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PHystorique- Les Portes du Temps
21 février 2022

LE ROMAN DE MÉLUSINE ET LA BOURGOGNE

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De tous les romans de chevalerie composés vers la fin du moyen âge, celui de Mélusine, la fée serpente de Lusignan en Poitou, a été le plus célèbre et le plus aimé.

Traduit en plusieurs langues étrangères, on le lisait dans une grande partie de l’Europe. Les aventures de Mélusine étaient merveilleuses et touchantes.

La renommée des Lusignans, descendance prétendue de la fée, aidait au succès du livre. L’histoire de cette race illustre se confondait, pour ainsi dire, avec celle des croisades et de l’Orient latin.

 

Enfin, des pays fort éloignés du Poitou, très distants eux-mêmes les uns des autres, retrouvaient dans le roman, sous une forme qui leur plaisait, avec des ornements nouveaux, leurs propres légendes.

 

La fable de Mélusine faisait en effet partie du fonds commun de la mythologie celtique. La pieuse et fervente chrétienne, fée de la Fontaine de Soif dans la forêt de Colombiers, était, un millier d’années auparavant, une divinité sylvestre, une nymphe des eaux.

Il n’est donc pas surprenant de rencontrer à l’autre extrémité de la France celui qui le premier raconta l’histoire de la fée poitevine et les puissants seigneurs qui s’intéressèrent à son œuvre. Jean d’Arras écrivit le livre.

Marie de France et son mari le prince lorrain Robert de Bar l’inspirèrent. Philippe le Bon et Charles le Téméraire firent connaître aux Deux Bourgognes, à l’Allemagne et à la Flandre le nom et le conte de Mélusine.

Jean d’Arras était établi à Paris comme libraire et relieur, mais ce n’était pas un marchand ordinaire. Il avait dans sa clientèle les ducs de Berry et de Bar, la duchesse d’Orléans et le roi de France.

Propriétaire de trois maisons dans la ville d’Arras, peut-être était-il aussi vassal de Bourgogne.

En 1361, un personnage de ce nom faisait hommage à Philippe de Rouvre d’un fief sis dans la banlieue d’Aire et dans la ville de Marcq-en-Barœl. Son père, Thiébaud d’Arras, le possédait avant lui (1)

Les féeries de Mélusine s’accordaient à l’esprit d’aventure et à la somptuosité de la cour de Bourgogne.

Mélusine eut sa place dans les fêtes et dans la librairie de Philippe le Bon.

 Les seigneurs de Créqui possédaient deux exemplaires de l’ouvrage rte Jean d’Arras, en parchemin, avec enluminures et fermoirs armoyés de leurs armes sur émail ou sur or.

L’un, écrit sur deux colonnes, « de très bonne lettre », avait une couverture formée d’ais peints « on manière de draperie d’or ». L’autre, « illuminé d’or et d’azur », était couvert de cuir doré et argenté garni de cinq clous dorés » (2)

 Ces magnifiques volumes passèrent dans la bibliothèque des ducs de Bourgogne. Ils étaient sans doute de ces livres de luxe que l’on offrait en être nues, aux princes, suivant l’usage du temps.

.

Dans les banquets les entremets à la Mélusine ménageaient 1’une de ces ingénieuses surprises qui faisaient les délices de la cour de Bourgogne.

 

Le 17 février 1454, à Lille, Philippe le Bon donnait la fête du FaiSan .

A la seconde table, à côté d’un pâté qui contenait vingt-huit musiciens exécutant un concert, on voyait un château, «à la façon de Lusignan ».

En haut de la maîtresse tour paraissait Mélusine, en forme de serpente, et par deux des moindres tours, jaillissait, quand on vouait, de l’eau d’orange qui tombait dans les fossés du château (3) .

Les habitants de la Bourgogne retinrent surtout les souvenirs lugubres de Mélusine.

 La fée était pour eux la messagère de la Mort. Pousser des cris de Mélusine ou de Merlusine leur est une locution aussi familière qu’aux gens du Poitou (4) .

 Mélusine se montrait lamentable auprès d’Arbois, tantôt à la Châtelaine, château des comtes de Bourgogne, tantôt sur le donjon de Vadans, ancienne possession des comtes de Poitiers (5) .

 Parmi les courtisans de Philippe le Bon et de Charles le Téméraire, figurait un riche seigneur de la Souabe, le margrave Rodolphe de Hoehberg, seigneur de Rœteln et de Suzemberg, comte de Neuenbourg sur le Rhin.

Après le traité de Saint-Omer qui annexait à la Bourgogne la souveraineté des Habsbourg en Alsace et dans la haute vallée du Rhin, ainsi que les très nombreuses seigneuries-gageries qu’ils y avaient constituées, il fut l’un des commissaires désignés par le duc pour prendre possession de ses nouveaux domaines. Il détenait lui-même plusieurs de ces gageries et des plus importantes.

Le margrave avait trouvé Mélusine au palais des ducs de Bourgogne. A sa demande, un magistrat de Berne, l’écoutète Thuring de Ringoltingen, en fit une traduction allemande.

 Elle parut deux ans après la fête de Lille (6) .

 En 1491, on publiait à Anvers, une traduction flamande. Faut-il également attribuer à l’alliance qui unit la Bourgogne à l’Angleterre depuis l’assassinat de Jean sans Peur jusqu’au traité d’Arras et au long séjour des ambassadeurs d’Angleterre à Dijon, tout à côté du palais ducal, la traduction anglaise du xv e siècle ? (7)

 

L. Stouff. Académie des sciences, arts et belles-lettres (Dijon).

 

 

 

 

 

 

 


 

1. Rentes dues par les maisons, jardins et terres soumis à la juridiction des éche- vins de la ville d’Arras en 1382. (Arras, s. d.), pp. 360, 389; Jules Baudot, Les Princesses Yolande et. les ducs de Bar (Paris, 1900), p. 257. «Ce sont les fiez du chastel d’Aire, dont l’on fit homaige à monseigneur le duc le xxix e jour de may ccclxj à Aire... Aire. Jehan d’Arraz. j. fie séant en bamliue d’Aire et en la ville de Makte, qui fu Thiebaut d Arraz, son père. Tenu d’Aire (Cartulaire de la comtesse Marguerite, intitulé : Ce sont pluseurs sentences, lettres, grâces, estas et autres choses enregistrées pour madame la contesse de Flandres et d’Artois et de Bourgoigne, depuis que les contées d’Artois et de Bourgoigne vinrent en sa main » (Archives de la Cote-d Or, B -401, fol. 51, v° ; 53, r°).

(2) Barrois, Bibliothèque protypographique ou librairies des fils du roi Jean, Charles V,  Jean de Berri, Philippe de Bourgogne et les siens (Paris, 1830), PP- 186, 230, n os 1269, 1627.

Ces manuscrits, dont l’un se trouvait à Bruges vers1467 et l’autre à Gand en 1485, sont perdus. Doutrepont, La Littérature française à la cour des ducs de Bourgogne (Paris, 1909), pp. 20, 59, 116, n. 3, 481.

(3)- Olivier de la Marche, Mémoires, (Ed. Beaune et d’Arbaumont, Paris, l884), t. 11, p. 351; De Barante, Histoire des ducs de Bourgogne de la maison de Valois, t. VII (Paris, 1826), p. 449. Cpr. Archives de la Côte d’Or, B 1729. Compte quinziesme de Jehan de Visen, conseillier de monseigneur le duc et son receveur general de Bourgoingne, pour ung an començant le premier jour de janvier l’an mil cccc cinquante et quatre et finissant au derrenier joui de decembre l’an mil cccc cinquante et cinq.

 Et aussi des terres enclauées et autres es pais de Bourgoingne [Fol.] ij° iij [verso]. A Droin du Cret, clerc, demorant a Dijon, la somme de cinq francs demi que (lui avons ordonné et tauxé) (a) mes- Seigneurs des comptes à Dijon lui ont ordonné et tauxé pour avoir par leur ordonnance doublé et escript en parchemin l’istoire et dictié du bancquet de mondit seigneur fait à Lille le xvij e jour de fevrier m cccc liij, contenant Ixvj fueillez de Parchemin en volume commun, chascun fueillet au feur d’un gros, qui est le pris acoustumé (b), valent la dicte somme de v frans demi. A lui paié et appert par mandement de mesdisseigneurs des comptes donné le xvj e jour de juillet mlv cy rendu auec quictance du dit Droin escripte au doz du dit mandement. Pour ce v frans demi (c). | (a) Les mots entre parenthèses ont été biffés, (b) Les mots soulignés le sont dans l’original, (c.) Il s’agit sans doute delà relation de Coucy, qui assistait à la fète (De Barante).

(4). Abbé Ballet, Dissertation sur Mélusine, dans la collection des ouvrages des membres de l’Académie de Besançon, Il (21 avril 1754 — 17 novembre 1702) fol. 110, v° (Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques, départements, Besançon, t. II, 2 e partie, Paris, 1904, p. 759).

(5). Bousson de Mairet. Annales historiques et chronologiques de la Ville d’Arbois (Arbois, 1856), p. 50.

(6). Manuscrit de la Bibliothèque de la ville de Strasbourg n° 2205 (Ail. 300). xv e siècle. Papier. — Imprimé : Melusina, aus dem jranzôsischen des Johannes von Arras, ins deutsche ubersetzt von Thuring von Ringoltingen (Strasbourg. H. Knoblochtzer, vers 1478). Mans Frôlicher, Thuring von Ringoltingens Melusine (Zurich, Soleure, 1889).

(7). Melusine, compiled by Jean d’Arras, englisht about 1500 (London, Earlv english text Society, 1895).

 

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