1652 De Trèves à Saumur, Anne d'Autriche avec son fils Louis XIV visite le prieuré de la Fidélité
Par une belle journée d'été de l'année 1618, Pierre de Laval (1), baron de Liré, parcourait avec sa femme Isabelle de Mortemart de Rochechouart son vaste domaine de Trèves, érigé en marquisat.
Arrivés près des bords de la Loire, les nobles promeneurs s'arrêtèrent un instant. La chaleur était accablante, et les frais ombrages sous lesquels ils se reposaient leur firent trouver ces lieux agréables.
Le marquis considérant avec une vive satisfaction le panorama se déroulant à sa vue, dit à sa femme : « Savez-vous, Madame, qu'aucun endroit ne serait plus propice que celui où nous sommes pour établir un monastère, et je suis d'avis de bâtir ici même un prieuré conventuel pour y placer des Bénédictines, avec réserve pour nous et nos successeurs de droit de patronage et de présentation.
Nous ferons venir de Sainte-Croix de Poitiers notre bien-aimée fille Angevine, et nous l'établirons prieure du couvent des Bénédictines de Trèves. »
Isabelle de Mortemart accueillit avec une vive joie la proposition de son mari.
Pierre de Laval était un homme entreprenant. Dès qu'il avait conçu une idée il voulait qu'elle fût de suite mise à exécution.
Le lendemain il partit pour Angers, fut trouver l'évêque Fouquet de la Varenne, et contrat d'établissement d'un prieuré de Bénédictines à Trèves fut passé immédiatement.
Des religieuses vinrent s'y installer dans l'année même et vécurent paisiblement dans cette retraite, sous la sage direction de la pieuse Angevine.
En l'année 1626, lassée des dégâts que causaient périodiquement au bourg de Trêves les inondations de la Loire, Catherine de Laval, en religion mère de Lezé et fondatrice de la Fidélité, remontait en bateau ce fleuve pour asseoir son prieuré à Saumur.
Elle venait d'acquérir, après le décès de ses père et mère, une maison et dépendances, sises dans une rue « dite de la montée du Château, à droite de cette rue. »
De cette circonstance, il résulte qu'en prenant à la lettre les énonciations de M. Bodin, dans ses Recherches historiques sur Saumur, il y aurait eu, simultanément, dans cette ville deux couvents distincts de la Fidélité, l'un à la montée du Château, l'autre dans le faubourg des Bilanges.
On commettrait une erreur en interprétant ainsi ces énonciations; il n'a jamais existé qu'un seul couvent de ce nom; mais le premier local, qui lui était affecté à la montée du Château, ne se prêtant pas à une organisation convenable, il fut transféré, plus tard, dans le quartier Saint-Nicolas, par Madeleine Gautron, qui succéda à Catherine de Laval, en qualité de prieure.
Malgré tous les soins apportés à la direction de cette maison, elle n'eut jamais qu'une existence précaire, comme l'ont constaté, dans leurs rapports à Louis XIV, les deux intendants de la généralité de Tours, MM. Colbert de Croissy et Hue de Miroménil.
Cette précarité tenait à l'origine du prieuré de la Fidélité.
Il procédait d'un sentiment de famille, non d'une idée d'association religieuse; nous allons expliquer ces données intéressantes, que notre historien n'a qu'effleurées : elles méritent de l'être, parce qu'elles se rattachent aux souvenirs de la maison de Laval.
Cette maison est demeurée chère, par ses bienfaits, à la mémoire des populations des Rosiers, de Saint-Clément-des-Levées, de Saint-Martin-de-la-Place, etc., voire même à la cité saumuroise, par l'alliance de René d'Anjou avec la comtesse Jeanne.
Mme Catherine de Laval ne fut pas, à proprement parler, la fondatrice du prieuré de la Fidélité de Trêves; elle ne fut que le sujet de cette fondation.
Pour satisfaire à une vocation religieuse, invincible chez elle, ses père et mère, messire Pierre de Laval, baron de Lezé et marquis de Trêves, et dame Isabelle de Rochechouart de Mortemart, obtinrent du roi Louis XIII des lettres-patentes aux fins de fonder dans leur domaine de Trèves-sur-Loire, à trois lieues au-dessous de Saumur, un prieuré conventuel.
Par le contrat de fondation, approuvé par Msr Fouquet de la Varenne, évêque d'Angers, M. et Mme de Laval réservaient « pour eux et les aisnez de leur famille, le droit de présentation et de patronage au dit prieuré. »
Leur fille Catherine était déjà novice à l'abbaye de Sainte-Croix de Poitiers; d'accord avec Mme l'abbesse, Flandrine de Nassau, ses voeux devaient être retardés jusqu'à l'obtention des lettres-patentes.
Ces formalités préliminaires ayant été accomplies, Mme de Laval prononça ses voeux à Sainte-Croix et se rendit à Trêves, accompagnée de trois religieuses.
Le 1er janvier 1619, en présence d'un grand nombre de personnes de qualité, elle prit possession de son prieuré domanial, et le baptisa du nom de la Fidélité.
M. et Mme de Laval moururent entre 1619 et 1626; c'est alors que, n'étant plus retenue par le voisinage de ses père et mère, que ne pouvant supporter les ennuis fréquents occasionnés par les inondations de la Loire, la prieure quitta Trêves pour s'installer à la montée du Château. (La rue de la Fidélité).
Une fois éloignée des souvenirs de sa famille, la prieure, mère de Lezé, revint aux sentiments de sa première jeunesse ; elle résolut de retourner à Sainte-Croix.
La direction d'une communauté à Saumur, les embarras de son approvisionnement, la décidèrent, dès 1627, à quitter cet établissement.
Elle permuta, d'abord, avec la prieure de Notre- Dame de Boisselan, Marie Douault, près Châteaudun; finalement, elle revint à l'abbaye de Sainte-Croix, où elle mourut en 1673.
Son départ de Saumur avait créé quelques difficultés pour son remplacement en qualité de prieure, son frère Hilaire de Laval prétendant, par l'acte de fondation, au droit de présenter un titulaire.
Claude de Rueil étant devenu en 1628 évêque d'Angers, Françoise de Douault se trouvant être alors prieure du couvent des Bénédictines transféré de Trèves à Saumur, sous le nom de monastère de la Fidélité, sut si bien ménager les divers intérêts qu'elle décida , au mois de janvier 1630, Hilaire, marquis de Laval, à se démettre de son droit de nomination à tout jamais, à la charge par le couvent de lui présenter, lors de l'élection, trois religieuses les plus dignes d'être élues et parmi lesquelles il choisirait celle qui lui paraitrait la plus capable.
Le marquis de Laval pouvait en outre faire placer dans la maison de la Fidélité deux religieuses, sans qu'elles fussent tenues à payer une dot (2).
L'année 1631 fut une année calamiteuse pour la population saumuroise.
Le jour de la saint Louis la peste se déclara dans la ville. En peu de temps la population fut décimée. Chacun s'empressa de fuir les rues. Les maisons furent bientôt désertes. On ne rencontrait sur les routes de la Touraine que gens chargés d'effets et même de meubles.
Plus d'un Saumurois, dit le chroniqueur de cette époque, perdit comme le pieux Ennée sa femme en chemin.
Les dames de la Fidélité abandonnèrent leur couvent; elles se refugièrent les unes chez leurs parents, les autres chez le fermier de Trèves. Huit Bénédictines seulement résistèrent au fléau.
Ce triste état de choses suggéra la pensée à Françoise de Douault de venir en 1632, avec l'agrément de Mgr Claude de Rueil, établir à Angers une colonie de Bénédictines.
Accompagnée de cinq religieuses, elle occupa, à titre de location, une maison située au faubourg Bressigny, nommée la Côte de la Baleine.
Ce nouvel établissement prit le nom de Maison du Bon-Conseil de la Fidélité.
Il ne tarda point à prospérer. Il comptait un personnel nombreux, et les religieuses purent faire l'acquisition des vastes terrains qui les environnaient, entr'autres le champ renfermant les restes du bel amphithéâtre gallo-romain connu sous le nom de Groban (3).
A la demande de Mgr d'Angers, il renonça à son droit, et l'élection appela, en 1634, Madeleine Gautron (4) comme prieure de la Fidélité de Saumur.
Cette religieuse, dont l'esprit et la valeur égalaient la piété, lutta contre toutes les difficultés qui surgirent de la peste de Saumur, de la guerre de la Fronde, de l'intrusion chez les novices des doctrines calvinistes, jointes à celles que lui créaient, chaque jour, les ressourcés modiques de son établissement.
De plus, les mauvaises dispositions des bâtiments de la montée du Château n'offraient aucune sécurité pour les personnes et les biens du monastère; ils étaient à la merci des gens du voisinage.
L'auteur contemporain de la vie de Madeleine Gautron décrivait ainsi, en 1689, les inconvénients de cette habitation religieuse :
« Le bâtiment du monastère étant situé sur la pente s de la montagne, le jardin d'un voisin se trouvait un « peu plus bas : il y avait dans ce jardin un gros mûrier, dont les racines pénétraient jusque dans les fondations du bâtiment, et les branches montant au- dessus des fenêtres des cellules, pouvaient servir aux gens du dehors pour y monter, si l'on ne se fût pas tenu sur ses gardes... »
Cet état de choses détermina la prieure à transférer le monastère dans le faubourg des Bilanges; dans ce but elle acheta, en 1644, les maisons et terrains environnant la rue qui porte le nom de la Fidélité, en souvenir de l'oeuvre de Madeleine Gautron.
Le nom de Fidélité, dont aucun vestige monumental et apparent n'explique le sens dans le quartier, ce nom, disons-nous, pique la curiosité de plus d'un touriste et prête aux quolibets de quelques plaisants.
Ceux qui ont lu les Recherches de notre historien, M. Bodin père, savent que le nom de Fidélité se rattache à l'existence à Saumur d'un ancien monastère de religieuses bénédictines; mais beaucoup de ceux-là même ignorent pourquoi ce monastère était désigné sous le titre de la Fidélité; notre historien ne le dit pas.
Nous allons combler cette lacune par le récit des faits qui en ont provoqué la signification.
Anne d'Autriche séjournait à Saumur avec son fils, Louis XIV, en l'année 1652 (Février).
En 1650, elle était venue, appuyée sur la fidélité des habitants, disputer la possession du château aux partisans des frondeurs;
« Obligée de quitter Paris, la Cour, dit M. de Saint- Aulaire dans son Histoire de la Fronde, s'était rendue à Saumur où elle demeura sous la garde de Turenne, pendant que le gros de l'armée, conduit par le maréchal d'Hocquincourt, s'approchait d'Angers pour en faire le siège. »
Le duc de Rohan la défendait au soutien des frondeurs.
La reine revenait en 1652 chercher un asile dans cette cité pour disputer à la Fronde le château d'Angers et la ville elle-même. (5)
Pour occuper leurs loisirs, la reine jugea à propos de rendre visite à la révérende Mère Madeleine Gautron, supérieure du monastère de la Fidélité; sa capacité, son mérite religieux la mettaient en renom.
Au cours de leur entretien, Anne d'Autriche lui fit cette demande :
« Pourquoi votre monastère est-il qualifié du nom de la Fidélité?
— Madame de Laval, notre fondatrice, lui répondit la supérieure, l'avait nommé ainsi, afin que ce mot la fît souvenir de la fidélité qu'elle devait à Dieu !
— Madame de Laval, répartit la reine, a choisi là un beau nom; que la fidélité est une belle chose! quelle est rare en ce temps-ci! »
Anne d'Autriche, en s'exprimant de la sorte et avec amertume, faisait allusion à la guerre de la Fronde qui la ramenait à Saumur une seconde fois.
En reconnaissance de l'hospitalité qu'elle avait reçue des habitants de Saumur, la reine avait fait concéder par le roi, à l'Hôtel-Dieu, certains privilèges que nous avons signalés dans nos Etudes historiques sur cet établissement.
Voulant laisser à la supérieure de la Fidélité un témoignage de sa gratitude, Anne d'Autriche lui fit concéder le droit de tirer tous les ans deux mille fagots de la forêt de Chinon; des lettres de donation furent expédiées en bonne forme.
A ceux qui voudraient trouver quelques traces du monastère de la Fidélité, aux abords de la rue de ce nom, nous leur dirons :
« Entrez, par la rue Saint-Nicolas, dans la cour commune aux maisons de Mme veuve Boutin, gantière, et de M. Berge, menuisier; vous reconnaîtrez, à la forme des croisées qui éclairent les ateliers de ce dernier, que là était la chapelle de la Fidélité.
« Regardez ensuite, à la Bibliothèque de la ville, la vieille vue de Saumur de Mérian en 1660, vous y reconnaîtrez le campanile qui en couronnait la toiture. »
Le couvent de la Fidélité fut fermé le 27 août 1790.
Les religieuses qui s'y trouvaient alors étaient : prieure, Mme de Gibot de la Périnpière.
Religieuses : Mesdames Luthier, Harive, Syette. Menon, Dupin de Bessac, Gendron, Besnard, Leroy, Letellier, Blondeau, Paumard et de Mailly. Toutes les religieuses à l'exception d'une seule persévérèrent dans les vaeux.
Sous l'épiscopat de Claude de Rueil, un autre établissement d'une grande utilisé fut fondé dans le faubourg Saint Jacques. Nous voulons parler du couvent de la Providence, destiné à recevoir les filles pauvres, à les préserver du vice et à les mettre en état de gagner leur vie.
Henry Arnauld donna tous ses soins au développement de cette institution naissante dont il reconnaissait l'importance; mais le nombre des couvents de la ville empêcha le roi Louis XIV de permettre à cette nouvelle communauté de recevoir aucune donation entre vifs, et par mort, ni d'acquérir aucuns immeubles, en sorte que le couvent de la Providence fut toujours très-pauvre.
Cependant il rendit de grands services à la province jusqu'au moment de la révolution où il fut détruit.
Bulletin historique et monumental de l'Anjou Paul RATOUIS.
Le prieuré de Trèves ; d’azur à un bâton prieural d’argent, accosté de deux tours de même.
(1) Pierre de Laval, II du nom, marquis de Laval-Lezay, Baron de Trèves, comte de la Bigeotière, ect. Conseiller d’Etat, capitaine de 50 hommes d’armes des Ordonnances du roi, servit dans les guerres d’Italie, puis en France, au secours d’Anvers en 1585, à la bataille de Coutras, en 1587, et dans toutes les expéditions militaires qui précédèrent la paix de Vervins, et mourut en 1623.
Après la mort de Gui de Laval, Marquis de Neslé, arrivée en 1590, il avait repris les pleines armes de MONTMORENCY-LAVAL.
Il eut d’Isabeau de Rochechouart, fille de René, Baron de Mortemart, chevalier des ordres du roi : 1 Hilaire de Laval, marquis de Laval-Lezay, lequel suivit le roi Louis XIII à la journée du Pont de Cé, et au voyage de Béarn. Il servit au siège de Saint-Jean d’Angély, à la défaite de Ré, à la prise de Royan, de Sainte-Foy et de Negrepelisse. Il obtint, au mois de juin 1642, des Lettres d’érection de la Terre de Lezay, en Marquisat, puis en obtint d’autres en octobre 1643, portant mutation du nom de Lezay en celui de Laval-Lezay et mourut en 1670, sans enfants ; 2 Gui Urbain ; 3 Jeanne –Jacqueline, femme d’Honorat d’Acigné, Comte de Grandbois.
(2) Nous, marquis de Laval, chef du nom et armes de la maison de Laval, maréchal des camps et armées du roy, premier baron de la Marche, seigneur de Magnac, Lubignac, Avnac, Puilauvenes et autres lieux, avons nommé par les présentes la Demoiselle Jolie-Emilie de Thorillon pour remplir une des deux places de religieuse, que nous avons droit de nommer dans le couvent de la Fidélité d'Angers, et cette dite place doit être occupée par ladite Demoiselle de Thorillon, sans qu'on puisse rien exiger d'elle pour sa dot ni pour ses meubles, ni nourriture et entretien.
Nous enjoignons à Mme la prieure de faire exécuter les présentes selon l'arrêt du conseil.
Fait à Paris, ce 12 mars mil sept cent cinquante-cinq.
En foy de quoi j'ai signé et apposé le cachet de mes armes,
Le marquis de Laval,
(3) Toutes les pierres qu'on put arracher des ruines de l'amphithéâtre de Grohan, furent employées à bâtir le monastère de la Fidélité ; mais, comme les frais de démolition excédaient la valeur des matériaux, on abandonna ce travail, et les restes antiques renfermés dans l'enclos du couvent ont existé jusqu'en 1802. A cette époque on a enfin achevé de les faire disparaître pour planter un jardin.
Les prêtres de l'Oratoire nous ont conservé une toile qui, si l'on en croyait son inscription, représente l'amphithéâtre de Grohan. Elle est actuellement dans une des salles du Musée d'Antiquités de la ville. Au bas on lit : Typus amphitheatri Andegavensis, vulgò dicti de Grohan, nuper e ruderibus e parietinis eruti, ex quo antiquitas et amplitudo civitatis demonstratur.
La description exacte de cet amphithéâtre donnée dans l'histoire monumentale d'Anjou de Claude Menard, prouve que ce tableau est complétement inexact et fait d'imagination. Les érudits sont pour la plupart d'accord sur l'étymologie du mot Grohan; ils le font avec Ménage dériver du celtique growan qui signifie arène.
(4) « Gautron (Madeleine), née à Marsillé près le Lude, entra le 11 novembre 1610 au monastère de la Fidélité de Saumur et en fut élue supérieure en 1634. Elle y mourut le 29 janvier 1676, après y avoir établi la réforme. Sa Vie a été donnée par un oratorien anonyme qu'on croit être Jean de Passavant en 1689. (Saumur, in-12)
(5) Dans les premiers jours de ce mois, la Cour séjourne à Saumur pendant que l'armée amenée par Mazarin entre dans l'Anjou, prend Angers et Pont-de-Cé où d'Hocquincourt a pour adversaires Rohan et Beaufort. Ceci se passait le 28 janvier 1652, jour que Mazarin reprit son rôle de ministre.
Passage dans les Mémoires de Pierre Thomas sieur Du Fossé. (1634-1698)
Après un fort agréable entretient, elle nous pria de vouloir bien présenter de sa part une lettre à ce prélat. Et, ayant pris congé d'elle, nous allâmes nous disposer à partir, pour aller coucher à Saumur.
A peine étions nous arrivez à notre hostellerie que l'on nous vint présenter, de la part de l'abbesse, un grand bassin remply de toutes sortes de bonnes choses, dont nous prîmes quelque peu, pour ne la pas desobliger, et renuoyâmes le reste.
Puis, nous étant remis en chemin, nous arrivâmes d'assez bonne heure à Saumur.
Comme j'ay déjà parlé autre part de cette ville, et de la grande déuotion de Nostre Dame des Ardilliers, où l'on aborde de tous costez, je n'en diray rien ici.
J'ajouteray seulement quelque chose de ce qui regarde le Monastere de la Fidélité, où nous allâmes, et qui, étant autrefois entre le château et la ville, est présentement dans le fauxbourg, basty au-delà du pont.
Ce sont des Religieuses Benedictines d'une pieté admirable, à qui une prieure, nommée Madelaine Gautron, morte seulement quatre années auparavant, fut une source de bénédiction et de grâce, comme la Mere Marie Angelique Arnauld l'avoit été longtemps devant à l'abbaye de Port Royal.
C'étoit véritablement une Religieuse parfaitte dans toutes les différentes vertus. Son humilité la rendoit comme insensible à tous les outrages et à toutes les injures, jusqu'à couvrir de confusion ceux mêmes qui l'attaquoient. Sa foy si vive la mettoit en état de tout esperer de la part de Dieu, lors même qu'elle paroissoit plus abandonnée; et de ne rien craindre du costé des hommes, dans l'extrémité des plus grands dangers, qui faisoient trembler les autres.
Sa charité pour les pauvres étoit telle que jamais elle ne manquoit à leurs besoins, lorsqu'elle sembloit manquer de tout ; et que son évesque, forcé en quelque sorte par les sollicitations de différentes personnes de donner des bornes à ses aumônes comme outrées, reconnut enfin que sa charité même tenoit lieu à sa maison d'un plus grand thresor que toute la prudence humaine et tous les ménagemens qu'on vouloit y apporter.
Ainsi il fut obligé de l'abandonner à la conduite de l'Esprit de Dieu, qui sçavoit fournir mille ressources différentes à un amour si compatissant pour les personnes affligées, qu'il inspiroit luy même au fonds de son cœur. Son amour pour la pauvreté étoit aussy grand que sa charité étoit ardente pour les pauvres ; puisqu'elle aimoit véritablement dans son monastere ce qu'elle regardoit avec vénération dans ces membres de Jesus Christ. Tel fut le riche héritage qu'elle laissa en mourant à ses saintes filles. Et il est vrai qu'ayant été, comme je l'ay dit, leur rendre visite, nous remarquâmes aisément en elles l'image de leur sainte mere, qui avoit été en une telle veneration de son vivant que la Reyne Mere Anne d'Autriche, étant venue à Saumur en 1652 (a), alla passer une après disnée entiere avec elle, pour l'entretenir de choses de pieté et se recommander avec le Roy à ses prieres.
Lors donc que ces bonnes filles eurent sceu que ma belle sœur étoit la niece de leur évesque, la prieure (b) ne se contenta pas d'estre venuë avec quelque autre au parloir ; mais elle fit assembler la communauté, pour nous témoigner en corps les grandes obligations qu'elles avoient au saint évesque d'Angers.
Et je puis dire que tout respiroit la pieté, la simplicité, la pauvreté, la charité et la régularité, dans leur exterieur et dans toutes leurs paroles. Leur mépris du bien et leur desinteressement est tel que jamais, en éprouvant la vocation d'une fille, elles n'envisagent si elle est riche ou si elle est pauvre, craignant même autant les richesses qu'elles aiment sincerement l'état de pauvreté.
Et, pour preuve de ce que je dis, j'en marqueray seulement icy un ou deux exemples, qui sont arrivez et que nous avons appris depuis peu.
Après sa mort, l'executeur s'informa avec soin de ce qu'il vouloit sçavoir à differentes personnes qui luy nommerent plusieurs maisons, selon la connoissance qu'ils en avoient. Mais enfin, ayant entendu parler du monastere de la Fidélité de Saumur, il s'y transporta.
Il demanda la prieure et luy exposa les intentions du deffunct, ajoutant qu'on lui avoit parlé de sa maison comme d'une maison vrayment pauvre, et où Dieu étoit servi en esprit et en vérité : à quoi la prieure lui repartit aussitost avec une humilité et une simplicité étonnante : « Helas ! Monsieur, c'est bien à nostre confusion que je me sens obligée de vous dire qu'il s'en faut beaucoup que nous ne servions Dieu comme on vous l'a dit; puisque nous sommes infiniment éloignées de répondre à la sainteté de nostre vocation. Et quant à la pauvreté, vous voulez bien que je vous assure aussy que nous ne sommes point pauvres; puisque nous avons nostre nourriture et nostre vêtement. »
L'exécuteur, quoy que surpris d'une réponse à laquelle il se seroit si peu attendu, n'en conceut que plus d'estime pour ce monastere, et se confirma davantage dans la pensée qu'il ne pouvoit accomplir plus exactement les intentions du testateur qu'en aumônant la somme léguée à des filles qui se regardoient comme riches, au milieu de leur pauvreté, et comme tres imparfaittes, nonobstant la fidelité avec laquelle elles s'appliquoient à tous leurs devoirs……
(a) Pendant la période la plus critique de la Fronde où la cour ait eu à lutter contre Condé.
(b) La prieure qui succéda à Madeleine Gautron était Marie de Censay, dite de la Sainte Trinité. Voy. Vie de Madeleine Gautron, Saumur, Ernou, 1689, in-8, p. 446. Dû à l'obligeance de M. Lemarchand, bibliothécaire d'Angers, ainsi que quelques autres détails locaux.
LETTRES ADRESSÉES AU CARDINAL FRANÇOIS BARBERINI
(1651-1664)
Mon Cousin, Le sieur evesque de Babilone ayant eu commandement de Sa Sainteté et de la congregacion establie à Rome pour la propagation de la foy, de retourner à sa résidence en Perse ou de nommer un coadjuteur ou suffragant, et ayant esleu et nommé le P. Michel du Saint Esprict, missionnaire apostolique et commissaire général de l'ordre des Carmes en Levant, le mérite de ce religieux et l'affection que je porte à sa province de Touraine font que je vous le recommande, affin que vous ayant faict voir l'acte de sa nomination à l'évesché d'Ispahan et à l'administration de Babilone, vous l'aidiez à obtenir les expédicions nécessaires, affin qu'il puisse aller au plus tost sur les lieux où j'espère qu'il servira fidellement et utilement l'église et sa Religion, cependant je prie Dieu qu'il vous ayt, mon Cousin, en sa sainte et digne garde.
Escrit à Saumur le XIe febvrier 1652.
Vre bonne cousine ANNE.
De Saumur, le 15 février 1652.
J'ai reçu votre lettre du septième de ce mois. Vous aurez pu juger par mes précédentes que je n'aurai pas été surpris de ce que vous me mandez de M. le Coadjuteur, et je lui ai rendu justice en cela, quelques efforts que l'on ait faits pour imprimer ici des sentiments contraires.
Je n'ai point de réponse à vous faire sur la charge de Colonel des Suisses, parce que n'ayant pas un sol ce n'est pas une chose à laquelle je puisse songer.
Je vous ai déjà mandé qu'il n'avait intérêt aucun que M. de Chateauneuf ne restât dans le conseil et no fit d'autres amis; mais sa retraite avait été concertée et résolue avec quelques gens dès avant mon arrivée. On envoia à Madame de Chevreuse les passeports qu'elle a demandés.
Je vous prie d'assurer M. de Bussy-Lamet, que j'ai beaucoup d'estime et d'amitié pour lui, et d'être persuadé de la même chose pour votre particulier.