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PHystorique- Les Portes du Temps
28 octobre 2021

Mystères des vieux châteaux de France – Château de Loches et la belle Agnès Sorel, la maîtresse bien-aimée du roi Charles VII.

Mystères des vieux châteaux de France – Château de Loches et la belle Agnès Sorel, la maîtresse bien-aimée du roi Charles VII

C'est à l'entrée de cette belle et gracieuse Touraine, nommée depuis longtemps le Jardin de la France, que l'on rencontre le château de Loches, auquel se rattachent de grands souvenirs historiques. La fondation de ce château remonte au premier temps de la monarchie française.

Il est bâti sur le sommet d'une colline assez élevée, d'où la vue s'étend sur toute la ville de Loches et d'où l'on aperçoit de vastes prairies, formant un magnifique tapis de verdure traversé par la rivière de l'Indre et borné au loin par un luxuriant amphithéâtre de forêts.

Les rochers qui bordent ces prairies des deux côtés sont comme des ombres placées dans le tableau pour en faire ressortir toute la beauté, Le château de Loches était entouré de deux murs d'enceinte crénelés, ayant environ deux mètres d'épaisseur.

Ces murs étaient défendus par des remparts et des fossés, et domines par des chemins de ronde garnis d'arbalétrières.

La principale entrée était protégée par quatre tourelles extérieures et défendue par un pont-levis à bascule; on pénétrait alors sous une voûte, assez spacieuse, fermée par une seconde porte garnie d'une herse.

Sur la plate-forme de la voûte, on avait établi un corps de garde et des guérites ; l'approche de cette entrée du château était encore protégée par des mâchecoulis qui régnaient autour de la plate-forme.

 Un chemin couvert s'étendait depuis l'entrée principale jusqu'au fort Saint-Ours.

La partie la plus remarquable du château était le donjon qui s'élevait majestueusement au-dessus de tout l'édifice. « Il est très-difficile de fixer l'époque à laquelle peut remonter le beau donjon qu'on admire encore dans cet endroit.

 

Cependant, quelques savants antiquaires ont attribué cette construction remarquable à Foulques Nerra, comte d'Anjou, dans la première moitié du onzième siècle, bien que, par son caractère plein d'élégance et avec ses contre-forts, ornés de demi-colonnes cylindriques, elle semble appartenir plutôt au douzième siècle, époque à laquelle l'architecture militaire était déjà assez avancée.

« Le donjon s'élève encore à cent vingt pieds au-dessus du sol. On peut le diviser en deux parties, savoir :

1° une tour principale en forme de carré long, ayant environ vingt-cinq mètres de l'est à l'ouest, et quatorze mètres environ du nord au sud ;

2° une autre tour de même forme, mais beaucoup plus petite, qui s'applique contre la première et lui sert de corps avancé.

« Cette tour en application, ou, si l'on veut, cette addition au corps principal du donjon, avait primitivement la même hauteur que lui. Elle est à présent un peu moins élevée ; ses dimensions répondent à la moitié de la tour principale, car elle a treize mètres de hauteur sur sept d'épaisseur.

On peut la considérer comme le vestibule du donjon.

« On remarque en entrant dans cette seconde tour les vestiges d'un escalier dont les marches, qui ont été arrachées, reposaient sur un double mur dans lequel on avait pratiqué des arcades voûtées ; cet escalier, qui recevait le jour par de très-petites fenêtres, se terminait en spirale près d'une porte correspondant au premier étage du grand donjon ; il, servait en même temps à l'accès d'une chambre assez spacieuse, dont; le pavé reposait sur une voûte de pierre ; cette chambre était munie d'une grande cheminée, placée entre deux fenêtres, dont on voit les ouvertures à l'extérieur.

Au second étage se trouvait une chapelle dont l'autel était placé à l'est, dans une niche. Une troisième pièce, qui n'existe plus, surmontait cet oratoire.

« Le corps principal du donjon n'avait que la porte ouverte au haut de l'escalier, dans le mur septentrional. Un corridor, percé dans l'épaisseur du même mur, se prolongeait dans le mur oriental et venait aboutir au-dessous du plancher du premier étage ; c'était par une étroite issue, au haut de l'escalier, qu'on pénétrait dans la grande salle du rez-de-chaussée, tant on s'était attaché, on ne sait trop pourquoi, à rendre l'abord de cette salle difficile.

« La hauteur totale du donjon était divisée en quatre parties par trois planchers.

Les divers étages qui résultaient de cette division s'accédaient au moyen de petits escaliers tournants très-rapides, pratiqués dans l'épaisseur des murs.

« Les fenêtres, assez nombreuses, étaient toutes sensiblement évasées à l'intérieur, et n'offraient qu'une ouverture extrêmement étroite à l'extérieur. Pourtant on remarque à chaque étage une fenêtre plus large que les autres, qui, selon toute apparence, était destinée à recevoir les munitions, les vivres et tout ce qui était nécessaire pour le service de la forteresse, et qu'on hissait au moyen de poulies.

« A la partie supérieure, des pièces de bois en saillie supportaient une espèce de balcon ou de trottoir en bois. Cette construction accessoire devait être fort utile en cas d'attaque, pour jeter des pierres ou d'autres projectiles sur les assaillants (1). »

Grâce à ses remparts élevés, à ses fossés profonds, à ses hautes murailles, à ses tours crénelées, à ses ponts-levis, à ses herses de fer, à ses mâchecoulis, à ses chemins couverts, à sa double enceinte de fortifications, et surtout à son donjon gigantesque, le château de Loches était, sans contredit, un des plus formidables du royaume.

 Il offrait aux personnes qui l'habitaient, sinon une résidence agréable, du moins une retraite fort sûre.

De pareilles forteresses avaient leur importance et leur utilité, à une époque où les rois, comme les grands ou petits feudataires, étaient sans cesse occupés, soit à se défendre contre les invasions d'outre-mer, soit contre les attaques des seigneurs voisins qui ne jugeaient rien de mieux à faire, en l'absence des Anglais, que de se combattre mutuellement afin d'assouvir leur haine de rivalité, ou bien seulement de s'entretenir la main.

Ayant appartenu successivement aux rois de la première race, aux ducs d'Aquitaine et aux comtes d'Anjou, cette forteresse fut, sous chacun de ses possesseurs, le théâtre de ces événements de guerre que le désordre féodal multipliait en France.

 Comprise dans les confiscations exercées par Philippe-Auguste sur le roi d'Angleterre, Jean sans Terre, au commencement du treizième siècle, elle fut rattachée à la couronne de France ; mais il fallut la soumettre par les armes pour y arborer les lis.

 Un serf, fils de serfs français, du nom de Girard, devenu capitaine de par sa bonne épée, et qui tenait le château au nom de la veuve du roi Richard Cœur de Lion (à laquelle ce château avait été donné), refusa de se rendre, et se défendit longtemps avec un courage opiniâtre contre les troupes du roi de France (2).

Guillaume le Breton, auteur contemporain, a, dans son poème latin de la Philippide, décrit divers incidents du siège du château de Loches, ainsi que de celui de Chinon, qui fut fait à la même époque par Philippe-Auguste.

Ce poème fut traduit, quatre siècles plus tard, par l'abbé de Marolles. Il offre un échantillon assez curieux d'une poésie presque élégante entée sur des vers latins semi-barbares du commencement du treizième siècle :

Dans ces deux châteaux forts, gigantesques abris,

Le farouche Girard s'est imposé pour maître;

Né de parents obscurs, a la glèbe asservis,

Son cœur ne dément pas le sang qui l'a fait naître:

Dans la Touraine en vain ses yeux se sont ouverts,

L'ingrat n'en a pas moins armé son bras contre elle;

Amboise et Tours, par lui de débris sont couverts,

Et le pays entier maudit un fils rebelle :

Tant, hélas ! il est vrai que les plus grands revers

Sortent souvent pour nous du foyer domestique,

Et qu'il n'est pas au monde un bras plus despotique

Que celui de l'esclave ayant brisé ses fers.

Bientôt, le roi paraît suivi d'un ost immense.

De Loche et de Chinon le siège alors commence;

Mais il fallut un an pour dompter ces créneaux !. …

Girard fut enfermé dans ces sombres cachots,

Lui qui pensait braver la royale bannière,

Et dévaster encore la Touraine sa mère.

Chevaliers bannerets, grand nombre d'écuyers

Se rendirent au roi ; puis gardés prisonniers.

 

Ce siège dura un an. Le capitaine Girard fut fait prisonnier par le roi, avec cent vingt chevaliers et écuyers anglais.

Chinon ayant été pris la même année, la Touraine fut ainsi annexée à la couronne de France, après en avoir été distraite pendant deux cent soixante ans.

Le château de Loches fixa longtemps l'attention de nos rois. Ils y étaient attirés sans doute autant par la beauté du pays que par la forêt de Loches, qui était une des forêts les plus giboyeuses du royaume. Saint Louis, Philippe le Bel, et surtout Jean II, ont, durant les treizième et quatorzième siècles, laissé plus d'un souvenir dans cette résidence.

Le 13 septembre 1356, Jean II, qui faisait la guerre aux Anglais, arrivait à Loches avec son armée, pour y établir son quartier général.

Le 17 du même mois il joignait le prince de Galles dans la plaine de Maupertuis, où sa trop grande précipitation lui fit perdre une bataille célèbre dans les annales malheureuses de notre histoire. Le roi y fut fait prisonnier, puis fut emmené en Angleterre, avec un grand nombre de chevaliers français.

Jean, ayant enfin conclu un traité avec son vainqueur, fut relaxé sur sa parole d'honneur de venir reprendre ses fers dans le cas d'une mésintelligence; il se rendit donc à Paris, soumit le traité aux états généraux, qui ne voulurent pas le ratifier.

Le roi de France, donnant aux souverains un très-bel exemple de bonne foi et de loyauté chevaleresque, quitta de nouveau sa patrie pour regagner sa prison d'outre-mer.

C'est alors qu'Edouard, roi d'Angleterre, furieux de voir ses desseins contrariés, repassa le détroit avec cent mille hommes, et parcourut les diverses provinces du royaume en mettant tout au pillage.

Plusieurs monastères et châteaux forts de la Touraine furent brûlés et détruits de fond en comble.

Ce fut en vain que les Anglais, arrivés devant Loches, tentèrent d'emporter cette place d'assaut : la forteresse, qui avait cédé autrefois à Philippe-Auguste et à Richard Cœur de Lion, tint bon cette fois contre les assiégeants, qui furent obligés d'aller exercer ailleurs leurs ravages et leur barbarie.

Le château de Loches n'est pas seulement célèbre comme forteresse.

A la gloire militaire, il devait en joindre une autre bien plus éclatante, bien plus merveilleuse, bien plus charmante surtout, celle de recevoir dans ses murs, pendant sa vie et après sa mort, la belle Agnès Sorel, la maîtresse bien-aimée du roi Charles VII.

Pour elle, le vieux manoir se transforma en maison de plaisance ; son pas qu'il perdit quelque chose de ses remparts et de ses fortifications ; mais il put montrer alors à ses admirateurs la force réunie à l'agrément, des places d'armes et des jardins magnifiques, des tours épaisses et de somptueux appartements, des cachots obscurs et une église superbe aux clochetons élégants et à la belle architecture.

 

Mystères des vieux châteaux de France – Château de Loches et la belle Agnès Sorel, la maîtresse bien-aimée du roi Charles VII

Agnès Sorel, cette femme qui devait influer si puissamment sur les destinées de la France, naquit le 13 juillet 1409, au village de Fromenteau, en Touraine.

Elle était fille de Jean Seurel ou Sorel, seigneur de Saint-Géron et de Coudun, et de Catherine de Maignelais, dame de Verneuil.

Cette famille portait pour armoiries un écusson d'or mi sureau de sinopte; armoiries figuratives désignant presque par son nom le seigneur qui les portait, car sureau ou soreau se disaient également pour désigner la plante.

Agnès avait eu le malheur de perdre ses parents dans son jeune âge, aussi fut-elle élevée par sa tante de Maignelais, qui lui porta toujours la plus vive affection.

Dès que la jeune fille fut en âge de paraître dans le monde, sa tante chercha à la produire à la cour de Lorraine. Elle la conduisit donc à Nancy, où Isabeau de Lorraine, femme du duc d'Anjou, lui fit le plus bel accueil.

La princesse conçut insensiblement pour la jeune personne une vive et tendre amitié, de sorte qu'elle voulut l'avoir sous sa protection et se l'attacha bientôt comme fille d'honneur de sa maison.

Agnes Sorel, à l'âge de quinze ans, était déjà au nombre des femmes les plus distinguées de son époque.

Le portrait que l'on pourrait tracer de cette charmante personne ne saurait jamais être trop flatteur, car les historiens de son temps, de même que tous ceux qui ont parlé d'elle, se sont accordés à la douer de toutes les qualités possibles. « C'était, dit l'un d'eux, la plus ravissante créature que l'on puisse imaginer, avec un teint de lis et de roses, des yeux où la vivacité était tempérée par tout ce que l'air de douceur a de plus séduisant, une bouche que les Grâces avaient formée ; tout cela était accompagné d'une taille libre et dégagée, et relevé d'un esprit aisé, amusant et d'un entretien dont la gaieté et le tour agréable n'excluaient ni la justesse ni la solidité. »

Voltaire, dans son poème de la Pucelle d'Orléans, en a tracé un portrait non moins gracieux : « Elle possédait, dit-il, tout ce qui était capable d'enchanter et de plaire;

Elle avait tout : elle aurait dans ses chaînes

Mis les héros, les sages et les rois.

Si les traits que nous venons de reproduire peignent bien exactement la personne d'Agnès Sorel, comment Charles VII, qui avait le cœur très-sensible ainsi que la plupart des rois de sa race, aurait-il pu se défendre contre le charme que tant de beauté devait exercer sur lui ?

comment aurait-il pu refuser d'accorder son hommage à celle qui, sous tant de rapports, le méritait si bien? Aussi, la voir, l'aimer, brûler pour elle d'une vive flamme, fut l'affaire d'un jour. Voici dans quelle occasion.

René d'Anjou, duc de Bar, époux d'Isabeau, avait été fait prisonnier à la journée de Bullégneville.

Aussitôt que cet événement parvint aux oreilles de la duchesse, elle résolut de se rendre à la cour de Charles VII, son beau-frère, pour le conjurer d'interposer sa médiation dans le but d'obtenir la liberté de son mari.

Elle partit donc, accompagnée de ses chevaliers et de ses dames d'honneur, et arriva à Loches vers le mois d'octobre 1429.

La belle Agnès, qui était l'amie et la confidente de la princesse, faisait partie de ce brillant cortège.

Le roi ne tarda pas à distinguer la jolie fille d'honneur, au milieu du groupe de dames qui accompagnaient sa parente. Son aspect produisit sur lui, de prime abord, une si grande impression, qu'il ne pouvait se lasser de la contempler et de l'admirer. Il n'avait jamais vu tant de grâces, tant de perfections réunies dans une seule personne.

 Il demoura, dit la chronique, si attéré de sa moult grande heaulté, que plug ne pouvoit parler aucunement. Bientôt son admiration se changea en un violent amour.

L'amour de Charles était sincère : aussi le prince se trouvait-il embarrassé lorsqu'il était en présence d'Agnès. Celle-ci ne se doutait pas du sentiment qu'elle inspirait ; entretenue constamment dans les principes de la plus austère vertu, elle ne pensait pas le moins du monde à faire de la coquetterie.

Ses discours, quand le roi lui faisait l'honneur de lui parler, étaient simples, mais pleins de jugement; ses manières étaient nobles, mais sans afféterie; sa mise était élégante, mais sans prétention. Cette simplicité, cette candeur qu'elle montrait eu toutes choses, inspirait au roi, pour elle, une estime méritée, et ne faisait qu'augmenter la vive affection qu'il lui portait.

Plusieurs fois le roi avait été sur le point de lui déclarer l'amour qu'il ressentait ; mais l'innocence de celle qu'il adorait, jointe à la timidité qu'il éprouvait auprès d'elle, l'avait toujours arrêté dans sa résolution.

Un jour, pourtant, qu'il était à la chasse avec toute la cour, dans la belle forêt que dominait le château, il saisit le moment où Agnès s'était un peu écartée des autres dames, pour aller à sa rencontre et lui faire enfin cet aveu qui lui pesait tant.

Déjà Charles VII avait commencé sa déclaration, déjà la jeune personne avait commencé à rougir, lorsque tout à coup un énorme sanglier, poursuivi par les chasseurs, vint à passer tout près de l'endroit où le roi se trouvait. Charles, aussitôt s'armant de son couteau de chasse, se met sur la défensive, tandis qu'Agnès, toute tremblante, se dirige vers sa monture.

A peine s'était-elle élancée sur son palefroi, que le sanglier, blessé par les chasseurs, revient du même côté, se jette entre les jambes des chevaux, qu'il laboure du tranchant de ses défenses, renverse le coursier d'Agnès, qui tombe elle-même auprès de l'horrible bête.

A cet instant, mille cris d'épouvante font retentir la forêt. A ce spectacle, toutes les dames prennent la fuite, tandis que les chevaliers s'empressent d'accourir sur le théâtre du danger.

Mais avant que personne soit encore arrivé, le roi, ne songeant plus qu'à sauver celle qu'il aime, et oubliant le péril qui le menace, se jette sur la bête, et lui plonge à plusieurs reprises son couteau dans la poitrine. Le sanglier, déjà blessé à mort, expire aussitôt sous les coups du roi, qui reçoit bientôt les actions de grâces d'Agnès et les félicitations de toute la cour.

Le roi, dans cette partie de chasse, avait beaucoup fait pour son amour. D'abord, il avait laissé deviner son sentiment à la jolie fille d'honneur, et ensuite, ce qui était mieux encore, il avait conquis, par son courage et son dévouement, des titres à la reconnaissance de celle dont il voulait être aimé.

Agnès, de son côté, n'était pas ingrate. Son âme grande et généreuse la portait malgré elle vers tout ce qui était noble et élevé. Elle ne put, dans cette circonstance, s'empêcher d'admirer le sang-froid et le courage du roi ; elle se sentit éprise d'enthousiasme pour un prince qui s'était si spontanément dévoué pour lui sauver la vie ; et dès cette époque, elle partagea, sans s'en rendre bien compte, un peu de l'amour que l'on ressentait pour elle.

Isabeau de Lorraine, après avoir exposé à Charles VII le but de son voyage, le pressait vivement de satisfaire à ses désirs, ou du moins de lui donner une promesse positive à ce sujet. Le roi, qui voulait différer le plus possible le départ de sa belle-sœur, ne lui faisait que des réponses évasives ; il cherchait à la retenir en improvisant des fêtes magnifiques, et en inventant, pour elle et sa suite, de nouveaux plaisirs. Il eut bien désiré, en retour de la promesse que l'on sollicitait de lui, demander à sa parente le don d'Agnès ; mais sous quel prétexte? Charles savait aimer; dans la noblesse de son cœur, il pensait indigne de lui d'afficher une femme aux yeux de sa cour ; aussi flottait-il indécis au milieu des idées les plus diverses : tantôt animé de l'espérance de voir enfin son amour couronné de retour, et tantôt péniblement affecté par le regret de voir s'éloigner le charmant objet de son affection.

(Découverte d’un souterrain entre le Château de Chinon et le petit manoir de Roberdeau, Agnès Sorel -Charles VII )

Le prince se trouvait dans cette situation difficile, lorsque, involontairement, la reine Marie d'Anjou, son épouse, vint à son secours.

Cette princesse, touchée des qualités de notre belle héroïne, s'était insensiblement attachée à elle. Elle se plaisait, comme tout le monde, dans la société d'Agnès, qui, par la vivacité de son esprit, la solidité de son jugement, l'enjouement de sa conversation, la délicatesse de ses procédés et la grâce de ses manières, exerçait sur tous ceux qui l'approchaient un ascendant irrésistible.

C'est pourquoi Marie attendait que sa belle-sœur songeât aux préparatifs de son départ, pour lui demander de vouloir bien lui laisser celle qu'elle considérait déjà comme une amie.

Cependant l'hiver approchait ; le froid commençait à se faire sentir, et les neiges allaient bientôt rendre les chemins impraticables. Isabeau parla de partir : les prières du roi, les instances de la reine, rien ne put l'arrêter dans son dessein.

 Marie alors fit promettre au roi d'intervenir en faveur du prisonnier, son frère, et demanda à Isabeau, en échange de cette intervention, la faveur de lui laisser la jeune personne qu'elle affectionnait.

La duchesse, malgré la peine qu'elle ressentait de se séparer de sa fille d'honneur, ne put s'empêcher d'acquiescer à une pareille demande : c'était, d'ailleurs, une occasion d'être utile à Agnès, dont la position allait devenir bien plus belle, bien plus brillante à la cour de France, appuyée qu'elle était par la protection de la reine. Isabeau mit, du reste, pour condition à cet arrangement qu'on n'agirait pas contre le gré d'Agnès, et qu'on obtiendrait son assentiment.

On instruisit Agnès des bonnes intentions de la reine à son égard, et on lui accorda quelques jours pour réfléchir au sujet de la proposition qui lui était faite, de quitter la cour de Lorraine pour la cour de France.

A cette nouvelle, que de pensées ne traversèrent point l'esprit de notre héroïne ! comme son cœur battit ! combien elle se sentit émue! Était-il bien à elle d'abandonner sa protectrice, celle qui l'avait comblée de bienfaits, qui l'avait accueillie avec tant de bonté, qui avait dirigé ses premiers pas dans le monde, qui l'avait aidée de ses conseils et de son expérience, et qui toujours s'était montrée envers elle plutôt une amie qu'une souveraine? Non, ce n'était pas bien, pensait-elle ? c'était au contraire faire prouve d'une noire ingratitude.

Mais la reine Marie était si bonne aussi à son égard! elle lui avait manifesté, depuis le jour de son arrivée, tant d'amitié ! elle l'avait entourée de tant de prévenance d'attentions !

Aujourd'hui la princesse lui révélait encore d'une manier sensible son attachement, en lui faisant l'honneur de vouloir la garder dans sa maison ! S'il y avait de l'ingratitude, pensait-elle encore, à laisser Isabeau de Lorraine, il y avait bien de la dureté à se refuser de satisfaire aux désirs de la reine Marie.

Et puis un autre motif venait augmenter les perplexités d'Agnès : depuis l'événement de la forêt, son cœur s'était ouvert à un sentiment tout nouveau pour elle ; la scène du sanglier se reproduisait souvent à son esprit : l'horrible situation dans laquelle elle s'était vue, le courage qu'avait déployé Charles VII, le danger qu'il avait couru pour lui sauver la vie, et aussi la déclaration qui avait précédé cette scène tragique, tout cela produisait dans son âme un mélange confus d'admiration, de reconnaissance et d'amour.

Lorsque Isabeau et Marie lui demandèrent ce qu'elle avait résolu, Agnès balança ; pressée néanmoins de parler, elle répondit :

« 0 ma bonne protectrice ! comment me serait-il possible de me séparer de vous? N'est-ce pas vous qui depuis six ans me servez de mère?

N'est-ce pas vous qui avez été mon conseil et mon appui, qui m'avez soutenue dans ma faiblesse, qui avez dirigé mon cœur et formé mon esprit ?

Si vous voulez que je vous quitte, faites en sorte que les bienfaits que j'ai reçus de vous s'effacent de ma mémoire ; tant que je me souviendrai de vos bontés, la reconnaissance me portera toujours partout où se trouvera votre auguste personne. Je suis bien persuadée, ajouta-t-elle en s'adressant à la reine, que je trouverais le bonheur auprès de Votre Majesté : le gracieux accueil qu'elle m'a fait, l'amitié dont elle m'a honorée, la bienveillance qu'elle m'a montrée, le charme que l'on est accoutumé de rencontrer auprès d'elle, et par-dessus tout le désir, très-flatteur pour moi, qu'elle manifeste en ce moment, me sont de sûrs garants de félicité. Je conserverai certainement toute ma vie, pour en être reconnaissante, le souvenir des bontés qu'elle m'a prodiguées ; mais je pense, dit-elle d'une voix altérée, que j'ai à remplir un devoir impérieux envers ma bienfaitrice : si Sa Majesté veut bien me le permettre, je retournerai à Nancy. »

Au moment où la jolie fille d'honneur prononçait ces dernières paroles, Charles VII entra dans le salon de la reine. Le roi regarda Agnès d'un air qui exprimait le regret ; Agnès, de son côté, regarda le roi, puis baissa les yeux et rougit.

« Puisque telle est votre intention, mademoiselle, dit la reine, je n'insisterai pas, car je ne veux pas vous causer le moindre déplaisir; vous partirez donc avec ma bien-aimée sœur. Mais veuillez auparavant recevoir cet anneau, ajouta-t-elle en l'ôtant de son doigt ; qu'il vous soit un gage de l'affection que vous a vouée Marie d'Anjou. »

En même temps la reine s'approcha un peu et l'embrassa sur le front.

Agnès, de pourpre qu'elle était d'abord, était devenue tout à coup très-pâle ; elle était comme absorbée dans une pensée douloureuse, et ses yeux étaient remplis de larmes. La reine s'en aperçut : « Ne vous affligez point, mademoiselle, reprit Marie ; nous ne nous séparons pas pour toujours; j'espère bien que nous nous reverrons bientôt. »

Elle l'embrassa de nouveau ; puis elle la congédia.

Charles la suivit tristement des yeux, semblable à l'enfant qui voit s'échapper de ses mains le brillant papillon qu'il lui semblait tenir.

Le départ d'Isabeau avait été fixé pour le lendemain 1er décembre.

Le roi, pendant toute la nuit, fut en proie à une vive agitation. Les formes gracieuses d'Agnès ne cessèrent un instant de se peindre vivement à son esprit.

Tantôt il la voyait déployer dans un bal toute la grâce de sa jolie personne ; tantôt il l'apercevait charmant tout un cercle d'auditeurs, par a finesse de ses reparties et le piquant de sa conversation.

Quelquefois il l'admirait montée sur un léger palefroi, qu'elle maniait habilement et faisait caracoler avec adresse ; d'autrefois il se la figurait auprès de lui, souriant d'une manière affectueuse et faisant entendre à son oreille une voix harmonieuse qui lui allait jusqu'à l'âme.

Mais ces formes gracieuses, cette voix ravissante, ce sourire enchanteur, tout cela ne devait plus bientôt exister pour lui que dans son imagination; le lendemain toutes ces beautés allaient disparaître à ces yeux comme les images qui se produisent dans un rêve ; la voiture allait les emporter loin de lui, comme le vent enlève loin de l'ormeau les fleurs qu'il détache de ses branches au milieu de la prairie.

Le 1er décembre était arrivé. Dès le matin tout le château de Loches fut en émoi.

 Déjà Isabeau avait fait au roi et à la reine ses adieux de départ; les cent chevaliers qui accompagnaient la duchesse étaient déjà en selle dans la grande cour, les dames d'honneur elles-mêmes étaient disposées à monter dans les voitures de voyage, tout le cortège allait bientôt se mettre en route, lorsque les femmes attachées au service d'Agnès vinrent annoncer que la jolie fille d'honneur venait de se trouver mal.

Aussitôt Isabeau et Marie se rendirent auprès de la malade ; elles la trouvèrent fort souffrante.

Des médecins ayant été appelés pour la secourir et donner leur avis sur la gravité de la maladie, déclarèrent qu'Agnès était fortement affectée, qu'elle avait besoin de repos, et qu'il y aurait danger pour elle à s'exposer maintenant au froid de la saison et aux fatigues d'un long voyage.

La maladie d'Agnès était-elle simulée, ou bien était-elle causée par l’émotion que lui produisait l'idée de son départ? les chroniqueurs ne sont pas d'accord sur ce point. Les uns, plus médisants, penchent pour la première opinion; les autres; plus naïfs, penchent pour la seconde.

L'un d'eux affirme gravement qu'Agnès devait être fort malade, attendu, dit-il, que des physiciens (3) vindrent iceluy jour en grand nombre au chastel de Loches.

Cette raison du chroniqueur ne nous paraît pas bien concluante. Pour nous, en nous rappelant les divers sentiments qui devaient émouvoir le cœur d'Agnès, sa reconnaissance pour Isabeau, son amitié pour la reine et sa sympathie pour le roi, nous pensons que notre belle héroïne se trouva réellement indisposée au moment de son départ ; mais qu'instinctivement, et peut-être aussi par adresse, comme on l'a prétendu, elle exagéra la gravité de son mal, conciliant ainsi ce qu'elle devait à sa bienfaitrice et ce qu'elle désirait pour elle-même.

La duchesse de Lorraine ne pouvait plus retarder le moment de son voyage, sans courir le danger de trouver les routes interceptées par les neiges ; aussi partit-elle le jour même pour Nancy, laissant au château de Loches sa jeune protégée, qui lui promit d'aller la rejoindre en toute hâte dès qu'elle serait guérie.

Marie d'Anjou, de son côté, promit de veiller sur la malade, et tout s'arrangea pour le mieux, c'est-à-dire au gré des désirs de Marie d'Anjou, d'Isabeau de Lorraine, d'Agnès Sorel, et, par-dessus tout, de ceux de Charles VII.

 

La demoiselle de Fromenteau, — c'est ainsi qu'on appelait Agnès, — ne tarda pas à se rétablir. Alors elle pensa à la promesse qu'elle avait faite ; elle parla timidement de s'en aller ; mais le roi fit tous ses efforts pour la retenir :

 « Quelle imprudence ! Vous, songer à partir dans cette saison rigoureuse où tout ce qui respire a besoin d'un abri contre les frimas et les glaçons ! Voyez la campagne en deuil, abandonnée de tous ses habitants?

Voyez les arbres dépouillés de leurs feuilles verdoyantes et recouverts tristement d'une neige monotone. Regardez la rivière qui traverse la prairie, ses flots ne coulent plus, ils sont enchaînés par le froid de l'hiver.

Le chemin que vous aperceviez naguère au pied du château, et qui était parcouru par de nombreux voyageurs, est aujourd'hui entièrement désert ; la neige qui le recouvre l'a fait disparaître à vos yeux et l'a confondu avec le reste de la plaine. Vous ne pouvez- vous aventurer ainsi à travers des routes perdues, où vous courriez à chaque instant le risque de vous jeter dans un abîme. Et moi je serais loin de vous ; je ne serais pas là pour veiller sur votre vie, pour vous garantir du danger ! Agnès, vous ne pouvez partir ; dites que vous ne partirez pas. »

Ces dernières paroles de Charles VII rappelèrent à Agnès le dévouement qu'il avait montré pour la sauver : remplie d'une douce émotion, elle jeta sur le roi un regard où se peignaient les sentiments qui l'animaient; puis, comme résignée :

« Sire, dit-elle, vous avez tout pouvoir sur moi ; vous êtes mon souverain, mon maître, je ne dois que vous obéir.

Agnès, dit Charles en lui prenant la main avec tendresse, je ne veux pas que vous vous aperceviez que je suis votre roi ; je prétends respecter en tout la moindre de vos volontés. Si votre séjour à la cour de France vous est désagréable, si ma présence vous importune, si mes craintes et mes alarmes ne peuvent vous retenir ici, partez, Agnès, fuyez loin de moi, retournez à Nancy, mais au moins vous ne pourrez m'empêcher de conserver précieusement votre souvenir et de vous aimer toute ma vie. »

Le roi à ces mots se jeta aux genoux d'Agnès. Celle-ci, profondément émue, versait des larmes.

« Relevez-vous, Sire, relevez-vous, dit-elle, je vous en prie ; quelqu'un pourrait nous voir ainsi, et je serais perdue!

Agnès, je veux être votre sujet soumis, votre fidèle chevalier; dites-moi seulement que vous me rendez un peu de l'affection que je vous porte.

— Sire, je ne serai jamais ingrate envers vous.

— Ce n'est point de la reconnaissance que je vous demande, Agnès ; c'est un peu d'amour. »

Et le roi prenant les deux mains d'Agnès, les couvrit de ses brûlants baisers.

Le cœur d'Agnès battait avec violence ; son émotion grandissait toujours, ses forces allaient la trahir, lorsque, faisant un effort sur elle-même, elle se dégagea des mains du roi, et s'enfuit de l'appartement en laissant tomber le mouchoir avec lequel elle essuyait ses larmes.

Charles VII fut bien obligé de reporter à la demoiselle de Fromenteau le mouchoir qu'il avait eu soin de ramasser.

L'histoire ne dit rien sur cette entrevue ; mais tout donne à croire que cette fois la jolie fille d'honneur ne fut plus aussi sauvage avec le roi, et qu'elle laissa entre ses mains un gage d'un autre genre qu'il était impossible de lui reporter. Ce qui vient surtout à l'appui de cette conjecture, c'est que dès ce jour Agnès ne parla plus de partir ; qu'elle compta au nombre des filles d'honneur de la reine, et qu'elle fut avec le roi dans la plus grande intimité.

Cependant, l'affection de Marie d'Anjou pour Agnès s'accroissait de jour en jour.

Ces deux femmes étaient douées d'une âme si sympathique, elles possédaient des sentiments si nobles, un esprit si élevé, qu'il était impossible qu'elles ne s'entendissent pas ensemble et qu'elles ne ressentissent pas l'une pour l'autre une estime véritable, jointe à une vive amitié.

On ne sait pas encore si les yeux de la reine furent jamais dessillés à l'égard des infidélités de son époux ; toujours est-il qu'Agnès, dont la douceur était plus grande encore que la beauté, se montra toujours pleine d'égards et d'attentions pour Marie ; et que celle-ci s'attacha, en retour, à combler sa rivale de bienfaits, la protégeant incessamment contre les attaques et les méchantes allusions de la cour.

 Si Marie d'Anjou, ainsi que plusieurs l'affirment, a réellement eu connaissance de l'intimité étroite qui exista entre la fille d'honneur et son mari, sa conduite délicate envers Agnès est un de ces actes sublimes de dévouement et de résignation dont les femmes seules sont capables et dont nos reines de France ont donné assez souvent de généreux exemples.

Si Agnès inspirait à la reine une estime mêlée de sympathie, elle était loin de produire sur le Dauphin un effet semblable.

Ce prince, qui dans la suite acheva de se faire connaître sous le nom de Louis XI, était incapable, par sa nature, d'apprécier un noble caractère.

Né avec une humeur sombre et farouche, plein de fausseté et d'hypocrisie, il avait le cœur inaccessible aux sentiments délicats : aussi montra-t-il envers son père l'ingratitude la plus grande, et eut-il toujours pour Agnès la haine la plus vivace.

Les historiens ont recherché les motifs de cette haine que le Dauphin ne cessa de manifester dans toutes les occasions envers la favorite : les uns l'ont attribuée au dédain que la demoiselle de Fromenteau aurait fait de son hommage ; les autres en ont vu la eau clans l'affection même qu'elle portait à Charles VII, dans le zèle qu'elle mettait à déjouer les projets coupables que le Dauphin tramait de temps en temps contre la personne du roi.

Ces deux motifs sont peut-être vrais également, mais la dernière explication nous semble plus plausible.

En effet, on connaît la conduite déloyale et perverse de ce fils dénaturé, qui, pour satisfaire son ambition et sa méchanceté, s'efforça autant qu'il put de fomenter des troubles dans l'État, de tendre des embûches à son auguste père, de lui susciter des ennemis et de le faire craindre pour sa couronne.

Charles VII avait besoin d'avoir constamment à ses côtés une personne dévouée qui veillât sur lui, qui détournât les coups de ses ennemis, qui eut assez de perspicacité pour voir clair à travers les ténébreuses menées de Louis : cette personne dévouée, cet esprit perspicace, cet ange tutélaire fut Agnès Sorel.

Il ne faut donc pas s'étonner si le Dauphin lui voua une partie de l'inimitié qu'il avait d'abord conçue pour son père.

Agnès avait assurément l'âme pure et candide, mais elle était par- dessus tout aimante. Elle ne put se défendre d'affectionner Charles VII qui lui avait montré un véritable amour. Elle aima le prince, mais sans faiblesse ; elle l'aima comme on doit aimer un souverain, en profitant de l'ascendant qu'elle avait sur lui pour l'exciter à la gloire, le rappeler à ses devoirs de roi et le pousser, dans l'intérêt de la France, à reconquérir le territoire envahi par l'étranger.

Afin de mieux faire ressortir le service que la belle Agnès rendit à son souverain et à la France, il est bon de jeter un coup d'œil rapide sur l'histoire de notre pays à cette époque.

Charles VII était monté sur le trône dans des moments bien difficiles.

Jamais la monarchie n'avait été dans une situation plus déplorable : les Anglais, profitant de la folie de Charles VI, et de la guerre civile entretenue par les grands seigneurs feudataires, déclarèrent la guerre à la France, passèrent le détroit, attaquèrent les Français, et gagnèrent bientôt la funeste bataille d'Azincourt, qui fut encore plus désastreuse pour notre pays que la bataille de Créci sous Philippe de Valois, et que la bataille de Poitiers sous Jean le Bon.

Cette fois, le roi d'Angleterre, après s'être emparé des trois quarts de notre territoire, avait fait une entrée triomphale à Paris au milieu de toute sa cour, et s'était fait déclarer régent du royaume, tandis qu'à Londres il était proclamé roi de France et d'Angleterre.

C'est au milieu de ces circonstances critiques que Charles VII, succédant à son père Charles VI, hérita des droits à la couronne.

Charles n'avait que vingt ans quand il apprit l'événement qui l'élevait au trône. Il était alors en Auvergne, dans un petit château nommé Espalli, accompagné seulement de quelques seigneurs et gentilshommes.

Ces derniers prirent les habits dont ils se servaient dans les tournois, le menèrent à la chapelle, levèrent une bannière aux armes de France, le saluèrent et crièrent Vive le roi!

Ce fut toute la cérémonie de l'inauguration du monarque, auquel il ne restait que quelques provinces au -delà de la Loire pour royaume, et la petite ville de Bourges pour sa capitale, d'où il fut appelé par dérision, le petit roi de Bourges.

Peu de jours après la proclamation d'Espalli, il se fit couronner à Poitiers sans grande solennité.

Dès ce moment cependant, il y eut à Paris des mouvements en sa faveur ; mais les auteurs furent découverts, et punis par la prison, l'exil ou la mort.

Le duc de Bedford, nommé régent de France depuis la mort du roi d'Angleterre, fit reconnaître le jeune Henri VI dans les villes de sa domination, fit sceller les actes en son nom et exigea des serments individuels des moindres artisans comme des plus grands seigneurs.

 Il s'appliqua ensuite à consolider la puissance de son pupille par des alliances et un bon plan de guerre.

Charles VII, outre les seigneurs et les peuples de ses provinces au -delà de la Loire, qui lui montrèrent toujours un attachement inviolable, avait des alliés fidèles et secourables.

Les grands vassaux voisins des Pyrénées, les comtes de Foix et d'Armagnac, les Périgord, les Beaumont, se firent honneur de lui amener de braves soldats.

Le duc de Milan envoya des Italiens, et la noblesse d'Ecosse accourut d'elle-même sous les ordres d'Archambaut de Douglas au secours de ses anciens amis.

Mais tous ces renforts n'approchaient pas de ceux que le régent se procura par les levées qu'il fit en Angleterre et dans les provinces assujetties à son pupille. De ces détachements de tant de nations, se composèrent deux armées empressées de se joindre et de se combattre.

Elles se rencontrèrent près de Verneuil, place qui donnait aux royalistes un accès libre en Normandie et dans l'Ile de France. Les capitaines français les plus habiles étaient d'avis d'abandonner cette petite forteresse, plutôt que de risquer une bataille, qui, s'ils étaient défaits, pouvait enlever au roi sa dernière ressource.

 Ils remontraient les malheurs de la France à diverses époques comme les funestes conséquences des batailles de Créci, de Poitiers et d'Azincourt.

Mais les chefs des nations auxiliaires prétendant que les capitaines français ne se refusaient à la bataille que pour les garder plus longtemps auprès d'eux, et même allant jusqu'à faire entendre que les Français avaient peur des Anglais, aussitôt la bataille fut résolue.

Comme à l'ordinaire, on dispute à qui arrivera le plus tôt à l'ennemi; en attaque sans ordre, on se mêle. L'impétuosité française triomphe d'abord; mais les archers anglais, toujours couverts d'un retranchement portatif de pieux ferrés, percent de leurs flèches chevaux et cavaliers, qui se renversent les uns sur les autres, et foulent aux pieds les fantassins qui fuient.

 Le duc de Douglas est tué avec ses audacieux patriotes. Il y eut peu de familles en France, de celles attachées au roi, qui n'eussent à regretter quelqu'un des leurs, ou resté sur le champ de bataille ou fait prisonnier.

Depuis la fatale journée de Verneuil, il n'arriva plus au roi que des nouvelles fâcheuses, la prise d'une ville, la défection d'une autre, la ter1-eur chez ses partisans, la déroute successive dans ses bataillons.

De quelque côté qu'il portât la vue, point d'espérance ; mais il lui en vint tout à coup d'une manière inattendue.

Deux femmes, deux jeunes filles à la parole douce et persuasive, à l'ascendant dominant, irrésistible; belles comme les anges, héroïques comme les plus courageux ; animées toutes deux par un ardent amour de la patrie, vinrent successivement, au milieu de sa détresse, au secours de Charles VII, qui, sous l'influence de leur divine inspiration, sentit tout à coup son courage se rallumer et son âme s'ouvrir aux rayons de l'espoir.

La première de ces femmes fut Jeanne d'Arc, surnommée la Pucelle d'Orléans.

Jeanne, profondément émue des malheurs dont la France était accablée, crut un jour entendre une voix céleste qui lui ordonnait de prendre les armes, de se rendre à Orléans pour sauver cette ville assiégée par les Anglais, et de conduire ensuite le roi à Reims, afin de faire donner à son titre la consécration religieuse.

Le patriotisme dont la jeune fille était enflammée lui inspira la confiance et le courage nécessaires pour tenter de réaliser l'objet de cette grande mission. Elle alla donc trouver le seigneur de Baudricourt, lui parla de sa détermination, et lui demanda une escorte pour se rendre auprès du roi, qui se trouvait alors au château de Chinon.

Le seigneur de Baudricourt s'étant laissé persuader par les paroles de Jeanne, lui accorda, après quelque hésitation, ce qu'elle sollicitait.

Admise ensuite auprès du roi, elle montra tant de sagesse dans ses discours, tant d'à-propos dans ses réponses, qu'elle parvint à faire passer dans le cœur du prince un peu de l'enthousiasme et de l'espoir qui ranimaient.

Charles VII lui donna des conseillers, des pages, un chapelain, un intendant, enfin tout l'équipage d'un chef de guerre ; puis elle partit pour Orléans. Là, après avoir fait des prodiges de valeur et délivré la ville, elle retourna vers le roi, qu'elle décida à l'accompagner à Reims, ou il fut sacré selon qu'elle l'avait médité et résolu.

La levée du siège d'Orléans et le sacre du roi sont deux faits qui seraient de peu de valeur dans les circonstances ordinaires, mais qui eurent, au moment où ils furent accomplis, des conséquences très-importantes.

En effet, depuis longtemps, les Français n'essuyaient plus que des échecs sur le théâtre de la guerre ; les désastres d'Azincourt et de Verneuil, joints à l'envahissement de nos plus belles provinces, avaient jeté les troupes dans le découragement et les avaient entièrement déconcertées.

Les combats victorieux livrés devant Orléans, la fuite des assiégeants et surtout la confiance intrépide de Jeanne, parvinrent à rétablir un peu le moral des soldats et à leur démontrer que leurs ennemis n'étaient point invincibles.

Le sacre du roi, effectué au milieu des plus grandes difficultés, contribua aussi à produire les plus heureux résultats, car il confirma l'armée dans la croyance que la mission de Jeanne était divine, et que le ciel intervenait pour sauver la malheureuse France.

 C'est pourquoi nos troupes, pendant quelque temps, n'eurent plus que des succès, et les Anglais n'essuyèrent plus que des revers.

Mais malheureusement, Jeanne d'Arc ne resta pas assez longtemps à la tête de nos armées ; ayant été prise par les Bourguignons, devant Compiègne, elle fut vendue aux Anglais, qui la firent juger et condamner comme sorcière. Jeanne fut brûlée vive sur la place de Rouen.

Sa mort eut pour effet d'arrêter l'élan de nos soldats, de faire triompher de nouveau nos ennemis et de replonger la France dans la consternation.

Pendant que les Anglais, pleins d'audace, assiégeaient et prenaient nos villes, Charles VII s'étourdissait au milieu des plaisirs qu'il rencontrait à sa cour. Cette inertie, l'inertie d'un prince dans la vigueur de l'âge et dans de pareilles circonstances, a droit d'étonner. On donne à son indolence pour principe l'intérêt des favoris qui l'obsédaient.

Plus sûrs de conserver leur crédit dans la mollesse de la cour que dans l'activité de la guerre, ils le retenaient loin des armées, sous le spécieux prétexte qu'exposer sa personne, ce serait hasarder le salut de l'État, qui dépendait de sa conservation. Ils l'entraînaient par les plaisirs : Charles y était assez enclin par lui-même.

On rapporte que dans un de ces moments critiques qui réclamaient les plus sages réflexions, il fit appeler La Hire. C'était pour lui communiquer le plan d'une fête qu'il voulait donner.

« Qu'en pensez-vous? demanda-t-il au jeune guerrier.

— Je pense, répondit celui-ci, qu'on ne peut perdre un royaume plus gaiement. »

Cette réponse du brave La Hire fit réfléchir Charles VII, et néanmoins ne le tira aucunement de son apathie.

Mais bientôt le ciel députa vers le roi une autre jeune fille, douée, comme la première, d'une âme forte et généreuse, et qui, par sa douce influence, devait ramener Charles à des sentiments plus dignes de lui : cette autre jeune fille était Agnès Sorel.

Ainsi que Jeanne d'Arc, Agnès gémissait profondément sur les malheurs de sa patrie.

 Lorsqu'elle sut que le roi l'aimait sincèrement, elle ne put se défendre de le payer de retour ; mais alors elle voulut faire servir son amour à la gloire de son souverain et à la délivrance de son pays.

Tous les généraux réclamaient Charles VII à la tête de l'armée, comme un moyen de rétablir le moral des troupes, de ranimer leur courage abattu.

Agnès Sorel, convaincue elle-même de la nécessité d'une pareille mesure, se chargea de persuader au roi de s'armer de son épée et de voler partout où l'appellerait la défense de la patrie.

Un jour, le roi entra tout joyeux dans l'appartement d'Agnès; il venait l'inviter à une fête magnifique qu'il avait organisée de concert avec quelques courtisans :

« Ma chère demoiselle, dit-il, comme je désire que vous vous amusiez à la cour de France et que vous oubliiez celle de Lorraine, j'ai ordonné, en votre intention, un tournoi où vous êtes désignée, par toutes les dames et tous les chevaliers, pour être la reine de beauté et donner l'accolade au vainqueur.

— Je vous remercie de vos bontés, Sire, mais je suis bien peu digne de toutes ces attentions et de l'honneur que ces dames et ces messieurs daignent me faire.

- Agnès, vous surpassez par vos qualités toutes les dames de la cour, comme la rose surpasse en beauté et en magnificence toutes les autres fleurs des jardins ; il est bien juste que chacun reconnaisse votre mérite, et que le vainqueur du tournoi dépose à vos pieds l'hommage qui vous est dû.

— Dans les circonstances malheureuses où la France se trouve, Sire, lorsque votre couronne vous est si audacieusement disputée par le roi d'Angleterre, combien ne me serait-il pas plus doux de recevoir pour hommage, au lieu d'un vain triomphe de tournoi, la prise glorieuse de quelques villes, ou l'annonce de quelques victoires remportées sur nos ennemis !

Je vous l'avouerai, Sire, les maux dont notre beau pays est affligé ont retenti profondément dans mou cœur; aussi, au milieu des fêtes que votre amour pour moi invente à chaque instant afin de me donner du plaisir, il m'est impossible, tout en ayant de la reconnaissance pour votre bonté, de ne point ressentir quelque douleur au fond de mon âme et de ne point regretter que tous ces galants et féaux chevaliers, qui déploient tant de courage et d'adresse dans des passes d'armes inutiles, n'aillent point chercher, pour signaler leur valeur, un théâtre plus digne de leur roi et d'eux-mêmes, et surtout plus en harmonie avec la triste situation de notre malheureuse France. »

Le roi, comme fasciné par les paroles d'Agnès, gardait le silence. La jolie fille d'honneur, s'apercevant de l'impression que ses discours produisaient sur l'esprit de Charles, s'empressa de continuer :

« Sire, permettez-moi de vous parler aujourd'hui dans toute la sincérité de mon âme.

Vous ne pouvez douter que je vous aime ; car je vous ai prouvé mon amour par le sacrifice le plus grand que j'aie pu vous faire; et aujourd'hui que je n'ai plus à ma disposition que ma vie, je vous l'offrirai, quand vous voudrez, pour vous prouver davantage, s'il est possible, mon entier dévouement. En me hasardant de vous donner un conseil, je ne puis donc être accusée de consulter autre chose que ce qui me paraît être avantageux à Votre Majesté, qui est l'objet de ma tendresse.

Eh bien ! Sire, je sais, d'après les rapports de vos généraux, que les vœux de tous les Français vous appellent à la tête des armées.

Les soldats désirent voir au milieu d'eux le prince pour lequel ils combattent et versent chaque jour leur sang dans les batailles. Ils sont persuadés que votre présence les animerait, leur donnerait du courage, fiers qu'ils seraient d'avoir pour témoin de leurs exploits l'illustre descendant de tant de rois magnanimes.

Croyez-moi, Sire, croyez à mon amour qui vous parle en ce moment, écoutez les vœux de l'armée, écoutez ceux de vos braves capitaines ; imitez les rois vos prédécesseurs et vos ancêtres, les Charlemagne, les Philippe-Auguste, et tant d'autres; quittez les délices de votre cour, éloignez-vous de moi, et donnez à la France le noble exemple d'un souverain qui, ayant hérité de ses pères ses droits à la couronne, veut la conquérir encore par son courage et la force de son épée. »

Charles VII avait prêté une oreille attentive aux paroles de sa belle maîtresse. Il avait entendu avec plaisir ses protestations de dévouement ; il ne pouvait s'empêcher d'admirer la noblesse de son caractère, la grandeur de son âme, l'élévation de son esprit ; tout cela ne faisait qu'augmenter son amour pour Agnès, et accroître le vif désir qu'il avait de rester auprès d'elle.

Agité par des idées et des sentiments qui se contrariaient sans se détruire, le prince continua de garder le silence.

« Eh bien, Sire reprit Agnès, vous ne répondez rien à mes paroles !

Est-ce que mon langage vous aurait blessé? Dois-je interpréter votre silence comme une désapprobation de la liberté que je me suis permise à votre égard? Parlez, Sire, je vous en supplie ; ne me laissez pas plus longtemps sous l'impression de la crainte.

-Vous, me blesser, Agnès! vous, avoir ma désapprobation! dit le roi en serrant sur son cœur la main de sa maîtresse, c'est impossible ; jamais je ne repousserai les conseils d'une véritable amitié ; jamais je ne payerai d'ingratitude la fidélité et le dévouement à ma personne.

Si vous m'aimez, Agnès, je vous aime, moi, comme je n'ai jamais aimé ; aussi mon plus ardent désir est de vous voir appréciée par tout le monde comme je vous apprécie moi-même, et de vous donner à ma cour tout le bonheur que vous méritez.

— Sire, dit Agnès, mon plus grand bonheur est dans votre gloire; je vous ai voué ma personne, je désire que mon dévouement serve à soutenir votre dignité, et non point à ternir l'éclat de votre règne.

Je ne veux point que mon nom soit maudit dans l'histoire, et que l'on dise que, comme une perfide sirène, j'ai retenu le roi mon maître sous le charme de mon amour, tandis que les ennemis prenaient ses villes, dévastaient ses provinces et s'emparaient de son royaume.

Si je n'ai point la force et la vertu de Jeanne d'Arc, je veux au moins avoir son courage; je saurai sacrifier pour mon roi, sinon ma vie, du moins mon amour. Sire, je vous le répète, dans l'intérêt de la France et de votre gloire, il est nécessaire que vous vous éloigniez de moi.

Si vous m'aimez véritablement, allez dans les camps cueillir des lauriers : combien je serai heureuse de recevoir de vos mains un pareil hommage !

Agnès, si je refuse de me rendre à vos sollicitations, c'est que ma présence à l'armée entraînerait des dangers pour ma personne, et que ma mort, si elle arrivait, jetterait la France dans un grand embarras. »

Cette réponse, où le roi cachait le véritable motif de ses hésitations, parut à Agnès si peu digne du monarque, qu'elle revint un peu de l'idée qu'elle s'était faite de sa valeur.

Connaissant la puissance de ses charmes et l'empire qu'elle exerçait sur le roi, elle ne se rebuta pas, et persista à poursuivre son dessein et à tenter un dernier effort.

« Sire, dit-elle, puisque je vois que mes prières sont inutiles, que mes paroles ne peuvent exercer aucune influence sur votre cœur, permettez-moi de vous faire part d'une prédiction qui m'a été faite dans ma jeunesse.

Un astrologue, bien connu dans le pays par sa grande faculté divinatoire, fut un jour appelé au château de Maignelais, pour donner son avis au sujet d'une maladie grave dont mon oncle et moi étions alors attaqués.

Après avoir regardé attentivement la main de mon oncle et la mienne, et dirigé en même temps ses regards vers le ciel, il parut fortement affecté de ce qu'il avait vu, et refusa d'abord de dire son avis, sous le prétexte que le temps était nébuleux et qu'il n'avait pu bien se livrer à l'exercice de son art.

Pressé néanmoins par les gens de la maison, il annonça que mon oncle mourrait dans les vingt-quatre heures, et que dans le même espace de temps je serais délivrée de tout mal. Les choses arrivèrent ainsi qu'elles avaient été prédites : mon oncle mourut et moi je guéris. Peu de temps après, l'astrologue revint au château; je le questionnai moi-même sur tout ce qu'il avait vu à mon sujet ; voici sa réponse :

« Belle demoiselle, je n'ai pas voulu dire toute la vérité, de peur d'être accusé d'indiscrétion ; mais puisque vous désirez connaître votre destinée future, sachez que vous serez aimée par l'un des plus courageux et valeureux rois de la chrétienté. »

Lorsque je vins à votre cour, Sire, et que j'eus l'honneur d'être aimée de vous, je pensai bien que la seconde partie de la prédiction s'accomplissait, et que vous étiez ce roi valeureux, et courageux dont l'astrologue m'avait parlé.

Mais aujourd'hui je m'aperçois que j'étais dans l'erreur : ce n'est point vous, Sire, qu'on a pu désigner ainsi, vous qu'où dépouille de la couronne sans que vous preniez la peine de la défendre….

La prédiction n'a pu concerner que le roi d'Angleterre; permettez donc que j'obéisse aux ordres du ciel, que j'aille trouver le roi d'Angleterre, afin d'accomplir ma destinée (4). »

Agnès, à ces mots, se levait pour s'en aller, lorsque le roi la retenant :

« Mon Agnès bien-aimée, dit-il, ne t'en va pas. C'est bien de moi que l'astrologue a voulu parler : pour te le prouver, je jure par mon amour pour toi et par le souvenir de mon infortuné père, que je ne prendrai ni repos ni plaisir que je n'aie moi-même rencontré les Anglais et ne leur aie fait sentir la force de mon épée. »

Le roi, en prononçant ces paroles, était animé d'une ardeur belliqueuse qui se révélait sur sa figure et dans ses mouvements.

« C'est bien, dit Agnès remplie d'un noble enthousiasme, voilà comme je m'attendais à vous voir. Qu'on m'apporte votre épée, je veux moi-même vous la ceindre, et puisse-t-elle, à chaque coup que vous porterez, vous faire souvenir de moi ! »

Charles embrassa sa belle maîtresse avec transport et donna aussitôt des ordres pour son départ.

Le tournoi, comme on le pense bien, n'eut pas lieu, et quatre jours après cette scène, Charles VII se trouvait, à la grande satisfaction de tous les royalistes, à la tête de son armée.

Dès cette époque, les troupes du roi eurent presque toujours des avantages sur les Anglais, et ceux-ci n'eurent plus à déplorer que des défaites.

Charles VII se fit remarquer d'abord à l'attaque de Montereau-Faut-Yonne, ville alors importante et très-forte. Il montra à ce siège une intrépidité qu'on ne lui avait pas encore connue. Il marcha à l'assaut, à travers le fossé, dans l'eau jusqu'à la ceinture, monta des premiers sur la brèche, et, se voyant maître de la ville, il défendit, sous peine de la hart, que homme ne pillât l’église ni gens de la ville.

Ces deux actes, l'un de bravoure et l'autre de bonté, décidèrent de sa réputation auprès des Français.

Lors de la conquête de la Normandie, Charles VII fit en personne le siège d'Harfleur, dont la défense fut des plus vigoureuses. Le monarque parut dans la tranchée, dans les combats des mines, la salade en tête et son pavois à la main, et s'y exposa comme le moindre soldat.

La valeur que montra le roi en bien des occasions ne contribua pas peu à rallumer le courage de ses troupes et à leur inspirer la confiance qu'elles avaient perdue. Aussi parvint-il à reprendre les unes après les autres toutes les villes qui étaient occupées depuis longtemps par les Anglais, et à recouvrer ces belles provinces qui étaient en proie au pillage et à la dévastation de ces ennemis implacables.

Charles VII, il est vrai, fut parfaitement secondé par ses capitaines ; et même on peut dire que jamais monarque ne fut mieux servi que lui par des chefs habiles et dévoués.

 C'étaient les Dunois, les La Hire, les Xaintrailles, etc.

Ils n'avaient pas besoin d'ordres pour entreprendre!

L'indignation contre les usurpateurs de la monarchie les enflammait tous du même zèle. Dispersés dans toutes les provinces, sans s'être communiqué leurs projets, ils se rencontraient comme de concert sur le chemin des conquêtes.

Quoi qu'il en soit, Charles, qui était monté sur le trône après le règne désastreux de Charles VI, qui, à vingt ans, avait vu les trois quarts de la France envahis, eut la gloire heureuse non-seulement de recouvrer toutes les provinces de la monarchie, mais encore de chasser entièrement de la France les Anglais qui y avaient des possessions depuis environ quatre cents ans.

La conquête de l'intégrité du territoire, voilà le titre de Charles VII à la reconnaissance des Français, voilà aussi le titre qui lui mérita le surnom de Victorieux que l'histoire lui a conservé.

Charles n'oublia jamais que c'était à Agnès qu'il était redevable de sa gloire.

Aussi l'aima-t-il toujours de l'affection la plus tendre et saisit-il avec empressement toutes les occasions de lui prouver sa gratitude.

Le 10 juillet de l'année 1435, Agnès quitta Loches pour se retirer à Fromenteau, et deux mois après elle mettait au monde une fille que le roi reconnut et qu'il nomma Marguerite.

Charles donna à Agnès, pour constituer la dot de sa fille Marguerite, le château de Beauté-sur-Marne, le plus bel chastel et joli et le mieux assis qui fust en toute Fis le de France, d'où notre héroïne prit le nom de dame de Beauté ; ce qui, au dire de tous ceux qui l'ont connue, lui convenait à merveille.

Elle reçut en outre, en diverses circonstances, la seigneurie de Roche-Servière (5), le château de Bois-Trousseau, le château d'Issoudun, le château de Vernon et la jouissance du château de Loches. 

Charles VII, jugeant que le château de Loches, avec ses remparts élevés, ses tours épaisses et son énorme donjon, n'était pas assez gracieux, assez élégant pour celle que l'on appela la Belle des belles, fit bâtir expressément pour elle un palais magnifique dans l'intérieur du premier, de sorte que Loches put offrir à l'illustre châtelaine, derrière des fortifications formidables, tous les avantages et tous les plaisirs d'une maison d'agrément.

La tour que l'on voit encore aujourd'hui, et que l'on nomme la tour d'Agnès, était une dépendance de ce palais et dominait toute la campagne des environs.

Madame de Beauté habita tour à tour, suivant les circonstances, les diverses propriétés dont Charles l'avait gratifiée.

Un jour qu'elle se trouvait au château de Bois-Trousseau, il arriva que le théâtre de la guerre se porta dans les environs. Charles vint à plusieurs reprises visiter Agnès. Il était peut-être bien aise d'avoir rencontré un lieu où il pût satisfaire à la fois sa gloire et ses plaisirs, où il pût concilier ses devoirs de roi et son ardent amour.

Mais Agnès, toujours vigilante sur les intérêts du roi, crut s'apercevoir qu'il faisait à dessein traîner la guerre en longueur, afin de jouir plus longtemps de la société de sa belle maîtresse : aussi exigea-t-elle de son royal amant qu'il ne viendrait plus la visiter avant d'avoir battu et chassé entièrement les ennemis de la localité.

Il était plus facile à Agnès d'ordonner qu'à Charles d'exécuter. Un soir que celle-ci était occupée dans ses appartements à broder de la tapisserie (où était représenté, dit la chronique, le siège d'Orléans), on vint lui annoncer qu'un pauvre chevalier, parti le matin pour la chasse, s'était égaré, et qu'exténué de chaleur et de fatigue, il demandait à la dame du lieu un asile momentané, et quelques gouttes d'eau pour rafraîchir ses lèvres. Agnès, qui était bonne et affable envers tout le monde, ordonna qu'on introduisit le pauvre chevalier et qu'on lui donnât asile: Mais quelle ne fut pas sa surprise, en reconnaissant que le chasseur égaré n'était autre que le roi lui-même !

« Quoi ! Charles, c'est vous ! Quelle imprudence de vous exposer ainsi seul au milieu de la nuit!

— Ma bonne Agnès, dit le roi, veuillez n'accuser que mon amour, qui grandit à mesure que je vous connais davantage.

— Si vous m'aimez véritablement, Charles, vous devez songer un peu plus à votre sûreté personnelle. Quelle témérité! vous exposer ainsi seul dans les ténèbres, aux coups de vos ennemis. quelle témérité! répéta Agnès.

— J'aime mieux, Agnès, que vous m'accusiez de témérité que d'indolence ; d'ailleurs suis-je bien coupable de me laisser aller au penchant de mon cœur et de venir goûter un instant de félicité auprès de celle que j'adore ?

— Je veux bien oublier votre imprudence, dit Agnès en s'apaisant, pourvu, cependant, que désormais vous vous rappeliez la promesse que vous m'avez faite.

— Je n'ai point cessé de me la rappeler, dit le roi ; j'ai seulement voulu venir vous annoncer que dès demain mon exil va cesser, attendu que j'ai tout disposé pour engager le combat et battre mes ennemis. J'ai cru que cette annonce vous ferait plaisir, et qu'en faveur de ma bonne volonté, vous voudriez bien m'accorder un léger à-compte sur les visites que je me propose de vous faire plus tard. »

 

Charles alors, s'approchant davantage de sa bien-aimée, la serra dans ses bras avec tendresse, et la réconciliation fut marquée du sceau de nombreux baisers.

Le lendemain, Charles VII battait effectivement les Anglais et s'ouvrait ainsi le chemin de la capitale.

La prise de Paris coûta moins que celle d'un village. Les habitants étaient fatigués des factions, et se trouvaient alors courbés sous le joug de l'inquisition la plus soupçonneuse et la plus cruelle.

Quelques bourgeois courageux, à la tête desquels était Michel Loillier, qui vingt ans auparavant avait sauvé Paris d'un massacre, prirent le temps où le connétable de Richemond venait de battre les Anglais à Saint-Denis pour traiter avec lui. Ils n'eurent besoin pour s'accommoder que de quelques pourparlers. Ils demandèrent une amnistie générale pour leurs concitoyens, et la confirmation de leurs privilèges.

Tout ayant été accordé par le roi, à jour convenu ils favorisent l'escalade du rempart et la rupture des chaînes du pont-levis, et introduisent ainsi le connétable par la porte Saint-Jacques ; ils haranguent le peuple, en même temps que les troupes royales défilent dans la ville, et repoussent la faible garnison anglaise qui y avait été laissée et qui ne pouvait se battre autrement qu'en faisant retraite.

Le lendemain, aux premiers rayons de l'aurore, tout était tranquille, et les vivres, qui avaient été arrêtés jusqu'alors par les partis environnants, entrèrent en abondance.

La garnison que les Anglais tenaient à Paris se renferma dans la Bastille, et fit mine de vouloir s'y défendre.

Quelques généraux opinèrent à les attaquer, et il aurait été facile de les exterminer ; le connétable ne voulut pas ensanglanter son triomphe : il leur offrit une capitulation. Ils l'acceptèrent, et sortirent avec armes et bagages, mais non sans être accablés d'injures par la populace qui les bénissait auparavant comme ses sauveurs.

Bientôt le roi fit son entrée solennelle à Paris. Les habitants étalèrent toute la magnificence que l'industrie du siècle pouvait fournir. On y vit les mystères représentés par des personnages muets, sur des échafauds dressés de distance en distance. Les sept péchés mortels, à cheval, et les sept vertus précédaient le parlement. Moins touché de ces belles inventions que des acclamations et des larmes de joie d'un peuple nombreux, Charles ne put maîtriser son émotion.

Les Parisiens étaient enchantés de revoir leur souverain légitime, après vingt ans d'absence : leurs transports allaient jusqu'à l'ivresse. L'évêque de Paris, en recevant le monarque dans la cathédrale, lui fit jurer qu'il tiendrait loyalement et bonnement tout ce qu'un bon roi raire devoit.

Les Parisiens, qui avaient montré au roi tant d'amour et d'estime, ne manifestèrent pas à Agnès les mêmes sentiments lorsque celle-ci vint, l'année suivante, avec Marie d'Anjou, visiter la capitale.

L'entrée de la reine fut plus solennelle encore que celle du roi. Elle avait, à sa droite, sa fille madame Charlotte de France, et était suivie du roi, auprès duquel se trouvait Agnès. La favorite était fière intérieurement d'avoir contribué, par son influence, à l'état prospère dont jouissait la France, et au bonheur dont était enivrée la famille royale. Elle se trouvait, comme toutes les dames d'honneur, magnifiquement vêtue et portait en outre une parure de diamants.

La place qu'occupait Agnès dans le cortège, l'éclat dont elle resplandissait déplurent aux bourgeois : ils proférèrent des murmures, assez haut pour être entendus par celle qui en était l'objet. Agnès en fut vivement offensée. Dans un accès de dépit, se tournant vers le roi : « Tous ces Parisiens, dit-elle, ne sont que des vilains, et si j'avais su qu'ils me dussent faire une telle réception, je n'eusse jamais mis le pied dans leur ville. »

Telle fut la récompense que reçut Agnès Sorel des Français, pour le service signalé qu'elle avait rendu au roi et à son pays.

Le roi, qui connaissait mieux que tout autre les nobles qualités de sa maîtresse, fit tous ses efforts pour la consoler de l'humiliation qu'elle avait subie. La reine, de son côté, manifesta en cette occasion, à sa dame d'honneur, les marques les plus sincères de sympathie, et ne cessa d'avoir pour elle l'attachement le plus vif, les égards les plus affectueux.

Malheureusement, il n'en fut pas de même du Dauphin. Plusieurs fois le prince avait tenté de lever l'étendard de la révolte, d'entraîner dans son parti les officiers fidèles du roi, et de s'emparer violemment de la couronne, qu'il désirait avec ardeur et qui se faisait si longtemps attendre.

Mais Agnès, qui veillait sur le roi comme veille une mère sur son enfant, qui prenait soin de ses intérêts comme si elle avait été l'ange protecteur destiné à sa garde, était parvenue à pénétrer les desseins coupables du fils et s'était empressée d'en avertir le père. Elle venait tout récemment de déjouer une trame perfide que Louis avait ourdie contre Charles VII, lorsque le Dauphin, furieux, résolut de se venger.

Un jour qu'Agnès se trouvait au château de Chinon, le prince royal entra dans son appartement, en habit de chasse, le fouet à la main, botté et éperonné ; il s'avança vers elle avec colère, lui adressa les plus grossières injures, puis appliqua sur sa belle joue un vigoureux soufflet.

Aux cris d'Agnès, le roi, qui se trouvait dans une salle voisine, accourut. Comprenant, par les cris qui avaient été poussés, que le Dauphin venait de se livrer envers celle qu'il aimait à un outrage violent, il s'élança sur le prince, le saisit avec force par les épaules et le fit tomber sur les genoux. Agnès se précipita aussitôt aux pieds du roi : « Grâce! dit-elle, grâce pour votre fils!

- Il n'aura la grâce de la vie, dit le roi, que lorsqu'il vous aura demandé pardon. »

Et en même temps le roi mettait la main sur la garde de son épée.

Le Dauphin, terrifié par le regard de son père et le mouvement que celui-ci venait de faire, murmura entre ses dents le mot : « Pardon ! »

« Maintenant, reprit le roi, retirez-vous de ma présence et ne reparaissez jamais à ma cour. »

Louis sortit en rongeant son frein et en concentrant avec effort la colère qui l'étouffait. Il se retira auprès du duc de Bourgogne, où il resta douze ans.

Agnès, profondément affligée de l'affront qu'elle venait de recevoir, et croyant être la cause de la mésintelligence qui existait entre le roi et son fils, forma la résolution de se retirera Loches, lieu charmant qui lui rappelait de si gracieux souvenirs. Dès qu'elle eut pris cette détermination, rien ne fut capable de l'arrêter. Ce fut en vain que le roi employa auprès d'elle toutes les instances possibles, que Marie d'Anjou joignit ses prières et ses larmes aux vives sollicitations de Charles, elle partit pour Loches, et, au milieu de ses regrets, elle fut bien aise de revoir cet antique castel, premier témoin de ses amours.

Dans sa retraite, Agnès, encore jeune et dans tout l'éclat de sa beauté, voulut oublier le monde et les grandeurs, et n'avoir plus d'autres missions ici-bas que de soulager l'infortune, que de s'occuper à des exercices de piété et d'expiation.

La ville de Loches conserva longtemps le souvenir de ses bienfaits, et l'église collégiale en particulier reçut d'elle des gages précieux de sa munificence.

Charles VII cependant ne pouvait oublier son Agnès bien-aimée; son amour pour elle ne se démentit jamais un seul instant; aussi s'empressait-il de venir la visiter dans les intervalles que lui laissaient les embarras du gouvernement et les inquiétudes que lui suscitait le Dauphin.

Il y avait déjà cinq années qu'Agnès Sorel vivait dans sa retraite, lorsqu'un jour, elle partit de son château de Loches, et se rendit en toute hâte à Paris.

Le roi était alors à l'abbaye de Jumiéges, où il venait de se rendre pour s'y reposer quelques moments, après la pacification et la réunion de la Normandie. Elle y courut, et y arriva le 9 février 1450. Elle eut un entretien assez long avec le roi, et dit tout haut à quelques-uns de ses amis de cour : qu'elle était venue pour le sauver d’un grand danger.

Deux heures après, elle fut saisie de violentes douleurs d'entrailles qui l'emportèrent en six heures de temps.

Rien n'est sombre et mystérieux comme cette mort si hâtée, dont pourtant quelques historiens, qui ont écrit sous Louis XI, parlent comme d'un événement tout simple et naturel ; mentant ainsi au retentissement qu'eut cette fin extraordinaire, et à cette solennelle accusation qui pesa sur le Dauphin ; mentant à la tradition qui, longtemps après, dictait ces vers au poète Baïf :

….La belle Agnès, comme lors on disoit,

Vint pour lui découvrir l'enprise qu'on fesoit

Contre Sa Majesté. La trahison fut telle,

Et tels les conjurés, qu’encores on les cèle.

Tant y a que l'advis qu'a donc elle en donna

Fit tant que leur dessein rompu s'abandonna.

Mais, las ! elle ne put rompre sa destinée,

Qui, pour trancher ses jours, l'avait ici menée.

« Elle eut, dit la chronique, moult belle contrition et repentance de ses péchés, et lui souvenoit souvent de Marie-Madeleine, qui fut grande pecheresse, et invoquoit Dieu dévotement et la vierge Marie à son ayde ; et cumme vraye catholique, après la reception de ses sacrements, demanda ses heures pour dire les vers de saint Bernard, qu'elle avoit escripts de sa propre main ; puis trépassa. »

C'est ainsi que mourut, à son château de Ménil, près de l'abbaye de Jumiéges, celle qui avait fait constamment le charme de Charles VII, qui s'était dévouée à lui corps et âme, jusqu'à ses derniers jours, et qui, en réveillant chez son amant l'amour de la gloire et des combats, avait autant servi la cause de la France que celle de son souverain.

Charles assista au moment suprême d'Agnès. Il lui prodigua dans sa maladie ses soins et ses consolations ; il ne voulut point la quitter au milieu de son agonie ; ce fut lui qui reçut ses dernières paroles, qui recueillit son dernier soupir.

Après avoir fait déposer le cœur et les entrailles de son amante dans la chapelle de l'abbaye, le roi, le cœur navré de douleur, quitta Jumiéges et retourna à Paris.

 

Le corps d'Agnès fut transporté à Loches, et inhumé dans le chœur de la collégiale, comme elle l'avait ordonné par son testament.

Le mausolée d'Agnès Sorel, placé dans le milieu du chœur de l'église, était de marbre noir ; dessus se trouvait sa figure en marbre blanc, deux anges tenaient le coussin sur lequel reposait sa tête, et deux agneaux, symbole de la douceur de son caractère, étaient à ses pieds.

On lisait autour de son tombeau l'épitaphe suivante, gravée en lettres gothiques :

« Cy git noble damoiselle Agnès Seurelle, en son vivant dame de Beauté, de Roquecisière, d'Issouldun et de Vernon-sur-Seine, piteuse envers toutes les gens, et qui largement donnoit de ses biens aux églises et aux pauvres ; laquelle trespassa le neuvième jour de février l'an mil quatre cent quarante-neuf. Priez Dieu pour l'âme d'elle. Amen. »

Cette inscription se voit encore aujourd'hui sur les marbres de la tombe.

A diverses époques, les chanoines de la collégiale de Loches sollicitèrent la permission de faire transférer du chœur dans une autre partie de l'église le tombeau d'Agnès, qui, à cause de sa masse, gênait les cérémonies du culte ; enfin Louis XVI accorda cette autorisation, et la translation eut lieu. Le mausolée réside actuellement dans la tour qui porte le nom d'Agnès (6).

A la mort de Charles VII, le château de Loches continua d'être une résidence royale.

 

 

 

Mystères des vieux châteaux de France, ou Amours secrètes des rois et des reines, des princes et des princesses, ainsi que des grands personnages du temps : aventures mystérieuses, scènes dramatiques, faits merveilleux.... Tome 1 / par une société d'archivistes, sous la direction de A.-B. Le François

 

 

 

 11 septembre 1356 Le Prince Noir passe la nuit au château de Montbazon – le roi Jean arrive à Tours <==

==> campagne de fouilles à la cité Royale de Loches (Jeanne d'Arc rencontre le dauphin Charles )

==> Loches, 20 septembre 1801 EXHUMATION D’AGNES SOREL

==> L’Anthropologie ce que peuvent dire nos os et reliques, la science sur la vérité de l’histoire

 

 

 

 


 

(1) De Caumont, architecture militaire et civile.

(2) Histoire des anciens châteaux, par de Thibiage,

(3) Médecins.

(4) Brantôme.

(5) Départ, de l'Aveyron, arrondiss. de Saint-Affrique, canton de Saint-Sernin, commune ou hameau de Laval-la-Roquecezière. Ce nom de lieu, peu connu dans le nord de la France, se trouve, par cette raison, écrit de beaucoup de manières plus ou moins fautives, telles que Roquecerière, Roche-Cervière, Roqueferrlère, Roqueserie ou Rochesserie, Rocheterrée, etc.

(6) Nous pensons que le lecteur ne lira pas sans intérêt les détails ci-après, qui sont relatifs à l'exhumation du corps d'Agnès Sorel. Il nous semble que lorsqu'il s'agit d'une femme aussi célèbre, les moindres particularités acquièrent un grand prix.

« Sous plusieurs règnes, les chanoines renouvelèrent leur demande; enfin Louis XVI, à qui l'on fit observer que ce monument gênait absolument le service du chœur, accorda, le 21 février 1777, l'autorisation nécessaire pour en opérer la translation dans une autre partie de l'église.

En vertu de cette permission, le chapitre procéda à l'exhumation le 5 mars de la même année.

« Lorsqu'on eut enlevé les marbres du sarcophage et la masse de maçonnerie qu'ils couvraient, on trouva une pierre dure de la longueur et de la largeur du monument, sous laquelle régnait un caveau voûté de pierres tendres. Sous cette voûte était un cercueil de bois de chêne, d'un mètre quatre-vingt-trois centimètres de long, sur quarante-deux centimètres carrés, ferré sur tous les angles, avec des équerres dont chaque côté portait vingt-cinq centimètres de longueur sur trois centimètres de largeur. Une poignée était attachée à chaque extrémité de ce cercueil, qui en renfermait un autre de plomb, détruit en partie ; celui-ci servait lui-même de botte à une troisième bière faite de bois de cèdre, dans laquelle gisait Agnès.

Le médecin chargé de constater les parties du corps qui pouvaient encore être reconnues, examina avec attention ce qui était contenu dans ce dernier cercueil ; il y trouva une terre légère, un peu grasse, mêlée de quelques plantes aromatiques.

La tête parut d'abord conservée dans son entier, mais sans autre chose que les os ; lorsqu'on voulut l'enlever, la chevelure resta dans la main avec le coronal, les deux temporaux, la sphénoïde, partie de l'ethmoïde; les deux os maxillaires supérieurs, les deux os de la pommette et ceux du nez; l'occiput et les deux pariétaux tombèrent en poussière ; les deux os maxillaires étaient garnis de toutes leurs dents, ainsi que la mâchoire inférieure qui était parfaitement conservée; la clavicule gauche était saine, et tous les autres os n'existaient plus.

« Un crêpe de douze à quatorze centimètres de hauteur de devant en arrière, sur vingt-six a vingt-huit centimètres d'un côté a l'autre, formait la partie supérieure de la coiffure d'Agnès; de chaque côté étaient deux boucles flottantes; les cheveux de derrière, nattés en trois et formant une tresse de cinquante et quelques centimètres de long, étaient relevés et attachés sous le crêpe.

Ces cheveux étaient brun-clair ou cendrés, les boucles en partie rousses et cassantes.

« Tous ces restes furent déposés dans une urne de grès, et placés dans le mausolée que l'on rétablit dans un des côtés de la nef de l'église.

« Tous ces détails de l'exhumation du corps d'Agnès Sorel nous ont été communiqués par M. Henry, docteur en médecine, chargé de cette opération.

Bien que suivant la cédule royale, la translation dût être opérée sans destruction d'aucune partie du corps, cependant on coupa une tresse de la chevelure. L'homme estimable qui se rendit coupable de ce larcin a bien voulu nous en donner une petite mèche, que nous conservons précieusement; tout ce qui a appartenu à un personnage célèbre porte en soi un grand degré d'intérêt !

« En 1794, la tombe fut enlevée de la nef, et l'urne fut déposée dans le cimetière du chapitre.

Peu de temps après cette dernière époque, le conventionnel Pochal fit exhumer l'urne, s'empara d'une partie des cheveux, et rompit les mâchoires pour en extirper les dents, que plusieurs personnes se partagèrent; le reste des ossements fut replacé dans le même endroit d'où on les avait exhumés.

« Le conseiller d'État de Pommereul, préfet d'Indre-et-Loire, fit exhumer de nouveau le vase cinéraire, le 16 décembre 1801, et il fut déposé à la sous-préfecture, où il resta jusqu'en 1807. Sous la préfecture de M. de Lambert, le mausolée fut restauré et placé où il est aujourd'hui, dans la tour du château de Loches qui porte le nom d'Agnès.

« A l'époque de la première exhumation d'Agnès, en 1777, lorsqu’on leva la plaque de cuivre encadrée dans un des piliers du chœur, et dont nous avons parlé plus haut, on trouva dans l'excavation du oilier une petite clef, et un parchemin tellement endommagé, qu'il fut impossible de lire son contenu.

« DUFOUR. »

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