Si nous en croyons certains documents, du milieu et de la fin du XVIIIe siècle, ce serait au commencement même de ce XVIIIe siècle, ou à la fin de l'autre, que l'on aurait songé à creuser un canal entre Marans et La Rochelle. Marans était le trait d'union, entre Niort et le Poitou, d'une part, La Rochelle et les ports français ou étrangers, de l'autre.
Marans était le grenier de La Rochelle. Marans fermé, la Sèvre séparée de la capitale de l'Aunis, c'était presque la famine.
Aussi, de tout temps, avait-on songé à maintenir et à faciliter les communications entre ces deux points. Le roi Charles VII, en 1492, fit de grands efforts pour créer et entretenir la chaussée qui unissait Marans à la terre ferme.
Il avait même établi des droits pour l'entretien de cette chaussée, qui se détériorait facilement par suite du mauvais état des matériaux. Une voie d'eau était de beaucoup préférable.
Quoi qu'il en soit de l'idée première, l'initiative en revient au corps de Ville. C'était en 1749. La paix donnait à nos commerçants un désir bien légitime de se remettre à leurs affaires et de regagner le temps perdu au milieu des hostilités; le 17 janvier, le corps de Ville est réuni; on y rappelle tous les projets faits pour le bien de la province, et, parmi ceux-ci, l'intention qu'a toujours eue le corps de Ville de conduire une rivière ou un canal de Niort à La Rochelle. Les frais, il s'en charge, pourvu que la direction lui en soit réservée. Mais on trouve sage de laisser au roi l'étude des moyens. Deux membres, MM. de Beaurepaire et Gastumeau, sont nommés pour aller étudier les lieux, savoir où la rivière pourrait passer, et pour faire un rapport auquel il sera donné la suite nécessaire.
L'idée fit son chemin. En 1750, 1751, 1757, Messieurs du commerce ou les ingénieurs des fortifications, en quête d'une chasse puissante, pour nettoyer le havre et le chenal, la font entrer dans leurs prévisions.
Voici ce que délibérait la Chambre , en 1759 : « L'objet essentiel à la conservation du port est d'avoir un lit de rivière qui ramasse les eaux intérieures, tant de l'Aunis que de la partie de la Saintonge qui l'avoisine, aboutisse au chenal Maubec, au havre, à l'avant-port, qui en deviendra l'embouchure ; que cette rivière, outre le précieux avantage d'étendre et de faciliter notre commerce extérieur, entraînant à la mer les vases des canaux où on la fera couler, nous serons, à perpétuité, à l'abri du danger des attérissements dont toutes les avenues de notre port sont menacées. »
En 1776, c'est la Chambre de commerce qui s'en occupe plus particulièrement. Un rapport et un nivellement lui sont remis sur sa demande par le sieur Benjamin Pichon.
Tout cela était encore à l'état de projet, quand arrive la Révolution. Et pourquoi ? Parce qu'il y avait trop d'intérêts particuliers à combattre.
En première ligne, on trouve le seigneur de Marans et son écluse de l'Antolle.
L'Antolle était une construction unique en son genre.
Depuis qu'on avait procédé au dessèchement des marais du Poitou et de l'Aunis, les eaux du golfe de la Sèvre se précipitaient plus rapidement à la mer, et l'été, la rivière devenait trop basse pour la navigation.
Le seigneur de Marans songea donc à supprimer cet obstacle à la navigation. Au pittoresque confluent de la Vendée et de la Sèvre, et en amont, sur cette dernière rivière, on faisait, tous les étés, un énorme barrage en terre glaise et en dos d'âne.
Cette sorte de batardeau retenait les eaux de la Sèvre, quand, d'autre part, le flux apportait à ses pieds, en maline, un niveau suffisant pour la navigation. Des treuils, placés sur les bords, faisaient passer les bateaux d'un côté sur l'autre.
Et, ce qui était de toute justice, ou percevait un droit au profit du seigneur inventeur de l'Antolle. Ceci était bien. Mais voici ce qui le fut moins.
On perçut le droit d'Antolle même pendant l'hiver, en toute saison, quand le barrage n'existait pas, et se trouvait inutile en raison de la hauteur des eaux de la Sèvre; on le perçut aussi sur les bateaux descendant de la Vendée, par l'unique secours de l'eau. A table, vient l'appétit. On peut juger du peu d'ardeur du seigneur de Marans à la perspective de la suppression de ses revenus, résultant de l'établissement du canal de la Sèvre, s'amorçant en amont de de l'Antolle et détournant tout le commerce dans cette nouvelle direction.
En 1799, dans un moment d'effervescence populaire, occasionné par la persistance des droits, l'Antolle fut violemment détruite par les mariniers des alentours.
Parmi les opposants, il y avait aussi les riverains qui, de ci de là, mettaient leurs bourgnes, leurs verveux, leurs pêcheries, faisaient de petits barrages, et qui voyaient supprimer leurs petites installations.
Pauvres gens, qui ne comprenaient pas que le bien- être et la fertilité, apportés par l'irrigation régulière du canal, vaudraient mieux que quelques douzaines d'anguilles et de brochets.
Il y avait enfin Marans.
Le canal amorcé à Damvix enlevait à cette ville l'entrepôt immémorial des blés et des farines que sa situation lui avait donné. Il y avait là de gros négociants, des commissionnaires importants et nombreux. La dérivation du canal par Damvix causait à tout ce milieu, à tous ces intérêts, un préjudice énorme. On ne peut en vouloir à aucun d'eux d'avoir été parmi les détracteurs du projet.
Le canal de Marans demeura donc à l'étude jusqu'à la fin de l'ancien régime.
Trois tracés avaient été mis en avant variant comme dépense de 4 millions 200,000 francs à 7 millions.
A 4,200,000 francs, c'est le projet Duchêne. On estimait que cette dépense de 4,200,000 fr. serait compensée : 1° Par une économie sur les routes parallèles. Fr. 60.000 00 2° Economie dans l'entretien du port 50.000 00 3o 5125 hectares bonifiés de 36 fr. de revenu annuel. 61.500 00 4° Droit de péage sur le canal.
Il résultait d'un mémoire dressé en 1750, par le corps de Ville, que le mouvement en marchandises et denrées sur cette partie du canal était de 2.978.903 myriagrammes ou 30.450 tonneaux, — le droit à environ 2 fr. par tonneau donnerait 59.578 06 Au total 231.078 06 ce qui, au denier 20, représenterait Fr. 4.621.561 00
Mais voilà que l'horizon s'élargit.
Aller à Niort, c'est bien ; ouvrir une voie entre le port de La Rochelle et la France tout entière, c'est mieux encore, et cette idée est lancée, en 1791, par la Société des Amis de la Constitution.
La première partie du trajet est facile à établir ; c'est le canal de La Rochelle à Niort qui s'amorcerait à la Sèvre en amont de Marans, entre Arsais et Damvix ; pour la dernière partie, deux systèmes sont signalés : ou bien l'on met les affluents de la Sèvre en communication avec la Vonne , affluent de la Vienne, entre La Palu et Saint-Germier ; — ou bien un affluent de la Sèvre avec un affluent de la Vonne, près de Menigoutte.
De cette façon, la Vienne et la Sèvre-Niortaise sont en contact ; la voie est ouverte en conséquence du canal de Briare à La Rochelle.
Cette idée eut un vigoureux champion dans un capitaine de navires marchands, le sieur Ganet père, celui qui avait conçu parallèlement l'idée de transformer en port tout l'espace compris entre la digue de Richelieu et La Rochelle.
Son premier mémoire fut lu à la Société populaire de la commune de La Rochelle, le 21 novembre 1792. Une commission composée des membres du Conseil général de la commune et de la Société populaire avait été créée dans le but d'étudier ces projets de port et de canal de navigation intérieure de La Rochelle à Paris. Ganet, nommé rapporteur, fit son rapport les 10 et 11 mai 1794.
Entre temps, l'ingénieur des Deux-Sèvres écrivait un mémoire pour combattre ce projet, et y substituer simplement celui de redresser le cours de la Sèvre, semblant ainsi favoriser les intérêts des départements des Deux-Sèvres et de la Vendée qui ne pouvaient cependant tirer qu'avantage du canal de La Rochelle. En fait, ce fonctionnaire ou ses inspirateurs étaient surtout préoccupés de ne pas nuire au commerce de Marans.
A la suite de cette initiative et des oppositions qu'elle fait naître, deux ingénieurs sont nommés pour faire les études des deux parties du projet; c'étaient Garnier, directeur des fortifications à La Rochelle, et Teulère, ingénieur de la marine au département de Rochefort. Les projets allèrent à la Convention, en revinrent ; le gouvernement d'alors ne pouvait guère donner que des encouragements platoniques, mais peu pratiques, quoique monumentés en style redondant.
Il y avait pénurie de fonds. Aussi, quand le 5 septembre 1800 (18 fructidor an VIII), l'initiative en fut reprise par le corps de Ville et qu'une commission formée de personnes compétentes fut nommée pour étudier les moyens de réaliser le projet, on ne trouva rien de mieux, pour faire l'avance des capitaux nécessaires, que de créer une compagnie privée.
La société ainsi constituée devait être une association en commandite, au capital de quatre millions ; l'émission, de mille actions à 4000 francs, l'une. La société devait pour se couvrir obtenir des contributions des marais desséchés, et vraisemblablement s'assurer les produits du canal. C'est le 12 août 1802, qu'une enquête fut ouverte sur ce projet ; entreprise prématurée et tentative inutile.
Le temps des Law était passé, et la fièvre de la spéculation moderne n'avait pas encore attiré l'épargne sur les combinaisons financières de cette nature.
Le canal serait donc demeuré longtemps à l'état de mythe, si Napoléon, qui en avait apprécié l'importance au point de vue stratégique, n'en avait ordonné le creusement par décret du 14 juin 1804.
Pour les fonds, ils devaient être trouvés dans le produit des droits de sortie provenant des exportations des ports de La Rochelle, Rochefort et Marans, — et pour en augmenter l'importance, le décret levait la prohibition de l'exportation des céréales.
Le 15 fructidor an XIII (2 septembre 1805), l'ingénieur en chef Leclerc, de la Rochelle, fut chargé des travaux. A cette période, plusieurs solutions avaient été envisagées, mais aucune n'était encore définitive. La première consistait à creuser le canal entièrement à ciel ouvert : la dépense était estimée à 5 504 000 francs. Mais dans « un but d'économie », on pouvait envisager de le faire passer en souterrain sous la « montagne Saint-Léonard ». La dépense serait ramenée à 4 671 000 francs. Enfin, la nature du terrain en cet endroit permettrait sans doute de se passer de voûte. La dépense serait alors ramenée à 3 671 000 francs. Pour tenir compte des imprévus, on comptera finalement sur une dépense de 4 000 000 de francs.
Le 20 juin 1806, le préfet fait une demande de fonds pour commencer les travaux. Le 28 août 1806, le conseiller d'Etat, directeur général des Ponts et Chaussées, répond en rappelant les décrets impériaux des 22 prairial et 13 brumaire an XII (18 juin et 5 novembre 1804). Ces décrets pris à l'initiative de Martin Chassiron, affectaient aux travaux du canal le produit des droits d'exportation des grains par Marans, la Rochelle et Rochefort. Il existait sur ce produit un fonds disponible de 142 328 fr. 56.
On a coutume de dire que ce sont des forçats qui ont creusé le canal. C'est exact en partie : ce sont eux qui en ont fait les tronçons les plus difficiles. Conformément au décret, on démolit à l'extrémité du canal Maubec, la vieille écluse qui servait autrefois à la défense de la place en retenant les eaux du fossé d'enceinte. Cette retenue était insalubre et nuisible. En aval, était un vieux pont qui servait à la communication de la ville avec une partie du faubourg Saint-Nicolas. Ce pont menaçait ruine. On le détruisit aussi. On s'y mit avec une grande activité, malheureusement arrêtée bientôt par les préoccupations plus cuisantes qu'apportaient les grandes expéditions. Puis le canal vit bien des obstacles s'accumuler et reculer son achèvement.
En 1815, sous la Restauration, on le laisse de côté ; plus tard, on en effectue les travaux au moyen des condamnés aux travaux publics ; la lenteur désespérante de ce procédé, en démontre suffisamment l'inefficacité, pour ne pas dire la dérision.
C'est cependant encore le système que consacre la décision ministérielle du 2 novembre 1841 qui en prescrit l'achèvement. L'achèvement? en 1842, il n'était pas encore parvenu au milieu de son parcours. « S'il lui faut, écrivait M. Massiou, en 1843, pour achever sa carrière, autant de temps qu'il lui en a fallu pour arriver au point où il est parvenu, et ce n'est pas le procédé actuel qui accélérera sa marche, ce sera un fait unique dans les annales de l'industrie moderne, qu'une période de plus de quatre- vingts ans dépensée à creuser trois lieues de canal. »
Massiou ne s'est guère trompé. Le canal en tant que voie navigable n'a été mis en communication avec le bassin extérieur qu’en l'année 1883, au moyen d'une écluse à sas.
Dans l'état où il est encore aujourd'hui, il est arrivé trop tard.
Les lignes de fer l'ont devancé ; la batellerie n'avait pas eu le temps de s'y installer et d'y prendre des habitudes.
D'ailleurs Marans a perdu une partie de son importance comme entrepôt de grains.
La cause en est dans la création de grandes minoteries, dans la centralisation, le monopole et la facilité des communications. Il n'a sa raison d'être aujourd'hui que s'il est vraiment tête de ligne d'une navigation vers Paris.
Le projet de la Société des Amis de la Constitution est encore plein de vie.
En 1843, un comité de navigation se forma, à côté et sous les auspices du Conseil général de la Charente-Inférieure, pour pousser à la réalisation des projets de canalisation de l'ouest. Parmi les points qui nous intéressent, figuraient le tracé de Brest à Bayonne, et de La Rochelle à Paris, empruntant, tous deux, le canal de Marans à La Rochelle, et nécessitant, pour le premier, un canal de La Rochelle à Rochefort à travers les marais qui séparent ces deux villes, puis de la Seugne à Blaye.
Ce dernier tronçon aurait permis en outre d'amorcer la canalisation de Bordeaux à Paris, par la Charente et la Vienne ; combinaison plus praticable que les lignes du Périgord et du Limousin promenées à grands frais à travers les montueux départements du centre.
Ces différents projets sont encore à l'étude. L'honorable maire et député de la Ville de La Rochelle, M. Delmas, a mis depuis longtemps son activité et son intelligence au service de cette question. Le Conseil général s'en est fréquemment occupé et l'a appuyé de ses vœux.
En 1879, un projet sous le titre de Jonction de la Loire et de la Garonne, figurait dans l'ensemble des prévisions des classements de canaux : le gouvernement le présentait aux Chambres. Cette initiative réveilla les compétitions; il n'est pas de modeste ruisseau qui n'ambitionnât de s'enfler à l'égal de la grenouille de la fable.
Les départements du sud-ouest s'émurent des compétitions de clocher nuisibles aux intérêts généraux. Une commission interdépartementale du sud-ouest se forma sur l'initiative de M. Delmas qui en fut nommé le rapporteur. Le remarquable résumé des opinions de la Commission constate la nécessité de créer deux voies liquides de Bordeaux à Paris ; l'une, par la Gironde, la Seugne, la Charente, la Gère, le Mignon et la Sèvre, à laquelle vient déjà se relier La Rochelle, par le canal de Marans ; puis à partir de la Sèvre, le Clain la Vienne, la Loire et les canaux du centre; l'autre, par Libourne et Angoulême, c'est-à-dire l'Isle, la Dronne, la Charente, le Clain et la Vienne.
Il reconnaît en outre la supériorité de ces tracés sur ceux du centre, qui nécessitant plus d'écluses, à cause des différences de niveau plus considérables, coûteraient plus cher, comme établissement, et obligeraient à des droits plus élevés sur la navigation.
La création du port de la Pallice, développé ou non dans le Port Neuf, amènera forcément la réalisation de ce projet. Il y aura en effet nécessité à donner au commerce, pour le transport de ses marchandises, la liberté et la facilité de choisir entre des voies économiques, mais lentes, et, des voies plus rapides, mais plus coûteuses.
L’ancienne coopérative agricole de stockage Charles Charriau (Camion Berliet)
Dans le négoce des céréales, la maison Charles Charriau de Marans a été pendant plus de cinquante ans une place incontournable de la région dans l’importation et l’exportation des grains.
Affiche originale inaugurant la première bourse aux grains de La Rochelle. Foire organisée à l'Hôtel de La Bourse de La Rochelle par Charles Charriau, négociant en grains à Marans et La Rochelle (foire qui se tiendra les premiers samedis du mois à partir du 1er juillet 1939. )
Cette ancienne coopérative agricole de 1950 est devenue un lieu culturel.
La Rochelle et ses ports / par G. Musset ; illustrations de E. Couneau
Revue de la Saintonge et de l'Aunis : bulletin de la Société des archives historiques