Isolé au milieu d'une plaine fertile, sur un plateau verdoyant d'une altitude de 116 mètres, d'où le regard embrasse, dans la direction du midi, les horizons les plus lointains, s'élève le bourg de Cherveux.
Le nom qu'il porte, nom d'origine celtique et qui caractérise sa situation élevée, en fait remonter l'origine à une date reculée; des outils de silex, recueillis dans la plaine, témoignent, du reste, que ce lieu était habité aux temps préhistoriques.
De bonne heure il devint le chef-lieu d'une paroisse, sous le vocable de Saint-Pierre-ès- Liens, qui faisait partie de l'archiprêtré de Saint-Maixent; l'Assemblée nationale en fit le chef-lieu d'un canton que la Constitution de l'an VIII réunit à celui de Saint-Maixent. Sous l'ancien régime, il était de plus le siège d'une châtellenie qui était tenue en vassalité de l'abbaye de Saint-Maixent, à hommage lige, au devoir annuel d'une peau de cerf pour recouvrir les livres du monastère.
HISTOIRE
A l'ouest du bourg se trouve le château. Primitivement ce fut une simple motte féodale qui, entre les mains des Lusignan, aidé de la fée bâtisseuse, Mère Lusine (Mélusine) devint une forteresse.
Elle fut prise en 1242 par saint Louis sur Hugues XI de Lusignan et donnée par le roi à son frère Alphonse, comte de Poitou. Restituée plus tard aux descendants d'Hugues, elle passa successivement, par alliances, aux mains des familles de Mello, de Craon et de Châlon.
Sous le règne d'Edouard III, il fut saisi par les Anglais et donné à Guillaume de Felton, Sénéchal du Poitou.
En 1369, après la conquête de la province par Duguesclin, Cherveux revint à la famille de Châlon, d'où il passa à celle de la Trémoille.
Georges de la Trémoille céda le domaine, vers 1457, à Amaury d'Estissac, seigneur de Coulonges-lès-Royaux, lequel le céda à Jean de Naydes qui à son tour le vendit à la famille Chenin.
Leur fille Louise épousa Robert de Coninngham en mai 1476. D'origine Écossaise, capitaine de la garde du corps du roi. La famille écossaise de Conningham était bien en cour, et il est à croire que, sans la générosité des rois Louis XI et Charles VIII, les ressources personnelles de Robert de Conningham, ou de son fils Joachim, ne leur auraient pas permis d'édifier d'un seul jet le château qui nous occupe.
Cherveux fut transmis par mariage aux Puyguyon, puis aux St-Gelais.
Louis de saint-Gelais, Amiral de la flotte protestante, un des principaux chefs protestants de la région, s'empara de Niort et fut chargé du commandement de la province du Poitou dont Henri IV le nomma par la suite Lieutenant Général.
A cette époque, l'histoire n'a pas oublié le château de Cherveux.
Lors du siège de Niort, en 1569, du Lude songea tout d'abord à l'attaquer avec une armée de 5,000 hommes, quatre pièces de canon et quelques coulevrines : quand il se fut emparé de la forteresse, il en fit passer la garnison au fil de l'épée. Au bout de quelques jours, du Lude, obligé de lever le siège de Niort, fut heureux de pouvoir passer par Cherveux pour se rendre à Saint-Maixent, et de là gagner Poitiers.
Lezignem-Saint-Gelais ne tarda pas à reprendre le château de ses pères; mais en 1574, après la prise de Saint-Maixent, il tomba entre les mains des catholiques, commandés par le duc de Montpensier.
Il achète la baronnie de la Mothe-Saint-Héray (Deux-Sèvres) le 25 février 1576.
Saint-Gelais s'étant, de nouveau, rendu maître de la forteresse qu'élevèrent, sans doute, ses ayeux, ne songea plus qu'à se venger des incursions que les Niortais faisaient sur ses terres. Ce fut lui qui surprit cette ville dans la nuit du 26 au 27 décembre 1588, et la réduisit au pouvoir du roi de Navarre.
Il en fit une redoutable place forte.
Il y ajouta même une avant cour, ou cour extérieure, renfermée de murs, flanquée de fortes tours avec créneaux pour sa défense.
Dans une de ces tours, placées à l'entrée de cette cour, il établit le premier corps-de-garde de la place; et, pour ôter aux ennemis les moyens de s'arrêter longtemps devant cette forteresse, il enferma dans la nouvelle cour la source d'eau vive qui abreuvait Cherveux.
En temps de guerre c'était l'asile des vassaux, ils s'y retiraient avec leurs femmes, leurs enfants, leurs bestiaux et leurs effets les plus précieux.
Lezignem-Saint-Gelais établit ensuite à Cherveux l'exercice de la religion protestante; il fit même élever un temple qui fut détruit par les ordres du roi parce qu'on l'avait construit trop près de l'église qui servait au culte des catholiques.
A la Révolution, les propriétaires de Cherveux, le comte de Narbonne-Pelet et son épouse Marie Félicie du Plessis-Châtillon (arrière-petite-fille de Colbert), périrent sur l’échafaud. Le château fut confisqué et vendu le 12 frimaire an III comme bien national à un fermier, Pierre Alloneau.
En 1892, le département voulait classer ce château mais les propriétaires refusaient. Il a été classé par les monuments historiques sans l’avis des propriétaires par arrêté du 16 septembre 1929. Ce qui a permis de pouvoir le réhabiliter ». Ses descendants le conservèrent jusqu’en 1931, date à laquelle il fut revendu.
MONUMENT
L’ensemble du château de Cherveux frappe par son caractère d'élégance qu'il tient autant de la netteté de la coupe et de l'appareillage des pierres de taille, dont il est entièrement construit, que du soin qu'a pris l'architecte de supprimer, autant que possible, les lignes droites dans ses façades, et de donner un grand élancement à ses tours et au donjon.
Il a la forme d'un pentagone irrégulier, que ceignent de larges fossés alimentés par une source qui jaillit dans le talus du nord-est. L'ensemble des bâtiments entoure sur trois faces une cour d'environ 3o mètres de largeur, tandis que deux épaisses murailles, garnissant les deux autres faces de l'enceinte, rattachent le tout à une grosse tour formant éperon au nord-est.
L'entrée se trouve au couchant. Un pont dormant, qui était terminé par un pont-levis, fait accéder à un porche voûté, fort épais, placé sur la gauche de la façade; il est contigu à un bâtiment formant angle sur le fossé, dont la destination était de protéger l'entrée, mais qui, ayant été démoli par le canon lors du siège de 1569, fut reconstruit, peu après, sur ses anciennes bases, mais non point dans sa forme primitive; à droite du porche se trouvent des bâtiments de service qui l'unissent au donjon, et qui sont aussi d'une construction postérieure au reste de l'édifice.
C'est dans ce donjon que l'architecte de Cherveux a épuisé toutes les ressources, on pourrait dire toutes les subtilités, de sa science. Il est de forme quadrangulaire, mais ses faces n'offrent réellement qu'une succession d'angles rentrants et sortants destinés, sans nul doute, à faciliter la défense contre les armes à feu dont l'usage se répandait de plus en plus. En étudiant le raffinement de ses dispositions, où l'architecte a cherché à concilier les conditions du bien-être avec les nécessités de la défense, particulièrement par l'ouverture de larges fenêtres, placées il est vrai à une hauteur considérable et auxquelles il s'est efforcé de donner le moins d'horizon possible, on ne peut s'empêcher d'établir un rapprochement entre la forteresse élégante et les armures perfectionnées dont se couvraient les derniers chevaliers et qui les garantissaient si peu.
Écusson de la famille de Conningham.
A l'extérieur, le donjon est intact : ses mâchicoulis, fort saillants, ne sont surmontés que d'un petit nombre de créneaux, le tout recouvert d'une toiture quadrangulaire que perce, sur la façade principale, une grande fenêtre de mansarde richement ornée, placée au sommet de la ligne des grandes fenêtres à croisillons du donjon; à l'intérieur c'est un trou immense, béant, dont les baies sont ouvertes à tous les vents ; dans le milieu de ce siècle le propriétaire a enlevé à grands frais les solivages et les planchers des quatre étages, en laissant en 1’air les vastes cheminées qui les décoraient. Chacun de ces étages comprenait trois pièces : une salle carrée au milieu, un appartement de moindre étendue à droite, une sorte de retrait à gauche. Une seule fenêtre, garnie, suivant son importance, d'un ou deux sièges en pierre placés dans l'embrasure, éclairait chaque pièce. Dans la salle inférieure une trappe établissait une communication avec le rez-de-chaussée voûté, dont les étroites meurtrières surveillaient les fossés.
Armoiries du royaume d'Écosse.
La décoration extérieure a été presque totalement réservée pour les fenêtres du milieu de la façade où, au milieu de choux frisés et de rampants de vigne, apparaissent trois écussons. Sur la fenêtre de mansarde sont les armoiries de la famille de Conningham: d'argent, à trois pairles de sable, écartelé de gueules, à trois fleurs de lis d'or, répétées deux fois dans l'écusson ; cette singularité se reproduit dans la sculpture, absolument identique, qui se trouve au-dessous de la fenêtre intérieure, tandis qu'entre elles d'eux s'étalent, comme un souvenir de la patrie abandonnée, les armes du royaume d'Ecosse : d'or, au lion issant de gueules, dans un double trécheur fleurdelisé et contre-fleurdelisé de même.
Un escalier à vis, placé dans une tourelle à pans coupés, posée à partir du premier étage dans l'angle formé par le donjon et le corps de logis principal, faisait communiquer ensemble tous les étages du donjon; mais on ne pouvait accéder à cet escalier que de l'extérieur, au moyen d'une galerie en bois, partant du milieu de l'escalier du grand corps de logis et plaquée sur sa façade. Au sommet de cet escalier, sur un petit socle, sont sculptés un homme et une femme se donnant la main: l'homme a de longs souliers à la poulaine et un gippon à gros plis ; la femme, une longue robe à plis et serrée à la taille.
Dans ces figures, dont les visages sont malheureusement mutilés, nous reconnaissons les propriétaires du château de Cherveux lors de sa construction.
Le corps de logis dont nous venons de parler part du donjon et forme la façade Sud du château en faisant, au milieu, un angle obtus. Au sommet de cet angle était placée une tour ronde qui, minée par le salpêtre, s'est effondrée vers 1855 ; en face, à l'intérieur de la cour, se trouve une tour octogonale dans laquelle est l'escalier qui mène dans les appartements du corps de logis principal. Ceux-ci, en général de forme irrégulière, n'ont de particulier que leurs grandes cheminées, dont les manteaux sont supportés par des colonnettes ornées de moulures.
La porte de cette tour est surmontée d'un arc décoré de choux frisés, encadrant un écusson que le salpêtre a totalement rongé. Le corps de logis vient se terminer sur une autre tour, fort élégante, de forme ronde et dont la toiture conique, s'élevant sur un étage correspondant à son diamètre intérieur, laisse à découvert la galerie supportée par les mâchicoulis. Au rez-de-chaussée de cette tour se trouve la salle du
Trésor; c'est une petite pièce voûtée, aux murs excessivement épais, éclairée seulement par une meurtrière et pourvue d'une cheminée; elle contient encore les deux grandes armoires en bois dans lesquelles étaient conservées les riches archives du château. Grâce à ces précautions minutieuses, celles-ci avaient traversé les siècles et échappé à toutes les chances de destruction qui les avaient si souvent menacées; aussi, on n'eut, en 1793, qu'à les prendre dans leur classement soigneux, pour les porter dans la cour extérieure, où elles alimentèrent un feu qui a anéanti toute l'histoire de la forteresse et du pays qui l'environne.
Sur la clé de voûte de la tour du Trésor est sculpté un écusson mi-parti, supporté par deux hommes sauvages, et qui porte d'un côté les armoiries de la famille de Coningham, tandis que l'autre est resté en blanc.
Une tourelle accolée au côté Nord de cette tour contient l'escalier qui la dessert. De là part un mur fort épais, aujourd'hui découronné, qui la relie à la grande tour ronde posée à l'angle Nord-Est de la cour et qui était, de ce côté, le point principal de la défense ; cette tour a été en partie démolie au moment où l'on enlevait les planchers du donjon, pour servir comme eux à la construction des bâtiments d'une ferme voisine. La salle du rez-de-chaussée servait de prison; au-dessous se trouvait le cul de basse-fosse, où l'on descendait les gens au moyen d'une ouverture dans sa voûte.
Sur la porte d'entrée de cette tour est un écusson dans lequel on reconnaît, malgré le soin avec lequel il a été mutilé, les armoiries de la tour du Trésor, ce qui permet d'attribuer à la même personne la construction de ces différentes parties du château.
Clef de voûte de la salle du Trésor.
Il ne s'y rencontre pas trace de chapelle. Peut-être celle-ci se trouvait-elle dans le bâtiment contigu au porche, et qui, ayant été reconstruit par un zélé protestant, car il porte les armoiries de Louis de Saint-Gelais et de sa femme
Jeanne Du Puy, n'aura sûrement pas reçu de lui la même affectation ; peut-être aussi les seigneurs de Cherveux se sont-ils contentés de l'église paroissiale, qu'ils firent construire en même temps que leur château, et qui, en partie démolie pendant les guerres de religion, n'a conservé que la base de son clocher, avec un étage sans toiture, percé de hautes fenêtres et accompagné d'épais contreforts ornés de niches. Cette église est d'un côté contiguë à la vaste cour charretière du château, et de l'autre à une halle, sans doute de même époque, qui consiste en trois travées, formées par des poteaux en bois placés sur des dés en pierre, suivant le type ordinaire de la région.
Écusson accolé de Louis de Saint-Gelais et de Jeanne Dupuy.
En dehors du siège de 1242, l'histoire générale ne, fait mention du château de Cherveux que pendant les guerres de religion. Louis de Saint-Gelais, un des plus actifs chefs protestants du Poitou, en avait fait une place d'armes redoutable, ce qui lui attira les attaques des chefs catholiques. En 1569, M. du Lude s'en empara et passa la garnison entière au fil de l'épée; en 1574, il fut encore pris par le duc de Montpensier.
Longtemps habité par de riches et puissants seigneurs, il fut presque abandonné dans le cours du xvme siècle. Sans les dévastations que lui ont fait subir quelques-uns de ses propriétaires, il pous serait arrivé presque intact, nous conservant un intéressant spécimen de l'architecture militaire au début des temps modernes; en 1794 il fut toutefois fortement menacé, la République en le vendant s'étant réservé « le droit de faire démolir et combler à ses dépens, et quand elle le jugera à propos, les tours, fossés et autres parties des bâtiments, glacis, chemins couverts ». Mais elle n'usa pas heureusementde son droit, et aujourd'hui, en le classant comme monument historique, l'État le prend sous sa sauvegarde et le protégera, il faut l'espérer, aussi bien contre la main des hommes que contre l'injure du temps.
ALFRED RICHARD.