Péronnelle de Thouars, Les étaux de la halle de Frontenay-l'Abattu (Rohan-Rohan) 1396-1397

Dans un compte de 1397, rendu par Guillaume Boyssin,  receveur de Frontenay-l'Abattu, à Péronnelle, dame de ce lieu, vicomtesse de Thouars, femme de Tristan Rouault, nous trouvons sur les halles de cette petite ville, devenue, sous le nom de Frontenay-Rohan-Rohan, un chef-lieu de canton de plus de deux mille âmes, des détails qui démontrent l'activité commerciale de cette région du Poitou à la fin du XIVe siècle.

Les étaux et demi-étaux, loués de deux sols à huit sols par an, à quarante-six personnes dénommées dans la pièce que nous mettons sous les yeux des lecteurs, étaient occupés par onze bouchers, dix drapiers, deux peintres, quatre merciers, cinq cordonniers, trois savetiers, quatre corroyeurs et sept marchands vendant au poids. Ces places furent très-recherchées  dans la suite; vers le milieu du XVe siècle, un étal au rang des drapiers, dans la même halle, fut vendu à Raison, de deux réaux d'or ou soixante sols, par Jeanne Baugis, veuve de Jean. Doyneau, à un nommé Robin Denizot.

Le compte de Guillaume Boyasin, clerc, receveur de Frontenay l'Abbatu pour très puissente et très doubtée dame ma dame la vicontesse de Thouars, contesse de Benaon, dame de Talemond et dudit lieu de Frontenay; fait ledit compte dès le premier jour du moys d'avrilh, l'an mil CCC IIIIXX DIX et seze, jucques à la veille de la feste de Pasques, l'an mil CCC IIII xxx dix et sept. Rendu ledit compte a Thoar et a Talemont, ès heritiers de ma très puissente et doubtée dame ma dame Perronnelle vicontesse de Thouars susdicte, l'an mil CCC IIIIxx dix et neuf.

Fol. 74 v-76. S'enssuyvent les estaux payables aujourduy dudit an; lesquels estaux ilz ne tenent tant comme a eulx plaist.

 

 

Construction et destruction des halles

 

La construction des halles peut être fixée à une date assez précise d'après une décision des commissaires enquêteurs d'Alphonse de Poitiers (1), insérée dans les Regesta Alfonsi qui vont de 1258 à 1260 (2).

Il y est dit (3) : « Nous avons rendu au prieur de Frontenay la dîme sur la location des bancs de la Cohue, qui fut établie dans le cimetière, selon l'accord (sicut pàcificatum fuit) conclu autrefois entre l'Evêque de Saintes et le Comte de la Marche.

Le dit prieur a perçu la dite dîme jusqu'au moment de la guerre, et, sur le conseil du sénéchal de Saintonge et des sergents du Comte, nous avons ordonné et fixé que pour la dite dîme la prévôté de Frontenay, donnera chaque année six sols pour la fête de la Toussaint ».

Ces cohues ou halles (4) furent donc construites dans le cimetière de Frontenay au temps où la paix (sicut pacificatum fuit) s'était établie entre l'Evêque de Saintes et le Comte de la Marche, avant la guerre, c'est-à-dire avant le siège de 1242. Or, avant ce siège, on ne trouve qu'un moment, de très courte durée, où régna une sorte d'apaisement, de trêve, entre le Comte de la Marche et l'Evêque de Saintes.

On est à la veille des événements les plus importants qui se soient passés dans toute la région (5), et c'est l'époque où la forteresse de Frontenay devient de plus en plus redoutable, située qu'elle est entre les deux villes de Niort et de La Rochelle qui appartiennent au Roi d'Angleterre et que convoite le Roi de France.

 Le Comte de la Marche tient à montrer qu'il conserve son indépendance, bien que ses préférences personnelles le poussent vers le parti français.

Sa nouvelle épouse, Isabelle d'Angoulême (6), veuve de Jean sans Terre et mère du Roi d'Angleterre, Henri III, met au contraire tout en oeuvre pour faire verser le Comte dans le parti anglais. Celui-ci résiste de son mieux aux assauts continuels que livre la Comtesse-reine, mais il n'ose pas contrecarrer ouvertement ce caractère hautain et violent.

Plutôt que de faire alliance avec Louis VIII, il se contente de faire de Frontenay une place de première force afin qu'elle soit en mesure de tenir au besoin un siège de longue durée.

Ce siège, Frontenay le soutiendra vingt-deux ans plus tard, mais l'issue en sera, par sa faute, toute différente de celle qu'il rêve pour l'instant, puisque, finissant par céder devant les fureurs de sa femme, qui refusera d'être la vassale d'un vassal (7) du Roi de France, il embrassera le parti anglais, sera vaincu avec lui, et verra donner, à son orgueilleuse citadelle, le nom humiliant de Frontenay l'Abattu.

Du point de vue chrétien, le Comte de la Marche ne paraît pas plus heureux avec son épouse.

Que pouvait-il attendre en effet de son union avec cette femme qui, toute jeune, avait été déjà sa fiancée ? Sollicitée par le Roi d'Angleterre, elle avait consenti, peut-être un peu par contrainte, mais surtout beaucoup par ambition, à la rupture de son premier engagement pour s'unir illicitement à Jean-sans-Terre qui répudiait Avice, son épouse légitime, sous prétexte qu'elle ne lui avait pas encore donné d'enfants.

Devenue reine, on ne l'aimait pas en Angleterre.

Ses sujets l'avaient même surnommée Jézabel (8) parce qu'ils la tenaient pour coupable et capable de tous les crimes. Forte de la faiblesse de celui qui devenait son second mari, après avoir été son premier fiancé, elle en arriva à lui faire commettre des exactions si grandes, qu'en novembre 1220, l'évêque de Saintes, Ponce II, reçut du Pape Honorius III (9) l'ordre de fulminer une sentence d'excommunication contre Hugues X de Lusignan, Comte de la Marche et d'Angoulême.

Or, Hugues X est malade, il a peur de mourir excommunié et, séance tenante, sans se préoccuper des sentiments de son épouse, il se réconcilie avec l'Eglise, renonce à ses projets et abandonne toutes ses prétentions.

Lorsqu'il sera guéri, il reviendra à ses entreprises, mais pour l'instant il fait la paix, et cette suspension d'hostilité dure encore en 1222, comme le constate le Pape Honorius, dans une lettre adressée, le 5 juillet, à Guillaume de Poitou dit l'Archevêque (10).

A la fin de 1222, le Comte de la Marche n'était plus d'accord avec l'évêque de Saintes (11). C'est donc dans cet intervalle, de novembre 1220 à décembre 1222, que régna l'apaisement entre l'Evêque et le Comte, et c'est à ce moment que celui-ci demanda et obtint la faveur exceptionnelle de faire désaffecter une partie du cimetière pour y construire des halles couvertes.

Elles seront ainsi à l'intérieur des fortifications, et c'est en toute sécurité que les marchands pourront s'y rendre et s'y abriter.

Cette faveur sera bientôt sollicitée par d'autres places fortes, par Luçon notamment où Boutaric (12) a cru découvrir, en 1253, les premières halles installées dans un cimetière, alors que Frontenay avait vu les siennes s'y établir trente ans auparavant.

Ce point établi, que les halles ont été construites entre les années 1220 à 1222, il faut conclure que les sépultures, découvertes en mai 1922 sous le pavé de ces halles, ne peuvent pas être postérieures à la date de 1222.

C'est une coïncidence digne de remarque, que le 700° anniversaire de l'établissement des halles de Frontenay dans un cimetière, ait vu disparaître cette construction, pour l'érection d'un monument élevé à la mémoire des morts les plus méritants de la localité.

 

 

DATES ET DOCUMENTS pour l'histoire des Halles de Frontenay

1246. — Reconstruction des halles détruites pendant le siège de 1242. Comptes d'Alfonse de Poitiers. — Archives historiques du Poitou, t. IV, p. 130. « Compotus Ascensionis. Opéra... Pro hala de Fronteneio de novo facienda, et uno molendino de novo faciendo LV, libr. XVIII. sol. »

1258 à 1260. —Restitution de la dîme au prieur de Frontenay sur la location des bancs de la Cohue. — Regesta Alfonsi. Archiv. Nat., lat. 10918.

1261. — Le prieur de Frontenay doit payer chaque année au Comte de Poitiers, à la fête de saint Luc, deux besans pour le four et tient quitte le dit Comte pour le revenu annuel des 6 sols qu'il percevait à la cohue. — Regesta Alfonsi. Ibid.

1262. — Lettres par lesquelles Guillaume, abbé de Nouaillé, et frère Philippe, prieur de Frontenay, avouent devoir au Comte de Poitiers à la fête de saint Luc deux années, à raison de XIV sols par an, pour le four et 6 sols de revenus annuels que le prieur percevait à la Cohue pour la dîme du marché. Dom Fonteneau, LVIII, p. 499 et 5o5. — Ducange, au mot : Cohuoe.

1396-1397. — « Le Compte de Guillaume Boyssin, clerc, receveur, de Frontenay l'Abattu pour très puissante et très doublée dame, ma dame la vicomtesse de Thouars, comtesse de Benaon, dame de Talemond et dudit lieu de Frontenay » mentionnant la location des étaux et demi étaux des halles du dit Frontenay.  (Mém. de la.Société de Statistique des Deux-Sèvres, 20 série, t. xiv (1875), p. 240. — Petit Frontenay sien, mai 1910.

XVe siècle. — « Un étal au rang des drapiers, dans la halle de Frontenay, est vendu vers le milieu du xv° siècle à raison de deux rcaux d'or, ou soixante sols, par Jeanne Baugis à un nommé Robin Denizot. » Ibid'.

1734. — Procès-verbal de la trouvaille, sous les halles de Rohan Rohan, d'un enfant abandonné :

« Le dit enfant sera baptisé sous les conditions et il sera pourvu à sa noriture et entretien au depans de son alletesse monseigneur le prainse de Rohan jusquez a se que le dit enfans soit en estât de gannier sa vie » — Collection des Inventaires — Sommaires des Archives départementales. Deux-Sèvres, série E. 2 pièces papier.

1772. — Arrêt qui permet au prince de Soubise de rétablir, dans la ville de Rohan-Rohan, les 6 foires et le marché qui y sont déjà autorisés, et d'y établir en outre six nouvelles foires. — De faire construire, dans la ville de Rohan Rohan, si fait n'a été les halles, bancs, étaux et autres choses nécessaires pour loger les marchands et leurs marchandises et à jouir des droits dont il a ci devant joui. {Archives Nationales, E, 1845 B, n° 17. Pièce inédite.)

(1793) 13 prairial an II. — Voeux du conseil général de la commune « assemblé en la ci-devant église » de Frontenay, pour la conservation du four, des rouchis et de la halle faisant partie de la succession Soubise.) Mairie de Frontenay : Registre des délibérations, fol, 45 v° et 46 recto.

(1793) 29 messidor an II — « Egalité, Liberté, fraternité ou la mort...

« Les haies, le four.et les roucheries appartenant à la succession Soubise, situés dans la commune de Frontenay, seront mis en vente par le directoire du district de Niort. » (Registre des délibérations, fol. 5i v").

(1793) 11 thermidor an II. — « MM. Saureau et Ecarlat sont propriétaires des dites halles, comme les ayant acquis de la Nation, par procès-verbal d'adjudication dressé par MM. les Administrateurs du Directoire du ci-devant district de Niort, le II thermidor an 2 de la République, enregistré audit Niort le 18 fructidor suivant. » (Minutes de M" Vinet, 6 avril 1808. Etude de M0 Joubert).

1806, 7 avril. — Le maire de Frontenay, qui a été autorisé par lettre du Préfet (31 mars 1806) à acheter les halles devenues propriété personnelle de Paul-Alexandre Soreau, cultivateur, et de Pierre Ecarlat, charpentier, est aussi autorisé par le Conseil municipal à faire cette acquisition pour la Commune de Frontenay, moyennant la somme de 2.962 fr. 5o représentant 3.000 livres tournois. Mairie de Frontenay : Registre, folio 107 et sq.

1807, 3 décembre. — Protestations du Conseil municipal contre les vendeurs qui soulèvent des difficultés. Ibid. f° 118.

1808, 6 avril. ;— Les halles sont acquises par la Commune moyennant le prix de 2.962 francs 5o c. équivalent à la somme de 3.000 livres tournois payables aux vendeurs à terme. (Minutes de M" Vinet, loc. citât.)

1808, 8 avril. — Le Conseil municipal établit un droit de placage pour les halles, les places et les rues de Frontenay, Ibid., f° 122.

1921. — Référendum des habitants donnant par 220 voix la préférence à l'emplacement des Halles, pour y ériger le monument aux Morts de la Guerre.

1922. — Le Conseil municipal, dans la séance du 8 janvier, adopte définitivement le voeu de la majorité des habitants. Les Halles, mises en vente, sont complètement démolies le 13 mai 1922.

 

 

E. BOURDEAU. Curé-doyen de Frontenay-Rohan-Rohan. Bulletin de la Société historique et scientifique des Deux-Sèvres

 

 

Les Fortifications de Frontenay l’Abattu relevées au XVe siècle et duché-pairie de Rohan-Rohan.  <==..... ....==>

 

 

 

 


 

(1) Histoire d’Alphonse, frère de Saint-Louis, et du Comté de Poitou, Par Bélisaire Ledain.

 (2) Archives nationales fonds latin, n° 10918.

(3) « Apud Frontigniaçum et circa.— Nos reddidimus, priori-de Frontigniaco deciman in locatione stallorum cohue que facta fuit in cimeterio sicut pacificatum fuit per episcopum Xantonense et Comitem Marchie intus tempore, dictus prior expletavit dictam decimam usque ad tempus guerre, et nos de consilio senesc. Xanton, et servientium comitis ordinavimus et taxavimus quod pro dicta decima reddet quolibet anno prepositura frontigniaci VI. S circa festum omnium sanctorum.” Loco citato

 (4) Du Cange. Verbo Cohuae vulgo Halles.

(5) A. Bardonnet, Niort et La Rochelle, de 1220 à 1224 (Niort, 1875).

(6) Isabelle Taillefer, fille de Guillaume comte d'Angoulême, avait été fiancée dès son enfance à Hugues X de Lusignan, Comte de la Marche : Jean, roi d'Angleterre, surnommé plus tard Jean sans Terre, en visite chez le père d'Isabelle, s’enthousiasma de ses charmes et demanda la main de cette jeune fille bien qu'il eût déjà une épouse légitime.

Malgré le souvenir de cet affront, le Comte de la Marche, devenu veuf lui-même, redemanda la reine Isabelle pour épouse à la mort de Jean sans Terre.

(7).Alphonse, comte de Poitiers.

(8) A. Oudet. — Saint Louis en Saintonge (Rev. de Saintonge et d'Aunis, 1 sept. 1892 p. 348.) (9) La lettre du Pape Honorius est datée du 25 sept. 1220.

(10) Niort et La Rochelle de 1220 à 1224, par Bardonnet, p. 59.

(11) Bardonnet, ibid.

(12) Comptes d'Alphonse, p.,269.