Apport d'une lettre à un haut personnage présumé François de Rochechouart

Nous devons à Léo Desaivre l'Inventaire du mobilier du château de Champdeniers en 1530, précédé de notes historiques sur les châteaux de la Motte de Beauçay, de Champdeniers et de Javarzay.

 C'est dans le premier de ces châteaux, qui leur appartenaient tous les trois; que moururent, en décembre 1530, François de Rochechouart et Blanche d'Aumont, sa femme.

 Si intéressant que soit cet inventaire après décès des meubles de Champdeniers, combien ne regrettons-nous pas, avec M. Desaivre, la perte de celui que fit dresser en 1523, à sa résidence privilégiée de Javarzay, l'avisé collectionneur qu'était François de Rochechouart

Sans doute, auraient été décrites cette statue antique de Fabricius, que François avait rapportée de Rome lorsqu'il y avait accompagné Charles VIII et qu'Henri IV transporta plus tard à Fontainebleau, et la Vierge de Léonard de Vinci, léguée à Bourdaloue par le dernier des Rochechouart-Champdeniers,

Ce Tite Live, commandée en 1477-1478 par François Rochechouart, l’enluminure fut commencée sous la direction de Jean Fouquet de Tours, le «  bon paintre et enlumineur du roi Loys XIe »,  l'un des plus grands peintres de la première renaissance et qui exécuta lui-même les « histoires » des folio 9 et 98 v°.

En 1796, il est arrivé avec l'ensemble des manuscrits de la Sorbonne à la Bibliothèque nationale, où il constitue aujourd'hui les n°s 20071 et 20072 du fonds français.

Le Tite Live de la Sorbonne devait former originairement un énorme volume d'au moins 409 feuillets de format très grand in-folio — ces feuillets mesurent aujourd'hui 0m,522 de hauteur sur om,372 de largeur 1 avec le texte écrit à deux colonnes. Il a été plus tard coupé, à peu près vers son milieu, en deux tomes, chacun revêtu d'une reliure relativement moderne en maroquin rouge.

Le caractère paléographique de l'écriture indique, comme date de la transcription du texte, la seconde moitié du XVe siècle.

A cette époque, en France, dans la confection des manuscrits de luxe, la division du travail était généralement la règle. Pour l'établissement d'un beau livre, une première partie de l'opération consistait à en calligraphier le texte. Puis on procédait à l'exécution de toute la partie purement décorative, constituant ce que l'on appelait alors plus proprement « l'enluminure », c'est-à-dire les lettres ornées, grandes ou petites, les tirets en or et couleurs, les encadrements, les bordures, et, dans ces bordures, les figurines, d'allures souvent fantastiques ou grotesques, qui venaient égayer les marges des pages.

Cette besogne relevait en principe, comme exécution ou comme direction; de l' « écrivain » ou du « libraire », qui parfois se faisait aider de 1' « enlumineur » de métier, mais parfois aussi se qualifiait d'être, à la fois, « écrivain et enlumineur ».

 En copiant le texte et en disposant les « enluminures », on avait soin de ménager des espaces vides destinés à recevoir les petits tableaux qui devaient illustrer le volume, c'est-à-dire les miniatures que l'on nommait au XVe siècle les « histoires ». La tâche d'introduire ces images était réservée, ceci toujours en thèse générale, non plus au simple enlumineur de profession, mais à l'artiste, au « peintre et enlumineur » ou, suivant l'expression de l'époque, équivalent à notre mot actuel de miniaturiste, à 1' « historieur », terme excellent que je souhaiterais voir remettre en usage.

De cette division de travail il résultait que les deux opérations principales, l'une de la copie du volume avec sa décoration d'enluminure, et l'autre de la peinture des « histoires », pouvaient être exécutées à des intervalles de temps parfois fort longs, à tel point que le client pour qui « l'historieur » travaillait ne se trouvait plus être le même qui avait commandé la calligraphie et l'enluminure du texte.

Cependant souvent dans les décorations de simple enluminure, contemporaines du travail de transcription, on avait introduit les chiffres et les armoiries du premier destinataire, et voici qu'il se trouvait que ces chiffres et armoiries, par suite de la suspension plus ou moins prolongée dans le parachèvement du volume, ne convenaient plus au possesseur plus récent à l'intention de qui on venait, après coup, peindre les « histoires ». Il fallait alors gratter les anciennes marques de propriété pour leur en substituer d'autres.

C'est précisément le cas qui s'est présenté pour le Tite Live de la Sorbonne.

La copie du texte avec l'exécution de la partie décorative d'enluminure et, en second lieu, l'addition des « histoires » à des places d'abord restées vides, y ont constitué deux phases d'opérations bien distinctes l'une de l'autre.

Des destinées du manuscrit, à l'origine de sa confection, quelques traces sont restées sur la grande page initiale du texte, au début du tome Ier actuel, après la table, page à miniatures que nous reproduisons sur notre planche XIX.

Aujourd'hui, dans la bordure de cette page, on lit presque partout les initiales F. B. réunies par un lacs. Mais ce chiffre recouvre visiblement un grattage.

Qu'y avait-il originairement? La chance veut que sur le montant latéral de gauche de la bordure, vers le haut, on ait oublié de procéder à ce grattage. Le chiffre plus ancien est donc resté à cette place; il consiste dans les initiales C. Y, ou peut-être E. Y, la forme de la première lettre prêtant au doute, qui ont sûrement précédé sur le manuscrit l'introduction du monogramme F. B.

Un cas analogue se présente au bas de la même page. Deux blasons y apparaissent, mais ceux-ci ont été, eux aussi, refaits sur des grattages. Il serait intéressant de découvrir quelles étaient les armoiries plus anciennes auxquelles ils ont été substitués. Secondé par mon confrère M. Max Prinet, dont la compétence est si grande en fait de recherches héraldiques et auquel doit revenir le principal mérite de cette enquête, je me suis efforcé de démêler quelques linéaments, témoins du premier état de choses, qui se distinguent quand on examine le feuillet par son revers.

M. Prinet, et moi d'après lui, nous sommes arrivés à reconnaître que l'écusson primitif était accompagné de deux bannières carrées faisant allusion à des alliances de famille.

Toutes deux portaient un blason écartelé. Sur la bannière de dextre c'était un écartelé de Ponthieu-Aumale et, semble-t-il, de France-Artois. Sur la bannière de senestre, un écartelé de Tancarville et de Melun. D'après ce jeu d'alliances, le possesseur originaire du Tite Live n'a pu être que Guillaume d'Harcourt, arrière-petit-fils d'une comtesse de Ponthieu-Aumale 1, lui-même comte de Tancarville et vicomte de Melun, chambellan du roi de France, connétable et chambellan héréditaire de Normandie, qui mourut le 27 octobre 1484

Guillaume d'Harcourt, comte de Tancarville, avait épousé en secondes noces en 1454 Yolande de Laval.

Ceci pourrait expliquer l'Y du chiffre primitif laissé intact dans le haut de la bordure latérale de gauche. La lettre qui précède, G ou E, est plus embarrassante. Il serait naturel de s'attendre à un G. Mais, à la fin du moyen âge, en France, une certaine fantaisie intervenait parfois dans l'agencement des chiffres des grands seigneurs.

On sait par exemple que Jean de France, duc de Berry, et Philippe le Bon, duc de Bourgogne, ont eu pour chiffres, qu'ils faisaient placer sur leurs livres, le premier les lettres V E enlacées, le second deux E réunis par un lacs, ce qui n'a évidemment aucun rapport avec leurs prénoms et titres.

 

Il n'y a, en revanche, aucun doute à avoir sur la signification des chiffres et blasons qui ont été mis en surcharge sur les grattages et qui s'appliquent à un propriétaire du Tite Live ayant remplacé, dans la possession du manuscrit, le destinataire d'origine. Et cette circonstance est précieuse pour nous, car les particularités d'exécution dans la peinture des armoiries nouvelles et de leurs figures de support sont les mêmes que dans les miniatures ou « histoires » ; d'où il semble bien résulter que les susdites armoiries sont celles du personnage pour qui les « histoires » ont été peintes. Or, ce sont surtout ces peintures que nous nous proposons de faire connaître et d'analyser.

Les armoiries en question sont celles de François de Rochechouart, seigneur de Chandenier, accompagnées en pendant des armes de sa femme, Blanche d'Aumont, les prénoms des personnages, François et Blanche, donnant la signification du chiffre F. B. qui est sur les marges latérales.

 

 

 Il possédait un manuscrit à ses armes contenant la chronique de Charles VI par Juvenal des Ursins et celle de Charles VII par Jean Chartier et, pendant qu'il était gouverneur de Gênes, on exécuta pour lui des exemplaires, extrêmement remarquables par leurs images, de deux autres ouvrages historiques, une copie en trois volumes des Chroniques d'Enguerrand de Monstrelet et une sorte d'histoire universelle abrégée, intitulée l’Ethiquette des temps, rédigée à son intention par un personnage qui se nomme lui-même, au début de sa compilation, «Alexandre Sauvaige » , mais qui était, en réalité, un Génois, Alessandro Salvago.

La traduction française de Tite Live rentrait dans la catégorie des livres spécialement recherchés par François de Rochechouart. (2)

Il est très naturel que ce seigneur ait mis la main sur l'exemplaire qui forme aujourd'hui le Tite Live de la Sorbonne, exemplaire sur lequel on plaça ses armoiries au début du texte, en s'occupant en même temps d'y introduire enfin les miniatures ou «histoires », dont la place était encore vide.

Si l'illustration du Tite Live de la Sorbonne avait été menée jusqu'au bout, elle eût fait de l'exemplaire un des livres les plus somptueux qu'on pût rêver. En effet, lorsqu'on avait copié le texte, qui ne comprend, je le rappelle, que ce que l'on appelait alors les deux première Décades de Tite Live, on avait prévu, en ménageant l'espace nécessaire, une très grande miniature frontispice pour ouvrir chacun des dix livres de chacune des deux Décades, soit vingt grandes peintures, et une série de 153 autres miniatures plus petites à insérer au cours des récits, ce qui eût fait un total de 173 images.

Académie des inscriptions et belles-lettres (France)

 

 

 

 

 

Champdeniers entra dans la maison de Rochechouart par le mariage d'Anne de Chaunay avec Jean de Rochechouart <==.... ....==> Le château de Javarzay reconstruit en 1514 par des membres de la maison de Rochechouart branche de Chandeniers de la Mothe

 


 

1. Guillaume d'Harcourt, comte de Tancarville par sa mère, était arrière-petit-fils de Jean V du nom, comte d'Harcourt, qui avait épousé Blanche de Ponthieu, celle-ci fille de Jean de Ponthieu, comte d'Aumale, et de la princesse Catherine d'Artois.

 

 (2) Petrus Berchorius, Pierre Bercheure né à Saint-Pierre-du-Chemin (Vendée) vers 1300 — Mort à Paris en 1362

Le dominicain Pierre Bersuire acheva entre 1354 et 1356 une traduction des décades I, III et que lui avait commandée Jean II le Bon avant de partir pour la Bataille de Poitiers: les livres de l’Ab Urbe Condita - deviennent les Décades. ==> Mélusine dans Le Reductorium morale de Pierre Bersuire, Bénédictin à l’abbaye de Maillezais

AKG355133

Pierre Bersuire présente sa traduction de Tite-Live au roi Jean (II) le Bon (Tite-Live, Histoire Romaine traduc. de Pierre Bersuire. Ms. Fr. 259, fol. 15) à droite, un berger découvre les jumeaux Rémus et Romulus

Le roy Jehan de France fist escripre cestui live et translater de latin en romant, lequel roy le donnoit à Marie, sa fille, duchesse de Bar, marquise du Pont et dame de Cassel, que le dit roy Jeahan de France ot de la royne Bonne, sa femme, qui fust fille au bon roy Jehan de Behaingne ; et de la ditte duchesse revint en la main du duc Edouart de Bar, son fils ; et puis revint le dit livre en la de Loys, frère au dit duc Edouart, cardinal et duc de Bar ; lequel dit cardinal, duc de Bar donnoit la ditte duchie de Bar et ses seignouries à René, filz du roy Loys de Secille et duc d’Anjou, lequel dit roy Loys ot le dirt René de la fille du roy d’Arragon et fille de la royne Yolant, fille du duc Robert de Bar et dessus ditte Marie, fille du roy Jehan de France, que fuit femme du dit duc Robert de Bar, lequel dit René, roy de Sicille et de Jerusalem, duc d’Anjou, de Bar et de Lothraine, quant il voult aler en son royalme de Secille, pour prendre la succession qui ly estoit escheute de par roy Loys, son ainsné frère, donnoit cestlui dit livre à honnourey chevalier messire Robert de Baudrecourt et bailly de Chalmont.

Et le dit messire Robert le presoit à Jehan de Vy, l’eschevin, filz de feu messire Jehan de Vy, chevalier, lequel dit Jehan de Vy le fist contre escrippe par maistre Jehannin de Rouen, l’escripvian. Et fust le dit livre enluminés par maistre Henry d’Orquevaulz et fust parfait et affenis en l’an mill IIIIe et XL….