Bertrand Du Guesclin et son époque - Le service à la nation d'Édouard III : de la défaite de Crécy au désastre de Poitiers
Du Guesclin est, avec Jeanne d'Arc et après les rois fondateurs de l'unité nationale, le nom le plus populaire de l'ancienne France ; et comme notre pays partage avec la Grèce antique le privilège de faire adopter ses grands hommes par l'humanité tout entière, la popularité du héros breton est presque aussi grande à l'étranger que chez nous.
La vie de Bertrand, si bien remplie qu'elle puisse être, ne suffirait pas pour expliquer une telle gloire; en réalité, il est arrivé que la reconnaissance pour les incomparables services rendus par l'illustre capitaine a redoublé l'admiration qu'inspiraient ses belles actions; et le sentiment, l'imagination, se mettant de la partie, ont entouré le vainqueur des Anglais, le libérateur du territoire, d'une auréole légendaire.
Il en est des peuples, à ce point de vue, comme des individus : ce n'est pas seulement le mérite des actes, pris en soi, qui les touche ; ils sont d'autant plus reconnaissants que leur détresse était plus grande lorsqu'on est venu à leur secours.
Un guerrier qui accroît encore par ses victoires la puissance et le prestige de sa nation, c'est un héros ; mais un capitaine dont le bras parvient à retirer son pays du fond de l'abîme où il était tombé, c'est plus qu'un héros, c'est un sauveur.
Or, tout le monde en conviendra, le rôle historique de du Guesclin au quatorzième siècle, comme celui de Jeanne d'Arc au siècle suivant, a ce dernier caractère.
L'exposé que nous allons faire de la décadence militaire de la France et des progrès de l'Angleterre sa rivale, à l'époque où parut notre héros, ne saurait donc être considéré comme une digression déplacée, puisque sans cet exposé on ne comprendrait pas ce que le rôle du bon connétable eut d'exceptionnellement glorieux, et qu'on y trouve en partie le secret de sa popularité vraiment merveilleuse.
Par la même raison, quoiqu'il ne semble pas que Bertrand ait figuré à la défaite de Poitiers, la recherche des causes de cette défaite, où la supériorité de nos ennemis et notre propre faiblesse, amassées depuis longtemps pour ainsi dire, éclatèrent comme en un coup de foudre, doit trouver place dans le récit de la vie d'un capitaine dont la prudente bravoure, secondée par la sagesse d'un grand roi, sut prévenir le retour de ces effroyables catastrophes.
La journée de Poitiers marque la fin de la suprématie, du prestige militaire dont la France avait joui presque sans interruption pendant les trois siècles précédents.
Crécy n'avait été qu'une défaite ; Poitiers fut un désastre.
Dans la première de ces deux affaires1 , l'action s'était engagée pour ainsi dire par surprise, assez tard dans l'après-midi, entre les gens d'armes de Philippe de Valois harassés par une marche forcée qui durait depuis le matin, et les troupes fraîches d'Édouard campées dans la position la plus avantageuse ; une partie seulement de l'armée française avait donné; le combat ne faisait que commencer sur toute la ligne lorsque la tombée de la nuit était venue l'interrompre : la défaite avait donc une explication et une excuse.
Dans la seconde bataille 2, au contraire, les Français avaient eu le temps de se reposer pendant un jour des fatigues d'une chevauchée fort belle d'ailleurs ; ils étaient en outre cinq ou six fois plus nombreux que leurs adversaires ; enfin, ils prononcèrent leur attaque dans les conditions les plus favorables, puisque l'ennemi, d'après le témoignage d'un témoin oculaire 3, eut à soutenir le premier choc au moment où il était occupé à traverser une petite rivière 4.
Et pourtant l'immense armée du roi Jean fut mise en pleine déroute par une poignée d'Anglais.
En réalité, dans cette journée néfaste, sur ce plateau désormais historique de Maupertuis (5), non loin des champs de bataille qui avaient vu les victoires de Clovis et de Charles Martel, ce ne fut pas seulement une armée française qui fut vaincue, ce fut la France de Philippe Auguste, de saint Louis, de Philippe le Bel qui s'écroula comme par enchantement.
Un coup de foudre abattit l'arbre dont Dante avait dit, moins d'un demi-siècle auparavant, qu'il a couvrait la chrétienté de son ombre ».
A la nouvelle de la défaite de Poitiers, il y eut en Europe une impression générale de profond étonnement, presque de stupeur.
Dans une lettre écrite au retour d'un voyage qu'il fit à Paris au mois de décembre 1360 Pétrarque a exprimé avec force l'effet que produisit partout le désastre dont la France avait été frappée environ quatre ans plus tôt.
« Dans ma jeunesse, dit Pétrarque, les Bretons que l'on appelle Angles ou Anglais, passaient pour les plus timides des barbares; maintenant, c'est une nation très-belliqueuse. Elle a renversé l'antique gloire militaire des Français par des victoires, si nombreuses et si inespérées, que ceux qui naguère étaient inférieurs aux misérables Écossais, outre la catastrophe lamentable et imméritée d'un grand roi que je ne puis me rappeler sans soupirs, ont tellement écrasé par le fer et par le feu le royaume tout entier, que moi qui le traversais dernièrement pour affaires, j'avais peine à me persuader que c'était là le pays que j'avais vu autrefois (6). »
Quelle fut la cause d'un si soudain et si prodigieux écroulement?
A notre avis, ni l'ordre imprudent donné par le roi Jean dès le début de l'action à ses hommes d'armes, excepté à trois cents chevaliers réservés pour l'attaque d'avant-garde, de descendre de leurs chevaux; ni l'injonction faite au dauphin Charles ainsi qu'à ses deux frères, après une première et malheureuse escarmouche, de se retirer avec leurs gens loin du champ de bataille; ni même la conduite vraiment honteuse et pusillanime de Philippe, duc d'Orléans, qui alla de bonne heure se replier avec sa division derrière le corps d'armée de son frère, ne suffisent pour expliquer la défaite de Poitiers.
Malgré ces défections, les Français qui tinrent bon restaient encore supérieurs en nombre à leurs adversaires dont ils égalèrent au moins le courage.
Non seulement le roi Jean, de sa personne, une hache de guerre à la main, se battit comme un lion, mais encore la division qu'il commandait, animée par son exemple, fit des prodiges de valeur; et cette division, nous le répétons, était à elle seule plus nombreuse que l'armée anglaise tout entière.
Et pourtant le résultat définitif n'en fut pas changé, et l'on peut ajouter hardiment qu'il ne pouvait l'être.
C'est que la défaite des Français avait une cause profonde, inéluctable, indépendante de la bravoure personnelle des soldats, de l'héroïsme et même jusqu'à un certain point de l'habileté de leur chef.
Cette cause était la révolution radicale accomplie sans bruit, depuis vingt ans, par Édouard III, dans la manière de faire la guerre usitée jusqu'alors.
Le vainqueur de Crécy, et c'est par ce côté que son règne marque une époque décisive dans l'histoire du moyen âge aussi bien que dans celle de l'Angleterre, est le véritable créateur de l'infanterie moderne.
Qu'on se garde bien, du reste, de faire honneur de cette création uniquement au génie militaire du roi anglais ; Édouard y fut amené par la nécessité, qui a été si souvent la cheville ouvrière du progrès.
Le levier qu'il employa est le même, à le bien prendre, auquel ont eu recours dans tous les temps, pour s'assurer la suprématie à la guerre, les pays de peu d'étendue territoriale et par conséquent de population restreinte ; ce levier, c'est le service militaire obligatoire.
Si le nom est, comme on le voit, très moderne, actuel même, la chose est ancienne précisément chez le peuple qui y est le plus étranger aujourd'hui, et l'on peut établir par des preuves certaines qu'Edouard la pratiqua sur une large échelle.
Les textes qui démontrent ce fait sont tellement nombreux, qu'on ne pourrait les énumérer sans écrire un chapitre, non le moins intéressant, il est vrai, ni le moins neuf de l'histoire d'Édouard III, et cela n'entre point dans le plan de ce livre.
Qu'il nous suffise de citer, entre mille autres, une ordonnance par laquelle Édouard enjoint à tout Anglais, jouissant depuis trois ans de quarante livres de terre ou de rente, qui n'est pas encore homme d'armes, d'embrasser l'état militaire.
« Que ceux qui ont quarante livres de terre ou de rente annuelle dont ils ont joui pendant trois ans entiers, et qui ne sont pas encore hommes d'armes, aient à embrasser la profession militaire (7). »
Une ordonnance complémentaire oblige, sous les peines les plus sévères, ceux qui ont vingt livres de terre ou de rente, à se pourvoir de chevaux, de harnais et des armures, tant défensives qu'offensives, propres aux hommes d'armes montés ; ceux qui possèdent quinze livres, à se munir d'un haubergeon, d'un chapeau de fer, d'une épée, d'un couteau et d'un cheval.
Tout rentier de dix livres doit avoir un haubergeon, une épée, un chapeau et un couteau ; tout rentier de cent sous, un pourpoint, un chapeau de fer, une épée et un couteau; tout rentier de quarante à cent sous, une épée, un arc, des flèches et un couteau ; tout rentier de moins de quarante sous, de fausses guisarmes, des couteaux et autres menues armes ; tout propriétaire de moins de vingt marcs de capital, une épée, un couteau et autres menues armes.
Enfin, tout Anglais qui ne se trouve pas compris dans les catégories précédentes, doit se procurer au moins des arcs, des flèches et des pieux (8).
Six mois plus tard, Édouard III ordonne que tous ses sujets prennent les armes, de seize ans à soixante (9): On voit par ces exemples, pris, pour ainsi dire, au hasard dans l'immense collection des actes d'Edouard III, combien fut profond l'abîme creusé par les institutions de ce roi novateur entre les mœurs, les habitudes des pays situés des deux côtés de la Manche.
En France, la profession d'homme d'armes constitue un privilège exclusif que la noblesse revendique pour elle seule et qu'elle dispute au reste de la nation avec une sorte d'égoïsme jaloux, tandis qu'en Angleterre, du moins sous le règne d'Édouard III, c'est une obligation inhérente au chiffre du revenu, à la position de fortune, obligation que le roi impose au besoin par force aux récalcitrants; à vrai dire, c'est déjà l'application du principe de la nation armée.
Édouard III avait compris, d'un autre côté, que rien n'était plus opposé au véritable esprit militaire que les exercices de parade chevaleresque si fort en honneur chez nous sous les deux premiers Valois et d'où devait sortir la malheureuse création de l'ordre de l'Étoile : de là l'interdiction, qu'il renouvela souvent pendant le cours de son règne, des joutes, des passes d'armes et des tournois (10).
Ces mesures, si sages qu'elles fussent, ne pouvaient suffire à un prince aussi belliqueux qu'Édouard, qui, plus d'une fois, eut à tenir tête en même temps aux Écossais et au roi de France.
Aussi, le voyons-nous invariablement, au début de ses grandes expéditions (11), sans préjudice de l'appel adressé aux hommes d'armes proprement dits, mander aux comtes et vicomtes de son royaume, de choisir, de trier avec soin entre tous les hommes de leur ressort les individus les plus valides, les plus courageux, les plus adroits, les plus exercés soit au tir de l'arc, soit au maniement de la lance, les plus endurcis à la fatigue, et de les envoyer à l'endroit qu'il a fixé pour le rendez-vous général.
Les comtes et vicomtes étaient ainsi chargés d'un travail de révision et de triage; mais comme cette révision et ce triage s'exerçaient sur tous les sujets de leur ressort indistinctement (l2), de telles opérations supposent, loin de l'exclure, le service militaire obligatoire.
Les individus une fois recrutés dans ces conditions, on en faisait deux parts à peu près égales : les plus adroits étaient enrôlés comme archers, les plus forts comme coutilliers ou lanciers à pied.
Les premiers étaient munis d'un arc en bois d'if, quelquefois peint (13), si commode, si maniable, si portatif qu'on tirait avec cet arc trois « saiettes » ou flèches barbelées (14) en moins de temps qu'on n'en mettait avec une arbalète génoise ou française à lancer un carreau ou vireton (15).
Cet arc anglais du quatorzième siècle, long de plus de cinq pieds (16), mais très-léger, était véritablement par le progrès qu'il réalisait et par son action irrésistible contre toute espèce d'hommes d'armes à cheval, le pendant de la mousqueterie perfectionnée des temps modernes.
Quant aux coutilliers ou lanciers à pied, qu'on prenait de préférence parmi les montagnards de la Cornouaille et du pays de Galles parce qu'ils étaient plus endurcis à la fatigue et meilleurs marcheurs, après qu'on avait remplacé leurs guenilles par un uniforme de gros drap (17), l'arme qu'on leur mettait en main ne ressemblait en rien à ces lances chevaleresques dont les proportions étaient si démesurées que le roi Jean, le matin de Poitiers, les fit retailler à la longueur de cinq pieds (18).
Non, c'était un grand coutelas, une espèce de dague à la pointe acérée, pour trouver le défaut de la cuirasse des hommes d'armes et achever les chevaliers ou écuyers que le tir des archers avait désarçonnés, en un mot, quelque chose de tout à fait analogue par sa forme et surtout par sa destination et ses effets à notre baïonnette (19). --
Si le vainqueur de Crécy innova par les éléments dont il composa son armée, il fit une révolution non moins profonde et non moins heureuse par la proportion dans laquelle il employa ces éléments divers.
L'infanterie avait été jusqu'alors l'accessoire des armées féodales, il en fit le principal.
En parcourant les montres et revues passées à l'occasion de ses expéditions militaires, on constate que les fantassins, archers ou coutilliers, formaient généralement les quatre cinquièmes de l'effectif total (20)
Du moment que tous les sujets d'un royaume peuvent être appelés à servir, il devient nécessaire de les préparer de longue main à cette éventualité en les astreignant tous sans distinction, les petits comme les grands, les riches comme les pauvres, à une sorte d'éducation guerrière.
Il n'est pas moins utile de les pourvoir d'un certain degré d'instruction générale qui permette de tirer dans le cours d'une campagne le meilleur parti possible de la valeur intellectuelle de chacun aussi bien que de ses forces physiques.
A ce point de vue, l'organisation régulière, sur tous les points du territoire, d'exercices fréquents en rapport avec les institutions militaires de chaque pays, la diffusion systématique de certaines connaissances appropriées au but que l'on se propose, sont le complément à peu près indispensable du service obligatoire.
C'est ce qu'Édouard III comprit avec un admirable bon sens lorsqu'il édicta, en 1337, une ordonnance dont Froissart a résumé la teneur et dont les deux dispositions suivantes méritent d'être rapportées textuellement :
« 1° Il est défendu, sous peine de mort, par tout le royaume d'Angleterre, de se divertir à un autre jeu que celui de l'arc à main et des flèches, et il est fait remise de leurs dettes à tous les ouvriers qui fabriquent des arcs et des flèches.
2° Il est enjoint à tous seigneurs, barons, chevaliers et honnêtes gens des bonnes villes, de faire apprendre la langue française à leurs enfants, afin que ceux-ci soient plus en état de se renseigner et moins dépaysés à la guerre (21). »
A cette école, à la faveur d'un ensemble d'institutions aussi complet, se formèrent ces incomparables archers dont le tir décida la plupart des victoires remportées par les Anglais au quatorzième siècle.
Les contemporains ne s'y trompèrent pas, et Édouard lui-même, renouvelant le 1er juin 1363 (22) l'ordonnance dont nous venons d'emprunter le texte à Froissart, en proclame hautement les heureux effets et reconnaît la part qui revient aux sagittaires dans ses triomphes.
Le vainqueur de Crécy savait si bien où résidait la principale force de son armée que beaucoup de sauf-conduits, délivrés à des Français prisonniers en Angleterre, portent interdiction expresse d'emporter sur le continent des arcs et des flèches.
Tandis que le roi d'Angleterre étendait l'obligation du service à la nation tout entière, son rival le roi de France, après avoir paru d'abord entrer dans la même voie, s'en écarta vers la fin de son règne d'une manière complète.
Grâce au principe posé par Philippe le Bel qu'en cas de danger suprême tout Français devait porter les armes, mais que ceux qui ne pouvaient ou ne voulaient servir avaient la faculté de se faire exempter moyennant une contribution pécuniaire, toutes les fois que les rois de France eurent pendant la première moitié du quatorzième siècle un pressant besoin d'argent, ils ordonnèrent une levée en masse avec faculté de rachat, en d'autres termes ils établirent un impôt de guerre.
C'est ainsi qu'en 1337 et 1338 et aussi en 1347 et 1348 Philippe de Valois proclama le ban et fit un appel général pour la défense du royaume (24); mais ces ordonnances, il ne faut pas s'y méprendre, avaient surtout pour but et n'eurent guère d'autre résultat que de remplir les coffres des agents du fisc.
Dans tous les octrois de deniers faits sous ce règne par des villes, il est stipulé que leurs habitants seront dispensés du service Militaire (25), sauf le cas d'arrière-ban.
La noblesse française, du reste, était très-hostile (26) à l'emploi à la guerre des milices bourgeoises.
Elle exploita contre celles-ci plusieurs incidents malheureux de la campagne de 1346, comme la prise de Caen et le passage de Blanquetaque. Elle exploita surtout la défaite de Crécy, quoiqu'il n'y eût pas de raison de faire retomber la responsabilité de ces échecs sur les gens des communes plutôt que sur la chevalerie proprement dite.
Soumis à l'influence des grands seigneurs qui l'avaient porté sur le trône, imbu d'ailleurs par son éducation des préjugés les plus étroits de l'école féodale, Philippe de Valois se fit un principe, surtout à partir de 1347, d'exclure plus encore qu'on ne l'avait fait avant lui les gens des communes de son armée.
« Il advint, dit Froissart racontant la malheureuse expédition entreprise par Philippe en juin et juillet 1347 pour débloquer Calais investi par Édouard III, il advint que, dans l'espérance de réconforter les habitants de Calais et de faire lever le siège, le roi de France rassembla un très-grand nombre d'hommes d'armes venus de toutes les parties de son royaume. Il dit qu'il ne voulait désormais guerroyer qu'avec des gentilshommes et que, d'amener en bataille les gens des communautés, ce n'est que toute perte et encombrement, car ces gens-là fondent dans une mêlée comme la neige au soleil.
Bien y avait paru à la bataille de Crécy, à Blanquetaque, à Caen et en tous les lieux ou on les avait menés. Aussi, il n'en voulait plus avoir, excepté les arbalétriers des cités et des bonnes villes.
Quant à leur or et à leur argent, il en voulait bien pour payer les frais et la solde des gentilshommes, mais voilà tout. Les non nobles n'avaient qu'à rester chez eux pour garder leurs femmes et leurs enfants, faire leurs affaires et leur commerce, cela leur devait suffire.
C'était aux nobles seuls à user du métier des armes qu'ils ont appris et où ils ont été dressés dès l'enfance (27). »
Si nous avons rapporté textuellement ce curieux passage, c'est qu'il ne nous fournit pas seulement un renseignement précieux, il a de plus la couleur du temps, l'accent du personnage, et l'on dirait que l'on entend parler Philippe de Valois.
Le chroniqueur de Valenciennes tenait probablement ces détails du très-féodal Jean de Hainaut, l'un de ses protecteurs, qui avait accompagné le roi de France dans l'expédition de 1347.
Ce qui nous porte à le croire, c'est qu'on y trouve reproduite une erreur grossière que Froissart, dans son récit de l'invasion d'Edouard III en France en 1346, avait déjà empruntée (28) à Jean le Bel dont la chronique, comme l'auteur a soin de nous en prévenir, a été écrite, pour ainsi dire, sous la dictée du seigneur de Beaumont.
Nous voulons parler de la prétendue lâcheté qu'auraient montrée les bourgeois de Caen en défendant leur ville contre les Anglais. Cette assertion n'est qu'un mensonge inventé à plaisir par la noblesse pour discréditer les gens des communes au point de vue militaire, mais il y a là un curieux exemple de l'audace avec laquelle la passion et l'esprit de parti dénaturent les faits.
Il en faut plutôt croire deux témoins oculaires, deux ennemis, d'abord le confesseur d'Édouard III, Michel de Northburgh, qui dit dans une lettre écrite peu après l'événement que les Anglais « eurent fort à faire, que les Français défendirent résolument le pont et montrèrent un grand courage (29), » puis Édouard III lui-même, qui reconnaît que les bourgeois de Caen « se défendirent fort bien et très courageusement, de telle sorte que le combat fut long et la victoire très-disputée (30). »
Pour en revenir au langage prêté par Froissart à Philippe de Valois, il y a lieu de croire que la conduite des soudoyers des communes ne fut ni pire ni meilleure que celle des gentilshommes à Blanquetaque et à Crécy ; mais, en ce qui est de l'affaire de Caen, le prince, qui se montrait si hostile à l'admission des non nobles dans les rangs de son armée, ne pouvait choisir plus mal son exemple.
Comment! voilà de simples bourgeois de Caen qui, sans même attendre le concours de la garnison du château, avec un courage poussé jusqu'à la témérité, entreprennent de défendre leur ville, alors complétement ouverte, contre une armée anglaise tout entière, qui, s'ils ne réussissent pas dans une lutte aussi inégale, excitent du moins l'admiration de leurs adversaires ; et pourtant une année s'est à peine écoulée qu'on ne craint pas de citer leur conduite pour prouver que les gens des communautés fondent dans la mêlée comme la neige au soleil !
En vérité, pour contenir son indignation, on éprouve le besoin de penser que la narration du chroniqueur est de pure fantaisie et qu'un roi de France n'a jamais aussi étrangement méconnu l'intrépidité patriotique de ses sujets.
Philippe de Valois s'était servi surtout de la proclamation du ban comme d'un expédient financier et n'avait voulu tirer que de l'argent de ses bonnes villes; Jean, à notre avis mieux inspiré que son père, leur demanda des hommes.
Menacé au commencement de 1355 d'une nouvelle invasion anglaise, le roi de France convoqua à Amiens le 17 mai de cette année le ban et l'arrière-ban, c'est-à-dire tous les hommes valides depuis dix-huit jusqu'à soixante ans (31); mais les communes, à leur tour, ne répondirent pas ou répondirent mal à son appel.
Nous apprenons par de curieuses lettres de rémission octroyées en décembre 1355 aux habitants de Paris, que les contingents des bonnes villes, outre qu'ils étaient fort incomplets, n'arrivèrent pas en temps (32).
C'est que rien ne s'improvise et qu'on ne transforme pas par décret, du jour au lendemain, de pacifiques bourgeois en soldats.
Pour que cette convocation de l'arrière-ban eût porté ses fruits, il eût fallu d'abord qu'au lieu d'être un expédient provisoire, une ressource suprême employée seulement en temps de crise (33), elle devint une institution permanente, et nous verrons bientôt les États généraux, loin d'étendre sur ce point la prérogative royale, y mettre au contraire des restrictions.
Il eût fallu ensuite, il eût fallu surtout que le roi de France donnât à l'arrière-ban un caractère vraiment pratique en astreignant, à l'exemple d'Edouard III, tous ses sujets à de fréquents exercices militaires.
Comme ni l'une ni l'autre de ces conditions ne fut remplie, l'ordonnance du 17 mai 1355 n'aboutit qu'au rassemblement d'une cohue informe, d'une tourbe confuse et disparate qui ne figura que pour nombre à la néfaste journée de Poitiers.
Déjà inférieure par le nombre et par la préparation, l'infanterie française avait encore un désavantage plus marqué au point de vue de l'armement. Outre qu'elle se composait en grande partie de mercenaires, surtout de Génois, elle n'employait guère d'autre arme que l'arbalète ; et il suffit de jeter un coup d'œil dans nos musées sur ces arbalètes du quatorzième siècle, si massives et d'un maniement si compliqué, pour comprendre qu'elles ne pouvaient lutter avec avantage contre les arcs anglais (34).
Par un contraste frappant, tandis que le roi d'Angleterre prohibait dans son royaume tout autre jeu que le tir de l'arc, on avait eu en France la malheureuse inspiration de mettre un impôt sur les cordes des arcs.
L'ordonnance qui établit cet impôt n'a pas été publiée par le savant Secousse, et nous avons fait inutilement des recherches pour la retrouver ; mais il y est fait allusion dans des lettres de rémission du mois de mai 1359 qui prouvent que cette ordonnance fut mise en pratique (35), puisqu'elles constatent l'assiette et la levée de l'impôt dont il s'agit.
C'est au moment où la fortune militaire de la France, où la force effective de son armée reposait ainsi tout entière dans la noblesse qu'il s'opéra dans les habitudes de celle-ci, et notamment dans son costume, une révolution, frivole en apparence, mais dont les conséquences furent pernicieuses. La cause primordiale de cette révolution fut sans doute le développement merveilleux de la richesse publique qui marqua le second quart du quatorzième siècle et que la guerre dite de Cent ans, vint si brusquement interrompre.
Ce développement se traduisit, entre autres choses, par un accroissement notable de la population ; mais il eut aussi pour résultat, en diminuant, comme il arrive inévitablement en pareil cas, la puissance de l'argent, de produire une perturbation profonde dans tous les intérêts.
Une autre conséquence, plus fâcheuse encore, de ce développement de la richesse publique, ce fut l'apparition du luxe, d'un luxe effréné ; et comme le fléau prenait sa source dans l'opulence générale, les classes qui la détenaient furent naturellement celles qui subirent d'abord les atteintes de la contagion et qui en ressentirent le plus gravement les effets.
Cette invasion du luxe, outre qu'en introduisant la frivolité, elle énerva l'esprit de la noblesse, amena l'abaissement des caractères, la corruption des mœurs.
Comment les âmes n'auraient-elles pas perdu quelque chose de leur virilité, comment les corps eux-mêmes ne se seraient-ils pas dans une certaine mesure amollis et efféminés à une époque où la toilette des hommes devint plus recherchée, plus coûteuse, plus incommode que celle des femmes, où les chevaliers se mirent à porter ces vestes de drap broché d'or qui étranglaient la taille, si courtes, dit un chroniqueur contemporain, qu'elles laissaient voir le haut des fesses, ces panaches de plumes d'autruche, ces chapeaux d'or garnis de perles, du prix de cent, de deux cents moutons (36), ces cuirasses constellées de pierreries (37), ces chaussures à pointe recourbée d'une longueur démesurée dites à la poulaine, en un mot toutes ces fantaisies ruineuses dont la mode commença alors à se répandre (38)
Cette frénésie de luxe, où se laisse emporter la noblesse, n'a d'égale que la corruption des mœurs.
Froissart, cet historien, on pourrait presque dire ce chantre de la chevalerie, a raconté longuement un brillant fait d'armes (39) de Galehaut de Ribemont contre les Anglais au début de la fameuse campagne d'invasion qui marqua la fin de 1359 et aboutit au traité de Brétigny.
Ce que le chroniqueur de Valenciennes se garde bien de dire, et pourtant il était trop rapproché du théâtre des événements pour l'ignorer, c'est que ce même Galehaut avait commis, l'année précédente, l'attentat le plus audacieux dont les annales judiciaires de cette époque, si riche pourtant en scandales, aient gardé le souvenir.
En 1356 Marie de Mortagne, fille unique de Guillaume de Mortagne, sire d'Oudenarde, est restée orpheline à l'âge de huit ou neuf ans, avec six mille livres de revenu annuel : c'est alors la plus riche héritière de Flandre et de Hainaut.
Aussi, obtenir la main de cette fillette est le rêve que caressent tous les gentilshommes de cette région. En attendant qu'elle soit en âge de se marier, Marie vit au château de Tupigny (40), sous la garde de la dame de Tupigny (41), d'Eustache et de Galehaut de Ribemont, ses cousins germains, impatients de voir mûrir, cet épi blond dont ils se promettent bien les grains les plus dorés.
Malheureusement pour eux, un chevalier de leurs amis, Jean de Fay, a déjà jeté, lui aussi, un regard de convoitise sur cette riche proie.
Pendant qu'Eustache et Galehaut sont allés servir le roi Jean dans cette néfaste expédition qui se termine par la défaite de Poitiers, Jean profite de leur absence pour enlever à l'église, pendant la messe, avec l'aide d'une de ses sœurs nommée Clémence, la richissime héritière.
Il l'emmène en son château du Fay, trouve un prêtre pour bénir leur mariage, et le tour est joué.
Quelle n'est pas la déconvenue des deux Ribemont lorsqu'à leur retour en Picardie, ils s'aperçoivent qu'on les a prévenus. Un avide oiseleur a mis la main sur la petite colombe, alors que les premières plumes lui poussaient à peine. Galehaut, surtout, moins riche que son frère en sa qualité de cadet, est inconsolable, et il guette dès lors l'occasion de reprendre celle qu'il considère comme son bien.
Jean de Fay et Marie de Mortagne sont mariés depuis plus de deux ans ; ils habitent le château du Fay (42), en Vermandois.
Un matin qu'ils reposent tranquillement ensemble, Galehaut, qui s'est introduit par surprise dans le château, envahit avec l'aide de Baudas de Hennin, sire de Guvilliers (43), chevalier, de Colard de la Cauchie, de Bernequin de Bailleul (44) et de Bridoulet d'Atiches, écuyers, la chambre nuptiale, arrache Marie de Mortagne, toute nue et tremblante de frayeur, des bras de son mari, puis la conduit dans son manoir de Sorel (45), situé à quatre lieues du Fay où il la tient enfermée dans une tour pendant plusieurs semaines.
Enfin, comme la jeune femme, révoltée sans doute de passer ainsi de main en main comme une marchandise qu'on s'arrache, refuse de faire les volontés de ce nouveau ravisseur; Galehaut, qui veut que son équipée lui rapporte au moins quelque chose, prend le parti de transporter sa cousine germaine au château de Dossemer (46), dans le souverain bailliage de Lille, où il la vend en mariage à un chevalier de Gand, nommé Pierre « Pascharis, au prix de deux mille quatre cents florins d'or, plus deux draps d'écarlate (47) » Voilà le vilain revers de cette chevalerie, affolée de luxe, de tournois, de parade, dont Froissart n'a voulu voir que les prouesses et les élégances.
Pendant qu'elle s'amuse à ravir les femmes, Édouard, lui, nous ravit la victoire.
Si des gentilshommes de bon lieu ne rougissent pas de se procurer de l'argent par de tels moyens, c'est qu'ils ne visent qu'à s'éclipser les uns les autres dans ces fêtes, à la fois militaires et galantes, qui passionnent alors toutes les imaginations.
Quand on porte de si beaux habits, de si magnifiques armures, on ne cherche que l'occasion d'en faire parade.
Le progrès du luxe entraîna, comme une conséquence nécessaire, la passion des tournois.
Combattue en Angleterre, comme nous l'avons vu, par les ordonnances les plus sévères, cette passion sévit sur le continent avec une véritable fureur.
Elle fut encore surexcitée par un courant de galanterie romanesque qui emporta toute la chevalerie de ce temps et qu'il faut attribuer en grande partie à l'influence des romans de la Table-Ronde.
Singulière destinée que celle de ces poèmes d'aventures !
Composés au treizième ou même au douzième siècle, ils semblent n'avoir eu d'action générale et marquée sur les mœurs qu'au quatorzième siècle.
Autant ils forment dissonance avec le milieu qui les entoure à l'époque de Philippe Auguste, de saint Louis, de Joinville, autant dis s'harmonisent avec les contemporains de Philippe de Valois et du roi Jean.
Non-seulement les prénoms de Lancelot, de Gauvain, de Galehaut (48) et tant d'autres, empruntés à ces poèmes, deviennent alors plus fréquents ; mais encore, à voir certaines figures historiques de cette période, un Arnaud de Cervolle, un Eustache d'Auberchicourt, un Galehaut de Ribemont, par exemple, on dirait que les personnages mêmes de ces romans ont pris corps et sont entrés dans la vie réelle.
La chevalerie de théâtre fait son avènement sur la scène, que dis-je, elle s'asseoit sur le trône avec Philippe de Valois, avec Jean et consomme la décadence du véritable esprit militaire dans notre pays.
Le caractère distinctif de cette chevalerie, c'est qu'elle porte dans la guerre réelle tous les procédés des joutes et des tournois, les us et coutumes de la guerre de parade.
Concentrer sur un point que l'on a choisi et que l'on juge favorable à l'attaque, soit à l'aide d'une feinte comme Bertrand du Guesclin à Cocherel, soit par une marche forcée de nuit comme le même capitaine à Pontvallain, des forces plus considérables que l'adversaire, tel était au quatorzième siècle, tel a été dans tous les temps et tel reste encore aujourd'hui le principe fondamental de l'art de la guerre.
Les moyens d'action se transforment sans cesse, mais ce principe lui-même n'a reçu dans le passé et ne recevra dans l'avenir aucune atteinte.
En d'autres termes, la guerre vit de feintes et de surprises, mais ce n'est pas ainsi que l'entendaient Philippe de Valois et Jean.
Comme, d'après le code des tournois, tout combat doit être précédé d'un cartel ou défi en règle, toutes les fois, je ne dis pas qu'ils attaquèrent, mais qu'ils songèrent à attaquer l'ennemi, ils se firent un devoir de le prévenir plusieurs jours à l'avance, sauf à lui fournir les moyens de leur échapper.
On en peut citer deux exemples vraiment mémorables.
Tout le monde connaît la célèbre campagne d'Édouard III en France en 1346, qui se termina par la victoire de Crécy.
Débarqué à Saint-Waast-de-la-Hougue le 12 juillet, le roi d'Angleterre arriva à Poissy le 14 août, veille de l'Assomption, après avoir ravagé la Normandie.
A cette nouvelle, grand effroi, à Paris. Mais au fond le plus effrayé à ce moment, c'était Édouard lui-même. Philippe de Valois avait eu soin de faire couper tous les ponts sur la Seine qui auraient permis à son adversaire de passer de la rive gauche de ce fleuve sur la rive droite.
Le pont de Poissy notamment avait été détruit, il fallait plusieurs jours pour le reconstruire, et les Français se trouvaient en force sur le rebord opposé à celui où campaient les Anglais.
Ceux-ci en outre commençaient à manquer de vivres, et le pays, ravagé sur leur passage, ne pouvait plus leur en fournir. Ajoutez que le roi de France se tenait à Saint-Denis à la tête d'une puissante armée.
La situation d'Édouard, incertain des mouvements projetés par son adversaire, lancé par une pointe aventureuse au cœur même du pays ennemi, menacé d'être acculé à la Seine et finalement jeté dans ce fleuve, pouvait devenir très-critique.
Philippe de Valois se chargea de le tirer d'embarras en adressant, selon la règle des tournois, un cartel ou défi au roi anglais, le jour même où celui-ci arrivait à Poissy, pour lui proposer la bataille soit entre Saint-Germain-des-Prés et Vaugirard, soit entre Francheville et Pontoise, lui donnant le choix entre le jeudi, le samedi, le dimanche ou le mardi suivants.
Le rusé Édouard comprit aussitôt à qui il avait affaire, il répondit à cette naïveté par une feinte; il se contenta de dire à l'archevêque de Besançon, qui lui avait apporté la lettre de défi, qu'il se disposait à prendre le chemin de Montfort-l'Amaury où on le pouvait venir chercher.
En même temps, pour donner plus sûrement le change sur la direction qu'il était résolu à suivre, l'habile stratégiste chargeait son fils, le prince de Galles, établi à Saint-Germain-en-Laye, de menacer l'ouest et même le sud de Paris, comme si les Anglais eussent voulu passer la Bièvre et la Seine en amont de cette ville : de là les incursions à Saint-Cloud, à Boulogne et à Bourg-la-Reine.
Le roi de France vint tomber dans le piège que son adversaire lui tendait : il alla se poster avec le gros de ses forces au pont d'Antony pour défendre le passage de la Bièvre au moment même où le roi anglais, exécutant le mercredi 16 août un rapide mouvement rétrograde, franchissait la Seine sur le pont refait de Poissy.
Le lendemain 17 seulement, le tour une fois joué, Édouard adressa de Grandvilliers une réponse hautaine et quelque peu ironique aux lettres de défi du roi de France : « Ce n'est pas notre intention, dit-il entre autres choses à Philippe de Valois, d'être fixé par vous ni de prendre de vous lieu et jour de bataille (49). »
Le second exemple de cartel, adressé à l'ennemi dans des circonstances analogues, est emprunté à l'histoire du roi Jean ; il est moins connu que le précédent, mais il n'est pas moins caractéristique.
Pendant la première quinzaine de juillet 1356, Henri, duc de Lancastre, regagnait la basse Normandie au retour d'une chevauchée qu'il avait entreprise pour forcer les Français à lever le siège de Pont-Audemer ; il n'avait sous ses ordres que neuf cents hommes d'armes et quatorze cents archers.
Jean attendait les Anglais à une petite lieue de Laigle, à Tubœuf, avec son fils aîné Charles, le duc d'Orléans son frère, une armée de huit mille hommes d'armes et de vingt mille arbalétriers et autres gens des communes.
Mais le roi de France, au lieu de tomber à l'improviste sur les Anglais, envoya deux hérauts offrir la bataille au duc de Lancastre qui naturellement profita de cet avis pour s'échapper (50)
Il y a une création de ce temps, qui résume fidèlement l'esprit dont était animée cette chevalerie de parade, c'est l'ordre de l'Étoile fondé par le roi Jean (51).
Jean le Bel et Froissart disent expressément que le fondateur s'était inspiré des souvenirs du roi Arthur et avait pris pour modèle la fameuse Table-Ronde.
Que penser, au point de vue militaire, de cet article des statuts : « Et leur convenait (il s'agit des membres de l'ordre) jurer que jamais ils ne fuiraient en bataille plus loin que quatre arpents à leur estimation, mais mourraient plutôt ou se laisseraient faire prisonniers (52). »
Dès le mois d'août suivant, un serment de cette nature, très-chevaleresque assurément, mais détestable au point de vue militaire, par cela seul qu'on en faisait une règle absolue, portait ses fruits.
A Mauron (53) en Bretagne, Gui de Nesle, sire d'Offémont, maréchal de France et une centaine de chevaliers tombaient dans une embuscade que leur avait tendue Gautier de Bentley, capitaine pour le roi d'Angleterre en Bretagne ; ils auraient pu s'échapper, mais le serment solennel prêté le 6 janvier précédent s'y opposait, et ils se faisaient tuer presque tous dans cette sanglante boucherie.
La leçon ne fut pas perdue, il faut le reconnaître, les statuts de l'Étoile furent mis en oubli, et l'ordre tomba peu à peu de lui-même.
Mais il semble que Jean continua de croire, même après une aussi cruelle expérience, qu'il en était d'une bataille comme d'un tournoi, que pour attaquer son adversaire il n'y avait qu'à aller droit devant soi et que le courage personnel pouvait tenir lieu de tout le reste.
Tandis qu'Édouard III avait organisé, dès le commencement de son règne, sous le nom de « hobbiliers (54) » un corps de cavalerie légère spécialement chargé des reconnaissances, il ne paraît pas que Philippe de Valois et le roi Jean aient jamais eu dans le cours de leurs expéditions militaires un service d'éclaireurs fonctionnant régulièrement et d'une manière constante.
A Crécy, c'est seulement quelques heures à peine avant d'en venir aux mains que Philippe de Valois charge le Moine de Bazeilles (55), les seigneurs de Noyers, de Beaujeu et d'Aubigny, de prendre les devants pour se rendre compte de la position des Anglais; et si ces quatre chevaliers sont choisis en cette circonstance, ce n'est pas qu'ils soient plus spécialement chargés que d'autres en temps ordinaire du service d'éclaireurs, mais uniquement, dit Froissart, parce qu'on les considère comme « les plus chevalereux et vaillants (56). »
Jean suivit trop fidèlement, sous ce rapport comme sous tant d'autres, les funestes errements de son père.
Si la campagne du mois de septembre 1356, inaugurée sous les plus brillants auspices, eut l'issue désastreuse que l'on sait, c'est en partie à l'absence d'un service d'éclaireurs bien organisé, fonctionnant d'une manière régulière et constante, qu'il faut l'attribuer.
Avec une activité à laquelle il convient de rendre hommage, le roi Jean qui était encore avec le gros de ses forces à Meung-sur-Loire le jeudi 8 septembre, avait réussi à concentrer quarante ou cinquante mille hommes dans les environs de Poitiers dès le vendredi 16 septembre ; mais il avait si mal éclairé sa marche que lorsque, le matin du 16, après avoir fait passer la Vienne à ses troupes sur le pont de Chauvigny, il s'avança dans la direction de Poitiers, les Anglais qu'il croyait devant lui étaient derrière.
Arrivé à Châtellerault dans la soirée du mercredi 14, le prince de Galles, se voyant déjà débordé sur sa gauche par l'armée française, avait voulu lui laisser le temps de s'écouler, et il était resté immobile le jeudi et le vendredi.
Il n'avait repris sa marche en avant que le samedi 17, de grand matin.
Arrivé aux environs de Chauvigny, il s'était écarté à dessein de la route qui va de cette localité à Poitiers pour ne pas rencontrer les Français, il avait sacrifié dans cette intention la plus grande partie de ses bagages et s'était avancé à travers champs.
Son but était de laisser Poitiers à sa droite, de se dérober par la gauche de l'armée française qu'il savait campée en face de cette ville, du côté du sud-ouest, en la contournant, et de regagner Bordeaux par l'Angoumois.
C'est en ce moment qu'eut lieu sur la route de Chauvigny à Poitiers la fameuse rencontre entre les éclaireurs du prince, commandés par Eustache d'Auberchicourt et Jean de Ghistelles, et une partie de l'arrière-garde du roi de France.
Les Français eurent le dessous dans cette escarmouche où les comtes d'Auxerre et de Joigny furent faits prisonniers; mais cet engagement, en révélant à Jean la véritable position des Anglais rendait la bataille inévitable.
Le prince de Galles, s'inspirant de l'exemple de son père à Crécy, ne songea plus dès lors qu'à choisir l'emplacement le plus favorable pour soutenir l'attaque et s'y établit avec ses dix à douze mille hommes dont les deux tiers étaient des archers ou des fantassins à pied et l'autre tiers des hommes d'armes, chevaliers ou écuyers.
La nature de cet emplacement était commandée à un capitaine aussi habile qu'Édouard par la composition même de son armée.
Sa principale force résidait dans son infanterie et son artillerie, tandis que celle de l'ennemi consistait surtout dans sa cavalerie aussi importante par la qualité que par le nombre : l'élite de la noblesse d'Allemagne, d'Ecosse aussi bien que de France, accourue à l'appel du roi Jean, était venue ranger ses bannières autour de l'oriflamme.
Par conséquent, le prince de Galles avait intérêt à occuper des hauteurs abruptes, boisées, inaccessibles à la cavalerie ; c'est ce qu'il fit. ………
Histoire de Bertrand Du Guesclin et de son époque : la jeunesse de Bertrand (1320-1364) / par Siméon Luce,...
==> Guerre De Cent Ans - Siege de Breteuil 1356 par Jean II Le Bon - Beffroi
( Photos château Tiffauges- Cie Capalle - Alagos - Roi Uther )
1. Le samedi 26 octobre 1346.
2. Le lundi 19 septembre 1356.
3. V. notre édition des. Chroniques de J. Froissart, t. V, sommaire, p. X, note 1.
4. Le Miausson, affluent du Clain.
(5). Aujourd'hui la Cardinerie, lieu-dit de la commune de Nouaillé, Vienne, arr. Poitiers, c. la Villedieu, à environ 8 kilomètres au sud-est de Poitiers.
(6). Petrarcœ epistolœ familiares, édit. Fracassetti, vol. III, ep. xtv, p. 162. La lettre, d'où est extrait ce fragment, datée d'une auberge des Alpes le 27 février 1361 « ex itinere, pcr Alpes et glaciem, liieme horrida», est adressée à Pierre le Poitevin ou Pierre Bersuire, traducteur de Tite-Live.
(7 )« Quod omnes illi, qui quadtaginta libratas terrae vel redditus per annum habeant et eas per tres annos integros tenuerunt, et nondum sunt milites, ordinem suscipiant militarem. …» Rymer, Faidera, vol. II, p. 899.
Dans ce passage, miles doit être traduit par homme d'armes, non par chevalier, car en Angleterre, comme du reste dans les autres pays de l'Europe, la qualité de chevalier ne fut jamais une propriété héréditaire inhérente à la naissance comme le rang de gentilhomme ou à la position de fortune, mais bien un titre essentiellement personnel et viager.
Cette ordonnance est du 20 décembre 1334, mais elle fut renouvelée plusieurs fois, notamment le 20 avril 1341 (Ibid., p. 115), le 6 février 1366 (Rymer, vol. III, p. 786).
(8). Ordonnance du 6 janvier 1335. Rymer, vol. II, p. 901.
(9). Ordonnance du 1er août 1335: « Quod omnes homines, inter œtates sexdecim et sexaginta annorum existentes, ac omnes alii homines, tam milites quam armigeri, ad expugnandum potentes, se, sub pœna forisfacturæ vitae et membrorum, terrarum, tenementorum, bonorum et catallorum ac omnium quœ nobis forisfacere polerunt, armis competentibus. muniant. » Ibid., p. 916.
(10). « Ne aliqui homines ad arma seu alii quicumque justas seu burdeas facere, turneare seu alia facta armorum queecumque inibi exercere praesumant, sub forisfactura equorum et armorum suorum necnon incarerationis corporum suorum. ….» Ordonnance du 6 mars 1340 (Rymer, vol. II, p. 1118). — Autre ord. en date du 10 octobre 1340 (Ibid., p. 1138).
— Autre ord. en date du 26 mai 1341 (Ibid., p. 1161). — Autre ord. en date du 4 novembre 1343 (Ibid., p. 1238). — Autre ord. du 28 juillet 1344 (Rymer, vol. III, p. 17). — Autre ord. du 12 novembre 1347 ilbid., p. 141).
(11)Mandement du 28 août 1337 (Rymer, vol. II, p. 993). — Mandements pour l'expédition de 1339, dite de Buironfosse (Ibid., p. 1016 à 1018, 1070 à 1072). — Mandements pour l'expédition de 1346 qui aboutit à la victoire de Crécy et en 1347 à la prise de Calais (Rymer, vol. III, p. 67, 68, 71, 79, 95, 97, 107, 108, 135). — Mandement pour l'expédition du prince de Galles en 1356 qui aboutit à la victoire de Poitiers (Ibid., 322).
— Mandement du 5 août 1362 à l'occasion du départ du prince de Galles pour la Guyenne, « ad eligendum, arraiandum et triandum quatervigenti sagittarios pedites de melioribus et aptioribus sagittariis comitatus Kantiae. » Ibid., p. 675.
(12). « Quod sexaginta homines…. quorum una medietas sit de sagittariis, et altera medietas de hominibus ad lanceas, cum omni festinatione qua fieri poterit, de melioribus, validioribus et fortioribus hominibus terrarum et dominiorum vestrorum, praefate comes (le mandement, daté du 26 février 1338, est adressé à Henri de Lancastre, comte de Derby), CIUQUAM NON PARCENDO, eligatis, trietis et arraietis…. » Rymer, vol. II, p. 1016. Cf. p. 1017, 1018.
(13). « Quod mille arcus, quorum ducenti et quinquaginta depicli, et reliqui albi existant. » Chaque arc en bois blanc coûtait douze deniers; chaque arc en bois peint, dix-huit deniers. Ibid., p. 1169.
(14). Une gerbe de flèches barbelées, aceratœ, coûtait quatorze deniers, une gerbe de flèches simples, douze deniers.. Ibid., p. 1157.
(15). C'est l'observation que fait Jean Villani dans son célèbre récit de la bataille de Crécy: « Havea (il re d'Inghilterra) 30 000 arcieri, come detto è tra Inghilesi et Gualesi, che, quando i Genovesi balestravano uno quadrello di balestro, quelli saettavano tre saette co loro archi, che parea in aria una nuvola. » Di Giovanni Villani lib. XII, cap. LXVI, dans Muratori, Rer. Ital. script., t. XIII, col. 948.
(16) Dans les miniatures du temps, ces arcs dépassent la tête des hommes de pied qui s'en servent.
Dans son ouvrage sur Crécy, l’historien Henri de Wailly commente ainsi cette nouveauté :
“L’arc n’est pas en soi une arme neuve, mais l’utilisation concentrée qu’en font maintenant les Anglais procure une puissance d’arrêt dont personne, jusqu’ici, n’avait idée. Si chaque projectile, relativement léger et peu puissant, pénètre rapidement les cuirasses, il travers les cottes de mailles et les plaques de cuir bouilli. Tirées en gerbes denses et continues et s’abattant en nappes, ces milliers de flèches aveuglent l’adversaire, le clouent sur place, ses chevaux sous lui, vaincu avant même d’avoir pu s’approcher. Sur le continent, cette archerie sera une surprise complète”.
L’arc long (en anglais longbow), très utilisé par les Anglais à l’époque du Moyen-Âge pour chasser ou pour faire la guerre, était une arme redoutable. Les archers qui en étaient munis ont notamment joué un rôle déterminant dans les célèbres victoires militaires anglaises, y compris les batailles de Crécy et d’Azincourt pendant la guerre de Cent Ans.
Et pour cause, les flèches décochées, taillées dans du peuplier ou du frêne, étaient volontairement lourdes pour augmenter leur pouvoir de perforation (entre 60 et 80 g au lieu de 20 g pour une flèche moderne) et coiffées de pointes bodkin.
Ces flèches se montraient particulièrement efficaces pour percer les cottes de mailles à moins de 100 mètres de portée, et même les armures de plates (composées de plaques de métal), en deçà de 60 mètres…… https://sciencepost.fr/une-decouverte-temoigne-de-limmense-puissance-de-larc-anglais-medieval/
(17). « Quilibet eorum (Wallensium ad lanceas) de una tunica et de uno mantello unius sectae vestiantur. » Ord. du 28 août 1337 (Rymer, vol. II, p. 993).
(18). Chroniques de J. Froissart, t. V, p. 14, 256.
(19). Froissart, dans la seconde rédaction du premier livre de ses chroniques, décrit fort bien, à l'occasion de la bataille de Crécy, le rôle assigné aux Gallois et en général aux coutilliers dans les armées d'Edouard : « Et les gens d'armes englès, qui estoient rengiet à piet, s'avanchoient et se freoient entre ces seigneurs et ces gens qui ne se pooient aidier de leurs chevaux ne d'iaux meismes (il s'agit des chevaliers français désarçonnés par les archers d'Angleterre), et tenoient daghes, haces et cours espios de guerre, durs et roys, et ocioient gens à leur aise, sans contredit et-à peu de fait et de deffensce. » Ibid., t. III, p. 417.
(20). Par exemple, une ordonnance du 16 février 1339 ordonne de lever dans le comté d'York 200 hommes d'armes, 500 fantassins armés et 500 archers ; dans le comté de Gloucester, 63 hommes d'armes, 250 fantassins armés et 250 archers ; dans le comté de Stafford, 55 hommes d'armes, 220 fantassins armés et 220 archers ; dans le comté d'Oxford, 20 hommes d'armes, 80 fantassins armés et 80 archers; dans le comté de Northumberland, 70 hommes d'armes, 250 fantassins armés et 250 archers, etc. Rymer, vol. II, p. 1070 à 1072.
(21). «Encoires fu il conseilliet et arrestet que on deffendesist, et sus le teste, parmi le royaumme d'Engleterre, que nuls ne jeuast ne s'esbaniast ors que de l'arch à main et des saiettez, et que tout ouvrier ouvrant ars et saiettes fuissent francq et quittez de touttes debittez.
Encorres fu il ordonné et aresté que tout seigneur, baron, chevalier et honnestes hommes de bonnes villes mesissent cure et dilligence de estruire et aprendre leurs enfans le langhe françoise, par quoy ils en fuissent plus able et plus coustumier ens leurs gherres. » Chroniques de J. Froissart. t. I, 2e partie, p. 402.
(22). « Quia populus regni nostri, tam nobiles quam ignobiles, in jocis suis, artem sagittandi, ante heec tempora, communiter exercebant, unde toti regno nostro honorem et commodum, nobis in actibus nostris guerrinis, Dei adjutorio coopérante, subventionem non modicam pervenisse.» Rymer, vol. III, p. 704. Cette même ordonnance fut renouvelée le 12 juin 1365, Ibid., p. 770.
(23). « Proviso semper quoil arcus vel sagitlas aut armaturas aliquas non déférant, ncc cquos aliquos pretium quadraginta solidorum excedentes, extra regnum Angliæ secum non ducant quovis modo. » Hymer, vol. III, p. 598.
(24). Mesnard, Histoire de Nimes, t. II, Preuves, p. 54. Varin, Archives de Reims, t. II, p. 793. Archives nationales, section historique, K1248. Cf. Boutaric, Institutions militaires de la France, p. 235 à 237.
(25). Ordonnances des rois de France, t. II, p. 320 (ord. du 17 février 1349).
(26). S'il fallait en croire M. Michelet (Histoire de France, t. III, p. 299), cette hostilité aurait été intéressée en ce sens que la noblesse aurait commencé à recevoir une solde sous le règne de Philippe de Valois; mais le brillant historien a commis une grave erreur : la solde dont il parle de vingt sous pour les bannerets, de dix sous pour les simples chevaliers, existait déjà dès le temps de Philippe le Hardi, et l'ordonnance de juin 1338 citée par M. Michelet (Ord., II, p. 123) ne fit que confirmer des ordonnances antérieures.
(27). Chroniques de J. Froissart, t. IV, p. 270 et 271.
(28). Chroniques de J. Froissart, t. III, p. 142, 143, 373 et 375.
(29). Ibid., p. XXXVIII, note 1, d'après Robert de Avesbury, Hist. Ed. III, p.126.
(30). Ibid., p. xix; note 1 J d'après une lettre publiée par Jules Delpit. Collection générale des documents français qui se trouvent en Angleterre, in-4, 1847, p. 7.1.
(31). Arch. Nat., sect. hist., K47, n° 35. Cette ordonnance manque dans le recueil de Secousse.
(32). Arch. Nat., sect. hist., JJ 84, n, 456.
(33). On lit dans l'ordonnance du 28 décembre 1355 rendue par les États qui s'étaient réunis à Paris le 30 novembre précédent : « Nous leur avons permis et accordé que désoresmais nuls ne puisse faire arriereban en nostre royaume fors tant seulement nous en nostre personne et nostre ainsné filz ; et yceluy ne pourrons faire, fors seulement en cas de pure et evident necessité; et bien conseilliez sur ce ; et le ferons par le conseil des deputez ou de plusieurs des trois Estaz, se bonnement le povons avoir. » Ordonn., vol. III, p. 34. - Le roi ajoute qu'il pardonne à plusieurs de ses sujets qui « ont failly à venir à nostre arriereban darrenier fait. …à ceuls toutesvoyes qui y aroient envoyé. » Secousse déclare (Ordonn., vol. III, préface, p. XVIII) qu'il n'a pu découvrir le sens de ce passage : les lettres de rémission aux habitants de Paris, indiquées plus haut, en fournissent l'explication. -
(34). Nous avons rapporté plus haut le célèbre passage de Villani. Il est curieux de parcourir à ce point de vue un état ou compte des frais de fabrication de vingt-cinq arbalètes en 1358, que nous publions à la fin de ce livre sous le n° xv des pièces justificatives.
(35). Nous saisissons cette occasion de faire remarquer que, dans ces derniers temps où une illustre initiative a mis à la mode l'étude des institutions, on s'est souvent trompé en voulant écrire l'histoire d'une période historique d'après les ordonnances promulguées pendant cette période. A côté de la loi, il y a le fait; et si dans tous les temps le fait a souvent contredit la loi, cela est surtout vrai de l'époque féodale.
Au quatorzième siècle notamment, quand on a étudié les actes de tout genre qui se rapportent à un règne, on demeure convaincu que beaucoup des ordonnances de ce règne, parfois même les plus importantes, n'ont jamais été mises en pratique d'une manière générale et sérieuse.
Quoi qu'il en soit, voici le passage, extrait de lettres de rémission de mai 1359, qui nous révèle la perception à cette date d'un impôt sur les cordes des arcs : «., icellui Martin de rechief et Jehan Cochin le joenne son frère feussent venuz le jour de Pasques derrain passé (21 avril 1359) en la ditte ville de Oysesme (auj. Oisème, hameau de Gasville, Eure-et-Loir, arr. et c. Chartres), qui est en et de la juridicion de nostre dit seigneur et nostre; et comme meuz de male volonté et entalentez de malfaire demandèrent par manière de feintise au dit Gilot et à Benoit le Fèvre son cousin germain qu'il trouvèrent en la dite ville de Oysesme, l'imposicion des cordes des ars qu'il avoient vendues, combien que aus diz Cochins ne apparlenist en rien de la ditte imposicion demander, car il n'estoient pas impositeurs ne collecteurs des imposicions des diz pais. » JJ 90, n° 126, f° 69 v.
(36). Chroniques de J. Froissart, t. V, sommaire, p. xxv, note 6. En 1360,.
Louis d'Évreux, comte d'Étampes, emprunta mille moutons d'or et donna en gage son chapeau d'or du prix de deux cents moutons.
(37). Le 16 juin 1368, Louis, duc de Bourbon, vendit à Jean Donat, bourgeois et épicier de Londres, une cotte d'écarlate garnie de pierreries, pour le prix de 4500 écus d'or au coin du roi d'Angleterre (Arch. Nat., P1358', cote 498). Bibliothèque de l'École des Chartes, 4e série, t. II, p. 268.
(38). « Anno igitur MCCCLVI, fastus et dissolutio in multis personis nobili- bus et militaribus quam plurimum inolevit. Nam cum habitus antea decurtatos, ut, supra dixi, et breves nimis accepissent, hocanno tamenadhuc magis se incœperunt sumptuose deformare, perlas et margaritas in capuciis et zonis deauratis et argenteis deportare, gemmis diversis et lapidibus preciosis se per totum euriosius adornare. Et in tantum se curiose omnes, a magno usque ad parvum, de talibus lasciviis cooperiebant, quod perlse et lapides magno pretio vendebantur, et vix Parisius poterant talia reperiri. Unde recordor me vidisse tales duas perlas vel margaritas, quas quidam dudum emerat pro octo denariis, eas tamen illo temporevendidit decem libris. Incœperunt etiam tunc gestare plumas avium in pileis adaptatas, laxantes ultra modum se ad voluptates carnis, et ad ludos taxillorum de nocte, et pilae cum palma de die nimium intendentes.Continuatio chronici G. de Nangiaco, ed. Géraud, t. II, p. 237.
(39). Chroniques de J. Froissart, t. V, p. 202 à 210.
(40). Aisne, arr. Vervins, c. Wassigny.
(41). La dame de Tupigny s'appelait Jeanne d'Aveluy. Mariée en premières noces à Eustache de Ribemont, dont elle avait eu Eustache et Galehaut de Ribemont, en secondes noces à Geoffroi de Beaumetz dont elle avait eu Robert de Beaumetz, elle s'était remariée en troisièmes noces à Jean de Honnecourt, sire de Tupigny, qui avait eu, de son côté, d'un premier mariage Regnault de Honnecourt, sire de Tupigny. Arch. Nat., sect. jud., X1 a 18, fos 42 v° à 45.
(42). Somme, arr. Péronne,. c. Chaumes.
(43). Charles, duc de Normandie, accorda à ce Baudas des lettres de rémission en juin 1363. JJ 92, n° 274.
(44). Colard et Bernequin obtinrent des lettres de rémission le 21 mai 1364. JJ 95; nos 179, 196.
(45). Somme, arr. Péronne, c. Roisel.
(46). Près Templeuve (Belgique). Communication de notre savant collègue M. Auguste Longnon.
(47). L'arrêt du Parlement, en date du 20 mars 1364 (n. st.), condamne Pierre « Pascaris » à amener à Paris et à livrer au roi Marie de Mortagne, Baudas de Hennin et ses complices solidairement en quatre mille livres tournois, et Pierre « Pascaris », en mille livres tournois de dommages-intérêts envers Jean, sire de Fay, et en outre Pierre « Pascaris », en deux mille livres tournois d'amende envers le roi. Arch. Nat., sect. jud., XJ,7, f° 126 V à 130. Cf. X1 a 17, f° 257 va et 258, 300, 324; X18, foi 42 VO à 45, 121 à 124; X1 20, f" 204 v° et 205.
(48). Il y a aussi des Fierabras. Fierahras d'Auxonne, écuyer, donna quittance de ses gages à Lille le 6 août 1340. Bibl. Nat., dép. des mss., titres scellés de Clairembault, t. VII, p. 391.
(49). « Nous ne .sommes mie avisés d'estre tailliés par vous ne de prendre de vous lu et jour de bataille. » Chroniques de J. Froissart, t. III, p. XL et XLI.
(50). Robert de Avesbury, Chron. Éd. III, p. 249 et 250 j Chroniques de J. Froissart, t. IV, p. LXVII, note 3.
(51). L'ordonnance de fondation est du 16 novembre 1351 et la première ou plutôt la seule fête de l'ordre eut lieu les 5 et 6 janvier 1352. Léopold Pannier, La Noble Maison de Saint-Ouen, p. 88 à 106.
(52). « Et leur convenoit jurer que jamais ilz ne fuiroient en bataille plus hault de quatre arpens de leur advis ; ainchoys morroient ou se rendroient pris. » (Chroniques de J. le Bel, t. II, p. 174 : Cf. Chroniques de J. Froissart, t. IV, p. 127). L'article des statuts auquel Jean le Bel et Froissart font allusion est ainsi conçu : « Et se il y a aucun qui honteusement se parte de bataille ou de besoigne ordenée, il sera souspendus de la compaignie. » Pannier, Ibid., p. 90.
(53). Morbihan, arr. Ploërmel, à l'ouest de Rennes et de Montfort-sur-Meu. Ce combat fut livré le mardi 14 août 1352. Robert de Avesbury, Chron. Ed. III, p. 189 à 191 ; Jean le Bel, Chroniques, t. II, p. 174; Chroniques de J. Froissart, t. IV, p. 128; Grandes Chroniques de France, dans le supplément aux variantes du t. IV des Chroniques de J. Froissart, p. 402.
(54). De hobby, petit cheval.
(55). Le Moine était seigneur de ce village de Bazeilles, situé sur la rive droite de la Meuse (Ardennes, arr. et c. Sedan), près Sedan, dont les maisons incendiées portent et porteront longtemps encore le deuil de nos récents malheurs : lugent, pour emprunter à Jean de Venette (éd. de Géraud, t. II, p. 265), son latin biblique.
Si Philippe de Valois avait suivi les sages conseils du Moine de Bazeilles, il n'aurait pas perdu la bataille de Crécy. Le nom de ce petit village se trouve ainsi associé d'une manière glorieuse à deux des plus grands désastres de notre histoire. Chroniques de J. Froissart, t. III, p. 54, note 3.
(56). Chroniques de J. Froissart, t. III, p. 172.