Archéologie Abbaye Saint Philibert de Tournus - Prosper Mérimée - Flabellum de Cunauld
L’église Saint-Philibert de Tournus a retenu l’attention de la Commission des Monuments Historiques dès sa constitution.
A leur premier voyage les Inspecteurs Généraux Ludovic Vitet et Prosper Mérimée avaient signalé au Ministre de l’Intérieur cette église abbatiale qui paraissait l’une des plus anciennes et des mieux conservées de toutes les églises romanes.
Aussi Saint-Philibert de Tournus figure-t-il sur la première liste des monuments classés, publiée en 1840.
Peu de temps après, la Commission des Monuments historiques chargeait l’architecte Questel d’étudier la restauration de l’église.
De 1841 à 1851, restauration de l'église par l'architecte Charles-Auguste Questel et reconstruction du portail de la façade occidentale, de l'escalier tournant de la chapelle St-Michel.
Quelques relevés, fort bien dessinés, étaient alors présentés à la Commission qui accordait, en 1845, les crédits nécessaires.
Parmi les travaux entrepris, certains répondaient aux besoins de consolidation, tandis que d’autres correspondaient aux théories de restauration suivant une unité de style qui commençait alors à être de mode.
C’est ainsi que les charpentes vétustes des clochers furent refaites à neuf, mais autant qu’on en puisse juger par les gravures antérieures, la silhouette générale et la pente de la toiture furent scrupuleusement respectées.
Il n’en fut pas de même de la tour sud, seulement couverte d’une toiture en bâtière abritant également la terrasse entre les deux tours.
Cette bâtière fut changée de sens de façon à présenter un pignon sur la façade, la terrasse mise à l’air libre, et l’on fit, sur les corbeaux existants, un mâchicoulis de pierres qui répond au goût romantique de la fortification féodale.
Sur la façade, le portail encadré de bossage et couronné d’un fronton classique, exécuté sur les ordres du Cardinal Fleury, fut démoli et remplacé par un porche dit de style roman qui s’inspirait du portail de l’ancienne église Saint- Valérien.
A l’intérieur, des travaux de restauration, assez considérables, furent entrepris.
L’Inspecteur Général Mérimée (1) reprocha même à l’architecte Questel d’avoir remplacé les chapiteaux anciens au pourtour du choeur. Questel protesta de ses bonnes intentions et répondit que le nettoyage exécuté sous la surveillance de son représentant local avait été effectivement trop poussé, mais qu’il s’agissait bien des chapiteaux d’origine.
Ces critiques font déjà sentir la difficulté des travaux de restauration à une période où les doctrines officielles elles-mêmes étaient établies sur des bases peu solides et où l’impossibilité de déplacements fréquents obligeait l’architecte de la Commission à s’en remettre aux soins d’un sous-ordre parfois peu compétent.
Ces importants travaux permirent cependant à l’église de franchir toute la seconde moitié du XIX e siècle sans qu’il y eût besoin de réparations notables.
Ce n’est guère qu’entre 1900 et 1910 que de nouveaux travaux furent entrepris, après une étude archéologique très complète du desservant de la paroisse, le Chanoine Henri Cure. Certains travaux, telle la réfection du dallage de la chapelle St-Ardain en carreaux de ciment de Paray-le-Monial furent assez malheureux, mais d’autres, entrepris sous la direction de l’architecte en Chef des Monuments historiques André Ventre, nous valurent la joie de retrouver la magnifique couleur intérieure de l’église qui avait été enduite au XVIII e siècle d’un badigeon uniforme à la chaux blanche.
(Abbaye Saint Philibert de Tournus en cours de restauration 1911)
Des reprises dans les maçonneries extérieures consolidèrent certains éléments, comme la chapelle nord du déambulatoire, qui avait été percée d’une porte au cours des âges.
Pratiquement on ne fit plus, depuis 1910, que des travaux d’entretien dans l’église Saint-Philibert.
Les générations précédentes ne s’étaient intéressées qu’au monument principal. La nôtre prit en mains la protection des abords de l’édifice et la mise en valeur du cadre ancien. C’est alors qu’on s'aperçut que Tournus n’était pas seulement la magnifique église dédiée à Saint-Philibert, mais un complexe de bâtiments qui restituait la vie de l’ancienne abbaye dans sa totalité.
Après les recherches des architectes en chef Gelis et Saliez et de nous- même, la Commission des Monuments historiques décidait en octobre 1928 le classement des restes de l’ancienne enceinte et le 28 mai 1951, le classement du Logis abbatial, de la Salle Capitulaire, du Réfectoire des Moines et des grandes caves.
C’est seulement après ce classement que nous pûmes entreprendre, grâce à l’aide compréhensive de la Municipalité de Tournus et du R. P. Petit, curé de la paroisse, la restauration de la Salle capitulaire et du Réfectoire appelé aussi « le Ballon », en souvenir des jeux qu’y pratiquait la jeunesse de Tournus après la sécularisation de l’Abbaye.
C’est dans la salle capitulaire que s’effectuèrent les premiers travaux. Il fallut d’abord reprendre les quatre piles sur lesquelles reposent les voûtes, piles qui étaient chargées chacune de près de soixante tonnes.
Les travaux menés par l’entreprise Cartier et dirigés par Monsieur Fournier, architecte des Monuments historiques, furent extrêmement délicats : un chevalement en charpente soutenant des moises en béton armé, qui épousaient exactement la forme de la retombée des voûtes, permit de les soutenir pendant que l’on remplaçait les tambours de colonnes complètement écrasés.
Après cette consolidation, on dégagea les magnifiques baies romanes qui mettaient autrefois la salle capitulaire en communication avec le cloître et l’on perça les fenêtres à l’est, suivant le modèle de menuiserie XVIII e siècle qui existe encore sur le côté sud.
Nos travaux permirent d’ailleurs de préciser un point d’archéologie. On prétendait que le Cardinal Fleury, lors des grands travaux qu’il fit à Tournus au milieu du XVIII e siècle, avait coupé la salle capitulaire qui se serait étendue auparavant vers le sud.
Le Cardinal Fleury fit couper en effet le bâtiment comprenant la salle capitulaire, mais la salle elle-même est restée dans ses dimensions d’origine, ainsi que le prouvent les deux chapiteaux du côté sud, qui ne sont que des demi- chapiteaux. Un renforcement du mur lors de la césure du bâtiment, renforcement qui englobait partiellement les chapiteaux, était à l’origine de cette légende.
D’ailleurs le portail ouvrant sur le cloître et les deux baies géminées, de part et d’autre, correspondent aux trois travées de la salle capitulaire, qui formait ainsi une composition complète.
Enfin le sol cimenté de la salle fut remplacé par un dallage en pierre de Puley.
Le grand Réfectoire ou « Ballon » où se sont tenus en 1954 le Congrès des Sociétés Savantes de Bourgogne et le 1 er Colloque du Centre International d’Etudes Romanes, était divisé dans sa hauteur par un plancher intermédiaire.
D’autres cloisons le divisaient dans le sens vertical ; il était impossible de se rendre compte du magnifique volume de cette salle. Ce n’est qu’après l’achat réalisé par la Ville de Tournus que l’Administration des Beaux-Arts put entreprendre la restauration de cet énorme vaisseau dont la nudité et les admirables proportions font ressortir la grandeur.
Il fallut dégager les fenêtres, rejointoyer discrètement les murs en moellons apparents, boucher par des injections de ciment les fissures de la voûte, rattraper l’enduit même de cette voûte, en laissant voir les traces des planches de coffrage qui avaient servi à la monter au XII e siècle, comme on eût fait de nos jours pour un moderne ouvrage en béton armé.
Après différents projets soumis à la Commission des Monuments historiques, on décida de refaire le sol en dalles de Puley, comme dans la salle capitulaire, mais on a conservé la descente en galets de Saône, qui avait été établie au XVIII 9 siècle pour entreposer dans le Réfectoire les produits des vignes du domaine abbatial.
En effet, cette descente s’allie à un charmant portail XVIII, agrémenté de deux vantaux dont les motifs décoratifs s’inspirent du raisin et de la cuve à vin.
Un appentis moderne cachait ce portail il a été enlevé et il est souhaitable qu’il en soit de même pour les autres appentis accolés au XIX e siècle au côté sud du Ballon, et qui empêchent la lumière du jour d’éclairer les fenêtres que nous avons garnies de simples vitraux losangés.
La Commission des Monuments historiques pense que son rôle ne se bornera pas à la remise en état de ces deux salles. Elle espère poursuivre la restauration de l’Abbaye qui doit abriter à nouveau certaines activités intellectuelles grâce au Centre International d’Etudes Romanes qui y a élu son siège.
Dès cette année doit renaître le cloître, par suite de l’ouverture des arcades de la chapelle Saint-Ardain.
La Commission voudrait ensuite restaurer le Cellier dans lequel pourrait s’installer la bibliothèque municipale conjuguée avec celle du Centre d’Etudes Romanes ; enfin, nettoyer certains logements monacaux, lorsque les locataires actuels auront pu retrouver un logement plus confortable dans les habitations modernes. Dans ces anciens logements pourront venir s’installer alors des étudiants qui s’efforceront de reprendre, en plein XXe siècle, le flambeau des nobles études bénédictines.
Le chœur date du XIIème siècle, il comprend trois chapelles rayonnantes sur un déambulatoire en demi-cercle.
En 2001, des travaux de rénovation ont permis de mettre à jour des mosaïques datant du XIIème siècle et représentant les signes du zodiaque, en alternance avec les mois de l’année.
Lors de l’important chantier de restauration des Monuments Historiques entrepris à l’abbatiale, en 2001, sont apparus dans le sol du déambulatoire des éléments d’un pavement de mosaïque. Juénin, au début du XVIIIe siècle, signalait déjà un pavement polychrome qu’il avait pu observer à l’occasion de la pose d’un dallage demeuré en usage jusqu’à nos jours : « … On aperçut dans un rond de 2 pieds 7 pouces de diamètre, bien conservé, un faucheur ; et dans un endroit du cercle de 7 pouces de large, qui l’environne, le mot IUNIUS en beaux caractères romains.
Dans le rond qui suivait, on trouva la figure du cancer qui est le signe du mois de juin ; dans un troisième, une moissonneuse, avec le mot IULIUS » (cf. Nouvelle histoire de l’abbaye royale et collégiale de Saint Filibert et de la ville de Tournus, Dijon, 1723, p. 382).
La décision fut prise par les Monuments Historiques d’une intervention archéologique de terrain, confiée à une équipe de l’I.N.R.A.P, du 29 janvier au 27 février 2002, sous la direction de Benjamin Saint-Jean Vitus.
Le dallage de l’hémicycle du déambulatoire fut déposé ; l’atelier de restauration des mosaïques de Saint-Romain-en-Gal intervint également, à la fois pour consolider et nettoyer les éléments mis à jour.
La mosaïque recouvre le sol primitif de terre battue, du XIe siècle, lequel repose directement sur les maçonneries des voûtes de la crypte. Vraisemblablement mise en place lors de la grande campagne de reconstruction de l’abbaye dans les années 1110-1140, la mosaïque fit l’objet de nombreuses reprises pour finalement être recouverte par un lit de terre recevant un sol de tomettes, avant que ne fut installé le dallage de 1722.
Trois couleurs de base furent employées : blanc-gris mat, rouge et noir mat, fournies par des pierres locales, ainsi que des marbres d’importation, blanc et bleu, provenant d’Italie.
Elle est aujourd'hui mise en valeur et observable à partir d'une passerelle la surplombant.
Quatre médaillons sont bien conservés : le mois de mai, le mois de juin, le signe du cancer et le signe des gémeaux pour les signes du zodiaque et un « cavalier au faucon » et une fenaison pour les mois de l'année.
Maurice BERRY, Architecte en Chef des Monuments historiques.
https://art-roman.org/l-abbaye-de-tournus/
Narthex
Le grand narthex est divisé en trois vaisseaux. Ses piliers massifs soutiennent le poids de la chapelle Saint Michel située au-dessus.
Voûtes peintes dans le narthex
Fresque du narthex
La chapelle Saint-Michel est située au-dessus du narthex.
Haute de 12,50 m, sa voûte est de forme longitudinale en plein cintre. Ce voûtement est l'un des plus anciens de Bourgogne.
LA NEF DE SAINT-PHILIBERT
L'orgue de tribune de 1629
Réalisé par Jehan d'Herville, avec un buffet de Gaspar Simon, il est installé en nid d'hirondelle sur le mur de la chapelle Saint-Michel. L'ensemble est soutenu par un Hercule grimaçant. Il est orné d'anges sur le retable et de grotesques.
Les piliers sont ici bien plus élevés : 18 mètres de haut !
La crypte (fin du Xe ou début du XIe siècle)
(1) Dans ses Notes d'un voyage dans le Midi de la France paru en 1835, Prosper Mérimée s'exprime ainsi « L'absence d'ornements, le caractère de lourdeur et de rudesse de la nef me font croire que ces parties de l'église sont les plus anciennes. Je n'hésite pas à penser qu'elles datent du Xe siècle. L'incendie qui dévasta le monastère a dû être impuissant contre ces masses énormes.
La restauration de Bernier, en 1019, se borna probablement à substituer dans la nef des voûtes aux plafonds. Le chœur me paraît également de la même époque.
La crypte a dû être construite en même temps, ou, si l'on veut, refaite. Le nombre de ses apsides ne permet guère de supposer qu'elle soit antérieure au XIe siècle. Enfin le premier étage du clocher et les deux étages inférieurs des tours me paraissent dater à peu près du même temps, c'est-à-dire de 1019. »
Les Reliquaires
En juin 177, début des persécutions contre les chrétiens, en particulier à Lyon.
Certains s'enfuient vers le nord, dont un certain Valérien qui s'installe à Tournus. Valérien évangélise à Tournus.
Nous voilà dans une fin d'Empire troublé et nous nous retrouvons au temps resplendissant des jeux du stade et au temps paroxystique des martyres de la Gaulle comme St Domnin à Avrillé. A ce moment précis les Gaulois embrassent le Christianisme et les gouverneurs de Rome ne sont plus obéis.
En 179, saint Valérien est décapité Il est inhumé à l'emplacement de la crypte actuelle de l'église de tournus .
Le tombeau du martyr devient alors un lieu de recueillement clandestin pour les chrétiens.
Tombeau de St Valérien dans la crypte de l’abbatiale St Philibert de Tournus
Le reliquaire de Saint Philibert
De Noirmoutier à Tournus, fuyant les incursions normandes, les reliques de saint Philibert accomplissent un grand périple qui a été relaté par Ermentaire de Noirmoutier, passant notamment par Cunault et Saint-Pourçain-sur-Sioule.
Cette translation par les moines de Noirmoutier, qui donna lieu à plusieurs fondations et à de nombreuses dotations carolingiennes, a contribué à sa grande popularité.
Epigraphe par Alcuin à la mémoire de saint Filibert :
« Hanc pater agregius aram Filibertus habebit
Plurima construxit qui loca sancta Deo. »
Les reliques du saint sont de nos jours conservées dans le chœur de l'abbatiale Saint-Philibert de Tournus, à l'intérieur d'un reliquaire, œuvre de l'artiste Goudji. Elles ont malheureusement été profanées le 25 janvier 1998, le crâne du saint et deux de ses os ayant été volés
En 1562 les huguenots saccagèrent l'abbaye de Tournus.
Ils découvrirent malheureusement les châsses de saint Valérien et de saint Vital, enterrées avec d'autres reliques dans la cave du grand prieuré; mais la châsse de saint Philibert et son buste d'argent échappèrent à leur fureur, ainsi que deux autres reliquaires.
Au mois de mai 1630, on tira de la châsse de saint Philibert une côte et une vertèbre dont il fut fait hommage à la reine Anne d'Autriche et à Marie de Médicis, mère de Louis XIII, quand elles passèrent à Tournus.
Huit jours après, on prit une autre vertèbre que l'on enferma dans le buste d'argent.
Le 15 mars 1661 M. de Maupeou, évêque de Châlon, visitant l'abbaye, fit ouvrir la châsse ; il s'y trouva cent cinq ossements, non compris la tête et sept dents, et il changea les suaires qui les enveloppaient.
Enfin le dernier jour du mois d'août 1686, M. Félix, aussi évêque de Châlon, sur la demande du cardinal de Bouillon, en tira une des grandes côtes et un des grands os du bras que Son Eminence envoya, savoir : la côte à sa soeur Emilie de la Tour d'Auvergne, religieuse carmélite au grand couvent du faubourg Saint-Jacques, à Paris, et l'os du bras à Mme sa soeur Maurice Fébronie de la Tour d'Auvergne, duchesse de Bavière.
Les reliques de saint Philibert ont été conservées depuis lors dans le même état.
Les révolutionnaires de 1793, après les avoir enlevées de la châsse, les ont remises à une brave femme d'ouvrier qui les leur demandait et qui plus tard les a restituées à l'église. M. Chaumont, curé de Tournus, dont le zèle pieux ne saurait être trop loué, les a fait déposer en 1841 dans une châsse dorée, de style gothique.
Prosper Mérimée est inspecteur général des Monuments historiques. passe à Tournus en août 1846 et envoie une lettre d'impression sur l'abbatiale - alors en travaux - à Ludovic Vitet, président de la commission des Monuments historiques.
On y lit : «Les réparations marchent avec activité, et m'ont semblé conduites d'une manière satisfaisante, sauf quelques restaurations dans le chœur ; encore est-ce plutôt le système de ces réparations que leur exécution qui donne matière à critique. Vous savez que les colonnes de l'hémicycle, surtout leurs chapiteaux, étaient dans le plus triste état. Il y avait, ce me semble, à choisir entre deux partis. Ou bien de les conserver (les chapiteaux) tels quels, ou bien d'en faire faire de nouveaux en plaçant les anciens quelque part, comme pièces de conviction. Au lieu de cela on a relancé des bouts de pierre, fort adroitement, dans les chapiteaux susdits ; on les a restaurés comme un reliquaire d'ivoire.
Il y a tel de ces chapiteaux qui a trente- quatre morceaux. Cela a été exécuté avec beaucoup d'art ; mais comme pour faire ces raccords il a fallu entamer les parties antiques, les gratter, etc., il en résulte qu'on ne peut démontrer l'exactitude de la restauration et que l'on s'expose aux clabauderies des puristes. A parler franchement, j'aurais cru ces chapiteaux tout modernes. Cela prouve l'habileté avec laquelle les pièces ont été rapportées, mais j'aurais mieux aimé autre chose.»
La naissance des Monuments historiques, la correspondance de Prosper Mérimée avec Ludovic Vitet (1840-1848)
Le Chauffoir ou Parloir des moines de l'abbaye St Philibert de Tournus aménagé́ en musée lapidaire
Statue-column of Saint Philibert, St Valerian, warming-room (chauffoir), Abbey of St Philibert, Tournus, Burgundy. France, 12th century.
FLABELLUM DE CUNAULD.
Dans l'une des salles de l'Histoire du travail (Exposition universelle de 1867), un objet attirait spécialement l'attention des amateurs de l'époque carlovingienne.
Il s'agissait d'un esmouchouer inscrit sous le nom de Flabellum de Tournus et appartenant à M. Carrand demeurant à Lyon, le même qui avait catalogué le cabinet de feu M. Grille en 1851.
M. Carrand, pendant le séjour qu'il fit à Angers, m'avait plusieurs fois parlé de cette pièce rare en la qualifiant alors de Flabellum de Cunauld
Pourquoi donc porte-t-elle aujourd'hui le nom de Tournus? Ce changement ne laissa pas que de m'intriguer, et désireux d'en apprécier les motifs, je crus devoir écrire à M. Carrand lui-même, qui ne tarda pas à me faire la réponse que je communiquerai tout à l'heure, mais après que j'aurai fait connaître ce qu'est ce flabellum.
Voici la description qu'en donne M. de Linas, l'un des hommes les plus compétents en cette matière :
« Flabellum de l'abbaye de Saint-Philibert de Tournus manche cylindrique en os blanc avec nœuds teints en vert; ornements, des ceps de vigne et des oiseaux; inscriptions sur deux des nœuds
- S. MRIA -S. AGN- S. FILIB.
IOHEL ME SGAE FEGIT IN HONORE MARIAE.
Le chapiteau du manche est rehaussé de quatre figures d'apôtres; à ce chapiteau s'adapte une boite rectangulaire, longue et mince, formée de plaques d'os blanc réunies par des bandes d'os vert on y voit six sujets qui semblent empruntés aux Géorgiques, des rinceaux, des hommes et des animaux.
Le flabellum proprement dit consiste en une feuille de vélin plissé, renfermée dans la boite et se déployant en cercle quand on ouvre cette dernière. Le vélin, peint, comporte sur chaque face deux zones concentriques avec saints et enroulements à l'entour règne l'inscription suivante tracée en lettres d'or sur fond pourpre :
Flaminis hoc donum regnator summe polorum;
Oblatum puro pectore sume libens.
Virgo parens XPI voto celebraris eodem.
Hic coleris pariter tv Filiberte sacer.
Sunt quequae modieum confert estate flabellum
Infestas abigit muscas et mitigat estus,
Et sine dat tedio gustare munus ciborum.
Propterea calidum qui vult transire per annum
Et tulus eupit ah atris existere museis
Omni se studeat aestate munire flabello.
Hoc decus eximium pulchro moderamine gestum
Condecet in saero semper adesse loco
Namque avo volveres infestas flamine pellit,
Et strictim motus, longius ire facit.
Hoc quoque flabellum tranquillas excitat avras.
Aestus dum sevit ventum facit atque serenvin
Fugat et obscenas importunasque volveres.
« Ces vers nous apprennent que l'instrument servait de chasse-mouches ou d'éventail, soit à table, soit durant l'office divin.
Des flabella liturgiques sont figurés sur d'anciens monuments occidentaux, l'usage en a persisté dans l'Église orientale ; IX° siècle à M. Carrand (Lyon).
«Le flabellum attribuée Théodelinde, reine des Lombards (+ 625), et conservé dans l'église de Monza, présente une décoration moins riche que celui de Tournus auquel il est identique de forme et d'éléments; mais loin d'être sacré, son usage était au contraire tout profane. Il garantissait le teint des belles dames de la cour contre les ardeurs du soleil, témoins les inscriptions métriques qu'on y déchiffre encore. D'un côté :
Vt sis in coospeclu preclara et cara venusta,
Hac rogo defendens solem requiesce sub umbra.
Has soror optutu (?) depictas arte figuras
Praelegeris flavido ut decoreris casta colore.
« De l'autre :
Pulchrior ut facie dulcis videaris arnica,
……fervore solis. …..
Me retinere manu Vifeda (?) poscente mémento
……..splendoris …..
« Il est assez curieux de voir le parasol du VIIe siècle introduit au IXe dans le mobilier ecclésiastique la mode a toujours eu d'étranges caprices. »
Revenons à la question de savoir si l'esmouchouer qui nous occupe peut être aussi bien nommé flabellum du prieuré de Cunauld que de l'abbaye de Tournus dont relevait d'ailleurs ledit prieuré.
Or, voici la réponse de M. Carrand :
« Relativement au flabellum ou esmouchouer, je vous dirai que l'une et l'autre version sont également fondées; on l'appelle le flabellum de.Tournus parce qu'il a été conservé dans cette localité jusqu'à la révolution, et qu'il a été publié sous ce nom dans les divers ouvrages qui en ont parlé je le dis de Sainte-Marie de Cunauld, parce qu'à mon avis, c'est là qu'il a pris véritablement son origine, pendant le séjour qu'y firent les moines, de l'an 840 jusqu'en 875, si ma mémoire est fidèle, car je n'ai pas, en ce moment, l'histoire de l'abbaye de Tournus sous la main.
Vous savez que la résidence primitive de ces moines fut Noirmoutier et qu'ils en furent chassés vers la première des dates dont je viens de parler, par les Normands qui incendièrent ce monastère, circonstance d'où il a probablement tiré le nom qu'il a porté depuis.
Dans leur fuite précipitée, ces religieux ne sauvèrent de ce désastre que les châsses de quelques saints dont ils possédaient les reliques, et encore furent-ils obligés de les enterrer dans le pays, pour ne les en faire rapporter qu'après qu'ils curent fixé leur résidence à Sainte-Marie de Cunauld, et que tout péril était passé.
C'est donc, dis-je, dans cette résidence et pendant les trente-cinq années qu'elle a duré, que notre flabellum a été fabriqué, et j'ai raison d'en voir la preuve dans la dédicace in honore Marie- que porte cet instrument.
J'ajouterai que les mots Johel me fecit. qui précèdent cette dédicace donneraient lieu de penser qu'il pourrait bien être l'oeuvre de Gel ou Gelon qui devint le chef de ces moines après avoir été leur co-religieux car je ne sais où j'ai lu que ce Gelon avait été habile dans les arts pendant sa jeunesse.
La différence de Joel à Gel, Gell ou Gelo ne serait point un obstacle absolu à cette hypothèse, car vous savez que la mode de choisir un nom d'emprunt dans l'histoire sacrée ou profane, ou tout au moins d'hébraïser, helléniser ou latiniser le sien quand il en était susceptible, s'était établie pour les gens de distinction sous le règne de Charlemagne fantaisie que nous avons vu se renouveler parmi quelques savants au XVIe siécle.
Voyez, au reste, l'histoire susdite, par dom Juenin, moine de Saint-Philibert de Tournus, dans laquelle ce flabellum est également décrit et gravé. »
Ainsi, plus de doute, Cunauld peut à bon droit revendiquer l'honneur d'avoir possédé et probablement vu travailler ce rare objet, d'un intérêt réel pour l'histoire de l'art à l'époque carlovingienne.
Essayons maintenant de traduire l'inscription :
SAINTE MARIE – SAINTE AGNÈS- SAINT PHILIBERT.
JOHEL M'A FAIT EN L'HONNEUR DE SAINTE MARIE.
« Souverain maitre du monde, agrée volontiers ce don qui t'est offert avec amour.
« Vierge mère du Christ accueille le du même vœu.
« Et toi aussi saint Filibert.
« Voici les avantages que durant l'été peut fournir ce modeste flabellum : il sert à chasser les mouches désagréables et tempère la chaleur. Il permet sans ennui de faire son goûter.
« Que celui-là qui souhaite de traverser une chaude année, sans souffrance et qui désire se mettre à l'abri des mouches fatigantes, se munisse du flabellum. Employé avec discrétion, il convient que cet objet commode soit toujours dans le saint lieu; car au moyen de l'air qu'il agite il chasse les volatiles importuns et ses mouvements rapides les éloignent. Ce flabellum aussi remue l'air trop calme.
« Lorsque la chaleur sévit, il produit un vent agréable et met en fuite les insectes ennuyeux et malpropres. » Cette inscription métrique n'est qu'une assez fade amplification facile à comprendre, difficile à traduire, car c'est toujours la même idée émise et reprise; un vrai déluge de mots sonores où la chaleur et les mouches, les mouches et la chaleur, ne cessent de vous gêner.
V. G.-F. Répertoire archéologique de l'Anjou
Bâtiments claustraux de l’abbaye Saint Philibert de Tournus <==