Sancta Maria de Fonte Comitis au Sud de Poitiers, ancienne abbaye de l’ordre des Augustin, fondée par Guillaume VIII, comte de poitou, 1127-1187
Fons comitis, 1080 (cart. Saint Cyprien de Poitiers,p24), Locus qui dicitur de Fonte Comitis, 1127-1137 (Gallia Christ. tII), Abaie de la Fontayne le Comte, 1286 (abb. De Fontaine le Comte, p33), Moustier de Nostre Dame de la fontaine le Conte, 1384 (ibid 1), Fontaine l’Egalité, 1793
L’usage de faire précéder le nom de Fontaine le comte de l’article la a persévéré jusqu’au milieu du XIIe siècle.
Un acte du Xe siècle (cart. Saint Cyprien, p 54) mentionne villa Fontenella, in pago Pictavo, in ipsa vicaria, in parrochia Sancti Martini. C’était peut-être le même lieu que fontaine le Comte, qui alors aurait été sur le territoire de la paroisse de Ligugé, aucune autre église dans la viguerie de Poitiers n’ayant été sous l’invocation de saint Martin.
La paroisse de Notre dame de Fontaine le Comte faisait partie de l’archiprêtré de Lusignan, de la châtellenie, de la sénéchaussée et de l’élection de Poitiers. La juridiction temporelle de l’abbaye, en titre de châtellenie, s’exerçait sur la plus grande partie de cette paroisse et sur de moindres portions de celles de Groutelle, Mezeaus, Vouneuil-sou-Biard et Béruges. L’abbé nommait à la cure de Fontaine le Comte.
La fontaine qui a donné son nom à la localité réunit ses eaux à celles de la source de Basse fontaine pour former le ruisseau de Fontaine le Comte, qui passe à Groutelle et Mezeaux et se jette dans le Clain à 1,200 mètres environ au-dessus de Saint Benoit
Une charte de l’abbaye, l’an 1149, mentionne une forêt de Fontaine le Comte, foresta de Fonte Comitis
La contrée qui s'étend à l'Ouest de Poitiers, du côté de la Gâtine, était alors couverte, en grande partie, de bois et de landes.
Depuis, de nombreux défrichements ont été réalisés, mais il demeure encore, çà et là, des massifs forestiers dont l'un, toujours connu sous le nom de forêt de l'Epine, est une ancienne propriété d'une maison de l'ordre du Temple qui portait ce nom.
La commanderie de l'Epine fut, au XVe siècle, annexée à celles de Saint-Georges et de Montgauguier pour former la chambre prieurale de Saint-Georges, qui constitua une partie de la dotation attribuée à la dignité de grand prieur d'Aquitaine.
La forêt de l'Epine, assise presque entièrement, de nos jours, sur le territoire de la commune de Béruges, entre, au nord, la route de la Torchaise et, au sud, la route menant à Lusignan, avait en 1670 une superficie de 984 arpents, soit 502 ha environ. Cette forêt était giboyeuse au XVe siècle : on y chassait le cerf, la biche, le chevreuil et le sanglier.
Pourtant, le lapin semble avoir dédaigné, dans le premier tiers de ce siècle, les garennes, murgers et chiron installés pour sa commodité près de la maison de l'Epine.
Le vieux sergent de la commanderie, Jehan Laurent, 85 ans, était catégorique à ce sujet en déclarant, en 1438, que des lapins il « n'en vit oncques nulz » dans la forêt de l'Epine.
Quand messire Hélion de Nelac, commandeur de l'Epine, était en Rhodes, vers 1408, un pénible accident eût lieu dans sa forêt. Un infortuné charbonnier y vivait avec ses deux jeunes enfants, lorsqu'un violent orage de la fin de juin les obligea de se réfugier dans leur petite cabane, en compagnie d'un charpentier qui travaillait près de là. Et, dans ce précaire abri, la foudre les atteignit, les tuant tous les quatre.
Sur le lieu de leur mort, ces misérables victimes furent gardées, par des hommes de la commanderie, la nuit et tout le jour suivants, avant d'être chargées sur un âne, amenées à Béruges et inhumées dans le cimetière paroissial.
Ce dramatique épisode resta longtemps dans la mémoire du voisinage, mais dans la forêt la vie continua avec ses bruissements, les courses folles d'animaux pourchassés, les aboiements, le bruit des chevaux, le son du cor et les cris des chasseurs.
Car, en ce temps, on se livrait avec ardeur aux plaisirs de la chasse. Chassaient à l'Epine, le commandeur, quelquefois, et ses gens, plus souvent des voisins ou des notables qui y étaient autorisés, mais encore de peu scrupuleux personnages, religieux ou laïcs, qui prenaient du gibier, sans congé ni licence, causant parfois maints ravages, lors de leurs incursions.
La battue et la chasse aux chiens courants étaient habituellement pratiquées. Les chasseurs s'employaient à diriger le gibier vers une des deux haies tendues à proximité et de part et d'autre de l'hôtel de l'Epine. Des filets, lacets ou cordes renforçaient ces haies et retenaient l'animal qui tentait de les traverser. La bête ainsi captive était à la disposition des chasseurs.
Nul, parmi les chasseurs qui fréquentaient la forêt de l'Epine, n'ignorait les règles de la chasse, même si quelques-uns, parfois, feignaient de les avoir oubliées.
Mais il semble bien qu'un des meilleurs maîtres en cet art ait été un religieux de l'abbaye de Fontaine-le-Comte, proche de l'Epine, frère Guillaume Mermin, prieur de cloître, de surcroît.
Cet augustin, âgé de 55 ans en 1438, était, en apparence, toujours disposé à chasser. Quelqu'un désirait-il des chiens ou des cordes, on faisait appel au frère Mermin qui, coupant à travers bois, arrivait bientôt avec la meute ou les lacets de son abbaye. Accompagné de deux religieux et d'un valet du monastère, il chassa le cerf, vers 1408-1410, avec le capitaine de Lusignan, Lyonnet Pannevayre, frère du grand prieur d'Auvergne.
Nous le retrouvons chassant avec Jehan de Torsay, seigneur de Béruges et de Contré, puis avec Guillaume Parthenay, dit Pape, lieutenant du maître des eaux et forêts de Poitou, et qui fut maire de Poitiers en 1411, ou bien avec l'évêque de Poitiers, Itier de Martreuil.
A la Toussaint 1436, dans une battue aux sangliers dans la forêt de l'Epine, il était en compagnie de l'abbé du Pin, d'un religieux, neveu du commandeur de l'Epine, et de Jehan Rabateau, président du Parlement de Poitiers, celui qui, quelques années auparavant, avait hébergé Jeanne d'Arc dans sa maison de Poitiers.
Arrêtons cette énumération, pour dire que Guillaume Mermin ne dédaignait pas non plus pratiquer l'art de la chasse en solitaire.
Au monastère de Fontaine-le-Comte, il est à croire que tous ceux à qui l'âge permettait les exercices physiques violents s'adonnaient à la chasse, le frère Guillaume Mermin n'était pas une exception.
Ils rêvaient tous d'étendre le champ de leurs activités à la forêt de l'Epine, toute proche. Leur abbé, Jehan Venot, alla donc avant 1433, solliciter l'autorisation du commandeur, Thomas Trotin, offrant même de réparer les haies de chasse.
Cette démarche fut un succès, puisque l'abbé obtint, pour lui et ses moines, la permission de chasser dans la forêt de l'Epine, tout comme ils le faisaient dans les bois de Fontaine.
Ils usèrent pleinement de cette licence et donnèrent la chasse aux cerfs, biches, chevreuils et sangliers du commandeur. Mais ils en abusèrent aussi, oubliant de remettre au propriétaire de la forêt, à deux ou trois reprises, la part de venaison qui lui revenait de leurs chasses. Le commandeur en fut courroucé et aux observations qu'il leur fit, les religieux repentant répondirent : « que par Dieu feust ilz ne chasseroient plus s'il ne lui plaisoit ».
A quelques temps de là, on les vit pourtant courir sus au gibier dans la forêt de l'Epine : le bienveillant commandeur leur ayant renouvelé l'autorisation de chasser.
Le partage de la venaison, entre le commandeur de l'Epine et ceux qu'il autorisait à chasser dans sa forêt, s'effectuait parfois de manière équitable, mais il était aussi source de chicane, tant les chasseurs ou leurs gens avaient peine à se défaire du gibier abattu.
Rencontrant, aux environs de Noël 1435, le sergent de l'Epine, l'abbé du Pin lui fit une proposition. Ne désirait-il pas manger du sanglier de la commanderie ? Si oui, il pourrait le chasser ensemble.
L'intègre sergent répondit qu'il fallait d'abord l'autorisation de son maître. Alors, l'abbé prit le chemin de Poitiers et obtint du Commandeur, Nicolas Roy, la permission de mener la chasse dans sa forêt de l'Epine et comme ledit abbé disposait « de bons cordages, de bons laz et aussi de bons chiens », il lui fut accordé de garder la moitié de la venaison.
Cet accord, une première fois, fut bien respecté : une laie et deux marcassins ayant été tués, le commandeur reçut la moitié de la laie, l'abbé eut l'autre moitié ainsi qu'un marcassin, quant au second marcassin il fut remis au sergent de l'Epine.
Mais trois semaines ou un mois après, les religieux du Pin prirent un cerf qu'ils firent charger sur une charrette et mener à leur abbaye pour faire la curée et le devoir à leurs chiens, avant, déclarèrent-ils, de faire remettre au commandeur de l'Epine la part qui lui revenait.
Le cerf fut bien expédié à Poitiers, mais on fit courir le bruit qu'à la Vau de Boussay des gens d'armes avaient saisi le cerf et le cheval qui le transportait. En réalité, une rapide enquête du sergent, Jehan Laurent, révéla que le cerf tout entier avait été déposé en l'hôtel de l'abbé du Pin, à Poitiers, au mépris des droits du commandeur de l'Epine.
Quelques jours plus tard, les religieux du Pin chassèrent avec Jehan Rabateau, et leurs gens tentèrent de tromper la vigilance du sergent de l'Epine, chargé de surveiller la chasse. Ils affirmaient n'avoir tué qu'une seule bête tandis que, discrètement, ils en faisaient acheminer d'autres à l'abbaye du Pin. Informé de ces tromperies, le commandeur de l'Epine fit défense à l'abbé du Pin de chasser dorénavant dans sa forêt, précisant même avoir fait faire des cordes et des lacets en assez grand nombre pour pouvoir y chasser lui-même.
De nouvelles affaires de chasse, les années suivantes, 1436 et 1437, allaient encore envenimer les rapports entre la commanderie de l'Epine et l'abbaye du Pin.
Un jour d'automne, l'abbé chassait dans ses bois proches de la forêt de l'Epine, avec l'un de ses religieux, André Garet, dit Bersuyre, puis avec Jehan Colineau et Colas Bigot, ses valets et serviteurs. Ils y levèrent une biche qui alla se prendre dans un des lacets de leur haie, mais elle parvint à se libérer et, aux abois, elle s'enfuya dans la forêt voisine : celle de l'Epine. L'animal allait-il leur échapper ?
Devait-il renoncer à le poursuivre sur la propriété d'autrui ? L'abbé, fort prudemment, s'y résolut, tandis que ses trois compagnons se lançaient à la poursuite de la biche, et bientôt la rejoignaient près d'une des haies de la commanderie. Mais ils n'avaient pas été assez rapides et ils trouvèrent la bête gisant, tuée par le gendre du sergent du lieu. Leur déconvenue fut de courte durée et faisant preuve d'esprit de décision ils se saisirent de la biche, malgré les vives protestations des chasseurs de l'Epine, et disparurent. Le commandeur ne pouvait tolérer pareille violation de ses droits, d'autant que ce délit avait été précédé — ou suivi — de l'enlèvement, par les mêmes Garet, Colineau et Bigot, de quelques engins de chasse placés dans ses haies, et il engagea une action en justice contre l'abbé du Pin.
Cette procédure, il faut bien le reconnaître, ne calma pas l'ardeur agressive des chasseurs du Pin ; à tout peser, il semble même qu'elle éveilla chez eux quelque désir de vengeance. Pour l'exercer, ils n'attendaient que l'occasion.
Elle leur fut donnée un jour proche de la Toussaint 1437, quand chassant dans les bois du Pin, Garet, dit Bersuyre, Colineau et Bigot entendirent des chasseurs de l'Epine donner la chasse à un sanglier dans leur forêt. Alors, nos trois compagnons « arméz et embastonnez d'arbalestes, espées et autres armes invasibles » - ce qui laisse peu de doute sur la pureté de leurs intentions — quittèrent donc leur bois et précédés d'une forte meute s'engagèrent au- devant de l'animal chassé par leurs rivaux, puis firent saillir hors de la forêt tout le gibier qu'ils y rencontrèrent.
Après ces exploits, menés avec vigueur et détermination, ils voulurent encore enlever trois lacets ou cordes d'une des haies de la commanderie, mais ils se heurtèrent à la résistance des gens de l'Epine. A la tête de ces derniers était le vieux sergent, Jehan Laurent, âgé de 84 ans alors, et c'est à lui que s'en prit le frère Garet. Il voulut lui ôter son épieu « en le poussant et boutant et en renoyent Dieu qu'il le thueroit ». Sans l'assistance et la protection apportées au vieillard par ses compagnons, qui sait à quelles extrémités se serait livré le trop violent religieux.
Ces voies de fait, délit de chasse et vol d'engins amenèrent les religieux de Saint-Jean de Jérusalem à entamer une nouvelle procédure contre l'abbé du Pin.
Elle se termina par une sentence de la sénéchaussée de Poitiers, du 27 juin 1439, qui entérinait un accord amiable conclu précédemment entre les parties. Le temps avait atténué les rivalités et chacun s'engageait à respecter la possession de l'adversaire et à se désister des actions menées devant le Parlement pour le maintien de ses droits.
Depuis lors, il semble qu'il n'y ait plus eu de procès, pour délit de chasse, entre le commandeur de l'Epine et l'abbé du Pin. Mais à défaut des religieux, des hommes d'armes vinrent à plusieurs reprises troubler le droit de chasse du commandeur de l'Epine. D'aucuns, parmi ces soldats, allaient à la chasse armés comme en guerre, avec arbalètes, javelines ou autres armes défendues.
Ainsi le fit en 1448 le capitaine du château de Lusignan, Jehan du Mesnil, à la tête de treize gentilshommes, soldats ou serviteurs. L'affaire fut conduite comme un coup de main et la prise du gibier s'accompagna de saccages et de méfaits tels que l'abatage des haies de chasse, l'enlèvement des filets et cordages, ou le vol de bois.
Tout autre fut le comportement de Jacques Vernon quand il vint chasser dans la forêt de l'Epine, en 1456, avec 23 hommes dont un prêtre. Les haies de chasse étaient en mauvais état, il les répara avant de mener la chasse à chiens, à cor et à cri, comme s'il eut été chez lui.
Pour ce délit, le commandeur fit exécuter une complainte et Vernon, lorsqu'il en reçut signification, déclara avec arrogance « que l'on avoit oublié à mectre esd. lettres de complainte que il chaceroit esd. boys et l'Espine et qu'il y avoit chacé et chaceroit ». Nous ignorons la suite donnée à cette affaire.
Religieux ou laïcs, dans la pratique de l'art de la chasse, avaient le même comportement : celui de l'homme livrant un combat à un animal sauvage. La passion de certains hommes d'église, pour cet art viril, était telle qu'ils faisaient bien peu de cas des règles canoniques leur interdisant de chasser. Beaucoup, il est vrai, en leur qualité de seigneurs de terres ecclésiastiques, possédaient le droit de chasse dans leurs domaines.
Que, dans le conflit né de cette contradiction entre le droit canon et le droit féodal, certains aient suivi leurs penchants, rien n'est plus humain.
G. JAROUSSEAU
Société des antiquaires de l'Ouest.
==> Fontaine le Comte, l’abbaye Augustine des comtes du Poitou
Les éléments de cette courte étude sont extraits des document suivants (Archives de la Vienne 3 H 1 539) : 27 janvier 1437. — Enquête faite par Regnault de La Mote, enquêteur en Poitou, sur les droits de chasse de la commanderie de l'Epine, à l'encontre des religieux du Pin (dépositions de huit témoins), 12 feuillets parchemin. Avec un exposé des griefs du commandeur.
27 juin 1439. — Sentence de la Sénéchaussée de Poitiers maintenant le commandeur de l'Epine en possession des droits de chasse que lui contestaient les religieux du Pin.
30 janvier 1448. — Rapport d'un sergent chargé d'ajourner Pierre de Rechignevoisin, capitaine du château de Lusignan, d'autres gentilshommes et des serviteurs qui avaient chassé dans la forêt de l'Epine.
7 août 1449. — Sentence rendue aux assises des eaux et forêts de la ville et châtellenie de Lusignan absolvant des roturiers ayant chassé dans la forêt de l'Epine.
1er avril 1456. — Sentence de la Sénéchaussée de Poitiers contre Jacques Vernon, seigneur de Montreuil-Bonnin, dont les gens avaient chassé dans la forêt de l'Epine.