves de leur amitié et de leur affection à leur neveu Jérôme Roffay des Pallus, lui délaissent à titre perpétuel et irrévocable « un grand corps de logis situé audit Châtellerault, paroisse de Saint-Jacques, composé d'avant et arrière-cour, salles, salons, office, cuisine, buanderie, écurie, fenil, remises, caves voûtées, chambres hautes, cabinets, greniers et autres aisances avec les meubles, effets et ustensiles qui garnissent actuellement ladite maison, consistant, savoir dans le salon sur la rue en une tenture de tapisserie d'indienne, le trumeau de dessus la cheminée et le lustre, dans la grande salle une tenture de tapisserie de verdure, dans la salle à côté une tenture de tapisserie de verdure et deux glaces, l'une sur la cheminée et l'autre entre les deux croisées.

Dans l'appartement sur la grande salle quatre tentures de tapisserie, dont une en verdure et les autres en toile, deux rideaux d'alcôve d'indienne avec leurs verges et le trumeau qui est sur la cheminée, dans la chambre sur la seconde salle une tenture de tapisserie de verdure avec la glace qui est sur la cheminée.

Ledit logis joignant d'une part, de l'orient à la rue tendant de la Grande rue au Vieux Palais, à main droite, d'autre, du midi, les logis et au cabinet du jardin de M. Vantelon, maire, encore du couchant au logis et cour du même, d'autre du nord la Grande rue tendant de l'église Saint-Jacques au grand pont, à main gauche.

Plus d'un jardin renfermé de murs contenant deux boisselées ou environ, situées proche le Vieux Palais, joignant d'un bout le Jardin des Révérends Pères Cordeliers d'autre le jardin du prieuré, d'autre le jardin du sieur Vantelon, encore d'autre d'un bout aux magasins servant actuellement de dépôt à sel appartenant aux sieur et dame Roffay, donateurs. ..»

 L'hôtel Sully resta longtemps entre les mains des Roffay des Pallus.

Mais le 20 décembre 1802, les héritiers de Jérôme (9) vendirent à M. Jean-Jacques Creuzé le susdit hôtel.

Dans l'acte se trouve cette mention à retenir : « icelle maison anciennement nommée l’Hôtel de Rouet (10). Nous ne reviendrons pas sur les confrontations de ce logis qui auraient peu varié depuis 1779.

M. Jules Creuzé, longtemps entrepreneur de la manufacture d'armes, un des fils de Jean-Jacques, hérita de l'immeuble qui, aujourd'hui, est occupé par M. Adrien Creuzé, ancien député de la Vienne. Appréciant la grande valeur architecturale de son habitation, il l'a fait admirablement restaurer par un artiste habile, M. Favreau, de Chinon, qui a respecté l'idée si parfaite de Charles Du Cerceau.

M. A. Raguenet, architecte de Paris, a donné dans un intéressant recueil ayant pour titre :  Petits édifices historiques (11), les dessins et la description de l'hôtel Sully.

Au point de vue architectural, ses vues nous semblent justes, mais sous le rapport historique il n'en est pas de même. Il débute ainsi dans son texte « Nommé gouverneur du Poitou et jugeant à propos d'installer son centre d'opération à Châtellerault, le duc de Sully se fit construire ce ravissant édifice pour son usage personnel. »

Ainsi formulée, cette proposition exprime-t-elle la vérité quand on l'examine de près? Nous ne le croyons pas, et voici les motifs de notre critique sur ce point de détail.

Sully fut nommé gouverneur du Poitou, Châtelleraudais, Loudunais, etc., par lettres patentes du 16 décembre 1603; quoique très intéressantes, nous ne nous y arrêterons pas.

Le duc se rendit au siège de son gouvernement le 22 juin 1604; il était accompagné par François du Plessis de Richelieu, père du cardinal, qui connaissait le pays.

En 1611, Sully céda son gouvernement de Poitou au duc de Rohan pour la somme de deux cent mille livres; il lui en avait coûté trois cent mille.

Avant d'être gouverneur du Poitou, le duc de Sully n'avait donc aucun intérêt dans la province.

L'hôtel qui porte son nom ayant été achevé en 1600, on peut s'étonner qu'on lui en attribue la propriété. Pour nous ranger à cet avis, il nous faudrait des preuves autrement convaintes.

Toutefois, l'illustre ministre de Henri IV a pu séjourner quelque temps dans ce logis si bien aménagé pour un grand seigneur.

Sous le bénéfice de ces observations, nous empruntons à M. Raguenet, en l'abrégeant, la description de l'hôtel Sully.

« Cet hôtel, construit d'un seul jet, est d'un aspect imposant. Il est bâti en pierres de taille de grande dimension admirablement appareillées (12), suivant les coupes savantes en usage à la fin de la Renaissance.

Le grand escalier est assez simple, mais il est bien disposé, la charpente est aussi fort remarquable. Au rez-de-chaussée la pièce principale est vaste et bien éclairée. Elle est ornée d'une magnifique cheminée en pierre, dont la partie inférieure est très simple.

La partie supérieure, excessivement décorée, est embellie de deux superbes cariatides et d'une couronne de feuillage, véritable tour de force et de patience. Au centre de la cheminée se trouvent les armes de Sully (13).

Les poutres du plafond, les solives, ainsi que les lambris, les portes et les volets de cette magnifique salle sont peints, dorés et couverts d'attributs rappelant les différentes dignités du ministre de Henri IV (14). La cheminée de la salle à manger est moins importante, mais les quelques sculptures qui l'embellissent sont admirablement traitées.

 A l'extérieur les façades sont d'un goût parfait, la ligne domine et la sculpture ne trouble nullement les proportions architecturales. On ne connaît pas la signification des lettres entrelacées sculptées sur les façades.

Le baron de Geymüller a écrit un livre très intéressant sur les Du Cerceau (15); c'est l'ouvrage le plus complet et le mieux documenté qui ait paru jusqu'à ce jour.

 Il résume et discute les travaux déjà publiés sur cette famille d'architectes du seizième siècle par Callet (16) père et Adolphe Berty (17). Le premier de ces auteurs se tait sur Charles Androuet du Cerceau, dont il aurait ignoré l'existence. Le second, mieux informé, attribue à Jacques l'ancien, le célèbre graveur, trois fils :1° Baptiste, l'aîné, né entre 1544 et 1547, mort en 1590; 2° Jacques II, décédé en 1614; 3° Charles, en 1580, valet de garde-robe dans la maison du duc d'Anjou. - Jal ajoute à la filiation de Berty un quatrième fils, Moyse, commissaire ordinaire d'artillerie.

La généalogie des Du Cerceau, ainsi expliquée, paraît tout à fait acceptable et hors de discussion.

Henri IV fut le protecteur des fils de Jacques Ier et les employa en qualité d'architectes.

C'est dans ces conditions que Charles vint à Châtellerault en 1594, ayant une commission de ce prince. L'appui de son frère Jacques II, surintendant des bâtiments du roi, ne lui avait pas manqué. Il acheva le gros œuvre du pont aidé par son fils René et mourut en 1606. Ce dernier ne fut du reste que le pâle reflet de son illustre aïeul et de ses oncles Baptiste et Jacques. S'il nous est mieux connu, c'est qu'il maria deux de ses filles à Châtellerault, où il s'était établi.

 

Le nom, les œuvres, la renommée de Charles Androuet Du Cerceau sont restés enfouis, comme tant d'autres, sous l'indifférence des siècles. Le troisième fils du célèbre graveur Jacques 1er serait encore ignoré chez nous si quelques lignes des Mémoires de Roffay des Pallus ne nous avaient révélé qu'il termina le pont de Châtellerault secondé par son fils René, comme nous venons de le dire; mais on se demande comment il se fait que les contemporains de l'habile architecte de l'hôtel Sully n'aient laissé sur lui dans les archives locales où ailleurs aucune trace, aucun détail, aussi sommaires qu'ils pussent être.

 Le mérite de l'œuvre et de son ouvrier leur avaient sans doute échappé. Il suffit cependant de regarder ce bel édifice pour dire qu'il n'est pas vulgaire et que l'art consommé d'un maître a pu seul en établir l'harmonieux ensemble.

Aussi ce maître a-t-il voulu le signer. Ces trois lettres C,D,F, furent longtemps une énigme, aujourd'hui nous en connaissons le sens vrai, grâce à l'étude attentive des nombreux documents qu'il nous a fallu compulser pour écrire l'histoire du pont de Châtellerault.

Et nous sommes arrivés à cette conclusion que Charles Androuet Du Cerceau est bien l'architecte de l'hôtel Sully.

 

Enfin, ces quelques pages consacrées à l'œuvre vraiment remarquable d'un architecte de renom n'ont pour ainsi dire qu'un intérêt local et particulier, mais elles continuent la série de nos Etudes sur le Châtelleraudais

Ce pays intéressant, à peine exploré dans les travaux estimables bien que hâtifs de l'abbé Lalanne.se recommande il est vrai encore plus à l'histoire qu'à l'archéologie.

 Les annales huit fois centenaires (937-1789) des vicomtes et des ducs de Châtellerault où brillent les plus grands noms de la noblesse française, ceux de princes de sang royal, offrent au chroniqueur une ample moisson de faits peu connus se rattachant à l'histoire générale de notre pays.

Nous avons employé à ces travaux ardus les loisirs qu'un repos forcé nous avait donnés, mais ils sont loin d'être à leur fin.

Nous espérons qu'ils trouveront, s'il en est besoin, des continuateurs jaloux de rendre à la sentinelle avancée du Haut-Poitou, confinant à la Touraine, au Berry et à l'Anjou, grandes provinces historiques comme la nôtre, la justice que mérite sa résistance aux invasions étrangères, son patriotisme, et sa fidélité aux princes légitimes de la France.

 

APPENDICE N°1

11 octobre 1621

Eidem etiam collegio exposuit Le Coq, decanus se, non nullorum affinium et singularium amicorum tam pictaviensium tam olicorum intercessiono, impetrasse a christianissimo Ludovico XIII, rege nostro a se exhibitum diploma, datum Salmurii, decimo sexto mensis maii superioris, et signatum Bardeau, quo regia Majestas, in favorem et usum totius ut vocant corporis medici pictaviensis, liberaliter sumptus indulget pro fundo idoneo in hac urbe emendo, in quo tum hortus simplicibus et herbis alendis et theatrum anatomus publicis administrandis, tum atria ad congregandos doctoreset magistros dicti corporis et conservandas, ut loquentur, singularitates, construantur.

Quo quidem diplomate regio viso, etiam decreto collegii medici pictaviensis (dato 3 februarii 1619 et presenti volumni pagina 32 supra descripti) super approbatione illius horti, quem Le Coq, decanus possidet in urbe in vico des Basses-Treilles pro supra memoratis usibus.

Eo denique horto visitato et ad vota regia exequenda idoneo et indequaquo opportuno judicato, a nobilissimis et illustrissimis viris D.D. Certany, de Lalande, Thoreau et Palustre regiis consiliariis et Francise, apud Pictones generalibus questoribus, nec non regiarum operarum in eadem provincia sub praefectis illum hortum ab eodem Le Coq, pretis quator mille librarum (a Magistro Renato Androuet du Cerceau et Isaia Bernardo, operariis regiis indictu) nomine régis, et vi snperioris diplomatis, in usu indicato emerunt, et domanio regio assuerunt, iis cautionibus, quœ novorantur in contractu recepto Pictavis a Gautier et Johanne tabellionibus regiis, prima die septembris anni praesentis. Quem quidem contractum qua parte, et in gazophillacio medico, cum diplomate regio asservandum statuit. Nec non gratia, tum majestati régiae tum quibus cumque promotoribus, tam laudati operis, per decanum, oportuno tempore agendas assensuit. Reliquium denique totius illius negotii, ad finem ad se perducendum, et a singulis doctonbus, pro sua pirte promovendum esse.

Le Coq, doyen, Rabault, de Raffou, – J. Pidoux, J. Carré, J. Demayré, – Garsonnet, F. Garnier, Jacquet, J. Engaigne, P. Delugré. » (Arch. Vienne, D. 3.)

 

 

APPENDICE N° II

Extrait de l'acte de vente d'un logis par les héritiers Roffay au citoyen Creuzé.

Du 29 frimaire an XI (39 décembre 1802)

Au nom de la République française une et indivisible, le premier consul fait savoir que:

Pardevant les notaires publics au département de la Vienne résidens à Châtellerault et y patentés soussignés;

Furent présens en personnes, les citoyens

Jérôme Roffay, propriétaire des Palus, y demeurant, commune de Columbiers ;

Joseph Roffay Vergier, propriétaire de Brassioux, et dame LouiseAdélaïde-Désirée Vergier, son épouse, qu'il autorise, demeurant audit heu de Brassioux, commune de Senillé;

Et Michel-René Creuzé, propriétaire de Piolent, juge de paix du canton de Dangé, et dame Françoise-Angélique Roffay, son épouse, qu'il autorise, demeuraut à Prolent, commune de Dangé, tous arrondissement communal de Châtellerault.

Lesquels ont par ces présentes vendu cédé et transporté, promettent et s'obligent, solidairement garantir de tous troubles, dettes, hypothèques et autres empêchements quelconques.

Au citoyen Jean-Jacques Creuzé, ci-devant négociant, demeurant en cette ville de Châtellerault, section du Prétoire présent stipulant et acceptant, la maison provenant de la succesion de Jérôme Rolfay des Palus, leur père et beau-père, située en cette ville de Châtellerault, grand'rue de Saint-Jacques, section de la Promenade n° Tenant par le devant au nord à ladite grand'rue, du levant à celle du Vieux palais, du midi aux logis de la veuve Larose et au citoyen Faulcon; et du couchant au logis de la dame Veuve Vanteloni.

Ycelle maison anciennement nommée l'hôtel de Rouet, consistante en une cour ayant porte cochère ouvrante sur ladite grande'rue de Saint-Jacques un corps de bâtiment adroite dont le rez-de-chaussée est une belle salle et au même côté des cabinets et remise, à gauche des grandes portes, une écurie et encore des serres pour arnais, en face des grandes portes un grand corps de bâtiment, escalier au milieu, chambres et salles au rez-de-chaussée, à droite et à gauche, chambres et cabinets au premier et encore des chambres et greniers au second; doubles caves sous ledit logis, une petite cour servant de parterre derrière; autre corps de bâtiment contenant cuisine, salon, cabinets et servitudes et générallement tout ce qui compose ledit logis et tel qu'il se poursuit et comporte sans aucune réserve si ce n'est les objets mobiliers qui pourraient se trouver dans ladite maison; mais il est bien entendu que les trumeaux qui sont sur les cheminées feront partie de la vente; il est déclaré que ledit logis est franc et quitte de tous devoirs et charges.

 

L’hôtel de Sully à Châtellerault et Charles Androuet du Cerceau Maitre-Architecte du Roi  (1) par M.. Alfred Barbier

 

 

 

 

==> La famille Androuet Du Cerceau à Châtellerault

 ==> Bas-Poitou, la famille BOUHIER de l’ÉCLUSE. 11 MARS 1600. - ARSENAL. - TRAVAUX DE PAVAGE. — MARCHÉ PASSÉ AVEC PIERRE PAVOT, MAÎTRE PAVEUR A PARIS, MOYENNANT LE PRIX DE DEUX ECUS SOL PAR TOISE.

 

 


 

(1) Le frontispice placé en tête de cette monographie représente la façade nord, la plus intéressante de l'Hôtel Sully, d'après une eau-forte qui nous a été communiquée par M.Anatole Dangy, de Châtellerault. Cet habile graveur, membre de la Société des artistes français, s'est déjà fait un nom parmi nos aquafortistes. Dans ses oeuvres, où la finesse de la pointe, le respect de la nature, la pureté des lignes, le disputent au sentiment du vrai et du beau, on doit reconnaître un artiste de race. Nous rendons volontiers cette justice à un compatriote dont la modestie égale le mérite.

M. Dangy a gravé de nombreuses planches. Nous citerons, entre autres, la Galerie Henri IIdu Château d'Oiron; le Château de Morthemer, appartenant au comte Etienne de Beauchamp; cinq eaux-fortes de Loudun très appréciées à l'étranger.

Parmi les grands dessins originaux de notre artiste châtelleraudais, on compte le Château d'Ussé (Indre-et-Loire), construit en partie par Vauban qui l'a habité – l’hôtel de ville de Saumur; les curieux vitraux de la Sainte-Chapelle de Champigny.sur-Veude; l'Abbaye de Fontgombault restaurée avec tant d'archaïsme, le Château de Josselin et nombre d'autres planches, dont plusieurs ont été récompensées au salon officiel et à diverses expositions. M. Dangy n'en restera pas là, car son talent est rempli de promesses pour l'avenir.

(2) T. XXIV, 2e série (1900), pp. 151.

(3) Couvent fondé avant 1259, le plus ancien de Châtellerault. Les Minimes datent de 1495 - les Capucins de 1612, - les Filles de-Notre-Dame de 1640.

(4)   Monsieur, votre lettre m'intéresse vivement en m'apprenant l'existence actuelle de l'ex-hôtel de Rouhet; malheureusement, je ne sais rien de ce que vous me demandez sur la construction de ce logis, et dans tous les actes que j'ai pu voir, un seul en fait même mention d'une façon incidente, c'est un accord entre Emmanuel-Philibert et François de La Béraudière, son puiné, par lequel ces deux frères (fils de François de La Béraudière, dont vous me parliez dans votre lettre, et de Jeanne de Lévis-Couzans) prennent l'engagement réciproque, vu l'amitié qui les unit, de ne pas profiter de l'avantage qui pourrait leur être fait par les testaments de leur père ou mère et de partager leurs successions suivant la coutume du Poitou, passe à Châtellerault en l’hôtel Rouhet, jadis dit de Montpezat, le 25 avril 1610.

 

 Malgrès l'insignifiance de l'acte, il nous apprend le nom des anciens possesseurs de cette maison qui a pu venir par succession entre les mains de François de La Béraudiére puisque sa femme Jeanne de Lévis avait pour mère Hilaire de Lettes-des-Prés-Montpezat, fille d'Antoine, maréchal de France, et de Liette du Fou.

Pendant mon séjour à Poitiers, je n'ai pu faire que fort peu de recherches et vous serais reconnaissant, Monsieur, de me dire si vous connaissez quelques pièces importantes relatives aux Deraudière Lisle-Rouhet ou Ursay, vous priant d'accepter, avec mes remerciments anticipes, l'assurance de mes sentiments les plus distingués.

COMTE J. DE LA BÉRAUDIERE.

A propos de Fr. de La Béraudière, je crois qu'il devait être gouverneur de Châtellerault avant la date que vous m'indiquez, car on trouve à la Bibl. Nat. Cab. des Titres. Pièces orig.294 un reçu de lui du 2 sept.1581, comme gouverneur pour Sa Majesté du pays et duché de Châtellerault par ses lettres patentes du 6 mai dernier, pour son état et appointement durant deux mois.

(5) Au nombre de deux René, qui épousa Elisabeth Deslandes;- Marie, qui s'allia avant 1640 à Jacques de Chessé. -Dans l'Armorial des anciennes familles du Châtelleraudais dressé par Carré de Busserolles, on lit: de Chessé, écuier, seigneur d'Ingrandes, Charassé, Ry, Pindray, etc., famille originaire de Poitiers, maintenue dans sa noblesse en 1667. Parmi les alliances on remarque les familles du Jau, Taveau de Morthemer, Frottier de la Messelière, Rogier, Richard des Groix, de Chauvelin, Fumée, Bellivier de Prin, Mangin, de Falloux, du Lys.

(6)Arch. Vienne, E, 242. Chapitre de N.-D. de Châtellerault, reg. 185, p. 222.

(7) Sur ou près les terrains où s'éleva en 1630 le couvent des Carméliles occupé aujourd'hui par le Grand-Séminaire.

(8) Voir l'appendice, n I, p 148.

(9) Jérôme Roffay, propriétaire des Pallus, y demeurant, commune de Coulombiers; Joseph Roffay-Vergier, propriétaire de Brassioux; Louise-Adélaide-Désirée Verrier, sa femme, demeurant à Brassioux, commune de Senillé; Michel-René Creuzé, propriétaire de Piolant, commune de Dangé, et dame Françoise-Angélique Roffay, sa femme.

(10) Voir l'appendice, n° Il.

(11) 7e livraison.

(12) II paraîtrait, nous a-t-on dit, que les pierres de grand appareil étaient destinées aux accessoires du pont, au nombre desquels il faut signaler la porte devant servir de défense du côté de la ville qui n'a pas été construite. Ces matériaux, devenus ainsi inutiles, auraient servi à bâtir l'hôtel Sully.

(13) Ces armes, d'argent à la bande de gueules, ont été peintes sur un écusson ovale à une époque postérieure à la construction de l'hôtel.

(14) Ces ornements, qu'on peut voir ailleurs, ne sont autres que ceux employés à la fin du seizième siècle. Nous sommes donc loin de penser qu'ils devaient rappeler les dignités multiples de Sully.

Les façades ornées de mascarons aux figures grimaçantes, de guirlandes de fruits très élégantes sont tout à fait archaïques, mais de pure fantaisie. Les dessins de Jacques Du Cerceau l'ancien en avaient fourni le modèle.

(15) Leur vie et leur œuvre. Paris, 1887.

(16) Notice historique sur quelques architecles français du seizième siècle. Paris, 1842.

(17) Lesgrands architectes français de la Renaissance. Paris, 1860.

 

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