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PHystorique- Les Portes du Temps
31 octobre 2021

C'est à Louis XI que le poète Villon, qui était enfermé dans les prisons au château de Meung, dut la vie et la liberté.

C'est à Louis XI que le poète Villon, qui était enfermé dans les prisons au château de Meung, dut la vie et la liberté

Le château de Meung ne fut pas seulement, en même temps qu'une forteresse, la résidence seigneuriale des évêques d'Orléans ; il fut aussi le siège d'une prison importante où furent écroués, en outre des ressortissants de la justice épiscopale, des criminels de droit commun relevant dos juridictions royales.

Au commencement de l'année 1410, un complot avait été formé par les partisans du duc de Bourgogne pour & 'emparer de Paris (1) : une émeute devait être provoquée au cours de laquelle on devait « occire le chancelier de France, le prévost de Paris (2), les plus notables du conseil du roy et généralement tous ceulx qui soupçonnés, estaient avoir faveur ne amitié au duc d'Orléans ».

Nicolas d'Orgemont, dont le père avait été chancelier de France, était l'un des conjurés et devait lui-même recevoir la garde des sceaux en récompense de sa complicité. Mais le prévôt de Paris découvrit le complot : le boiteux d'Orgemont eschappa aux exécutions capitales qui ensanglantèrent les halles de Paris, mais il « fut mené es prisons de l'évêque d'Orléans à Mehung-sur-Loire où il mourut ».

Mais le plus célèbre des hôtes de la prison de Meung fut le poète Villon. (François de Montcorbier, alias François Villon, est né à Paris en 1431, l’année où mourut « Jehanne la bonne Lorraine Qu’Engloys brulerent a Rouen »)

On connaît la vie agitée et les tristes aventures de Villon, auquel la postérité a beaucoup pardonné en raison de cette indulgence spéciale qu'elle accorde aux artistes et aux lettrés.

Voici comment Paul Lacroix, dans la préface d'une savante édition donnée par lui des oeuvres du poète (3), raconte son arrestation :

« Villon n'était pas devenu plus sage et il continuait « son genre, de vie libertine et désordonnée, en ne fréquentant que des femmes perdues, des débauchés et des malfaiteurs. Il s'associait encore à leurs actes malhonnêtes el il évitait de rentrer à Paris où il avait laissé tant de fâcheux souvenirs.

Sa mauvaise fortune le conduisit dans l'Orléanais, où il commit de nouveaux méfaits.

Arrêté et emprisonné à Meung-sur Loire, il comparut devant l'official de l'évêque d'Orléans, Jacques Thibault d'Aussigny, et fut condamné à mort après avoir subi la question ordinaire, comme  il le dit dans son Grand Testament, qu'il a daté lui même de 1461. »

Dans cette poésie, Villon fait d'assez nombreuses allusions à sa détention : nous croyons intéressant de reproduire ici trois « huitains » dans lesquels le prisonnier décrit lui-même avec quelque bonhomie les traitements qu'il subit à Meung.

I (4)

En l'an trentiesme de mon aage,

Que toutes mes hontes j'ay beues,

Ne du tout fol, ne du tout sage,

Nonobstant maintes peines eues,

Lesquelles j'ay toutes reçeues

Sous la main, Thibault d'Aussigny :

L'evesque il est, seignant (5) les rues,

Qu'il soyt le mien je le reny.

 

II

Monseigneur n'est, ne mon evesque ;

Sous lui ne tiens, si n'est en friche ;

Foy ne lui doy, ne hommage avecque,

Je ne suis son serf ne sa biche.

Peu (6) m'.a d'une petite miche

Et de froide eau, tout un esté.

Large ou estroit, moult me fut chiche.

Tel lui soit Dieu qu'il m'a esté.

LXIII

Dieu merci et Jaques Thibault

Qui tant d'eau froide m'a fait boire (7),

En un bas lieu, non pas en hault,

Manger d'angoisse mainte poire,

Enferré... Quand j'en ai mémoire,

Je prie pour lui, el reliqua,

Que Dieu lui doint. et voire et voire,

Ce que je pense... et cetera.

Cette captivité de Villon, ainsi qu'il nous le dit lui-même, ne dura guère plus qu'un été. Comment prit-elle fin si promptement, comment le condamné échappa-t-il à l'exécution capitale et « ne réalisa-t-il pas l'effrayante peinture qu'il avait faite d'un pendu » (8) ?

S'il fallait en croire Paul Lacroix, « il obtint un sursis par ordre du roi Charles VII qui était alors à Meung et qui y mourut le 2 juillet 1461 ». Nous pensons qu'il y a là une; erreur et, si nous prenons quelque plaisir à la relever, ce n'est pas pour diminuer la légitime réputation de l‘érudit qui l'a commise, mais bien pour montrer que, les plus savants pouvant se tromper, les erreurs des autres sont encore plus excusables.

L'éditeur des OEuvres de Villon a commis une confusion (dont nous avons déjà vu un exemple) entre Meung-sur-Loire et Mehun-sur-Yèvre.

C'est en effet au château de Mehun que Charles VII est mort et c'est à Louis XI que Villon, qui était enfermé au château de Meung, dut la vie et la liberté.

Cette grâce fut-elle accordée à l'occasion de l'avènement de Louis XI et le roi prit-il ce jour-là une sorte de revanche du privilège qui appartenait aux évêques d'Orléans lors de leur joyeuse entrée dans leur ville épiscopale ? Toujours est-il que Villon recouvra la liberté ; il en exprime sa reconnaissance à son bienfaiteur dans le huitain suivant :

XI

Ecrit l'ay, l'an soixante et ung

Que le bon roi me délivra

De la dure prison de Mehun,

Et que vie me recouvra

Dont suis, tant que mon cueur vivra,

Tenu vers lui me huimilier,

Ce que ferai jusqu'il mourra :

Bienfait ne se doit oublier.

Plan château de Meung sur Loire

 

Dans quelle partie du château était établie celle prison où l'on enfermait des criminels si divers et pouvons-nous, aujourd'hui, en retrouver au moins les vestiges ?

La tradition (une tradition bien peu ancienne, il est vrai) voudrait placer celle prison dans l'une des quatre tours du château du XIIIe siècle, la tour marquée au plan par la lettre C.

On a beau examiner les ouvertures de cette tour, encore en très bon état de conservation ; on n'y trouve aucune trace des portes de fer, des forts barreaux garnissant les fenêtres! qui seraient les signes certains de l'ancienne geôle.

Nous pensons que ce n'est point dans cette tour, mais bien dans l'ancienne construction, aujourd'hui en ruines et que nous avons attribuée au Ier Manassès (XIIe siècle) qu'il faut chercher les restes de l'ancienne prison.

Déjà, Binet, dans son travail historique dont nous avons parlé, semble bien ranger la tour des prisons (9) dans une catégorie distincte des autres tours formant l'ensemble du château, mais cette distinction est établie d'une façon formelle dans un document que nous a communiqué M. Lesourd et qui fait partie de ses titres de propriété.

 C'est un procès-verbal dressé par la municipalité de Meung, un peu avant la vente du château comme bien domanial.

On y fait la recherche de tous les objets attachés à l'immeuble à perpétuelle demeure et qui, à ce titre, devront y être laissés pour être compris dans la vente. Cette sorte de récolement nous fait passer en revue successivement toutes les parties du château et, après la désignation des bâtiments principaux servant à l'habitation, après les articles relatifs à la « maison du portier du Martroi », aux « écuries », on arrive à l'article intitulé « Dans la Basse cour » et on y lit : « Nous estimions que les fermetures tant en bois qu'en fert (sic) des prisons doivent rester ainsi que les barres et barreaux de fer desdites fermetures ».

Ainsi, en 1790, les portes et les barreaux des prisons existaient encore et on les inventoriait dans un bâtiment séparé situé dans la Basse cour du château.

Ce bâtiment ne peut être que la construction aujourd'hui en ruines, appuyée sur la tour Saint-Liphard.

D'ailleurs, Pellieux (10), qui écrivait dans les premières années du XIXe siècle et a dû voir les choses à peu près dans l'état où elles étaient en 1790, dit positivement que la prison était « à l'entrée du château, au bas de la Tour Saint-Liphard ».

Nous pensons que ces constatations ne peuvent laisser aucun doute sur l'emplacement des prisons du château de Meung (11).

Le voisinage, la contiguïté de la prison et de l'église se trouvent encore confirmés par deux incidents qui sont également intéressants à d'autres points de vue.

 

III

Le 10 juin 1472, le curé de Saint-Nicolas en l'église de Saint-Liphard se présentait devant l'évêque et lui exposait que deux prisonniers évadés s'étaient réfugiés dans son église.

« Je viens devers vous a conseil, dit-il,  savoir comment il vous plaira que je procède. A quoy  ledit, Révérend père a répondu audit curé que les chanoines de ladite église se disent être seigneurs d'icelle, ce que ledit Révérend père a répondu aud. curé qu'il ne confesse pas qu'ils soient seigneurs, mais que lad. église est sienne, que lesdits chanoines, chappitres  couriaux et autres sont ses sujets et que lesdits chanoines y provoyent se bon leur semble et que de son côté il y proverra par justice, tout ce dont le curé a requis instrument (12) ».

Cette scène nous a paru digne d'être racontée en ce qu'elle montre combien l'évêque avait une haute idée de son autorité et combien peu il reconnaissait d'indépendance au chapitre. Sans doute un conflit, comme il y en eut tant à cette époque, allait s'élever entre les autorités épiscopale et capitulaire, lorsque les prisonniers eurent l'excellente idée d'étouffer la querelle, « s'estant eschappés en brisant une fenestre de la chapelle de Saint-Sulpice ».

Un autre incident analogue eut des suites plus sérieuses.

Le 11 mai 1507, Me Jean Beauxamis, notaire à Meung, transcrivait dans ses minutes l'extrait suivant du Registre du Parlement de Paris. « Une femme, nommée Guillemine Loste, dite Badingues, prisonnière à la Conciergerie du Palais, à Paris, appelait d'une sentence contre elle donnée par le prévost de Meung-sur-Loire, par laquelle pour larcins par elle commis... elle avait été condampnée à estre battue et fustigée par les carrefours dudit Meung et bannie de la chaslellenie dudit Meung jusqu'à six ans... Et ouie et interrogée lad. appelante sur lad. cause d'appel par laquelle elle a dit quelle a été prise et extraite de l'église de Saint-Liphard de Meung où elle sestait retirée demandant à y être reluise. Voue aussi l'informacion depuis faite par ordonnance de ladite cour sur ladite extraction. Et tout considéré dit a esté que ladite Guillemette Losle sera remise et réintégrée en ladite église de Saint-Liphard dont elle avait été extraite.. Et pour ce faire la renvoie ladile cour par devant ledit prévost de Meung. Fait au Parlement le 8e jour de mai 1507 ».

Ici encore nous avons pensé qu'il était intéressant de citer cet exemple de la sévérité avec laquelle, au XVIe siècle, les Parlements protégeaient encore le droit d'asile contre toute atteinte.

Parmi les documents attestant de l’usage de la tour Manassès comme prison, on citera ici l’arrêt du Conseil d’État du 27 octobre 1594, qui faisait suite aux destructions occasionnées par les guerres de la Ligue dans l’Orléanais, autorisant l’évêque à utiliser certains fonds levés pour le canal de Loire pour réparer ses possessions, au vu du «procès-verbal de la visitation faicte des ruines et desmolitions, brulemens des maison, escuiries, prisons et autres commoditez de la basse-cour du chasteau de Meun »

 

 

Mémoires de la Société d'agriculture, sciences, belles-lettres et arts d'Orléans

 

 

==> Pérégrinations en Poitou - François Villon à Niort et Saint Maixent, Rabelais à Maillezais

 

 


 

(1) Geste des Nobles, chap. 145 et 146.

(2) Tanneguy Duchâtel. Ceci explique sans doute le rôle joué trois ans plus tard par ce personnage dans l'assassinat du pont de Montereau.

(3) OEuvres de François Villon, par Paul LACROIX, conservateur de la Bibliothèque de l’Arsenal. Paris, 1877.

(4) Premier huitain du Grand Testament ; les chiffres romains qui suivent indiquent, de même le numéro de chaque huitain reproduit.

(5) Seignant, pour signant ou bénissant.

(6) Peu, pour pu, repu, nourri.

(7) Allusion à la question ordinaire,

(8) NISARD, Littér. franc., t. I, p. 164.

(9) V. la pièce justificative, lettre M (manuscrit de Binet).

(10) Op. cit., p. 485.

(11) Il est certain, néanmoins, qu'au moins extérieurement, cette tour était dès le XVIIIe siècle dans un état à peu près semblable à celui qu'elle présente aujourd'hui. — V. à ce sujet l'estampe de Campion intitulée Deuxième vue de Meung, p. 234.

(12) Minute de Me Lépicotte, du 10 juin 1472, copiée par L. Jarry, ainsi que la minute Beauxamis qui va être reproduite.

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