Il était de coutume pour les rois de France de convoquer autour d'eux, surtout lorsque les circonstances étaient graves, des assemblées composées de nobles, de prélats et de délégués du tiers élus par les villes et les villages.
Ce fut le cas par exemple lorsque Philippe le Bel eut besoin de l'appui de tout son peuple lors de sa lutte contre le pape Boniface VIII, en 1302, contre les Templiers en 1308 puis contre les Flamands en 1314.
Ce n'étaient pas des assemblées délibérantes : les trois ordres n'étaient là que pour approuver les mesures décidées par le roi, en particulier le montant des subsides demandés pour la guerre. Leur voix n'était que consultative, mais le pays prenait ainsi peu à peu une conscience politique qui s'accrut au cours du XIVe siècle, surtout après les désastres de Crecy et de Calais (1347).
Les Etats généraux de langue d'oil et de langue d'oc prirent l'habitude de siéger à part. Ceux de langue d'oil, avec Etienne Marcel, commencent à jouer en 1355 un rôle important, posant comme condition au vote des subsides que l'administration en serait confiée aux Etats.
La grande ordonnance de 1357 issue de leurs délibérations marque une tentative de limiter à leur profit l'autorité royale : réformation du royaume, droit de regard sur la mutation des monnaies, droit de se réunir sans être convoqués par le roi, etc.
Mais une fois l'ordre revenu en France, à la fin du XIVe siècle, les Etats se réunirent moins souvent.
Ceux de 1413 sous Charles VI s'efforcèrent en vain de reprendre de l'autorité et ceux de 1420 ratifièrent le traité de Troyes faisant de Henri V d'Angleterre l'héritier de la couronne de France.
Charles VII, qui devait régner de 1422 à 1461, n'était pas en mesure de gouverner en roi absolu : les Anglais occupaient la moitié de son royaume. Il fut donc bien obligé de s'appuyer, à cause de la grandeur du péril, sur les Etats généraux. Ces derniers, au début du règne, semblent bien devoir conquérir la périodicité qu'ils avaient en vain réclamée au XIVe siècle et qu'ils revendiquèrent en vain au XVIe siècle.
Aussi, en note-t-on un grand nombre, de son avènement à 1439 :
1423 (Bourges puis Selles), 1424 (Selles et Montpellier), 1425 (Auvergne, Poitiers, Melun), septembre 1427 (Chinon), octobre 1428 (Chinon), mars 1430 (« Sully en Touraine », vraisemblablement Seuilly), décembre 1430 (Chinon), 1433 (Tours, Blois), 1434 (Vienne), 1436 (Tours, Benais), 1437 (Montpellier), 1439 (Le Puy) et enfin 1439 (Orléans).
Ces Etats de 1439, les derniers réunis par Charles VII, devaient revêtir une singulière importance, car ils créaient une armée permanente par l'établissement d'une taxe royale perpétuelle.
Il s'agissait de mettre fin à la guerre de Cent ans et pour cela le peuple tout entier estimait juste la levée de cet impôt. Il restait à libérer la Normandie et il fallait en finir avec les compagnies de soudards qui écumaient le pays.
Sous son successeur Louis XI, les Etats, d'une docilité absolue, abdiquent entre les mains du roi et les Etats de 1468 l'encouragent même à se passer de leur concours. Evidemment, les souverains retiendront la leçon...
Les Etats ne seront convoqués ensuite qu'en 1484 à Tours pendant la minorité de son successeur Charles VIII, la régente ayant besoin de leur appui pour faire face aux intrigues du futur Louis XII.
Les guerres de Religion redonnent quelque vie aux Etats généraux : ils se réunissent en 1560 à Orléans puis à Blois en 1576 et 1588. Ceux de 1593, dits Etats de la Ligue, convoqués pour pourvoir à la vacance du pouvoir à la mort du cardinal de Bourbon (le roi de la Ligue, Charles X, qui fut un moment prisonnier au château de Chinon), se séparèrent après l'abjuration de Henri IV qui en faisait le roi légitime.
Les Etats généraux de 1614, pendant la minorité de Louis XIII, furent les derniers avant ceux de 1789. Le désaccord était dès cette époque total entre les ordres privilégies, nobles et clergé d'une part, et le Tiers Etat d'autre part. Les rois se détournèrent du coup de les convoquer.
Ils crurent politique — et commode — d'étouffer ces voix importunes qui les rappelaient à leurs devoirs. Us purent se croire des souverains absolus, disposant de pouvoirs illimités. Ils ne pouvaient se douter qu'en se coupant ainsi du pays réel, ils allaient tout droit à leur perte.
Il est symptomatique que 1789, qui vit les derniers Etats généraux de l'histoire de France, allait marquer une ère nouvelle pour notre pays.
Si cette institution, représentant l'ensemble du royaume, avait pu continuer de fonctionner après le xv° siècle, il est fort probable que l'histoire de France aurait été tout autre que ce qu'elle a été après 1789. Il manquait à la royauté absolue ce contrepoids indispensable d'une représentation des élus de la nation entière...
Les États Généraux de Chinon sous la menace du siège d'Orléans (1427-1430)
Le Languedoc, cette France du midi, formait alors la principale ressource financière de Charles VII. Pour prix d'une exemplaire fidélité, cette malheureuse province avait toujours été victime de lieutenants-généraux et d'intendants concussionnaires.
L'administration de Jean, duc de Berry, au XIVe siècle, a laissé des traces néfastes et mémorables dans notre histoire. Ces antécédents ne furent que trop suivis par Guillaume de Champeaux.
L'évêque de Laon avait un pied solidement établi dans cette vice-royauté, lointaine et productive. Il en avait un autre à la cour. Exempt de scrupules, il fut le complaisant des divers favoris qui se succédèrent pendant le cours de cette période, les uns avec le titre de ministres du roi, les autres en qualité de gouverneurs ou lieutenants militaires du Languedoc.
Comme il tenait en main les finances, nerf de toute politique bonne ou mauvaise, il sut se conserver à travers ces changements successifs, une autorité personnelle et considérable..
Cependant, dès le mois d'octobre 1428, les états, réunis à Chinon, avaient osé dénoncer au roi les malversations de l'intendant.
Le roi envoya en Languedoc Jean de Wailly, président de Parlement et le Galois du Puy du Fou, seigneur d'Azay le Rideau, commissaires en son nom, pour interdire dès lors à l'évêque de Laon l'administration des finances.
Mais le prélat sut résister à toutes les injonctions et se faire maintenir dans son office.
A cette époque, les Anglais assiégeaient Orléans. La France touchait à l'une des crises les plus mémorables de ses annales.
Ce ne furent point les états de Chinon qui régénérèrent le triste gouvernement de Charles VII et qui sauvèrent le pays d'un imminent péril. Leur utilité se borna à voter 500 mille livres.
Les États de Chinon à l'automne 1428 sont reconnus par tous les spécialistes comme les plus importants du règne de Charles VII. Et ceci, non pas parce qu'ils auraient voté au roi les aides les plus élevées ; mais à cause des circonstances dramatiques pour le royaume, dont les députés rassemblés de tous les «pays de l'obéissance» avaient pleine conscience : «Nulle part - sauf à Chinon en septembre 1428 - nous n'avons d'États Généraux réels.
Nous avons d'un côté des États de Langue d'Oc, et de l'autre des États de Langue d'Oïl»
Les lettres de convocation datées de Bourges le 22 juillet, appelaient les députés à Tours pour le 10 septembre. On savait à Chinon que des renforts anglais avaient débarqué à Calais dès le 24 juin, sous le commandement de Thomas Montagu, quatrième comte de Salisbury. Mais on ne s'attendait pas à leur rapide avance vers la Loire moyenne.
Apprenant que le 5 septembre Salisbury était parvenu à Janville, en pleine Beauce, le roi fit conduire les députés à Chinon, considéré alors comme mieux à l'abri que Tours.
Ils y arrivèrent à partir du 10. «Plus de deux cents délégués viennent ainsi à Chinon au cours de cette réunion, mais tous n'y restent pas jusqu'à la fin, en particulier ceux des pays de Langue d'Oïl. Ils prennent logis dans les diverses hôtelleries de la Ville-Fort et des faubourgs, et peut-être chez l'habitant.
On s'entretient des nouvelles alarmantes…… l'armée anglaise s'étant déjà emparée de Meung et de Beaugency».
Dans une remarquable conférence donnée à Chinon le 9 mars 1979, notre ami le regretté Eugène Pépin, ancien président de notre Société, souligne la difficulté de suivre avec précision le déroulement de ces États Généraux pour lesquels «il n'existe ni procès-verbal ni relation.»
À la séance d'ouverture assistaient, près du roi, la reine de Sicile, Jean duc d'Alençon et les comtes de Vendôme et d'Harcourt. La date (milieu septembre) n'est pas précisée.
L'essentiel est qu'avant la fin du mois les États avaient déjà voté l'aide de 500 000 livres tournois, dont 300 000 pour la Langue d'Oïl, le comte de Foix ayant cru pouvoir imposer 20 000 livres en sus des fonds votés «pour résister aux Angloys, qui estoient alors en puissance sur la rivierre de Loyre, et pour le secours de la ville d'Orliens., le Languedoc s'émut et envoya vers le souverain des députés des trois ordres chargés de manifester leur désapprobation.
Le roi s'inclina. Le Languedoc voulait bien faire tous les sacrifices demandés pour le salut commun mais maintenir fermement son droit de voter l'impôt.
Ils décident une fois de plus de s'opposer à l'aide illégale établie par le comte de Foix et demandent à Charles VII de prier les grands vassaux de venir avec toutes leurs forces contribuer à défendre le royaume.
Les seuls exemptés pour cette aide seraient les gens d'église, les nobles portant les armes, les escholiers, les monnoyeurs du Roy nostre sire et les pauvres mendiens.» Mais la collecte de l'aide requérait des délais ; pour avoir les fonds aussitôt disponibles, le roi emprunte à son entourage et aux villes les plus proches.
Dès le début des États, deux défenseurs d'Orléans, Gaucourt et La Hire, étaient à Chinon pour avoir argent et équipements.
Ils furent relayés en octobre par Jean, bâtard d'Orléans et le sire Jean V Malet de GRAVILLE ; en novembre, encore par Étienne de Vignoles, plus connu sous son nom de capitaine La Hire, Jean Stuart, Rodrigue du Villedrando.
Les deux Langues avaient présenté chacune leur cahier de doléances.
Le cahier de Langue d'Oïl (en français) est perdu. Il était assez semblable au cahier de Langue d'Oc (en latin), heureusement conservé à la Bibliothèque nationale, ms. lat. 9171, f° 268.
Il contient trente-deux articles, auxquels peu après les gens du roi apportèrent trente-deux réponses, le 11 novembre. Ces textes ont été plusieurs fois commentés et traduits. Pour en retenir l'essentiel, les députés veulent qu'il plaise au roi d'oeuvrer pour la conservation de sa seigneurie et le recouvrement d'icelle par toutes les voyes et moyens possibles.»
Ils insistent pour que le roi réunisse tous les seigneurs de son sang et de sa parenté. Car il faut surtout «entendre à la paix de Monseigneur de Bourgogne» et aussi «attraire par devers lui, en bon amour et obéissance et en son service, Monseigneur le Connestable.
Charles VII devra en plus «donner provision d'avoir un bon chef de justice, pourvoir de bonnes et notables personnes aux offices touchant le fait de la justice.» Ils demandent encore l'unification des monnaies dans l'ensemble des «pays de l'obéissance» et réitèrent leur opposition à ce que le roi se dessaisisse de terres du domaine de la couronne.
Ils veulent surtout «faire cesser toutes pilleries et roberies, qui détruisent et gâtent tout le peuple et la chose publique de tout le royaume, en corps et en biens.» Outre les pillards, le commerce est entravé par l'interdiction d'exporter : que le roi permette désormais la sortie des marchandises hors du royaume, et l'entrée de produits étrangers en France.
En conclusion, les Etats rappellent que les nouvelles aides doivent être soumises à leur approbation. Quant aux moyens militaires, les députés réunis à Chinon conseillent au roi de faire appel au roi de Sicile (Louis III d'Anjou), au roi Jacques (Jacques Ier d'Écosse), aux comtes de Clermont, de Pardiac, de Foix et d'Astarac et au sire d'Albret pour venir le servir «en cette extrémité avec toutes leurs forces.»
C'est dans le contexte de cet élan de patriotisme déclenché par les Etats de 1428, avec les bataillons levés grâce aux crédits ainsi votés, que Jeanne d'Arc va pouvoir accomplir son œuvre devant Orléans en mai 1429. Ce n'est pas minimiser ses mérites que de rappeler ceci : sans ces troupes mises à sa disposition et qu'elle sut galvaniser, elle n'aurait pu accomplir son oeuvre glorieuse.
Les Etats généraux du royaume se réunirent ensuite à Sully-en-Touraine (vraisemblablement à l'abbaye de Seuilly), le 13 mars 1430 et ceux de langue d'oil, une fois de plus à Chinon en décembre 1430.
Depuis les précédents Etats de 1428, la tournure de la guerre avait changé : le 17 juillet 1429, Charles VII avait été sacré roi à Reims et la libération de la France commençait véritablement.
Dans quel local se sont tenus ces Etats généraux de Chinon ?
Aucun document ancien ne le précise et les historiens modernes sont restés muets sur ce problème.
Mais l'on ne manquera pas de noter que l'architecture de l'immeuble n° 44, rue Voltaire se rapproche singulièrement, par ses dimensions et ses fenêtres à doubles meneaux, de celle de la salle Jeanne-d'Arc du château, telle qu'elle est représentée sur la gravure de Gaignières de 1699. L'architecte et les entrepreneurs ont dû être les mêmes.
Resterait évidemment à savoir à qui appartenait l'immeuble au début du XVe siècle : au roi, au Chapitre de Saint-Mexme, ou à d'autres ?
Sans pouvoir évidemment affirmer avec certitude, il est cependant permis d'avancer que, de toutes les maisons de la Ville-Fort de Chinon ayant des dimensions suffisantes pour la tenue d'Etats généraux et dont l'architecture date d'avant 1428, seul cet immeuble répond aux conditions requises : l'Hôtel dit de la Monnaie, rue du Grenier-à-Sel et l'ancien Palais de Justice (actuel Hôtel Gargantua) sont postérieurs.
Aussi bien, nous permettra-t-on, jusqu'à preuve du contraire, et nous partageons ici l'avis de l'éminent historien chinonais Eugène Pépin, président de la Société Archéologique de Touraine, de penser que c'est à juste titre que nous pouvons appeler le n° 44, rue Voltaire la « Maison des Etats généraux ». Depuis 1973, le Musée des Amis du Vieux Chinon, 44 Rue Haute Saint-Maurice, 37500 Chinon
Miraculeusement ressuscitée grâce à la loi Malraux, elle constitue désormais le joyau de cet ensemble étonnant du Grand Carroi, carrefour qui a vu, après l'exposition du corps de Richard Coeur de Lion en route pour la nécropole de Fontevrault, passer bien des rois puis la réunion de ces Etats généraux, ancêtres de nos Assemblées nationales, et enfin une humble bergère venue un froid matin de mars 1429 des confins de Lorraine pour sauver la France...
Raymond MAUNY. Bull. Soc. Amis Vx Chinon VII, 8, 1974
Société archéologique de Touraine
Historique du Château d’Azay le Rideau au moyen-âge (Azay le Brulé juin 1418 Charles VII) <==
États du Poitou convoqués à Saumur par le dauphin, au mois de juin 1417 <==
Charles VII Forteresse de Chinon l’an 1423 <==
Raoul VI de Gaucourt, mort le 10 juin 1462, est seigneur de Gaucourt, d'Hargicourt et de Maisons-sur-Seine et compagnon d'armes de Jeanne d'Arc.