L’Archéologie source de l’Histoire - Le château médiéval de Semblançay

Le château de Semblançay n'a été étudié qu'une seule fois, il y a soixante dix ans, par Edouard Gatian de Clérambault, en un mémoire qui reste très sommaire pour ce qui est des parties romanes de la forteresse (1).

A bien des égards ce travail, estimable en son temps, reste dépassé. Il convient donc de rouvrir le dossier archéologique de ce monument, dont l'importance mérite d'être soulignée (2).

Aucun texte ne nous renseigne sur la construction des parties romanes de l'actuel château de Semblançay.

La forteresse existait déjà à une époque antérieure aux guerres de Foulque Nerra.

 En 888 un seigneur de Semblançay avait aidé Ingelger, ancêtre des comtes d'Anjou, dans ses luttes contre l'évêque d'Auxerre (3).

Plus tard, vers l'an mil, Foulque Nerra s'empara de la place, sans doute pour contrôler les environs septentrionaux de la ville de Tours. Ce contrôle était d'ailleurs renforcé par l'alliance entre Foulque et Hugues d'Alluye, qui tenait le château voisin de Saint-Christophe (4).

Au contraire de Langeais, Montbazon, Montrichard, Montboyau, etc., Semblançay n'a pas compté au nombre des fortins fondés en Touraine par Foulque Nerra.

 

1 Bulletin_de_la_Société_archéologique_[

Extérieur : porte aménagée au nord-ouest selon le premier projet

 

LE DONJON

2 Bulletin_de_la_Société_archéologique_[

Extérieur : notez la faible saillie des contreforts

3 Bulletin_de_la_Société_archéologique_[

Extérieur : mur occidental.

Notez la faible saillie des contreforts

Mais nous verrons que la topographie de Semblançay, qui incitait à la conception d'un programme de construction peu habituel en Touraine, ne faisait tout de même pas obstacle à la mise en œuvre des principes chers au comte angevin : le donjon et ses parties attenantes ont été édifiés sur un massif rocheux qui émergeait d'un étang ; celui-ci a été asséché au XVIIIe siècle et était auparavant alimenté en eau par un modeste ruisseau affluent de la Choisille.

étang la topographie de Semblançay,

 

L'étang était assez vaste : ses berges, qui ont été maçonnées au nord-est par Jacques de Beaune au XVIe siècle, ont un tracé vaguement circulaire accusant un diamètre d'environ 150 mètres. Le ruisseau permettait une abondante alimentation en eau.

En effet, outre que ce cours d'eau emplissait, en amont, les douves des châteaux du Grand Launay et de Dolbeau, de nos jours il concourt au fonctionnement, à un kilomètre en aval, des « Grands Moulins de Semblançay », établissement industriel en pleine exploitation. Or, ce fonctionnement est conditionné par une vaste retenue d'eau formant une sorte de petit lac de barrage.

 

 De nos jours, le donjon et les courtines qui l'entourent dominent d'environ dix mètres la prairie qui servait d'assiette à l'étang. Venant du nord, le ruisseau traverse cette prairie d'où il ressort par l'est après avoir contourné l'ensemble fortifié par l'ouest et le sud.

On voit ainsi qu'à Semblançay le château n'a pas été une forteresse sur éperon, comme à Langeais, Montbazon, Saint-Christophe, Montrichard, Chinon, Amboise, Loches, Montrésor, Lavardin, Blois, etc.

 Ce château n'était pas non plus établi sur une île, comme à Azay-le-Rideau ou à l'Ile-Bouchard, ni sur une berge, comme à la Haye ou à Tours, ni sur un mamelon aux pentes douces comme à Sainte-Maure, pas plus que sur un rebord de falaise, comme à Rochecorbon. Semblançay était planté sur un petit massif de rochers entouré d'un étang sans doute assez fourni en eau.

Ce massif rocheux n'avait à l'origine qu'environ 25 ares de superficie et s'élevait au maximum à cinq ou six mètres au-dessus du niveau du ruisseau (5). Mais, dans les premiers temps, l'étang n'entourait pas complètement les rochers : ceux-ci se prolongeaient en épine vers le nord-est, comme le prouve la présence dans la prairie d'un gros bloc témoin de cette épine.

 Celle-ci ne fut supprimée qu'à une époque tardive, peut-être vers la fin du XIIe siècle. L'élévation de ce bloc-témoin donne une idée à peu près exacte de celle qu'avait l'épine rocheuse avant sa suppression. Elle permet de déduire que, du côté de cette épine, c'est-à-dire vers l'est, le massif rocheux était moins haut que vers l'ouest ; mais nous reparlerons de cet important détail topographique.

Gatian de Clérambault a fort judicieusement daté le donjon de la deuxième moitié du XIIe siècle.

Cette opinion se vérifie d'abord par la facture des maçonneries (moyen appareil de tuffeau à joints assez fins) ; ensuite par un plan carré, alors qu'à l'époque précédente les ingénieurs préféraient le plan barlong (Montbazon, Sainte-Suzanne, Loches) ; enfin — et surtout — par un caractère résidentiel mieux affirmé que partout ailleurs, au moins en Touraine.

 Pour construire cet édifice on a arasé presque totalement la motte qui, au temps de Foulque Nerra, recouvrait dans sa plus grande partie le massif rocheux, de sorte que notre donjon est fondé à même le roc. Toutefois — et ceci nous paraît important — les rochers ont une élévation plus sensible vers l'ouest, où ils affleurent en falaise, que vers l'est, où ils sont encore recouverts par des remblais de terre ayant appartenu aux terrassements de la motte. Ainsi, le constructeur du donjon trouva, pour élever son monument, des assises plus sûres à l'ouest qu'à l'est : il lui a fallu asseoir une bâtisse cubique, de plan carré, sur un substrat rocheux très inégal et sans doute artificiellement nivelé, ici et là mais surtout vers l'est, par des terrassements.

Cette topographie, nous le verrons, explique certaines particularités du donjon.

Nous ignorons quelle fut la composition du château de Semblançay au temps de Foulque Nerra.

 Cependant, la topographie permet de supposer qu'elle s'apparenta à celle que nous avons pu définir par l'étude des fortins fondés par Foulque Nerra et par celle des grandes forteresses (Amboise, Loches, Chinon) dont les Angevins se rendirent maîtres avant le milieu du XIe siècle.

Nous avons montré qu'en contrebas d'une motte située vers la racine du promontoire le comte établissait, à la pointe de l'éperon et donc à l'endroit le mieux protégé, un domicilium qui était le logis du maître de la forteresse (6). Or, le massif rocheux, qui porte le donjon de Semblançay, s'avance, au sud-ouest, en une sorte de cap en forte saillie sur l'ancien étang.

A un tel emplacement, le domicilium eût été entouré par les eaux sur trois côtés ; il eût, en outre, été surélevé assez sensiblement par sa situation à l'endroit où les rochers atteignent leur plus haut niveau. Cette hypothèse, qu'à défaut de fouilles je donne pour telle, est renforcée par deux considérations.

D'abord la motte n'eût pu recouvrir ce cap, à moins de dissimuler sous elle l'entier massif rocheux, ce qui est peu vraisemblable si on observe que ce massif, diminué du cap, a un tracé vaguement circulaire qui convenait trop bien au support d'une motte.

 Ensuite, lorsqu'au XVIe siècle Jacques de Beaune s'installait à Semblançay, il relia les bâtiments d'habitation, qu'il venait d'édifier au sud du donjon, à une tour préexistante qui est plantée actuellement sur le cap et qui, construite au XIVe siècle, a peut-être servi à agrandir et à compléter le domicilium encore conservé à cette époque : ouverte à la gorge et assez curieusement dotée d'une cheminée (7), cette tour, dont les parois sont d'ailleurs minces, avait un rôle résidentiel que ses faibles dimensions (4 mètres dans œuvre) devaient limiter. Aussi d'autres bâtiments devaient-ils la compléter : une tour ouverte à la gorge est, en principe, difficilement chauffable ; ici sa cheminée, pourtant, n'a pas été ménagée pour rien.

 Cette tour a été conservée par Jacques de Beaune comme annexe à ses bâtiments. Il est vraisemblable qu'elle avait servi aussi à compléter un ensemble monumental antérieur et destiné à l'habitation, qui ne lui était pas nécessairement contemporain.

Le donjon est élevé sur plan rigoureusement carré. Hors œuvre, ses dimensions sont de 13 m X 13 m. Au rez-de-chaussée, les murs ont 2,40 m d'épaisseur, ce qui réduit les dimensions dans œuvre à 8,20 m X 8,20 m.

Par l'effet d'une retraite interne de 0,60 m, l'épaisseur murale n'est que de 1,80 m à l'étage. Sur chacun de ses côtés, le donjon est épaulé par trois contreforts qui méritent un examen particulier.

Les douze contreforts du donjon n'épaulent la bâtisse qu'au niveau du rez-de-chaussée, contre les parties hautes duquel ils s'amortissent en glacis. La plupart de ces glacis sont d'ailleurs très détériorés sinon ruinés. Comme nous le verrons, le donjon, qui n'a aujourd'hui qu'un premier étage au -dessus du rez-de-chaussée, en avait au moins un second à l'origine.

Les étages du donjon, comme l'actuel premier étage, n'étaient donc pas épaulés par des contreforts. D'autre part, les contreforts sont beaucoup plus importants du côté oriental que sur les autres faces du donjon. A l'est les contreforts d'angle ont deux ressauts, tandis qu'aux autres angles ils n'en ont qu'un. Quant au contrefort médian de la face orientale, sa saillie atteint 1,02 m et son épaisseur 2 mètres. De telles dimensions sont insolites, si on considère que les autres contreforts médians n'ont en saillie que 0,45 m sur la face occidentale et 0,35 m sur les faces nord et sud ; quant aux épaisseurs elles ne sont que de 1,60 m à l'ouest, 1,30 m au sud, les 2 mètres étant cependant atteints au nord.

Donc, sur la face orientale, les contreforts sont beaucoup plus puissants, tant en épaisseur qu'en saillie, que sur les autres faces. De telles différences ne sauraient être fortuites. En effet, nous avons vu que le substrat rocheux qui porte le donjon atteint à l'ouest un niveau plus élevé qu'à l'est, où il se dérobe et où les terrassements artificiels, issus sans doute de l'ancienne motte, ont racheté de sensibles inégalités de niveaux.

Sur le front oriental, on a donc été contraint de renforcer les contreforts du donjon pour bien équilibrer une bâtisse assurément fondée, de ce côté, plus bas que sur les autres.

L'élévation réduite de tous les contreforts qui, nous l'avons vu, est égale à celle du rez-de-chaussée du donjon, et leur plus grande puissance du côté où le substrat rocheux se dérobe, constituent deux faits qui autorisent à déduire qu'à Semblançay les contreforts ont eu autant pour fonction d'équilibrer la bâtisse, de bien l'arrimer et de la river au mieux à un fond rocheux inégal, que d'épauler une élévation qui s'est passée de tels renforcements au moins sur deux étages.

Doit-on en tirer une conclusion générale sur la fonction et l'utilité des contreforts ? Bien que la saillie des contreforts fût souvent trop faible pour un épaulement efficace (Huriel, Loudun et même Loches), bien que, dans bien des cas, il n'y eût pas de contreforts, nous ne nierons pas que" ces éléments aient eu pour utilité d'augmenter la puissance d'un donjon en renforçant ses murs.

Mais il arrivait que la puissance et la répartition des contreforts fussent variables à un même monument.

J'en ai donné une explication pour le donjon de Montbazon (8). Mais le phénomène se remarque ailleurs, à Arques, à Chauvigny, par exemple, et pourrait s'expliquer par une étude attentive du substrat, rocheux ou non, qui porte le monument.

 En tous cas, à Semblançay, où on avait peut-être dans un premier projet envisagé une plus sensible élévation des contreforts ; leurs différences de puissance prouvent que leur utilité a surtout consisté à bien équilibrer une bâtisse qui n'était pas fondée sur un sol d'assiette égal.

4 Bulletin_de_la_Société_archéologique_[

 Intérieur : le mur occidental et, à droite, l'angle nord-ouest.

Porte d'entrée selon le premier projet et baie obturée

5 Bulletin_de_la_Société_archéologique_[

Mur oriental : contrefort médian et fenêtre au-dessus.

Notez la puissance du contrefort médian

6 Bulletin_de_la_Société_archéologique_[

Mur méridional.

Notez la faible saillie des contreforts

7 Bulletin_de_la_Société_archéologique_[

Intérieur : arc pris dans le mur oriental colonne médiane sommée d'un chapiteau

8 Bulletin_de_la_Société_archéologique_[

Intérieur : la cheminée

9 Bulletin_de_la_Société_archéologique_[

Intérieur : branche de droite de l'arc pris dans le mur oriental.

A l'extrême droite et en bas : arrachement des premiers degrés de l'escalier d'accès au second étage

 

Le donjon de Semblançay est percé, au rez-de-chaussée, d'une porte très postérieure à la construction du monument. Ce percement, pratiqué à une date indéterminée, ne nous intéresse pas : il n'a rien à voir avec l'œuvre romane, peut-être même pas avec l'œuvre médiévale. A l'époque romane, la porte d'entrée se situait à l'étage du côté méridional, près de l'angle sud-est.

Cette entrée a deux niveaux : une porte, qui ouvre à l'intérieur de l'étage et qui, à l'extérieur, prend le jour au moyen d'une baie en arc brisé à deux rouleaux, est reliée à une porte plus basse, en communication avec l'extérieur, au moyen d'un escalier large d'environ 0,80 m, pris dans l'épaisseur murale.

Pour le percement de cette porte basse, on a profondément entamé le contrefort d'angle sud-est qui, à ce niveau, est tellement dégradé que l'analyse se révèle délicate. Cependant, le montant occidental de ce percement n'est pas lié au reste du parement, bien que des pierres d'attente de celui-ci subsistent à l'endroit où le contrefort aurait dû poursuivre son élévation. Quant au montant oriental, il a disparu en même temps que les parties hautes du contrefort. La porte haute — celle qui donne sur l'intérieur de l'étage — et la baie en cintre brisé sont reliées par un couloir voûté en plein cintre. Originellement, l'appui de cette baie était plus bas : il a été exhaussé de trois assises à une date indéterminée.

Quant à l'escalier, il est curieusement voûté d'une suite d'arcs en chevrons, en saillie les uns sur les autres. Ce voûtement surprend, parce qu'un simple berceau rampant, comme aux escaliers du donjon de Loches, aurait pu suffire, alors surtout que le couloir supérieur est voûté en berceau. L'échancrure dont le contrefort a été affecté, a incité Gatian de Clérambault à voir dans cette porte basse et dans l'escalier un aménagement entrepris par Jacques de Beaune au XVIe siècle. Un argument pourrait même être avancé au soutien de cette opinion : le montant gauche de la porte n'est pas lié au reste du parement extérieur ; il s'en dégage par une nette saignée verticale, comme si on l'avait placé après coup. Mais l'argument perd de sa portée si on observe qu'à la porte haute intérieure, à laquelle aboutit l'escalier, le montant gauche est, lui aussi, dégagé du parement par une saignée. Ici on peut objecter que les deux portes — la haute comme la basse — ont été le fruit d'une réfection tardive. Mais le montant de la porte basse, comme les deux montants de la porte haute, ont leurs arrêtes abattues en chanfrein. Or, si les montants gauches des deux ouvertures ne sont pas liés au parement, il n'en va pas de même du montant droit de la porte haute, qui est parfaitement solidaire du parement voisin. Les trois montants, profilés de la même manière, sont donc contemporains de la construction du donjon.

Sans doute ne s'agit-il que de simples chanfreins et donc d'une mouluration assez banale. Mais, outre que la moindre mouluration est de conséquence pour un donjon roman, c'est-à-dire pour une bâtisse qui en était souvent dépourvue, les deux portes sont les seules ouvertures du donjon (il y en a onze au total) à être profilées de cette manière : aux autres percements, les cintres et montants sont à angles vifs.

Nous verrons plus loin qu'en réalité les deux portes et l'escalier qui les relie ont été le fruit d'un repentir datant de la construction du donjon. D'autres arguments viennent déjà à l'appui de cette opinion. D'abord, la porte haute intérieure est déchargée par un cintre, pris dans le parement, qui est décalé vers la gauche et qui, selon un projet initial, devait être le cintre interne d'une fenêtre, car ses dimensions sont à peu près celles des cintres des autres baies, qui, soit dit en passant, ne sont pas pris dans le parement.

 Ensuite, l'entreprise, telle que Clérambault l'a imaginée, eût été dispendieuse : il eût été plus facile de faire communiquer directement les bâtiments de Jacques de Beaune avec la porte haute que de forer le mur du donjon pour pratiquer un escalier à l'intérieur de celui-ci.

En outre, pourquoi aurait-on voûté l'escalier d'une suite d'arcs en chevrons, dans un évident désir de renforcement, alors que toute la blocaille du dessus, sèche depuis trois siècles, était compacte et ne faisait pas courir le hasard des mouvements provoqués par la fraîcheur des mortiers ?

Au contraire ce risque était réel à l'époque de la construction du donjon, alors surtout que l'élévation était déjà affaiblie par le rapprochement de deux importants percements et que la largeur de l'escalier diminuait d'autant les épaisseurs murales.

Quoi qu'il en soit, nous avons, au donjon de Semblançay, une entrée aménagée avec une indéniable recherche. Elle date, avec l'escalier et la porte basse, de la construction du donjon ; elle est déjà annonciatrice du caractère résidentiel du monument. Cette première impression se confirme à l'examen de l'étage.

A l'origine, cet étage était surabondamment éclairé : au total, six fenêtres, deux au nord, deux à l'ouest, une au midi et une autre à l'est, celle-ci étant assez curieusement percée juste au-dessus du contrefort médian. Certaines de ces ouvertures ont été obturées assez tôt, si on en juge par la facture de l'appareil ayant servi à ces oblitérations (moyen appareil identique à celui des parements voisins). Il n'en est pas moins vrai que le nombre assez élevé des fenêtres, à la hauteur relativement modeste de 7 mètres au-dessus du sol extérieur, met l'accent sur un caractère aulique bien affirmé, dont on peut retrouver un équivalent, antérieur de plus d'un siècle, au domicilium de Langeais (9).

A cette particularité, ajoutons la présence d'une cheminée dans le mur nord, dont les montants sont sommés de chapiteaux à feuillages (10) plutôt rares dans un donjon roman. Le donjon a été arasé à hauteur des parties hautes de la cheminée. Comme celle-ci était obligatoirement dotée d'un conduit de fumée, celui-ci ne pouvait avoir été pratiqué qu'à un deuxième étage aujourd'hui disparu. L'existence de cet ancien niveau est, par ailleurs, suggérée par la présence d'un arc brisé, réservé dans le mur oriental. Le tracé de cet arc est très irrégulier : sa branche méridionale, dont la portée est quelque peu plus grande que sa voisine a porté un escalier à rampe droite, qui a laissé trace de ses premiers degrés de pierres dans le parement.

Cet escalier servait à accéder au deuxième étage. Mais, détail curieux, l'arc brisé est soutenu, à l'endroit de sa clé, par une grande colonne sommée d'un beau chapiteau à feuillages foré au trépan. Il est évident que cette colonne, qui ne servait assurément pas à recevoir l'arc, avait pour fonction d'aider au support d'un élément maçonné de l'ancien deuxième étage, peut-être un dallage précédant l'âtre d'une cheminée.

Autre particularité de l'étage : le percement dans l'angle nord-ouest d'une porte en communication avec l'extérieur. Gatian de Clérambault, en constatant l'absence d'encoches pour les fermetures, a nié que cette ouverture ait été une porte d'entrée du donjon et l'a considérée comme une ancienne latrine. Il est certain qu'on concevrait mal la présence de deux entrées au même étage d'un donjon aussi peu développé en plan.

 

10 Bulletin_de_la_Société_archéologique_[

Extérieur : entrée du donjon, située au sud-est.

En bas, à gauche : porte percée post-médiévale ; en bas, à droite : contrefort sud-est ; en haut, à droite : porte basse extérieure (notez la mauvaise liaison entre son montant gauche et le parement) ; en haut, à gauche : fenêtre en arc brisé faisant vis-à-vis avec la porte haute intérieure

11 Bulletin_de_la_Société_archéologique_[

LE DONJON

Photos Deyres

Extérieur : la porte basse extérieure et son montant gauche, profilé en chanfrein, mal lié au parement voisin.

Voûtes de l'escalier.

Bulletin_de_la_Société_archéologique_[

Intérieur : la porte haute intérieure.

Les montants sont amortit en chanfrein. Notez, entre les montants et le parement, une mauvaise liaison à gauche et une bonne liaison à droite.

Au-dessus, arc en plein cintre pris dans le parement,, Dans le fond, au-delà du bref couloir, baie cintrée extérieure

 

 

Mais on voit mal aussi qu'une latrine n'ait pas été pourvue d'un bâti extérieur.

En réalité, cette ouverture a été la première porte prévue pour le donjon.

D'abord, elle était placée à l'opposé de l'escalier d'accès au deuxième étage, ce qui obligeait un éventuel assaillant à traverser toute la salle du premier pour atteindre le second. Ensuite, à l'emplacement de la porte haute du sud-est, on avait originellement prévu une fenêtre : nous avons vu, en effet, que son cintre est à peu près le même qu'aux autres baies, bien qu'il soit pris dans le parement ; quant au cintre extérieur, il est brisé, ce qui dénote un remaniement très légèrement postérieur à la construction ou effectué en cours de construction.

Tout ceci vient en confirmation de ce que nous avons déjà dit : l'entrée du sud-est, avec son escalier et ses deux portes, est le fruit d'un repentir. Celui-ci intervint lorsqu'on parementa l'intérieur du mur sud à l'étage : on profila alors en chanfrein le montant droit de l'entrée ; mais, pour donner ce même profil aux autres montants des portes, on fut obligé d'entailler un parement déjà en place, d'où les deux saignées que nous avons signalées.

Donc, par l'effet du repentir, on abandonna le projet d'une porte percée au nord-ouest ; cette ouverture, qui ne reçut même pas ses encoches, resta donc inachevée. Elle fut sans doute utilisée à d'autres fins (latrine ou bretèche avec bâti de bois ?).

La présence à l'étage de nombreuses baies, d'une cheminée, d'un arc brisé formant alcove et de deux chapiteaux assez soigneusement sculptés, sont, sans parler de l'aménagement de l'escalier d'entrée, des attributs résidentiels qui trahissent une époque assez tardive de construction.

D'ailleurs, le fait de placer assez bas la porte extérieure peut suggérer qu'on eut le dessein de raccorder l'entrée avec le logis qui se trouvait au sud près des courtines et vers le cap sud-ouest, raccord qui pouvait se réaliser par un pont-volant ou une passerelle.

Comme l'a récemment montré M. Pierre Héliot (11), le « donjon résidentiel » était pleinement constitué dès le XIe siècle. A cette époque, il ne présentait généralement pas tous les agréments que nous pouvons observer à Semblançay, dont l'œuvre date du milieu du XIIe siècle ou même un peu plus tard.

Le donjon de Semblançay est entouré d'une courtine dont le tracé suit exactement les limites du massif rocheux. Elle est ponctuée, au cap sud-ouest, de la tour ouverte à la gorge dont nous avons parlé, au nord-ouest d'une tour carrée et pleine et au nord d'une tour circulaire. Sur le front nord on observe la trace d'un important remaniement : vers l'ouest un appareil moyen a été collé à un parement de moellons cassés qui va jusqu'à la tour nord. Je pense que ce parement est plus récent que le donjon parce qu'il fait corps avec la tour voisine qui date de l'époque gothique.

Mais, au-delà de celle-ci, donc vers l'est, la courtine est assise sur un mur de moellons cassés, très archaïsant, qui a appartenu au premier chemisage, datable peut-être d'une époque antérieure à la construction de l'actuel donjon. Jouxtant ce mur, une maçonnerie semi-circulaire a été conservée au rez-de-chaussée de la tour nord. Clérambault l'a considérée, à juste titre, comme le vestige d'un contrefort ancien, du type semi-cylindrique de ceux de Montbazon (12).

Nous avons là, je crois, le seul témoin du chemisage établi à l'époque romane autour du donjon de Semblancay.

Plus tard, sans doute au XIVe siècle, l'ensemble donjon-chemise a lui-même été enveloppé dans des courtines régulièrement ponctuées aux angles de tours circulaires très dégagées et d'une tour à bec triangulaire au midi.

Un pont reliait ces courtines au village, par- dessus l'étang du côté nord-est.

Au XVIe siècle, Jacques de Beaune a construit, à l'intérieur de la chemise et au midi, un logis qui reliait le donjon et la tour sud-ouest en longeant les courtines. En fait, il ne dédaigna pas d'annexer à cette résidence le vieux donjon dont les salles carrées et bien éclairées n'étaient pas sans agrément.

Les bâtiments de Jacques de Beaune n'ont laissé que de pauvres vestiges : rien n'interdit de penser que les salles hautes du vieux donjon étaient les parties les plus agréables de la résidence.

La construction du donjon a été entreprise vers le milieu du XIIe siècle, à une époque où, sans négliger les nécessités de la défense, les seigneurs féodaux aspiraient à un certain confort résidentiel.

Outre que la vie seigneuriale sortait quelque peu du cadre fruste qui avait été le sien au XIe siècle, l'empire Plantagenêt, au cœur duquel se trouvait Semblançay, assurait tout alentour une paix relative.

Pourquoi le maître de Semblançay aurait-il remplacé le vieux donjon de bois, qui datait peut-être de Foulque Nerra, par un bastion inexpugnable et austère du type de Montbazon, alors que les dangers courus par sa seigneurie étaient minimes et alors qu'un très large plan d'eau et de hautes courtines lui assuraient déjà une sécurité suffisante ?

L'analyse du donjon prouve qu'il hésita entre le pur souci de défense et l'agrément résidentiel.

Il avait commencé par épauler le bastion par douze contreforts et par envisager le percement de l'entrée à l'angle nord-ouest et à 7 mètres du sol extérieur, en laissant le rez-de-chaussée sans ouverture. Rien n'infirme qu'il ait eu la première intention de suivre sur ce projet, de pousser plus haut l'élévation des contreforts en la haussant jusqu'au sommet du donjon. Mais il se ravisa et, renonçant à placer l'entrée au nord-ouest, il la pratiqua quelque peu plus bas, au sud-est, avec sans doute l'idée de la raccorder au logis par une passerelle.

Pour ce faire, il dut interrompre l'élévation du contrefort sud-est et abandonner la pratique des issues contrariées à l'intérieur de l'étage. Mais, en abaissant l'entrée à 3,50 m, en supprimant la contrariété des issues, il renonçait à bien des avantages purement défensifs. Pourquoi, dans ces conditions, aurait-il davantage poussé l'élévation des contreforts, sinon pour un renforcement bien illusoire de l'élévation murale ?

Au rez-de-chaussée, où tout fut conçu selon le projet « défensif », la bâtisse est robustement

L’Archéologie source de l’Histoire - Le château médiéval de Semblançay

Le château de Semblançay Lithographie par A. Noël. Coll. S.A.T.

 

épaulée par douze solides contreforts. Or, à l'étage, où tout évoque le confort résidentiel, il n'y a plus de contreforts, bien que les murs soient amincis de 0,60 m. On n'a même pas hésité, à l'est, à percer une fenêtre au-dessus du contrefort médian et dans l'axe de celui-ci. Quant à la porte basse de l'entrée qui n'est qu'à 3,50 m du sol, son percement a obligé à interrompre l'élévation du contrefort sud-est : le contrefort, élément défensif, était sacrifié à l'entrée basse, élément résidentiel.

Cependant, à Semblançay, les attributs de nature défensive n'ont pas été conservés par simple habitude ou par tradition, comme cela se fera dans certaines œuvres de la fin du Moyen-Age ou de la Renaissance (Chaumont, Azay-le-Rideau, Rigny-Ussé) : l'ingénieur de Semblançay n'a disposé les éléments défensifs que dans l'idée de leur donner leur fonction naturelle.

Mais, se rendant compte, en cours de travaux, de leur peu d'utilité, il a tronqué leur mise en place et leur a substitué, dans le reste de l'élévation, un parti d'ensemble où tout restait subordonné à la fonction résidentielle.

 

 

 

 

 

Le château médiéval de Semblançay par M. Marcel DEYRES

 

 De la Motte féodale aux châteaux forts - Foulques Nerra (et Thibaut Ier de Blaison) <==.... ....==> RECHERCHES GÉNÉALOGIQUES SUR DES SEIGNEURS DE SEMBLANÇAY, DEPUIS LE MILIEU DU XIe SIÈCLE JUSQU'A LA FIN DU XVIIIe.

....==> Le château de la Motte à Usseau (Vienne) - Geoffroy Le Maingre de Boucicaut

 

 


 

ETUDE FÉODALE : Le château de Montcontour du XI au XVIII siècle (Foulques Nerra)

L'origine de Montcontour est entourée d'obscurités. Ce nom, écrit, suivant les époques, de façons très diverses, et dont l'étymologie ne satisfait personne, ne peut, par lui-même, jeter aucune lumière sur les commencements de l'histoire du château, ni de la ville.

 

(1) Edouard GATIAN DE CLÉRAMBAULT, Le château de Semblançay, dans Bulletin de la Société Archéologique de Touraine. 1904. D. 470 et s.

(2) Dans son récent ouvrage, Donjons romans des pays de l'Ouest (Paris, Picard, 1973, p. 150-151), M. André Châtelain a consacré une courte notice au donjon de Semblançay. Le propos de l'auteur a été différent de celui que nous nous assignons : sa notice fait partie d'un travail d'ensemble, d'une synthèse d'ailleurs excellente. Pour ma part, tout en exprimant ici mon admiration pour les recherches de M. Châtelain, je tiens à tenter les monographies des châteaux d'une région, la Touraine, tels qu'ils ont existé à l'époque romane.

(3) Grande Chronique de Touraine, édit. André SALMON, (Tours 1854), p. 104.

(4) Gesta ambaziensium dominorum, éd. Halphen et Poupardin (Paris 1913) p. 48 : Deinde per Semblanchiarum, quam etiam firmaverat sibi, et per terram hominis et amici sui Ugonis de Aluia, qui dominus castri quod Castellum dicitur et Sancti Christophori erat, indeque Valeiam intrans, Andegavis, nolentibus civibus Turonicis, ad libitum descendebat.

(5) En ajoutant les vestiges de terrassements ayant appartenu à la motte primitive, le donjon se situe, comme je l'ai dit plus haut, à environ dix mètres au-dessus du niveau du ruisseau de la Petite Choisille.

(6) Cf. Marcel DEYRES, Les châteaux de Foulque Nerra, dans Bulletin monumental 1974, p. 7 et s.

(7) Cette cheminée a été signalée par GATIAN DE CLÉRAMBAULT (op. cit., p. 474).

De son temps, c'est-à-dire en 1904, elle était déjà très ruinée.

(8) Cf. notre étude, op. cit., p. 14, et notre étude Le château de Montbazon au XVe siècle, dans Cahiers de Civilisation Médiévale, T. XII, 1969, p. 147 et s.

(9) Cf. Marcel DEY RES, Les châteaux de Foulque Nerra, op. cit., passim et Le donjon de Langeais, dans Bulletin Monumental, 1970, p. 179 et s. -

(10) Le chapiteau du montant droit de la cheminée est ruine, Seul subsiste celui du montant gauche.

(11) Pierre Héliot, Les origines du donjon résidentiel et les donjons-palais romans de France et d'Angleterre, dans Cahiers de Civilisation Médiévale, XVII. 1974, p. 217 et s.

(12) Cf. nos études sur Montbazon (op. cit).