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PHystorique- Les Portes du Temps
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11 décembre 2021

Napoléon à l'Ile d'Aix -Extrait d'un journal de 1815 de Monsieur Doret - Enseigne de Vaisseau

Napoléon à l'Ile d'Aix -Extrait d'un journal de 1815 de Monsieur Doret - Enseigne de Vaisseau

Les démarches du Commandant Baudin pour me ravoir à bord de la Bayadère étant, à mon plus grand regret restées sans effet, je fus incorporé le 15 Avril dans le 28e équipage de haut bord qui s'organisait à Rochefort sous le commandement de M. le Capitaine de frégate Freycinet qui fut remplacé quelques jours après par M. Dauriac.

Si quelque chose pouvait diminuer le chagrin que j'éprouvais de me séparer encore du brave Commandant Baudin, c'était l'espérance que notre équipage ne resterait pas longtemps sans être appelé à l'armée et qu'il me serait enfin permis de payer de ma personne dans l'importante circonstance qui allait décider du sort de notre pays.

Mes voeux n'ont point été exaucés et j'ai eu la douleur de voir notre malheureuse patrie envahie sans avoir été appelé à faire quelque chose pour elle.

Le 14e régiment des marins sous les ordres du Capitaine de vaisseau Coudein se composait des 27e et 28e équipages de haut bord commandés par MM. les capitaines de frégate Cuvillier et Dauriac ; les officiers qui en formaient l'état-major étaient animés du meilleur esprit, pleins de zèle, de bravoure, de dévouement et \ n'aspiraient tous qu'à l'honneur de coopérer à la défense du pays , menacé d'une invasion étrangère ; les matelots au nombre d'environ 1.200 partageaient l'opinion de leurs officiers et manifestaient assez le désir de s'associer aux périls de ceux de leurs frères d'armes que la cause de notre indépendance avait déjà fait arriver des ports de Brest et de Lorient aux armées que les ordres de Napoléon appelaient à la défense de nos frontières.

Nous reçûmes avec regret, dans les premiers jours de juin, l'ordre de nous rendre de Rochefort à l'île d'Aix; mais on nous fit espérer que nous y serions bientôt relevés par les gardes nationales qui s'organisaient à la Rochelle.

Quelques semaines de fréquents exercices rendirent bientôt le 14e régiment des marins à même de figurer avec avantage dans toute espèce d'évolution de ligne. Nous nous crûmes alors en droit de demander ce que nous désirions depuis si longtemps et que notre défaut d'instruction nous avait empêchés de solliciter plus tôt.

Une adresse signée de tous les officiers de notre équipage fut faite à l'Empereur et envoyée par l'intermédiaire du Préfet Maritime. Elle resta sans réponse et nous avons de bons motifs de présumer qu'elle n'est pas parvenue à Sa Majesté. Nous nous consolions cependant de l'oubli dans lequel on paraissait nous laisser parles succès de nos armes. Les débuts de notre vaillante armée promettaient que la campagne ne serait pas longue, et trop dévoués à notre pays pour mettre en balance notre part de gloire dans ces premiers succès et l'intérêt général de la marine, nous désirions tous qu'une éclatante victoire terminât la campagne et que le zèle et le dévouement de nos braves matelots fussent réservés pour une lutte contre les Anglais, ces éternels ennemis de notre pays.

La malheureuse affaire de Waterloo nous pénétra de la plus profonde douleur, renouvela toutes nos craintes, et nous crûmes devoir à cette déplorable occasion réitérer les assurances de notre déyouement à la cause de la patrie menacée et nous demandâmes avec les plus vives instances à venir grossir les débris de la malheureuse journée du 18 juin.

Nos adresses furent envoyées successivement au Ministre de la Marine, à la chambre des Représentants et au Prince d'Eckmûhl qui, après l'abdication de l'Empereur, commandait en chef les armées françaises. Il faut bien le dire, nos chefs supérieurs, le Capitaine de vaisseau Coudein et les capitaines de frégate Cuvillier et Dauriac refusèrent seuls de les signer ; elles le furent unanimement par tous les autres officiers du 14° équipage ; toutes nos demandes restèrent sans effet, et notre zèle et notre bonne volonté se consumèrent en désirs et en espérances inutiles, mais s'il ne nous était pas donné de prendre Repart plus active aux événements qui se passaient, nous étions appelés du moins à, être les témoins d'une action aussi extraordinaire qu’inanttedue.

L'Empereur, après bien des bruits répandus sur son compte, arriva à Rochefort dans les premiers jours de juillet, et descendit à la Préfecture Maritime alors administrée par M. Bonnafoux; on apprit que les frégates la Saale et la Méduse avaient été mises à sa disposition par le gouvernement provisoire et que des ordres étaient donnés pour qu'elles fussent prêtes à le recevoir, lui et les personnes de sa suite.

 Soit que l'Empereur comptant que le patriotisme des Chambres le porterait à la tête de l'armée de la Loire, soit toute autre cause, il différa de plusieurs jours à se rendre à l'île d'Aix et manqua une série de circonstances heureuses qui lui auraient permis de partir sur les frégates.

Il se décida cependant à s'embarquer, et le canot du Préfet le conduisit à bord de la Saale.

 Il était accompagné des Généraux Bertrand, Savari (sic), Gourgaud, Montholon, M. de Las Cases et de trente à quarante personnes de sa maison ; les comtesses Bertrand, Montholon suivaient leur mari.

Deux ou trois jours après le comte de Las Cases et le Général Allemand se rendirent à bord du Bellérophon qui seul bloquait alors la rade, et sollicitèrent inutilement le passage de l'Empereur sur les frégates.

Ce refus, auquel on aurait dû s'attendre, en levant le doute où pouvaient être encore les Anglais sur l'arrivée de l'Empereur au port de Rochefort, ne servit qu'à le faire garder plus strictement : le Bellérophon fut joint le lendemain, par un vaisseau et une corvette de sa nation, et ces trois navires exerçant la plus exacte surveillance sur tous les mouvements de la Rade de l'Ile d'Aix, il fallut renoncer à forcer le passage, comme on en avait d'abord conçu le projet.

Après quelques jours écoulés, l'Empereur, convaincu qu'il n'obtiendrait pas les passe-ports qu'on avait demandés pour lui en Angleterre, et voyant l'impossibilité d'effectuer son départ sur les frégates, débarqua de la Saale et vint s'établir à l'Ile d'Aix  dans la maison du Commandant de place, et y fut reçu aux acclamations de tout notre brave équipage.

L'enthousiasme que manifestèrent les matelots en le voyant au milieu d'eux, dut le convaincre que la Marine n'était pas un des corps qui lui étaient le moins dévoués ; on s'imagine facilement l'effet que produisit sur nos jeunes coeurs la présence de notre infortuné et illustre Empereur ; nous oubliâmes ce que quelques- uns appelaient ses fautes pour ne songer qu'à la grandeur de sa chute, nous nous rappelâmes qu'il avait été douze ans le chef de la nation française, et nous pensâmes qu'il était de l'honneur des peuples qui avaient , reconnu son autorité, et du devoir de ceux qui l'approchaient en  ce moment de faire tous leurs efforts pour l'empêcher de tomber entre les mains des Anglais et pour qu'à défaut des moyens mis a sa disposition par le gouvernement pour le transporter aux Etats Unis d'Amérique, on lui en trouvât un autre.

 Peut-être aussi, dans notre malheureuse situation, son éloignement était-il nécessaire à la paix de l'Europe et au bonheur, à la tranquillité, sinon à la gloire de la France, où sa présence à la tête de son puissant parti pouvait nous jeter dans les horreurs de la guerre civile.

Animés donc du triple motif de rendre un éminent service à notre pays, d'éviter une tache à la gloire de la Nation et de servir celui que nous avions tant de fois admiré, nous résolûmes de lui proposer un moyen de se dérober à ses ennemis et de tout entreprendre pour le délivrer de la cruelle perplexité dans laquelle il se trouvait.

Dans la matinée du 42 juillet, le bruit circulait parmi nous que l'Empereur se rendrait à bord du Bellérophon.

Nous crûmes tous que cette démarche n'était pas volontaire et que le commissaire du gouvernement, le Général Becker qui était près de lui, lui en faisait une obligation ; nous pensâmes que nous ne devions pas différer à lui soumettre le moyen d'évasion que nous avions conçu.

Nous ignorions alors ceux qui lui avaient déjà été proposés et dans l'embarras où nous le supposions, notre projet pouvait lui convenir. Après nous être assurés de la possibilité de l'effectuer, nous arrêtâmes de le communiquer de suite au Grand Maréchal.

 Interprète de la volonté et des sentiments de ceux de mes camarades avec lesquels je devrais mettre ce projet à exécution, je me rendis auprès de lui, je lui développai nos ressources, nos espérances, et j'osai lui dire, en lui parlant des Anglais, que la gloire de l'Empereur non moins que sa sûreté étaient intéressées à ce qu'il ne se remît pas entre leurs mains.

.Après m'avoir attentivement écouté, il me laissa quelques instants, entra chez l'Empereur et revint me prendre pour introduire auprès de lui.

LOUIS SONOLET.

 

 

 

 

 

==> Napoléon de Rochefort à Sainte Hélène (juillet 1815)

 

 


 

(1) Le journal de l'enseigne de vaisseau Doret qui est reproduit in extenso pour la première fois m'a été communiqué par son petit-fils, M. le capitaine de frégate Crespin auquel j'adresse encore une fois tous mes remerciements,  

 

 

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