5 juillet 1931 Inauguration du médaillon de Duplessis- Mornay au Château de Saumur en présence du député Georges de Grandmaison.
Le 5 juillet 1931 a eu lieu, dans la cour d'honneur du château de Saumur, l'inauguration d'un médaillon de bronze de Duplessis- Mornay, offert au Château et à la Ville de Saumur par la « Société de l'Histoire du Protestantisme Français » et l'Eglise Protestante de Saumur.
Œuvre de M. le sculpteur Prudhomme, ce médaillon est accompagné du texte suivant, gravé sur une plaque de marbre :
PHILIPPE DE MORNAY
SEIGNEUR DU PLESSIS-MORNAY
(1549-1623)
GOUVERNEUR DE SAUMUR (1589-1621)
FONDATEUR DE L'ACADÉMIE PROTESTANTE
A HABITÉ CE CHATEAU DE 1596 A 1621
Votre Comité, Messieurs, a pensé que cet hommage à la mémoire d'un des hommes qui ont le plus honoré dans le passé notre cité, que cette commémoration de son souvenir ne devait pas être passé sous silence à la Société des Lettres, Sciences et Arts du Saumurois. Il m'a donc chargé de me faire son interprète, et de rappeler la physionomie de cet ancien Gouverneur de Saumur à la fois chef militaire, diplomate, administrateur, humaniste, dont la plume valait l'épée, et je m'aiderai, dans le portrait que je veux essayer de vous faire, de quelques citations des orateurs qui se sont succédés au cours de la cérémonie du 5 juillet : M. Méteyer, pasteur de Saumur; M. l'adjoint Ravault, représentant la municipalité; M. Georges de Grandmaison, député; M. Roimarmier, sous-préfet, représentant Monsieur le Préfet de Maine-et-Loire, empêché au dernier moment, et surtout le professeur Raoul Patry, venu tout exprès de Paris pour représenter la « Société de l'Histoire du Protestantisme Français ».
Ainsi que l'a dit le professeur Patry qui étudie en historien depuis plusieurs années et prépare sur Duplessis-Mornay un ouvrage nouveau dont notre Bibliothèque municipale aura à coeur, nous en sommes convaincus, de faire l'acquisition
« Il ne saurait être question d'évoquer dans toute son amplitude l'existence d'un homme qui a vécu jusqu'à l'âge de soixante-quatorze ans, qui, à partir de sa vingt-troisième année, a été associé aux événements les plus importants de son époque, enfin, qui a laissé de nombreux ouvrages et dont la correspondance (avec les rois de France et les princes étrangers, avec les grands personnages de l'Europe entière, avec les savants, les penseurs) comprend douze volumes imprimés auxquels il faudrait ajouter encore beaucoup d'inédits. »
Il vécut sous six règnes ceux de Henri II, François II, Charles IX, Henri III, Henri IV, Louis XIII, et joua un rôle important sous les quatre derniers.
Les grands événements dont il fut témoin les guerres civiles de France; la lutte pour l'indépendance des Pays-Bas; la mort de Marie-Stuart, en Angleterre, lui donnèrent des leçons analogues à celles que nous avons reçues des violentes péripéties de l'histoire contemporaine.
Jeune homme, il se livra à l'étude avec une ardeur extraordinaire. Il compléta selon l'usage du temps son éducation classique par de longs voyages. Ils durèrent deux ans, de 1569 à 1571.
Avec son gouverneur Ramini, il visita Genève, Heidelberg, Francfort, Venise, Padoue, recevant dans ces villes les leçons des meilleurs maîtres du temps. Ilfit le tour de l'Italie, vit également la Hongrie, la Bohème, les Pays-Bas, l'Angleterre. Il passa à Cologne l'hiver de 1571-1572, et a préluda à son double rôle de théologien et de publiciste.
Si nous franchissons les années sans autre transition, nous retrouvons Mornay conseiller de Henri de Bourbon, roi de Navarre, le futur Henry IV.
Il mit au service de ce dernier tout ce qu'il avait de jeunesse, de talent et d'activité.
Il serait impossible de retracer, dans une simple communication, cette activité inlassable dans tous les domaines, soit politiques, soit militaires, déployée aux côtés de son souverain, entre le jour où il entra dans son conseil, en 1577, et celui où il le vit monter sur le trône des Valois.
Cette période vit coup sur coup les guerres civiles de 1577, 1580, 1585, et présente le spectacle du plus grand désarroi où la France fut jamais tombée. Plus d'ordre nulle- part les caprices de la Cour, l'insubordination des grands, les rivalités des chefs, l'indiscipline des soldats français et étrangers, suspendaient toute sécurité, toute suite dans les desseins, surtout pendant les troubles interminables de la Ligue.
Qu'on juge de la difficulté que présentait dans ces circonstances le rôle d'un chef de parti comme Henri de Navarre, et surtout de son premier et presque universel ministre.
Car Duplessis était chargé ou se chargeait lui-même de toutes les fonctions. Il accomplit ce prodige de faire si longtemps la guerre presque sans argent, au grand étonnement de Henri III qui en fit plus tard la remarque quand il se fit un ami de son cousin de Navarre.
Et ces difficultés étaient loin d'être les seules. Il fallait sans cesse compter avec les divisions intestines des chefs du parti politique, s'entendre avec les reitres mal payés, avec le Prince lui-même, dont les caprices amoureux n'étaient pas un léger embarras.
« Henri fut une fois, raconte un chroniqueur, malade de pleurésie, loin de tout secours de médecin, et le théologien diplomate qui le servait dut prendre sur lui de le soigner. Aussi le Béarnais disait-il qu'il se passerait de Duplessis « aussi peu que de chemise », et dans ses bons moments il lui disait à lui-même « Ce sera au plus vivant des deux. »
Conseiller du roi de Navarre, Mornay a pris part, nous l'avons dit, à tous les événements politiques qui se déroulèrent entre 1578 et 1589.
Au cours de cette période agitée, l'année 1583 fut parmi les plus critiques.
« La France est grosso modo, dit Raoul Patry, coupée en deux. Au nord de la Loire, la Ligue l'emporte, commandée par les Guise. Dans le sud ce sont les Huguenots qui sont les maîtres.
» Quant au roi de France, il ne compte guère. Réfugié à Tours, il règne sur un minuscule territoire, entouré de rares partisans. »
C'est alors que Philippe de Mornay, dans un rapport qu'il rédige à cette date, « rappelle au Béarnais qu'il est Prince du sang; que le roi de France est sans héritier et lui, Mornay, ôse parler à Henri de Navarre de la couronne de France.
» C'était folie, semble-t-il, mais tous les jours des catholiques modérés, indignés des excès de la Ligue et sachant que les Ligueurs trahissaient la France au profit de l'Espagne, viennent grossir les partisans de Henri de Navarre.
» La guerre dura quatre ans. Mornay, dans les plus durs moment, disait « Nous en avons passé d'autres ». »
Finalement, le 15 mars 1589, un plénipotentiaire se présenta aux avant-postes des lignes huguenotes. Henri III envoyait demander au roi de Navarre son appui contre la Ligue. »
Et, le mois suivant, était conclu le traité du Plessis-lès-Tours, qui consacrait une trêve entre le dernier des Valois (Henri III) et le premier des Bourbons.
La diplomatie de Duplessis-Mornay y avait fortement contribué.
Par ce traité, la place de Saumur était remise au roi de Navarre, et, le 17 avril 1589, Mornay en prenait possession au nom de ce dernier.
•
Une rapide revue de cette époque troublée était nécessaire pour nous permettre d'évoquer les circonstances qui précédèrent l'installation de Duplessis-Mornay à Saumur.
Une relation de cet événement, que je résumerai en quelques lignes, se trouve dans un ouvrage, bien oublié aujourd'hui, de Joachim Aubert, officier supérieur de cavalerie, consacré presque uniquement à la carrière militaire de Duplessis (ouvrage édité à Paris en 1847 au « Comptoir des Imprimeurs réunis »).
Scène pittoresque et peu connue le 3 avril 1589, Duplessis-Mornay, déguisé en marchand, était entré à Tours en cachette, pour ne pas être reconnu. En pleine nuit, dans la cathédrale, où la lumière de deux ou trois chandelles semble rendre l'obscurité plus profonde, il a signé la trêve au nom de son maitre.
Par cette trêve, le roi de Navarre s'engageait à secourir le roi de France.
On devait d'abord remettre au Béarnais les ponts de Cé-sur-Loire, mais le capitaine Cosseins, qui commandait dans cette place, n'ayant pas voulu en sortir, Henri III accorda en échange la ville de Saumur, à condition que Duplessis-Mornay en aurait le gouvernement.
Le 17 avril, MM. de Buhi et Duplessis vinrent avec une garde d'honneur, le premier pour introduire le gouverneur au nom de Henri III, le second pour prêter serment entre les mains de M. de Beaulieu, secrétaire d'état du roi de France, et prendre son gouvernement.
Le sieur de Lessard, qui commandait à Saumur et changeait son gouvernement contre celui de Châtillon-sur-Indre, exigea pour rendre son poste une contribution volontaire de 10.000 écus, et Duplessis lui en donna 4.000. M. de l'Estelle, qui commandait la garnison, reçut aussi 4.000 écus de Mornay, qui dépensait ainsi son patrimoine à servir le roi.
A 5 heures du soir, l'ancien gouverneur de Saumur, de Lessard, se rendit à la porte de la Tonnelle, et laissa tomber les clefs à ses pieds. M. de Beaulieu les releva et les mit aux mains de Mornay, qui jura de garder fidèlement la place pour le service des deux rois. Au serment, Duplessis ajouta « et la rendrai, avec l'aide de Dieu, meilleure ».
Pendant ce temps, Henri de Navarre touchait barre à La Rochelle, puis, en hâte, par Thouars, se dirigeait sur Saumur, afin d'occuper le gage précieux qu'Henri III remettait entre ses mains.
Il y entre aussi solennellement qu'il le peut, le 19 avril. « Son pourpoint élimé, troué aux coudes, était glorieusement caché sous son habit de fer, et le panache blanc flottait à son casque. Il ne pouvait cacher sa joie de se voir logé sur celle rivière tant de fois désirée, tant de fois peu heureusement tentée ».
« Il est facile de comprendre, ajoute notre chroniqueur, les sentiments du Béarnais, en cette matinée où, traversant le pont du Thouet, il montait vers l'imprenable château qui garde le pont sur la Loire.
En cette saison là, le grand fleuve, coupé de bancs de sable, est un poème de lumière sous un ciel blanc et bleu, dont le reflet anime d'un charme changeant le miroir de l'eau paresseuse. Mais Henri ne pensait guère à la grâce du printemps angevin. Il n'avait d'yeux que pour cette longue ligne grise coupant le fleuve, le pont enfin conquis, ce passage sur la Loire qui va lui permettre les grandes opérations dont il rêve, en direction du nord, tout en gardant ses communications ouvertes avec le Poitou et La Rochelle. C'est le plan qu'il caresse depuis longtemps et que la coopération des forces royales va rendre enfin, il l'espère, réalisable abattre d'un seul coup la Ligue en s'emparant de Paris.
D'après l'ordre de Henri III, Mornay prit le titre de gouverneur et lieutenant général de la ville, du château et de la sénéchaussée de Saumur.
Il eut des gardes et le même état de maison que les gouverneurs de province.
Il plaça immédiatement vingt hommes de garde à la Porte de la Tonnelle, vingt autres au château, et le reste de sa troupe dans un jeu de paume au faubourg de Bilange. Il voulait montrer sa confiance aux bourgeois en ne faisant pas entrer plus de troupes avant une journée.
Tout se passa doucement et presque sans murmures. Ce n'est pas ce qu'avait craint le roi de Navarre qui avait fait avancer jusqu'au Pont-Fouchard M. de Châtillon avec mille arquebusiers, dans le but de protéger, en cas de sédition, la retraite de Mornay.
C'est alors que Duplessis écrivit pour Henri de Bourbon la fameuse déclaration qui apprenait à la France et à l'Europe l'alliance des deux monarques. Henri III était à la veille de se retirer à Limoges et sans cette alliance la Ligue renversait le trône.
*•
Nous ne raconterons pas comment la Ligue, pour punir Henri III de sa défection, le fit assassiner par Jacques Clément.
Du coup, Henri de Navarre devenait Henri IV, le roi de France. La prophétie de Mornay se réalisait.
Mais le nouveau roi dut conquérir son royaume sur la Ligue, qui en occupait plus de la moitié, renforcée par les régiments espagnols que le duc de Parme, sur l'ordre de Philippe II, avait envoyé en renforts, pour empêcher Henri IV de ceindre effectivement la couronne. « Ainsi se vérifiait, comme l'a dit Raoul Patry, l'exactitude et la profondeur des vues politiques de Mornay, lorsqu'il disait « L'Espagne, voilà l'ennemi », et lorsqu'il flétrissait les Ligueurs sous le nom d'Espagnols français, autrement dit de traîtres.
» La prise de Paris et la soumission des rebelles devaient si peu faire renoncer l'Espagne à son projet de démembrer la France au profit de l'hégémonie des Habsbourg, que sous le règne suivant le Cardinal de Richelieu donna pour but à la politique française l'abaissement de la Maison d'Autriche. Et il est juste de remarquer que ce programme poursuivi par un prince de l'Eglise est celui que le huguenot Duplessis-Mornay a préconisé pendant toute sa vie avec une inlassable persévérance. »
Mais, après cette digression historique et l'évocation d'événements qu'il était nécessaire de rappeler, revenons à notre histoire locale et à l'activité qui a été celle de Mornay comme gouverneur de Saumur.
Aussitôt après sa nomination de gouverneur, il commença par fortifier la ville et le château. A cette époque il était nécessaire de se mettre à l'abri d'un coup de main.
Le château n'était encore qu'un donjon, comme au temps du moyen-âge, et se trouvait, paraît-il en assez triste état.
II le fit réparer, et, comme l'a dit M. l'adjoint Ravault dans la description qu'il nous a faite de ces travaux, il l'entoura, pour en faire une véritable forteresse, « de cette fière et forte enceinte qui existe encore aujourd'hui. »
Il fit restaurer la bastille qui défendait l'entrée du pont du côté de la Croix-Verte. Enfin, il fit élever une enqeinte de terre flanquée de bastions qui engloba le faubourg Saint-Nicolas et défendit l'accès de la place de ce côté. On construisit deux portes, le Portail-Louis et le Portail-Henri.
» Sous sa sage administration, notre cité fut si florissante que le nombre de ses habitants aurait atteint, d'après l'historien Bodin, jusqu'à 20.000. »
« Avant d'installer ses appartements au château, Duplessis-Mornay, a rapporté M. Méteyer, habitait ce qu'il appelle dans ses mémoires sa « maison de ville », honnête maison bourgeoise de la Grande-Rue, bâtie probablement sur l'emplacement occupé par l'immeuble du numéro 45, et qu'il conserva pour ses amis. Ce logement du château et ce logement de la Grande-Rue sont les seuls habités par lui qui soient authentiqués par des témoignages formels. Rien absolument n'atteste qu'il ait habité la partie ancienne de l'Hôtel de Ville ou la maison à tourelles de la rue actuelle qui porte son nom, qui sont données par la tradition comme étant siennes. »
Ce fut dans les premiers mois de 1596, sept ans après son arrivée à Saumur, qu'il vint s'établir dans ce château qu'il devait habiter pendant vingt-cinq ans, jusqu'en 1621.
Ce ne fut pas, précise- t-il, « sans grands inconvénients et dépenses », car les appartements, jusqu alors habités par les gens d'armes, étaient, assure-t-il, en ruines.
Il embellit ce château de ses propres deniers.
Il devait y installer plus tard une très importante collection d'oeuvres d'art, qui peut être considérée comme le premier Musée installé dans notre château, dispersée dans la suite à des heures tragiques.
Une description minutieuse de cette collection a été donnée dans le numéro 3g de notre bulletin (janvier 1925) par notre regretté collègue M. le commandant Rolle, d'après une documentation recueillie dans un ouvrage de l'érudit Benjamin Fillon, intitulé La Galerie de portraits réunie au château de Saumur par Duplessis Mornay, et édité à Paris, imprimerie Quantin.
« La perte de son fils, tué à 26 ans pendant la guerre de Hollande en 16o5, et peu après la mort de sa femme, survenue en 1606, avaient profondément déprimé Mornay. Mais, par la suite, l'affectueuse sollicitude de ses filles, de ses gendres, la vue de ses petits-enfants lui rendirent la vie plus supportable et moins morose. Enfin, la survivance de son gouvernement, promise à son gendre Villarnoul, le décide à entreprendre des embellissements dans sa demeure. Ce fut pour lui une distraction, un but.
» Sa première idée fut évidemment de compléter la décoration des grands murs des appartements jusque-là restés un peu nus, et, d'après les inventaires de l'époque, les tableaux et portraits réunis constituaient une véritable exposition.
« Dans le choix des personnes admises en image à l'intimité de son foyer, écrit Benjamin Fillon, l'austère calviniste accusait nettement ses tendances Religion, monarchie, famille, amitié, les quatre grandes passions de son existence remplissaient la maison tout entière. »
Car, il est un trait du caractère de Duplessis-Mornay que l'historien Raoul Patry a su mettre exactement en valeur Son respect pour le savoir.
Ce respect pour le savoir, il en a donné la preuve dans la réalisation d'un projet qui lui tenait à cœur faire de sa cité d'adoption une cité intellectuelle. Ce fut l'origine de la période la plus brillante de l'histoire de notre ville : Saumur a été, pendant cent cinquante ans, un important centre de rayonnement français, ceci grâce à Duplessis-Mornay.
Ainsi que l'a écrit M. Prost, ancien professeur au collège de Saumur, dans un ouvrage édité il y a quelques années sur La Philosophie à l'Académie Protestante de Saumur, Duplessis, « qui comptait, pour faire triompher sa foi, moins sur les moyens brutaux de la guerre que sur la pénétration des âmes par l'enseignement, sur la puissance que peut avoir la vérité sur des intelligences qu'on a mises en état de la saisir, avait formé le dessein d'organiser dans sa résidence comme un centre de culture et de formation intellectuelle ».
« Pour lui, dit Raoul Patry, Dieu, l'âme, la conscience, sont des réalités auxquelles il attribue une valeur absolue.
» Dès lors, le devoir est d'assurer à chacun une bonne instruction, d'enseigne les règles d'une saine logique, d'apprendre à penser et à se connaître soi-même
.» Celui qui raisonnait ainsi était lui-même un homme instruit. Il écrivait couramment en latin, il lisait le grec et l'hébreu aussi aisément que chacun de nous le français. Cette instruction supérieure, il en appréciait la valeur, et, pour l'assurer à d'autres, il fonda l'Académie de Saumur.
» L'Académie comprenait un collège et un certain nombre de chaires d'enseignement supérieur. Mornay y appela les meilleurs maîtres, et sa correspondance démontre tout le soin qu'il prenait, en cas de départ ou de décès dans le corps enseignant, pour combler le vide en s'adressant aux professeurs les plus compétents et les plus distingués.
» Cette peine fut vite récompensée, car l'Académie de Saumur acquit une véritable notoriété. Les élèves y affluaient de diverses parties de la France, mais aussi de l'étranger. Du vivant de Mornay, l'Académie ne comptait pas moins de quatre cents élèves.
» Suprême hommage rendu à la création de Duplessis-Mornay avant son anéantissement, l'Académie inspire à Charles Colbert, le frère du ministre, la remarque suivante : « Ceux de la Religion prétendue réformée y réunissent tout ce qu'il y a de gens d 'esprit dans leur parti pour la rendre célèbre et florissante ».
» La ville de Saumur, lit-on dans le même rapport, est l'une des plus connues des étrangers qui y viennent…. pour apprendre la langue française et pour s'instruire à l'Académie des Huguenots. » (Rapport au Roi, 1664).
« A Saumur ont enseigné le philosophe Robert Duncan, Cameron, Louis Cappel, qui jouissait d'une réputation européenne; on l'appelait l'oncle des Librisants.
Plus tard Amyraut, Josué de la Place, Claude Pajon, Tauneguy-Lefebvre, un érudit et fin lettré dont la fille devint célèbre sous le nom de Madame Dacier, le philosophe Jean-Robert Chouet, disciple de Descartes, et bien d'autres. »
Comme preuve de la faveur dont jouissait l'Académie. Raoul Patry a cité un seul exemple, pris entre cent autres C'est une lettre adressée à Duplessis-Mornay le 5 novembre 1613 par MM. de Bern pour recommander les fils des seigneurs d'Erlach et Stein se rendant à Saumur « vers la grande et singulière renommée que votre Académie a acquise…. ce soin particulier de la bonne instruction et advancement que la jeunesse y reçoit ».
Rappelons que la fondation et le fonctionnement de l'Académie Protestante de Saumur ont fait l'objet d'une étude documentaire publiée en 1914 dans notre bulletin par un de nos anciens collaborateurs, D. de Chavigny.
Duplessis-Mornay a toujours eu comme souci essentiel l'intérêt de la collectivité : Tradere rem publicam posteris meliorem, telle était sa maxime Transmettre à nos descendants la chose publiqiie après l'avoir améliorée.
« Dans sa foi, ajoute R. Patry, cet homme, qui passa bien des années à la cour, trouvait la force rare chez les courtisans de dire toujours la vérité. La vérité, il la disait au roi lui-même, lorsqu'à son avis le Prince commettait une erreur; d'où résulta parfois certaine froideur. Mais Duplessis-Mornay dominait ces incidents par son parfait désintéressement. Fidèle serviteur de Henry IV depuis toujours, il ne fut jamais. que gouverneur de Saumur, tandis que d'autres, ralliés depuis peu à la couronne, savaient se faire donner l'important gouvernement de provinces entières et de grosses pensions.
» Comment en aurait-il été autrement ? Mornay estimait, il l'a dit cent fois, que les considérations particulières doivent passer après les considérations publiques. »
La fin de sa vie fut attristée par la plus coupable ingratitude, par la disgrâce imméritée.
Si, après la mort de Henri IV, la régente Marie de Médicis lui avait rarement su gré de sa fidélité, Louis XIII l'en récompensa en le dépouillant du gouvernement de Saumur.
N'osant pas se fier à son incorruptible loyauté, il ne voulut pas laisser en ses mains une place de cette importance quand il s'avance vers le Midi pour assiéger Montauban. Il donna sa parole que la ville serait rendue, et ne la rendit pas.
Duplessis, en mai 1621, avait mis ses appartements pour seulement cinq jours à la disposition de Louis XIII de passage. Le roi, obéissant à des influences coupables, le trompa. Il lui accorda un congé de trois mois, en apparence bienveillant, pour le rétablissement de- ses fatigues,… et, lui sitôt parti, il le destitua. …
Ce fut l'abandon du vieux serviteur, du fidèle conseiller.
Le vieux gentilhomme se retira à son château de la Forêt-sur-Sèvre.
Il rédigea d'abord d'inutiles réclamations, puis il se tait.
Tandis que son astre baissait à l'horizon, son cœur se brisait au spectacle de son parti livré aux luttes intestines, déchiré par lei rivalités des grands, corrompu par l'or de la cour.
Il souffrit cruellement, niais, comme il a été dit, « il montra son âme haute ».
Dépouillé lui-même d'un gouvernement qui était à la fois sa récompense et une garantie pour ses frères, que lui restait-il Le témoignage de sa conscience et la foi en Dieu.
Il vécut encore pendant deux ans, dans la méditation des choses spirituelles, qui avaient été inspiratrices de sa vie tout entière, et mourut en 1623, d'une mort chrétienne dont le détail émouvant nous a été conservé.
Pendant de longues années, son souvenir et son nom furent à peu près oubliés du public. « Aujourd'hui sonne pour lui l'heure de la reconnaissance », déclarait M. le représentant de la municipalité au cours de la cérémonie du 5 juillet. Et il ajoutait
« Lorsque nos enfants viendront visiter les Musées et qu'ils demanderont Quelle est cette image (à la vue du médaillon placé dans la cour intérieure du château), nous pourrons leur répondre C'est celle d'un grand homme et d'un homme de bien. »
Comme un auteur l'a proclamé, « dans une époque de violence et de perfidie, Duplessis-Mornay représenta l'inaltérable loyauté d'une conscience ».
« Il n'admettait pas, a dit M. de Grandmaison, que ce qui est de notre domaine intérieur put servir à des desseins de domination temporelle, tendance qui résulte des imperfections de notre humaine nature, qui cherche toujours à mettre l'absolu au service des contingences ».
M. de Grandmaison rappellait en terminant ce que l'auteur de la Henriade a dit de lui
Non moins prudent ami que philosophe austère.
Mornay sait l'art prudent de prendre et de plaire:
Son exemple instruisait bien mieux que ses discours
Ses solides vertus furent ses seules amours
Avide en travaux, insensible aux délices,
II marchait d'un pas ferme au bord des précipices.
Jamais l'air de la Cour et son souffle infecté
N'altéra de son cœur l'austère pureté.
« Un portrait ne peut être plus complet, ajoutait M. de Grandmaison. L'homme tout entier est dépeint dans ces quelques lignes, avec sa haute conscience, sa rudesse, sa fidélité à ses principes, et j'ajouterai son intransigeance que tempérait un grand libéralisme. »
Un jour, comme il adressait par écrit à ses coreligionnaires des conseils qu'il craignait de ne pas devoir être bien accueillis, il termina par ces mots « C'est ce que ma conscience m'a dicté sur ce sujet, qui sera peut-être mal interprété de quelques-uns; mais nous avons à vivre aux yeux de Dieu et non des hommes ».
A un autre de ses correspondants, il écrit (et c'est sur cette dernière citation que je terminerai) « Je ne vois rien si sûr, même selon le monde, que d'aller droit et se tenir dans les bornes de devoir et de conscience qui ne donnent jamais ni remords ni regret ».
« Formuler d'aussi nobles règles de conduite, c'est quelque chose, ajoute le professeur Patry. Avoir su sans faillir les mettre en pratique pendant toute une vie, c'est beaucoup plus. »
« Et je me permets, Messieurs, concluait-il, de vous féliciter d'avoir voulu rappeler par ce médaillon le souvenir d'une haute personnalité, d'un grand caractère, qui honore et notre pays, et votre cité. »
Après la cérémonie, M. de Grandmaison a présenté et commenté des portraits, des manuscrits et des souvenirs de Duplessis-Mornay qui sont sa propriété et qu'il avait apportés pour rendre plus saisissante encore cette touchante réminiscence de l'ancien Gouverneur de Saumur.
Sa cousine, Mme la marquise de Balleroy, descendante de Mornay, qui possède toute la correspondance, les portraits et la bibliothèque de Duplessis, lui avait également confié pour cette matinée quelques livres ayant appartenu à ce dernier, les autres souvenirs étant difficilement transportables,
Bernard LE GOUIS Société des lettres sciences et arts du Saumurois
LE CHATEAU DE MONTREUIL-BELLAY - Marie Augustine Niveleau Grandmaison <==
Philippe DUPLESSIS-MORNAY (1549-1623), Gouverneur de la place de Saumur <==