Ancienne abbaye Notre-Dame de Ré, sarcophages du moyen-âge découvert à Saint-Martin (Fouille Emile Atgier)
Mr le Dr Emile Atgier, profondément attaché à son pays natal, a publié une notice historique sur l’abbaye des châteliers à l’ile de Ré, ou se trouvent reproduits tous les documents pouvant concerner cette importante demeure abbatiale
« Malgré l’impitoyable injure des siècles- dit M. Le Dr Atgier, malgré l’incendie, la dévastation et le pillage dont elle fut mainte fois l’objet, une ruine imposante reste toujours debout à l’Ile de ré, dominant la falaise la plus élevée de sa côte nord, faisant face au Pertuis Breton et rappelant au voyageur cette époque féodale et religieuse pendant laquelle la France avait son territoire partagé entre les châteaux et les monastères.
« Sa façade gothique peinte en noir et blanc, comme tous les hauts clochers ou clochetons de l’Ile, sert d’amers aux voyageurs. »
Quelle que soit la description fort bien faite du monument qu’en donne M. Atgier, rien ne vaut la reproduction par l’image qui en montre et en précise la forme dans son aspect pittoresque.
Aussi M. Atgier a-t-il demandé à son compatriote et ami, M. Emile Couneau, d’agrémenter son ouvrage d’eaux-fortes, finement gravées, qui donnent une saveur toute particulière à cette intéressante monographie.
En outre du mérite littéraire de l’ouvrage et de la valeur artistique que lui donnent les eaux Fortes de M. Couneau, se trouve intercalé, dans le texte, une série de clichés reproduisant des sceaux et cachets des abbés de l’abbaye, des pierres tombales et notamment celle que nous possédons au Musée de la ville.
Au XIIe siècle, les Mauléon, seigneur de Ré, octroient des terres à l’ordre de Cîteaux, afin de fonder l’abbaye des Châteliers dont les vestiges perdurent sur la commune de la Flotte. Cet établissement, conformément à l’ordre cistercien, mettra en avant le retour à la pauvreté et l’importance du travail manuel, ce qui aura pour conséquence d’influencer considérablement les actions de défrichement sur le territoire rétais. L’abbaye centrera sa production sur la culture de la vigne.
Depuis le Moyen-Age, l’activité agricole sur l’île de Ré est dominée par deux productions majeurs : le sel et le vin, tous deux destinés à l’exportation.
Cette époque est celle de la fondation de tous nos grands monuments religieux de l'île, abbaye de Ré, églises fortifiées de Sainte-Marie, de Saint-Martin et d'Ars, églises ogivalo-romanes primitives, aujourd'hui disparues, de La Flotte et de la Couarde.
Il fallait ensuite étayer cette opinion or, le grand musée des sarcophages de la Gaule et de la France, situé dans la collégiale du musée national de Saint-Germain, nous révèle des sarcophages en tout point identiques à ceux de l'île de Ré. D'autre part, le précieux ouvrage archéologique, dont le musée Ernest Cognacq à Saint-Martin possède un exemplaire, corrobore complètement cette assertion (1).
Ces sépultures sont donc de la seconde moitié de l'ère romane, et, pour préciser, de la seconde moitié du XIIe siècle, époque où fleurissait de toutes parts l'architecture ogivalo-romane dont le portail de l'église d'Ars, la tour du clocher de Sainte-Marie et la façade de l'abbaye de Ré, sont des témoins toujours debout.
A cette époque, l'île de Ré, seigneurie d'Aquitaine, appartenait à l'Angleterre par le mariage de la duchesse Aliénor d'Aquitaine avec Henry II Plantagenet, comte d'Anjou, devenu roi d'Angleterre en 1154, et sous ses successeurs Richard Cœur de Lion (1189) et Jean-Sans-Terre (1204), mais elle conservait ses seigneurs français, Ebles de Mauléon (1137), Raoul de Mauléon (1180) et Savary de Mauléon (1200).
Enfin, la chrétienté tout entière s'agitait pour les croisades, sous l'influence du pape Ebles de Mauléon fondait l'église Saint-Barthélemy de La Rochelle, et l'abbaye Notre-Dame de Ré, au lieu dit « Les Chatelliers » (1178)
Raoul de Mauléon, son successeur à la seigneurie de Ré, se distinguait, à la troisième croisade, au siège d'Acre avec son souverain anglais Richard Cœur de Lion, dont il était un des fidèles partisans (1191), et qui, au combat de Joppé, le délivra lui-même des mains des Sarrazins.
Le célèbre Savary de Mauléon, son successeur à son tour à la seigneurie de Ré (1200) se distinguait un peu plus tard à la cinquième croisade, en sauvant les chrétiens au siège de Damiette (2).
Les destructions des guerres de cent Ans puis les guerres de religion au XVIe siècle entrainent sa ruine. Dès lors, l’abbaye est abandonnée par les cisterciens et revient aux oratoires en 1623. Les bâtiments conventuels sont détruits et les matériaux setvent à construire le Fort de la Prée.
Après cette rapide digression sur la mémoire des siècles de l'ile de Ré, revenons à nos sarcophages de la rue Sully, pour ajouter qu'ils ne sont pas les seuls en ce quartier qui en est garni et qui en a révélé bien davantage au XVIe siècle lors des fondations et du creusement des caves des maisons de la Grand' rue et de la rue du Four, construites sur l'emplacement de ce cimetière, lors des années 1592-94-96 et 97 (Manuscrit Bourru). La place de la Mothe située en haut de la rue du marché, en recouvre également.
En 1867, en effet, lors du pavage de cette place, nous fûmes témoins de la découverte de sarcophages semblables en tous points, rangés parallèlement du nord au sud et orientés vers l'est.
Ceux-ci n'avaient sans doute pas été tous fouillés, car certains conservaient encore leur crucifix en terre cuite ainsi que d'autres emblèmes catholiques qui avaient échappé à la fureur des guerres religieuses des XVIe et XVIIe siècles.
Insuffisamment étudiés alors, ils furent considérés comme gallo-romains par erreur on les attribua ensuite aux moines de l'abbaye de Ré parce que ceux-ci eurent un four banal sur cette place or, le cimetière de ces moines était situé autour de leur église abbatiale, comme l'ont prouvé les anciennes fouilles faites aux alentours de ce monument et dont nous parlerons plus loin.
Nous croirions volontiers que le cimetière situé dans la rue Sully et environs était adossé à l'ancienne chapellenie Saint-Martin qui existait au XIIe siècle (3) et fut l'origine de l'église actuelle dont les fortifications (murs, tours et douves) avaient encore au XVe siècle à peu près pour limites celles des places qui l'entourent encore aujourd'hui.
Là ne se bornent pas les découvertes funéraires récentes faites à l'île de Ré l'année dernière, des sépultures semblables de forme et de disposition furent trouvées aux environs de l'ancien prieuré Saint-Sauveur, aujourd'hui simple petite chapelle de pèlerinage, au village de La Noue.
Cette découverte eût gagné à être connue et décrite, car elle a mis à découvert une trentaine de sépultures en pierre, dont quatre seulement consistaient en sarcophages semblables à ceux du la rue Sully et servent d'auges aujourd'hui.
Que devait faire la ville de Saint-Martin des deux sarcophages de la rue Sully ?
Deux opinions furent émises, la première voulait les laisser en place, la seconde voulait les conserver comme monuments locaux du passé qu'une utilité publique obligeait à déplacer.
La seconde opinion prévalut (après envoi au cimetière actuel des ossements décemment recueillis). Ces sarcophages, en effet, étaient destinés à être brisés par l'entrepreneur des travaux du gaz qui devait placer ses tuyaux à cinquante centimètres de profondeur alors que l'arête des couvercles apparaissait déjà à quarante centimètres au -dessous du niveau de la rue.
D'autre part, ces sarcophages étaient destinés à être brisés dans toute leur longueur, tôt ou tard, lors de la pose des branchements de gaz chez les particuliers. Ils furent donc conservés et placés dans la cour de l'ancienne mairie, à côté d'un sarcophage semblable en tous points, de la même époque, propriété du musée et dont l'origine est la suivante (4).
En 1849, M. Th. Phelippot, fouillant le sol d'une de ses vignes, au lieu- dit « Les Plumées », situé à trois cents mètres environ au nord de la commune du Bois, découvrit une dizaine de sépultures semblables à celles décrites plus haut, les unes en chaux et moellons plats, les autres consistant en sarcophages d'une seule pierre avec couvercle prismatique, d'une seule pierre également.
L'un d'eux avait à l'intérieur une entaille arrondie destinée à maintenir la tête du mort, particularité signalée aussi dans les tombeaux de cette époque par M. de Caumont.
Un second renfermait un crucifix en faïence un troisième trois bagues en os sans inscription visible les autres offraient à leur intérieur un désordre prouvant qu'ils avaient été déjà fouillés. Tels sont les monuments funéraires du XIIe siècle retrouvés jusqu'à ce jour dans l'île.
Du siècle suivant, XIIIe siècle, une belle dalle funéraire fut trouvée en 1880 dans le cimetière de l'abbaye de Ré, elle représente un abbé en pied, la crosse à la main droite, bénissant de la main gauche et placé sous un portique gothique (5).
Une inscription latine, marginale, en lettres gothiques, montre que cet abbé, dont le nom n'existe pas, est mort en 1289.
Cette dalle est actuellement conservée au musée de La Rochelle, où elle a échappé à l'injure du temps, et à la destruction humaine, grâce à notre savant compatriote, M. Couneau mais aujourd'hui que notre musée peut l'abriter et la conserver, nous ne perdons pas espoir que le musée de La Rochelle veuille bien un jour lui en faire don.
Enfin, pour n'omettre aucune de nos découvertes récentes, signalons qu'au XVIe siècle la place d'armes actuelle de Saint-Martin était un vaste cimetière réservé aux catholiques ayant à son milieu un grand calvaire (6).
Ses limites s'étendaient même au- delà des limites actuelles de ladite place qui n'était pas alors encadrée comme aujourd'hui de vastes monuments, tels que l'ancien hôtel des gouverneurs aujourd'hui école communale, le couvent des capucins aujourd'hui théâtre et ancienne mairie, l'hôtel des cadets gentilshommes sous Louis XVI, aujourd'hui musée et nouvelle mairie.
Ce grand cimetière du XVIe siècle et sans doute de siècles antérieurs, successeur probablement du cimetière du quartier Sully, nous est révélé par un beau plan manuscrit, colorié, dû au célèbre ingénieur Masse, contemporain de Vauban. Nous avons pu l'étudier et l'admirer dans les archives du génie militaire, à Paris où il est conservé.
Des sépultures de ce cimetière ont été retrouvées aussi dernièrement, lors du déracinement des grands ormeaux bi-séculaires de la place d'armes et si les squelettes ont été trouvés mêlés au sol, c'est que l'usage de nos simples cercueils de bois était déjà en vigueur et que le bois, réduit lui-même en poussière par sa décomposition et la pression des terres juxtaposées, ne protège pas longtemps des injures du temps le cadavre qu'il renferme, comme l'ont fait les sarcophages de pierre de la rue Sully, etc., malgré les huit siècles qui ont passé sur ces antiques sépultures.
Dr Atgier
L’église Notre-Dame un important monument Gothique
De la première construction qui devait être d’esprit roman, il ne subsiste que quelques chapiteaux. Les ruines actuelles sont celles d’une grande église gothique, construite au XIIIe siècle et transformée au XVe siècle.
Le plan à nef 1 unique, chœur 2 à chevet 3 plat et chapelles 4 rectangulaires alignées sur le transept 5 est conforme aux schémas des églises cisterciennes aux XIIe et XIIIe siècles dans l’ouest de la France. Les deux types de fenêtres latérales de la nef et du chœur, les moulures des voûtes ainsi que les chapiteaux 6 ornés de motifs végétaux stylisés en « crochets » vont dans le sens d’une datation de la construction dans la première moitié du XIIIe siècle. La grande fenêtre du chevet témoigne des réparations effectuées au XVe siècle, à l’issue de la guerre de Cent Ans.
Les vestiges des bâtiments disparus permettent d’imaginer le monastère.
Autour du cloitre 7, occupé par un jardin et peut-être une fontaine, lieu de médiation des moines, s’organisent les bâtiments monastiques distribués par des galeries couvertes 8. Dans le réfectoire, la communauté prend ses repas en silence en écoutant la lecture des évangiles. Tous les matins, dans la salle capitulaire 9 aussi nommées salle du chapitre, les moines, assis sur la banquette qui en fait le tour et, sous la présidence de l’abbé ou du prieur, écoutent la lecture d’un chapitre de la Règle bénédictine, « battent leur coulpe » en confessant leurs fautes, puis règlent les affaires courantes.
Contrairement aux moines de chœur, les frères convers, entrés tard au monastère, souvent illettrés et cantonnés aux tâches matérielles, n’ont pas « voix au chapitre ». LA salle capitulaire précédait en général un parloir ou un porche, et, éventuellement, un chauffoir, un scriptorium ou une bibliothèque.
A l’étage se trouvait le dortoir des moines. Devant l’église, un escalier 10 s’enfonce dans une ancienne cave, probablement à l’emplacement du cellier qui fermait le cloitre à l’ouest. Entre le cellier et le réfectoire se trouvait sans doute la cuisine.
Émile Atgier
Médecin militaire à la Rochelle, puis à Alger, il mourra au champ d’honneur lors de la bataille de Flandres en 1915. Ce lettré s’intéresse à l’histoire, publie des monographies dont celles sur les hôpitaux de la Rochelle et de Saint-Martin de Ré font encore référence. Archéologue, il est Président de la Société préhistorique française et vice-Président de la société d’Anthropologie de Paris. C’est dans le cadre de la Société des Rétais de Paris, fondée à son initiative qu’il côtoie Ernest Cognacq, président d’honneur. Navré à l’idée de la dispersion des trésors de Phelippot, Émile Atgier va s’adresser à Ernest Cognacq.
https://www.realahune.fr/musee-ancre-histoire-retaise/
Le Courrier de la Rochelle : journal politique, littéraire et d'annonces,
(1) Rudiment d'archéologie (architecture religieuse) par M. de Caumont, in-8°,1854.
(2) Les sires de Mauléon, seigneurs de l’Ile de Ré (1137-1268), in-8° br. 1898. Librairie Eclercy, à Saint-Martin de Ré. Les vicomtes de Thouars, seigneurs de l'ile de Ré (1268-1555), in-8° br. Librairie Eclercy, Saint-Martin de Ré.
(3) Charte latine de 1178. (Chartrier de Ré).
(4) Bull. Société des antiquaires de l’Ouest, 1863, Poitiers, p. 205.
(5) L'abbaye de Ré, notice historique, par Emile Atgier, illustration d'Emile Couneau, 1906, in-8° br. Librairie Eclercy et librairie Berton, Saint-Martin de Ré.
(6) Le cimetière réserve aux protestants était alors dans le grand enclos situé en face de l'hôpital, au coin de la place.