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PHystorique- Les Portes du Temps
2 mars 2019

Ces révolutions qui font l’Histoire

Ces révolutions qui font l’Histoire

Démolition de la Bastille commencé sous Charles V en 1369 achevé en 1383. Pris le 14 juillet 1789 et démoli aussitôt après sa prise le vendredi 17 juillet 1789 jour a jamais mémorable par l'auguste confiance de Louis XVI envers sa bonne ville de Paris. Mrs les députés de la noblesse du nombre des quels étoit Mr le marquis de Lusignan, se transportèrent sur les plattes-formes de la Bastille dont on avoit déjà démoli les Crénaux des tours, ainsi que les petites Cahutes qui donnoit sur les Terrasses. Ces Généreux Citoyens soulevèrent eux-mêmes plusieurs pierres et secondés par les Ouvriers, ils les jetterent dans les Décombles en invitant le Peuple Français à continuer la Démolition de cette horrible Prison.

 

 

 

Les grandes révolutions, celles qui changent tout à coup et fixent pour des siècles le destin des empires, ont toujours des causes éloignées qui échappent aux yeux du vulgaire. L'erreur commune est de les attribuer à l'événement qui signale leur explosion, ou de remonter tout au plus à quelques faits contemporains. C'est ainsi que l'on croit expliquer la réforme religieuse du XVIe siècle, par la rébellion d'un moine augustin contre le Saint-Siège; l'expulsion des Stuarts, par le débarquement de Guillaume ; et la régénération politique de la France, par l'embarras des finances et la prise de la Bastille ; mais une observation attentive découvre facilement que, longtemps avant d'éclater, ces révolutions étaient faites dans les esprits et accomplies dans les mœurs.

 

Quand Luther fit audacieusement brûler, sur la place publique de Wittenberg, les bulles de Léon x, les dérèglements du clergé romain, corrompu par l'excès des richesses, étaient depuis cent ans un objet de scandale et d'aversion pour les peuples allemands qui commençaient à s’éclairer. L'invention récente de l'imprimerie avait établi des communications faciles entre les idées; elles se trouvèrent les mêmes à des distances fort éloignées ; le rapprochement les fortifia.

 

Les esprits profonds de l'époque, Machiavel entre autres, prévirent dès lors une scission inévitable entre des éléments devenus antipathiques; et il ne fallait plus qu'une occasion pour l'opérer, quand la vente des indulgences provoqua un soulèvement simultané dans tout le nord de l'Allemagne contre le pouvoir pontifical. Luther ne fit donc qu'exprimer hautement, le premier, un sentiment général ; à sa voix, l'indignation éclata partout à la fois, et le schisme fut consommé.

 

En Angleterre, Cromwel fit évidemment violence aux habitudes de la nation, en lui imposant le régime républicain ; aussi cette institution prématurée ne survécut-elle pas à l'homme supérieur qui la fonda, et seul pouvait la maintenir ; mais il en naquit les idées dont le développement s'accrut par les agitations de la guerre civile ; puis d'autres idées, inconnues aux générations précédentes, vinrent, par succession, dominer les esprits. La haine de l'arbitraire, un penchant décidé à l'austérité religieuse, l'aversion du joug d'un pontife étranger, formaient la base du caractère nouveau de la nation ; elle était enfin généralement instruite de ses droits, qu'un peuple peut ignorer longtemps, mais qu'il ne désapprend jamais. Ces germes avaient atteint le plus haut degré de leur accroissement et produisaient déjà des fruits mûris par l'expérience, quand le dévot Jacques essaya d'opposer au droit public les prétentions fondées sur le droit divin ; au besoin impérieux d'une sage liberté, les exigences du pouvoir absolu ; enfin, aux principes sévères de la foi évangélique , les jongleries monacales, la morale des jésuites et les indulgences de Rome.

 

Dans cette lutte inégale d'un entêtement déraisonnable contre la résistance des mœurs, les efforts inconsidérés du monarque provoquèrent la chute des Stuarts, du pouvoir absolu et du catholicisme.

 

Ce ne furent donc ni l'apparition du prince d'Orange, ni l'abandon de l'armée à Salisbury, non plus que la révolte de la populace de Londres, qui renversèrent le trône de Jacques. Ces événements ne servirent qu'à mettre à découvert une catastrophe accomplie ; le trône de ce prince était déjà tombé faute d'appui, il ne restait plus qu'à prononcer une sentence. Le roi fut exilé, la royauté resta et fit alliance avec la liberté. Soutenue du vœu public, la révolution s'était opérée sans obstacles; le temps l'a cimentée.

 

Il fallut un siècle de plus à la France pour arriver au même point ; et quoique les moyens aient été différents, on peut cependant affirmer que la révolution des Anglais en 1688, et celle des Français en 1789, dérivent exactement du même principe : le divorce, entre les intérêts du trône et ceux du pays. Des deux côtés, la marche opiniâtre de la royauté dans les voies abandonnées par la nation, eut pour résultat de laisser le monarque seul avec une poignée de courtisans.

 

- Si l'on demande à qui fut le tort, on répondra par une autre question : les peuples sont-ils faits pour les gouvernements? Pressé de la sorte, le flatteur le plus effronté du pouvoir, pour peu qu'il soit doué de raison, reculera devant l'absurdité de l'affirmative. Eh bien ! la proposition contraire est donc vraie : Les gouvernements sont faits pour les peuples. On peut nier systématiquement leur souveraineté; toutefois il faut bien accorder encore que les masses recèlent une force imposante, susceptible de compression, à la vérité, mais seulement dans une certaine mesure qu'on ne peut dépasser sans provoquer une réaction terrible, impétueuse, dont l'effort renverse tout aveuglément. La loi suprème de la nécessité commande donc au petit nombre de conducteurs chargés de diriger des millions d'hommes, de leur imposer, à défaut de chaînes matérielles, des liens moraux assez forts pour les contenir, trop légers pour les blesser : il faut enfin que le joug leur plaise; en d'autres termes, que le gouvernement soit fait pour eux. Et quand, par une suite d'imprudentes usurpations, les pouvoirs de la société sont concentrés dans une main unique, lorsqu'il y a despotisme, c'est-à-dire un seul contre tous, alors l'intérêt personnel du despote lui fait un devoir plus étroit encore d'être l'homme du peuple, sous peine de n'être bientôt plus rien.

 

C'est le mépris obstiné de cette vérité qui égara les conseillers de la vieille monarchie, et les conduisit à l'abîme où ils s'engloutirent avec elle. A les entendre, cependant, ils ne sont coupables de rien. « A l'ombre de ses antiques institutions, la nation florissante goûtait le bonheur, jouissait de la liberté. Les privilèges,  dont on a fait tant de bruit, n'étaient point a exclusifs, puisqu'il suffisait d'être riche pour a entrer en partage de ceux de la noblesse qui  s'achetait. Quant aux abus, ils profitaient à tout le monde. L'opulence du clergé, objet de a tant de déclamations, était le patrimoine éternel de toutes les familles indistinctement; les «biens et les dignités du sacerdoce, accessibles  à chacun, puisque l'instruction et les talents  en ouvraient la route, même aux pauvres plébéiens, faisaient de l'Eglise l'empire de la véritable égalité. Le royaume entier offrait  l'image de la félicité publique, élevée au plus haut degré où l'humanité puisse atteindre;  c'était le fruit de quatorze siècles d'une prospérité croissante et continue, sans aucune interruption. La nation en savourait les délices au sein du calme le plus profond, quand la lecture de quelques livres corrompit, on ne sait comment, la source de son bonheur, mina les bases du trône et des autels ; et tout l'édifice social resta comme suspendu sans appui sur a ses fondemens ruineux. Alors il arriva qu'un ce léger embarras dans le trésor royal servit de prétexte aux orateurs d'une populace imbue des principes de la philosophie moderne ; ces « énergumènes l’excitèrent à courir aux armes.

 

Aussitôt le-peuple français, abjurant tout à coup ses mœurs douces et sociales, devint, en un jour, féroce, impie; il se jeta sur ses prêtres, sur les nobles, sur le roi, immola tout sans pitié, abolit la religion, et substitua au meilleur des gouvernements une sanglante anarchie qui dura vingt-cinq ans. Voilà toute la révolution.

 

 C'est ainsi que les ennemis de la liberté retracent avec complaisance l'âge d'or des anciens temps, et se plaisent à peindre la révolution en dénaturant son principe, en confondant à dessein toutes les époques. Si les regrets leur faisaient illusion, on pourrait se borner à prendre en pitié leur folie ; mais ils ne se trompent pas, ils trompent, et c'est avec une intention perfide qu'ils sèment ainsi l'erreur ; il faut donc la combattre.

 

En effet, si notre prétendue régénération ne fut réellement qu'une émeute populaire, la force, employée à propos, pouvait tout comprimer, et quelques régiments, lancés sur les révoltés, auraient facilement étouffé dans son berceau ce qu'ils appellent l'hydre révolutionnaire. Il suit de là qu'il est encore temps de ramener la France à l'ancien régime; elle n'opposera qu'une molle résistance au bien qu'on veut lui faire. Ce terrain n'est point volcanique, comme l'affirment  les déclamateurs ; la nation s'y trouvait fort à l'aise ; elle y sera de nouveau sur des roses. Et, pour opérer tout ce bien, il ne s'agit que d'être fort contre une poignée de factieux, c'est-à-dire de supprimer les écrits, de s'entourer de baïonnettes, et d'avoir des canons toujours braqués.

 

Une révolution n'est rien qu'une révolte : en tuant ou désarmant les mutins, on dissipe le danger; on peut donc tout oser. Digne conclusion de ce tissu d'absurdités que ne craignent pas d'accréditer aujourd'hui des hommes du pouvoir, et que répètent incessamment les partisans d'un funeste système, dont le but est la contrerévolution. Oui, sans doute, la violence peut entreprendre de refouler la France jusqu'au règne de Louis XVI, mais il faudrait d'abord repasser par le despotisme militaire. Où est la force capable de l'exercer? Et dans cette marche rétrograde sur le chemin de 1789, ne trouverait-on pas encore 1793 !

 

Quoi qu'il en soit, les tableaux infidèles de ces hommes de mauvaise foi ne montrent jamais les véritables acteurs du grand drame qu'ils défigurent pour le rendre odieux, et dont ils suppriment entièrement l'exposition. Ils prétendent que la révolution fut l'ouvrage de la classe inférieure de la société, le fruit d'une démagogie en délire : c'est un mensonge. Elle était faite quand les prolétaires intervinrent à la voix des passions provoquées par de folles résistances ; leurs fureurs, que la liberté désavoue, bien loin de servir la révolution, la forcèrent de reculer et retardèrent longtemps son accomplissement. Non, la liberté n'a pas plus à répondre des excès de la terreur y que la religion catholique des atrocités de la Saint-Barthélémy. Cette vile populace n'était-elle pas celle de l'ancien régime ? l'éducation morale et religieuse de ces temps si vantés n'avait- elle pas seule produit tant d'hommes ignorants et barbares! Car enfin, il est par trop dérisoire d'attribuer leur ivresse sanguinaire au venin renfermé dans des livres qu'ils ne savaient pas même lire. Non, ce n'est pas de si bas que partirent les premiers traits, dont les blessures devaient tuer le pouvoir absolu. Eh ! qui donc le combattit et le renversa? qui leva l'étendard de la révolution ?

 

Qui! le clergé, la noblesse, les parlements, les Etats des provinces. Loin de les accuser, l'histoire les signale à la reconnaissance publique, en leur restituant l'honneur de l'initiative dans ce grand mouvement national qui tendait au bonheur public.

 

Une autre conséquence du raisonnement captieux des ennemis de la révolution, c'est que, durant son cours  la véritable France, avec ses idées, ses intérêts, ses vœux, ses opinions , était tout entière sous les tentes de l'émigration, ou dans les forêts de la Vendée ; tandis que la révolte seule combattit vingt ans sous le drapeau national. Examinons à quel point sont fondés ces regrets, ces reproches et ces récriminations.

 

A aucune époque de la monarchie, les révoltes du peuple n'ont menacé l'autorité ni la personne des rois, tandis que les fréquentes rebellions de la noblesse ont toujours eu pour objet d'ébranler, de renverser le trône, et souvent d'immoler le monarque lui-même. Les attentats nommés guerres du Bien public, de la Sainte-Union, de la Ligue et de la Fronde, furent tous l'ouvrage des premiers ordres de l'Etal.

 

Aussi la royauté, constamment aux prises avec les grands, dut, par une pente naturelle, tendre à favoriser les communes et le peuple, pour s'en faire un appui, en même temps qu'elle s'appliquait à dépouiller de leurs droits les seigneurs laïques ou ecclésiastiques, et à limiter leur puissance. Telle fut la base de la politique adoptée par Louis XI, ce roi naturellement ami des gens de moyen état (1); et les mêmes principes dirigèrent la conduite du cardinal de Richelieu, dont le despotisme ne pesa pas sur le peuple, et n'opprima que les hautes classes de la société.

 

1 Mémoires de Philippe de Commines.

 

 

 

Despote comme le cardinal, sans être aussi persécuteur, du moins durant sa jeunesse, parce qu'il n'était pas encore dévot, et que le prêtre ambitieux lui avait légué une puissance mieux affermie, Louis xiv s'appliqua davantage à faire fleurir les arts, l'industrie, le commerce et l'agriculture, sources de richesses que le dédain des nobles abandonnait à la roture.

 

Aussi ce règne, le plus long depuis la fondation de la monarchie, fut-il le plus favorable à la cause populaire contre l'aristocratie, que le roi se plaisait à tenir dans l'abaissement en punition des mutineries de la Fronde, où la noblesse, le clergé et les parlements avaient joué les principaux rôles. Son ressentiment alla plus loin ; et, pour froisser davantage l'orgueil des principaux corps de l'État, il ouvrit aux roturiers le chemin des dignités réservées jusqu'alors aux classes privilégiées : Fabert et Vauban reçurent le bâton de maréchal de France, ainsi que Câlinât, auquel le roi offrit de plus le cordon bleu ; un matelot, Jean-Bart, commanda ses flottes ; Colbert et Letellier siégeaient aux premiers rangs dans ses conseils, desquels étaient exclus les cardinaux et les grands seigneurs ; l'éloquence de Bossuet et de Massillon fut couronnée de la mitre épiscopale.

 

Le mérite suffisait, sans naissance, pour parvenir à tout, excepté cependant aux honneurs de la cour, dont la fierté du monarque avait su faire un instrument d'humiliation à l'usage particulier de la haute aristocratie. En même temps Louis xiv encourageait Molière à livrer, sur le théâtre, à la risée du peuple, les ridicules prétentions des marquis, et il applaudit hautement à la peinture de la bassesse des courtisans, personnifiée sous les traits d'un comte dans le Bourgeois gentilhomme (1).

 

1 II est évident que Louis XIV, dont la haute protection favorisa si puissamment les progrès simultanés des sciences, de la philosophie et des lettres, n'avait en vue que l'éclat qu'elles devaient jeter sur son règne. Il n'était pas sans inquiétude sur la direction que pouvaient leur imprimer les hommes supérieurs de cette époque. On sait que son courroux éclata à la lecture de ces pages éloquentes, où, sous le voile d'une ingénieuse allégorie, Fénélon, le plus vertueux des prélats dont s'honore l'Eglise de France, apprenait au peuple, qui ne connaissait encore que des devoirs, à méditer aussi sur ses droits. Le dépit du despote ne pardonna jamais quelques traits hardis échappés à la plume philosophique de La Fontaine :

 

Notre ennemi c'est notre maître,

 

Je vous le dis en bon Français.

 

La glorieuse disgrâce de Fénélon est son plus beau titre aux yeux de la postérité; en effet, c'est lui qui donna la première impulsion à ce mouvement des esprits toujours croissant jusqu'à la révolution, et à la tête duquel, quarante ans après Fenélon, se plaça Malesherbe, le plus illustre de nos magistrats. C'est donc de bien loin et ce fut toujours de bien haut que vinrent ces lumières, objet de tant de déclamations, et que l'esprit de parti s'obstine à n'attribuer qu'à la fermentation d'idées séditieuses parmi les classes inférieures de la société vers le milieu du règne de Louis xv.

 

On s'étonne de voir le grand roi semer ainsi les premiers germes des idées d'égalité ; toutefois la surprise cesse, en observant que le pouvoir absolu a cela de commun avec la démocratie, que l'un et l'autre ont besoin de niveler le terrain où ils veulent s'établir.

 

Mais tandis que la politique des rois s'attachait à détruire, dans des vues d'intérêt personnel, les droits et la prépondérance des deux premiers ordres, le troisième héritait de leurs pertes; le despotisme, naturellement antipathique aux Français, ne gagnait absolument rien : le point de résistance se déplaçait, voilà tout. Le tiers-état grandissait tous les jours ; chaque génération nouvelle ajoutait aux avantages conquis par l'âge précédent. L'éducation des enfants se perfectionnait, et les emplois réputés vulgaires jusque-là, exercés désormais par des hommes plus habiles et mieux élevés, brillèrent d'un éclat inconnu ; la considération s'y attacha.

 

La magistrature, la finance, le barreau, le commerce, les banquiers; les médecins, les employés de l'administration, formèrent à la longue comme un corps intermédiaire, dont la supériorité, loin d'exciter l'envie du peuple, auquel il appartenait, stimulait son ambition. Ce patriciat plébéien se partagea naturellement la clientelle entière des classes inférieures de la nation, succédant ainsi au pouvoir de protection et d'influence que les nobles laissaient échapper de leurs mains. Car la noblesse de province languissait inactive dans ses châteaux délabrés; l'ignorance et une pauvreté honorable étaient devenues son partage. Les grands seigneurs de la cour, à quelques brillantes exceptions près, généralement avilis par la corruption, ruinés par un luxe dévorant, ne nourrissaient leur faste que du produit des abus les plus monstrueux, et de dettes qu'ils refusaient insolemment d'acquitter, sans qu'aucune loi pût les contraindre au paiement. Les lettres de surséance paralysaient toutes les poursuites.

 

Ainsi s'opérait le déplacement des forces morales de la société : ses progrès furent d'abord très lents ; le mouvement s'accéléra sous Louis xiv, il était accompli vers le milieu du règne de Louis xv.

 

Alors l'opulence et les talents supérieurs étaient passés de la noblesse au tiers-état ; le haut clergé lui avait abandonné les sciences, l'instruction, l'éloquence, et jusqu'à la gravité des mœurs. Il partageait avec les deux premiers ordres la propriété des grands domaines et même les noms pompeux que l'orgueil y avait attachés, et il possédait seul l'industrie, le commerce, les emplois lucratifs, les manufactures, toutes les sources de production; tandis qu'une fausse et stérile dignité, interdisant aux gentilshommes la faculté d'acquérir la fortune par le travail, les condamnait à toujours consommer sans rien produire.

 

Une révolution complète était donc achevée dans les mœurs à cette époque; celle des institutions était imminente, et deux causes concouraient avec une égale puissance à précipiter cette catastrophe inévitable. Le ressentiment de l'aristocratie déchue commençait à éclater contre le pouvoir absolu, de tout temps insupportable à la noblesse française 1, et, d'un autre côté, l'ambition du tiers-état aspirait à la jouissance des droits attachés à sa nouvelle position. A la vue de ce nouvel ennemi qui s'élevait du sein des familles plébéiennes, le despotisme tourna exclusivement ses armes contre lui. De ce moment, ai au mépris de l'exemple donné par Louis xiv, les roturiers furent exclus des grades d'officiers dans l'armée et dans la flotte ; il ne leur fut plus permis d'aspirer aux dignités de la magistrature ni de l'Eglise ; enfin on ferma aux tiers-état toutes les issues par lesquelles sa force ascendante tendait à se frayer un passage jusqu'au point élevé où sa supériorité devait trouver l'équilibre. On fit plus : pour cacher, sous l'apparence de la vigueur, la faiblesse réelle du pouvoir, on en tendit imprudemment le ressort usé ; les caprices du bon plaisir furent substitués à l'action des lois ; on érigea en droit le plus insolent arbitraire.

 

 

 

1 Cette haine, native et toute française de la noblesse contre le despotisme se manifesta surtout alors, à l'occasionde l'exil du duc de Choiseul. Tous les hommes distingués de cet ordre se firent un point d'honneur d'aller publiquement à Chanteloup rendre hommage à la victime d'un pouvoir avili et que la molesse du monarque avait laissé tomber aux mains d'une courtisanne; le mouvement fut vif et général, il entraîna jusqu'à l'œil-de-boeuf„

 

Une fermentation générale signala bientôt le mécontentement public; des plaintes éclatèrent par l'organe des parlements. Ils furent abolis : Maupeou essaya d'en créer d'autres sur une base nouvelle, avec des attributions différentes et un pouvoir restreint dans des bornes plus étroites.

 

Cet essai malheureux acheva d'aigrir les esprits; la nation s'en prit alors à la personne de Louis xv, dont la vieillesse fut poursuivie par la haine universelle, et la majesté du trône en souffrit une atteinte funeste. Cependant le roi fainéant continua de rester isolé de son peuple , entouré de courtisans qui le tinrent, jusqu'à son dernier jour comme emprisonné dans le tabernacle éblouissant de la royauté, et incessamment offusqué d'un nuage d'encens dont le voile épais lui dérobait l'aspect des maux publics. Toutefois il en vil assez pour être convaincu que le despotisme était enfin menacé d'une prochaine destruction ; mais sa mollesse s'effrayait à l'idée de subir la fatigue des améliorations et des réformes ; il se consola par l'espoir que l'orage, respectant du moins sa tête, éclaterait seulement sur celle de son successeur; et la mort le surprit répétant encore cette expression familière de son imperturbable égoïsme : Tout cela durera bien toujours autant que moi.

 

L'insurrection des idées était générale à l'avénement de Louis XVI. Les conseillers de ce prince crurent donner le change à l'inquiétude générale en engageant la France dans la querelle élevée entre l'Angleterre et ses colonies; mais ils allèrent précisément contre leur but ; car l'objet de cette guerre étant l'émancipation d'un peuple et l'établissement d'une république, son effet moral fut d'accélérer le mouvement des esprits vers la conquête de l'ordre légal. Les jeunes gens de la cour revinrent d'Amérique imbus d'idées favorables à la liberté ; dès lors, dans les réunions de la haute société, autrefois si frivoles, on entendit parler des droits du citoyen et de l'égalité devant la loi, approfondir des points -d'économie politique.

 

Du reste, les frais de cet armement dispendieux aggravèrent les embarras intérieurs du gouvernement, et achevèrent d'épuiser les ressources du trésor royal, qu'une administration sans contrôle n'avait pu défendre contre la voracité des courtisans.

 

Toutefois ces désordres n'avaient pas encore tari le fond des richesses nationales ; l'industrie, le commerce, l'agriculture, et surtout le crédit restaient, hors des atteintes du pouvoir, entre les mains du tiers - état. Ces biens ne pouvaient lui être ravis par la force, et il se montrait décidé à ne s'en dessaisir, pour libérer le gouvernement, qu'en échange de la réforme des abus dont la charge pesait tout entière sur lui. Il fallut donc parlementer avec la nation, et la cour résolut d'assembler les notables.

 

Cet événement remarquable se rapporte aux commencements de 1787. La réunion se composait de princes, d'archevêques, de pairs de France, de conseillers d'Etat, de députés des parlements et des pays d'Etats, enfin de gentilshommes représentants des grandes cités : c'était l'élite de la noblesse du royaume, sans mélange de tiers-état ; et cependant les premières paroles adressées au pouvoir par cette représentation incomplète de la France, furent des reproches contre le despotisme ; ils éclatèrent même avec tant de vivacité, que la cour, effrayée, sacrifia au mécontentement général, exprimé par les notables, le ministre qui les avait appelés autour du trône; Calonne fut exilé. Ceux-là même, qui depuis ont prodigué tant d'injustes outrages au peuple, et ont essayé de tourner contre lui, en injure flétrissante, la qualification de révolutionnaire qui n'appartient qu'à eux seuls, les élus de l'aristocratie enfin, commencèrent par exiger du roi un changement sans exemple dans l'administration publique :' la formation d'assemblées provinciales chargées d'asseoir et de répartir également les impôts. Ils réclamèrent ensuite la suppression des corvées, et d'une partie des droits de gabelles; après avoir obtenu ces réformes toutes populaires, l'assemblée se sépara au mois de mai.

 

Le roi demandait des conseils et des sacrifices, il n'a recueilli que des plaintes. Les grands ne l'ont entretenu que des maux du peuple, devenus intolérables à tel point, qu'eux-mêmes, à qui les abus profitent, en sollicitent la réforme.

 

Ainsi s'évanouit au premier coup d'oeil la fable de l'âge d'or des temps antérieurs à la révolution, et l'on voit déjà les premiers coups portés au pouvoir absolu par l'aristocratie. Resté seul avec ses embarras, le roi a recours, pour y faire - face, à deux nouveaux impôts : le droit du timbre et la subvention territoriale. Mais les aveux arrachés par les notables ont révélé un déficit annuel de 140 millions et une dette de 3 milliards ; les parlements alarmés veulent contraindre le roi à compter avec la nation ; ils refusent l'enregistrement de ces lois bursales ; Louis XVI alors se montre environné de l'appareil imposant de l'autorité royale, dans une assemblée du parlement nommée lit de justice; il commande : les sénateurs contraints obéissent, puis ils protestent de violence.

 

 

 

Bientôt une occasion se présente de venger cette injure: une plainte est portée à leur tribunal contre les abus d'autorité et les dilapidations de Galonné. Le procès est commencé; c'était, en réalité, s'attaquer au roi lui-même, puisque les lois de la monarchie n'admettaient pas la responsabilité des ministres. Louis XVI évoque la cause à son conseil; le parlement brave l'ordre et continue l'instruction criminelle : il est exilé. A la vue de l'inquiétude de la France entière, on le rappelle peu de temps après, mais c'est pour lui proposer d'autoriser un emprunt de 440 millions.

 

C'est alors que le parlement se déclare incompétent pour accorder les impôts, et réclame l'assemblée des Etats-Généraux de la nation, oubliés depuis cent soixante-treize ans. Les pairs de France, présents à la séance, concourent à la décision ; un prince du sang , le duc d'Orléans, avait porté la parole : le prince et les principaux orateurs sont exilés par lettres de cachet.

 

Cet éclat achève de soulever les esprits ; mais l'agitation ne se manifeste que dans les sphères élevées de la société ; la demande des Etats-Généraux devient le mot d'ordre des mécontents de la noblesse et de la magistrature. L'assemblée du clergé, alors réunie à Paris, exprime hautement le même vœu. Le roi cède à ce désir unanime des grands corps d'Etat, mais il en ajourne l'exécution à cinq ans 1. Ainsi finit l'année 1787.

 

Voilà donc le combat vivement engagé avec le pouvoir absolu, déjà même il recule, et cependant le mouvement révolutionnaire n'a encore reçu l'impulsion que des hommes placés aux sommités de l'ordre social ; le tiers-état reste spectateur; le peuple écoute, mais il n'agit pas.

 

Dès les premiers jours de janvier 1788, le parlement de Paris publie en faveur de ses membres exilés par le roi, en contravention aux lois da royaume, un arrêt qui attaque ouvertement l'illégalité des lettres de cachet, et contient des déclarations énergiques contre les actes arbitraires du gouvernement (2). Le roi casse l'arrêt: le parlement s'assemble, et délibère sur les dangers publics. Alors apparaît cet acte solennel, véritable manifeste de la révolution qui s'avance déjà tout armée, conduite par l'élite de la nation. Les sénateurs, parmi lesquels siègent les pairs de France, déclarent que le royaume reconnaît pour lois fondamentales (3):

 

1 Arrêt du conseil du 18 décembre 1787.

 

2 Arrêt du parlement, le 4 janvier 1788.

 

3 Arrêt du parlement, le 5 mai.

 

 

 

1° Le droit de la maison régnante au trône, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture ;

 

2° Le droit de la nation d'accorder les subsides par l'organe des Etats-Généraux.

 

3° L'inamovibilité des magistrats ;

 

4° Le droit de chaque citoyen de n'être jamais traduit en aucune manière par-devant d'autres juges que ses juges naturels désignés par la loi;

 

 5° Le droit de n'être arrêté, par quelque ordre que ce soit, que pour être remis sans délai entre les mains de juges compétents.

 

6° Le droit des divers parlements de vérifier les édits du roi, et de n'en ordonner l'exécution que s'ils sont jugés conformes aux lois fondamentales du royaume.

 

Quel esprit juste refusera de reconnaître que toute la révolution est là, et que le parlement de Paris exprimait alors les vœux que la France formait depuis longtemps : l'abolition du despotisme et l'établissement de l'ordre légal? Cette illustre assemblée compléta, bientôt après, la manifestation explicite et formelle de la volonté générale, en demandant au roi d'établir le retour périodique des Etats-Généraux; de déclarer leur droit d'établir les impôts ; de consacrer la Suppression de tout impôt distinctif des ordres, l'égalité des charges, la responsabilité des ministres, la liberté individuelle et la liberté légitime de la presse (1).

 

On ne peut se défendre d'une réflexion douloureuse, en observant que c'est exactement le même esprit qui dicta les arrêts de 1788, prononcés par la haute aristocratie du royaume, et, vingt-six ans après, la déclaration de Louis XVIII à Saint-Ouen, le 2 mai 1814; il semble que, si Louis XVI eût accédé aux désirs de la France à cette époque, qui précéda d'une année celle où les résistances de la cour allumèrent l'incendie des fureus populaires, le peuple ne se serait mêlé de rien et que notre régénération n'eut pas été ensanglantée.

 

Malheureusement, aveuglé par de perfides conseillers, le roi refusa de reconnaître qu'ils l'avaient déjà séparé de la nation, et que non seulement ce n'était plus avec elle qu'il marchait, mais contre elle. On ne répondit aux déclarations et aux demandes du parlement que par la violence.

 

Ecartons, par respect pour la plus touchante infortune, tout reproche personnel contre un homme vertueux ; mais convenons qu'un caractère faible est trop souvent enclin à confondre l'opiniâtreté avec la force, l'orgueil avec la dignité.

 

Poursuivons : les événements se pressent et la catastrophe est imminente.

 

Plusieurs conseillers du parlement sont arrachés de la grande salle du palais de justice par les gardes du corps, et traînés en prison. L'indignation éclate dans Paris, elle se répand jusqu'aux extrémités du royaume ; la cour n'en tenant compte, tente d'opposer révolution à révolution, et crée, au- dessus des parlements, un pouvoir nouveau, un fantôme de cour plénière; burlesque invention renouvelée des Francs de la première race, et dont le ridicule fait justice. Le parlement de Rennes déclare infame quiconque osera siéger dans ce tribunal usurpateur ; celui de Grenoble menace de séparer le Dauphiné de la France; les autres se prononcent avec la même énergie ; huit sont exilés. L'assemblée du clergé renouvelle ses instances pour la prompte convocation des Etats-Généraux ; le roi se rend enfin.

 

Mais déjà le peuple s'agitait, et la retraite tardive d'un ministre détesté fut l'occasion de la première manifestation menaçante de ses sentiments : il brûla, au pied de la statue d'Henri IV, l'image de l'archevêque Brienne, Cependant cette émeute insignifiante n'influa nullement sur les progrès du grand mouvement révolutionnaire, que l'aristocratie seule continuait à diriger.

 

Encore une fois, en rappelant ces faits on est loin de vouloir accuser la noblesse, le clergé ni les parlements ; le but est au contraire de relever l'origine de la révolution, en la restituant à ses véritables auteurs, aux pères des contre-révolutionnaires d'aujourd'hui, de ceux qui s'acharnent à la calomnier et à l'avilir.

 

Ce fut au mois de mai 1789 que les Etals-Généraux furent enfin assemblés. Louis XVIi adressa la parole à la France, représentée par l'élite de ses sujets. Son langage, plein de candeur, respirait la passion du bonheur public, qui anima toujours le cœur de ce monarque infortuné. Il déclara que, pour l'opérer, il avait besoin d'avis sages et modérés, et qu'on devait attendre de lui tout ce qu'on peut demander à un souverain, le premier ami de ses peuples.

 

Arrivé à ce point de son pénible travail, le siècle semblait prêt à enfanter l'ordre légal. Tout était mûr : réunis à la royauté, les grands, le clergé, la magistrature et le peuple marchaient de concert vers le même but. Les courtisans seuls étaient restés en arrière; la révolution ne menaçait qu'eux, elle allait abolir les abus, leur unique aliment. Ils affectèrent une grande terreur à l'aspect des premières agitations de la liberté naissante, et réussirent à effrayer réellement le roi.

 

En vain Necker l'encourageait à se mettre à la tête du mouvement régénérateur, à le diriger ; la cour était d'avis qu'il devait l'arrêter, s'entourer de l'armée, parler en maître, dissoudre l'assemblée et punir les rebelles. Louis XVI écouta ce conseil audacieux, il l'exécuta sans vigueur ; les troupes mandées en secret s'approchèrent furtivement. Necker était l'idole de Paris, la cour voulait son exil et n'osait pas le prononcer ; on le pria de s'en aller en Suisse, de partir la nuit, seul, sur-le-champ, comme de lui-même, sans considérer que cette disparition subite du ministre le plus populaire qu'ait jamais eu la monarchie, devait produire une vive sensation, au moment où il fixait tous les regards. La résolution fut prise de dissiper l'assemblée des Etats, mais à petit bruit. Le roi indécis ne voulut point paraître, et refusa de monter à cheval pour prendre le commandement des troupes; il semblait aux courtisans abusés qu'il était facile, au plus fort d'une crise aussi violente, de démentir hautement la parole royale, et de manquer aux promesses les plus solennelles ; enfin, s'aveuglant sur leur faiblesse, ils se flattèrent de refouler sans effort le torrent national. A peine une digue légère lui fut-elle opposée, qu'il se souleva menaçant et terrible.

 

C'est alors seulement que le peuple apparut pour la première fois comme acteur sur cette grande scène. Les députés, imprudemment placés- par la cour entre la révolte et l'échafaud, appelèrent à leur secours les passions populaires ; ils n'eurent qu'à parler.

 

Paris, entouré de soldats, fermentai, se préparant à la défense, quand la subite invasion du jardin des Tuileries par l'escadron du prince Lambesc, dévoila prématurément les projets sanguinaires de la cour.

 

Le peuple s'émut et courut aux armes ; la Bastille fut prise. L'émigration se déclara deux jours après, et les résistances se combinant au dedans et au dehors, irritèrent le flot populaire. La haine s'empara des cœurs ; de ce moment la méfiance sépara le monarque et les sujets. Bientôt les journées des 5 et 6 octobre signalèrent une ère nouvelle.

 

Ici la révolte commence, et, avec elle, l'œuvre de la force matérielle. Ce n'est plus la révolution qui tendait à l'anéantissement du pouvoir absolu et à la liberté sous l'empire des lois ; c'est l'anarchie qui marche à la république. Cette forme de gouvernement répugnait aux mœurs de la grande majorité de la nation, qu'une longue habitude du despotisme avait corrompue à tel point qu'elle se jouait avec ses chaînes, et s'en consolait par des chants.

 

Il fallut donc que les hommes exaltés qui fondèrent la république, usassent de violence pour la maintenir. La terreur régna, un grand crime fut consommé, le sang coula par torrents.

 

Mais la nature de la violence est de s'user promptement. La tourmente s'apaise, l'orage se dissipe, et la révolution reprend son cours. Cependant, incertaine, égarée, après avoir subi l'épreuve de l'anarchie, elle devait encore passer par le despotisme militaire, avant de revenir au point dont elle s'était écartée à la fin de 1789, et vers lequel, depuis un demi-siècle, elle gravitait avec une force irrésistible.

 

Ce but, la liberté dans une monarchie constitutionnelle , la Charte en a consacré le principe ; ainsi Louis XVIII, qui l'a proclamée le droit public des Français, a consommé la révolution, dont Louis XVI a posé les premiers fondements en assemblant les Etats - Généraux à la demande de la noblesse, du clergé et des parlements , soulevés contre le pouvoir absolu.

 

 Cette révolution, ouvrage de deux rois et des hautes classes de la société, où brillaient, quand elle éclata, les hommes les plus vertueux et les plus éclairés de la France, est la seule qu'avouent et que défendent les véritables amis de la liberté, c'est celle - là qu'on a si justement nommée la glorieuse révolution française.

 

Fruit de tant de sacrifices et de persévérance, ce triomphe est cher à la nation ; il ne lui sera pas ravi. Non, les regrets impuissants de quelques vieillards et les efforts de l'intrigue ne prévaudront pas contre les forces d'un peuple entier : la frénésie contre-révolutionnaire aura bientôt achevé de se briser contre la tombe qui engloutit chaque jour les restes de la génération qui s'éteint. Mais cette faction anti - française est encore debout ; son influence est puissante ; aussi voit-elle de nombreux flatteurs nourrir ses espérances, et caresser bassement ses erreurs. C’est pour lui plaire que, prodiguant les outrages aux amis de la liberté ; ils affectent de ne prononcer le nom de la révolution qu'avec horreur, et entreprennent audacieusement de flétrir la gloire des guerriers qui l'ont défendue au prix de leur sang contre l'invasion étrangère et les révoltes de l'intérieur.

 

Cependant leur admiration s'épuise à exalter les hauts faits de l'émigration et surtout de la Vendée, dont les chefs militaires, objet d'un enthousiasme sans mesure, sont transformés en autant de héros.

 

Sans doute la plupart se recommandent à l'estime de la postérité par des vertus privées dignes d'éloges ; tous déployèrent un grand courage, et quelques-uns le plus noble caractère.

 

Mais ; en observant attentivement cette mêlée confuse, où l'on ne voit que sang et que carnage, cette foule de petites actions sans éclat, de combats partiels dont le fruit est toujours perdu par la discorde des chefs que divise la jalousie du commandement, on cherche en vain la grandeur des faits, des vues ou des talents parmi les chefs vendéens; on se demande où se trouve cet héroïsme si vanté !

 

«  Dans le but qu'ils se sont proposés, répondent leurs partisans ;  c'est la cause de DIEU lui-même que la Vendée a défendue ! »

 

 Il est vrai qu'on était parvenu à persuader cette absurdité impie à des hommes simples et bons, qu'une raison inculte et que la plus profonde ignorance livraient à la merci de toutes les espèces de charlatans; ils croyaient sincèrement aux sorciers, aux devins, aux loups-garous ; quant à la religion, elle n'était à leurs yeux qu'une soumission sans bornes à la volonté d'un curé (1) ; du reste, ils se figuraient la majesté divine sous les traits informes d'une image de saint à laquelle ils adressaient leurs prières et leurs offrandes. C'était donc pour défendre la cause de Dieu que les Vendéens avaient pris les armes, et cet aveu, sans plus de recherches, mène à la découverte du fond de la question : il s'agissait de l'intérêt personnel des prêtres, de ce qu'eux - mêmes appellent maintenant, avec plus de raison, l’autel.

 

Ce mot, en effet, exprime une idée juste ; et les hommes du parti-prêtre, en l'adoptant généralement, ont fait à la raison publique une concession dont il faut leur savoir gré. Ils ont enfin senti l'inconvenance de ce moyen usé, et qui consistait à mêler insidieusement le nom sacré de la religion et celui de Dieu dans nos débats humains. En avouant qu'ils ne militent avec tant d'ardeur que pour la défense des droits de l'autel; les prêtres restent du moins sur la terre, et l'on peut les y combattre sans alarmer la piété, sans provoquer le scandale.

 

 

 

(1) A l'époque de la réforme, vers le milieu du XVIe siècle, les habitants de ces contrées embrassèrent la religion de Calvin; à la voix de leurs curés devenus protestants, ils massacraient alors les catholiques, et brisaient les statues des saints avec la même fureur qui les anima depuis, en 1793, contre les bleus et l'arbre de la liberté.

 

 

 

Du reste, en se proposant dans cette relation de nos discordes civiles de prouver que la guerre de la Vendée fut l'ouvrage des prêtres, le but n'est pas d'appeler l'animadversion sur eux, encore moins d'outrager leur saint ministère. Ce serait dégrader l'histoire que d'en faire un instrument de haine contre les personnes ; mais puisque les enseignements de cette muse sévère doivent tendre à éclairer les hommes, afin de les rendre plus heureux, l'écrivain qui embrasse cette vue élevée s'impose le devoir rigoureux de dévoiler les erreurs et les fautes, quelque puissants que soient les coupables, et d'attaquer courageusement les doctrines funestes à la société, sans égard pour la qualité de ceux qui les accréditent.

 

Un serment engage les prêtres catholiques à l'obéissance envers un supérieur étranger; ayant accepté ce joug volontairement, ils l'aiment avec passion, et même y attachent l'idée de devoir.

 

Une autorité qu'ils méconnaissent prétend les en dégager ; ils s'indignent, crient à la persécution et proclament leur indépendance du pouvoir civil; ils opposent aux lois nationales les lois supérieures du Saint-Siège et la toute-puissance du pape : voilà ce qu'ils appellent les droits de l'autel, et dans quelle situation ils se trouvèrent placés en présence de la révolution.

 

Personne ne niera que ces doctrines ne soient propres à former d'excellents ecclésiastiques ; mais il faut bien avouer aussi qu'elles sont de nature à faire d'eux de mauvais citoyens ; et la cité, dont ils ne sont que la moindre partie, a toujours eu le droit de leur interdire l'exercice des privilèges qu'ils fondent sur des principes qu'elle désavoue, parce qu'ils sont en opposition avec les siens, et tendent à troubler l'ordre et la prospérité publique. Le pouvoir royal, convaincu de cette vérité sous l'ancien régime, n'était allé que jusqu'à une légère répression, et cette molle tentative avait produit les libertés de l'Église gallicane, La révolution plus puissante foudroya les doctrines et anéantit les privilèges, en retirant, aux ecclésiastiques le droit de former une exception dans l'Etat.

 

Alors la conscience des prêtres intervint et opposa une résistance énergique. Le chef étranger, dont les décisions sont pour eux la loi suprême, voulait que tous leurs moyens d'influence sur l'esprit du peuple fussent employés à l'associer au plan de défense adopté pour la conservation des droits de l'autel.

 

Profondément convaincus que leur premier devoir était d'obéir, ils se hâtèrent de l'accomplir, et firent à l'Etat de profondes blessures, non seulement sans remords, mais avec cette satisfaction de soi-même qu'éprouve l'homme de bien après une bonne action.

 

Ce n'est pas là le caractère du fanatisme ; c'est bien pis : c'est la conséquence obligée des doctrines du parti-prêtre. Elles seules ont été le principe de la guerre de la Vendée; le fanatisme n'en fut que le moyen, et les meneurs s'en servirent froidement, avec calcul, sans en partager la frénésie. Mais cette maladie de l'esprit humain a des accès que leur violence elle-même contribue à détruire; elle passe, tandis que les doctrines ne meurent jamais. Cependant leur action s'amortit, elles cessent même d'avoir des effets désastreux quand elles s'agitent au milieu d'une société éclairée sur leurs dangers.

 

Le meilleur moyen de les combattre avec avantage est donc de montrer les désordres et les malheurs dont elles sont la source : tel est le but de cet ouvrage.

 

Les nobles ont toujours dit et sont parvenus à prouver qu'ils n'ont point fomenté l'insurrection de la Vendée; ils la trouvèrent toute faite, et furent contraints par les paysans de se mettre à leur tête, c'est une vérité incontestable.

 

La guerre ne fut donc point politique; car des paysans, et surtout ceux de cette province, ne pouvaient concevoir des idées de cette nature; l'insurrection eut d'abord un caractère purement religieux ou plutôt superstitieux; les Vendéens ne demandaient que leurs prêtres.

 

Dieu et le roi, mêlés à leurs cris de guerre, ne se présentaient confusément à ces esprits grossiers que comme des moyens d'obtenir l'objet unique de leur ardente passion, les bons prêtres (1).

 

Evidemment les nobles intervinrent avec des idées plus élevées, et le projet de donner à la guerre civile un but plus digne d'eux; ils lui imprimèrent donc une direction politique. Cependant ces gentilshommes , d'un esprit cultivé, qui tous avaient habité la capitale, pratiqué la cour, et s'étaient séparés de l'émigration, ne pouvaient pas se flatter sérieusement de relever l'ancien régime à l'aide de quelques milliers de paysans révoltés.

 

(1) C'est le nom que les Vendéens donnèrent aux ecclésiastiques qui avaient refusé de prêter le serment prescrit par la Constitution civile du cierge.

 

Ils devaient savoir que, si la France abhorrait la Convention, elle n'en conservait pas moins une répugnance invincible pour le retour au gouvernement des temps antérieurs à 1789, basé sur l'arbitraire et les privilèges ; ils avaient pu voir qu'à ce sentiment d'aversion générale se mêlait alors l'effroi d'une sanglante réaction opérée par le glaive des étrangers alliés de la contre-révolution.

 

La politique, d'accord avec la raison, semblait donc leur conseiller de fonder leur opposition armée sur le principe de la monarchie constitutionnelle; ils auraient infailliblement trouvé de l'écho et de la sympathie dans le reste de la France. Mais qu'ils aient ou non conçu cette idée, il est certain qu'elle n'était nullement praticable sur le terrain où leur mauvaise fortune les força d'engager le combat ; car il ne fut pas en leur puissance de changer la nature de l'instrument que leur confiait le parti-prêtre, et qu'il avait façonné pour son usage; les efforts de la raison auraient infailliblement émoussé cette arme terrible ; et d'ailleurs les factions ne sont fortes que par les passions.

 

Il fallut donc se servir de celles des Vendéens pour agir, et le but avoué de la guerre civile fut le rétablissement de l'autel et du trône, en d'autres termes, des immunités et de l'opulence du clergé sous l'abri du pouvoir absolu.

 

Cette cause, condamnée par la majorité de la nation, objet de crainte et d'antipathie pour la France, était donc essentiellement mauvaise; ainsi la Vendée, sans appuis au dehors, renfermait, dès son origine, un principe de destruction inévitable. Nous verrons comment les fautes, et surtout la discorde de ses chefs, en, accélérèrent le développement.

 

 

 

CHAPITRE II.

 

Premiers troubles en Bretagne qui précèdent ceux de la Vendée. — Description du théâtre de la guerre vendéenne. -Intrigues des missionnaires de Saint-Laurent.

 

 

 

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Les premiers troubles des provinces de l'ouest éclatèrent dans l'ancienne Bretagne avec les premiers mécontentements du clergé. Par son décret du 2 novembre 1789, l'Assemblée nationale venait d'affecter les biens de l'Eglise à l'extinction de la dette publique ; l'évêque de Tréguier ne tarda pas à publier un manifeste virulent contre la révolution, qu'il peignit sous les couleurs les plus odieuses ; il y traitait la tolérance d'impiété, la liberté de révolte, l'égalité de chimère monstrueuse, et imposait aux prêtres le devoir de détromper le peuple. Ils se mirent à l'œuvre, et semèrent dans toutes ces contrées les germes de l'insurrection contre-révolutionnaire.

 

Bientôt après, la publication d'un nouveau décret sur la constitution civile du clergé divisa l'Eglise en deux partis à jamais irréconciliables ; quelques ecclésiastiques, s'empressant d'adhérer aux principes de cette loi, prêtèrent le serment prescrit par le gouvernement; les autres, en plus grand nombre, se répandirent dans les campagnes, et soulevèrent les paysans bretons au nom de la religion persécutée, de Dieu lui -même attaqué par les impies jusque dans son sanctuaire.

 

L'évêque de Vannes avait refusé le serment ; aux termes de la loi, c'était abdiquer sa dignité ; un successeur fut désigné pour le remplacer. A cette nouvelle, quatre mille villageois accourent en tumulte, armés de fourches, de bâtons et de fusils de chasse ; ils demandent leur évêque et déclarent, avec des cris de rage, qu'ils viennent rétablir la religion catholique.

 

Personne cependant ne songeait alors à la détruire. Qu'avait-elle à faire dans ce débat, et qu'importait a ces pauvres paysans le sentiment du pontife de leur province sur un point de discipline ecclésiastique si fort au-dessus de leur compréhension, tout-à-fait étranger à leurs idées? Les projets et les passions des meneurs se trahirent visiblement dans ces clameurs des insurgés bretons, dont la fureur avait déjà immolé un grand nombre de victimes, quand les troupes, réunies aux gardes nationales, tombèrent sur ces forcenés, en tuèrent la plus grande partie et dispersèrent le reste.

 

Voilà bien, dès les premières, scènes de cet horrible drame, le sujet clairement indiqué, et le caractère religieux de l'insurrection imprimé en traits de sang. Mais cet événement se passait à la droite du cours de la Loire, et sur le terrain de la guerre des Chouans, tout-à-fait distincte de celle de la Vendée, dont l'explosion imminente se préparait alors par les mêmes moyens.

 

Le théâtre de l'insurrection vendéenne s'étend de l'autre côté du fleuve, sur un espace de huit cents lieues carrées, compris entre quatre lignes inégales : l'une au nord, de quarante lieues environ, depuis Saumur, en descendant la Loire, jusqu'à Paimbœuf; de ce point jusqu'aux Sables d'Olonne, les côtes de la mer en forment la limite occidentale ; celle du sud est de trente lieues, à vol d'oiseau, des Sables à Parthenay; et la route de dix-huit lieues , qui remonte directement au nord, en partant de cette dernière ville jusqu'à Saumur, marque la barrière où s'est arrêtée l'insurrection du côté de l'est.

 

Ce territoire est ce qu'on appelle la Vendée militaire; le département dont le nom s'est étendu à la totalité du pays insurgé ne prit pas tout entier part à la guerre civile ; Fontenay, son chef-lieu, est au-delà des limites que nous venons d'indiquer. Elles renferment, en outre, des portions de trois autres départements, dont les capitales sont également en dehors de la Vendée militaire (1).

 

 

 

 Ces départements sont :

 

1.° La Loire-Inférieure. Nantes, son chef-lieu, est séparé de la Vendée militaire par la Loire. Villes et bourgs de ce département en dedans de la ligne : Clisson, Machecourt et Paimbœuf.

 

2° Maine-et-Loire. Chef-lieu en dehors, Angers, audelà du fleuve. Villes et bourgs en dedans : Brissac, Doué, Vihers, Chemillé, Chollet, Beaupréau, Jallais, Saint-Florent et Chalonnes.

 

3° Les Deux-Sèvres. Chef-lieu en dehors de la ligne au sud, Niort. Villes et bourgs en dedans de la ligne : Thouars, Argenton, Châtillon et Bressuire.

 

4° La Vendée. Villes et bourgs enclavés dans le territoire insurgé : Montaigu, Mortagne, les Herbiers, Challans et La Roche-sur-Yon, aujourd'hui Bourbon-Vendée.

 

 

 

Cette province, qui faisait autrefois partie de l'Anjou et du comté de Poitou, nourrissait alors une population de huit cent mille âmes environ, des fruits, d'une culture encore dans l'enfance et du revenu de ses pâturages. Privée de rivières navigables et de canaux, elle n'était traversée que par une seule grande route, imparfaite sur plusieurs points à cette époque. Les produits ne pouvaient donc en être extraits qu'à grands frais, et les objets d'échange n'y pénétraient que difficilement; aussi, nul commerce, point de capitaux ; aucun grand établissement fondé par l'industrie ne la vivifiait. Le défaut de mouvement et de communications avec le reste de la France entretenait dans ces tristes campagnes les habitudes routinières, la paresse des idées, l'aversion des choses nouvelles, en un mot, l'antique barbarie.

 

 Les petites villes où l'éducation avait policé les mœurs et éclairé les esprits, restèrent constamment opposées au mouvement insurrectionnel; il eût été facilement comprimé, si le pays eût compté quelques- unes de ces grandes cités, foyers de lumières et de civilisation, dont l'influence étend incessamment autour d'elles l'empire intellectuel de l'homme; mais cet indispensable appui manqua, dans la Vendée, à la révolution.

 

La plus grande partie de la contrée, qu'on nomme le Bocage à cause de la quantité de bois et de forêts qui l'ombragent, a peu de bourgs et de villages ; la population y est répartie dans un grand nombre de hameaux où les héritages divisés à l'infini sont tous enclos de haies vives fort épaisses, et communiquent de l'un à l'autre par une multitude de sentiers étroits, fangeux , profondément encaissés , et bordés d'arbres touffus : c'est une espèce de labyrinthe, praticable seulement aux gens du pays familiers avec ces nombreux détours, et dans lequel se perd le voyageur en y cherchant en vain les habitants, dont les maisons se dérobent à ses regards, derrière ces impénétrables rideaux de verdure.

 

Isolés entre eux, sans rapports au dehors, ces demi-sauvages restaient, depuis des siècles, stationnaires au milieu de la nation qui marchait à grands pas vers un meilleur état de choses. Tout le pays était sous l'empire de l'ignorance la plus grossière, ainsi que des superstitions qu'elle enfante et dont elle se nourrit. Le fanatisme y régnait tyranniquement; mais, encore inoffensif pour l'autorité, il ne s'exerçait que contre la raison humaine, son ennemie naturelle, et ne s'attachait qu'a épaissir le voile de la crédulité, sa matière imposable.

 

Cette puissance malfaisante avait établi le centre de son action dans le bourg de Saint-Laurent, au milieu de la Vendée. Là, une congrégation de missionnaires s'était fixée depuis soixante ans, trafiquant de la parole divine, de chapelets bénits, de médailles et d'indulgences ; tous les chemins, à une grande distance, incessamment noirs de processions, retentissaient de psalmodies lugubres, et se hérissaient à chaque pas de calvaires, étendards sacrés du pouvoir dominateur, objets d'un respect craintif, et devant lesquels les Vendéens étaient instruits à se prosterner humblement.

 

Du produit des énormes tributs arrachés à la province entière, les missionnaires avaient bâti à Saint-Laurent une vaste et belle maison, ruche laborieuse et féconde, d'où sortaient fréquemment des essaims de nouveaux apôtres, qui allaient fonder d'autres établissements au loin dans le pays. Ce bourg était en outre le chef-lieu d'une congrégation de femmes, nommées les Filles de la sagesse colonisant à l'exemple des missionnaires. Vouées au service des hôpitaux et des pauvres, ces vierges sacrées avaient de justes droits à la vénération et à la reconnaissance publique ; mais l'esprit de leur institution les soumettait à l'influence des missionnaires, dont elles servaient innocemment, mais avec beaucoup d'activité, les spéculations mercantiles et les projets ambitieux.

 

Ces hommes ardents eurent à peine reçu le manifeste de l'évêque de Tréguier, qu'ils s'empressèrent de donner à leurs travaux apostoliques la direction convenable aux projets de la contre-révolution. Bientôt une lettre pastorale de l'évêque de Luçon, en date du 31 mai 1791, aiguillonna plus vivement leur zèle; il commandait aux curés de résister avec énergie à l'action des pouvoirs civils ; de ne céder qu'à la force pour la remise de leurs églises et de leurs fonctions publiques aux prêtres soumis à l'autorité légitime, et qu'il désignait sous le nom d'intrus. Le prélat ordonnait aux anciens pasteurs de choisir un autre local, d'y continuer le service divin, les prédications et l'administration des sacrements; de tenir un registre des baptêmes, des mariages et des sépultures ; en un mot, d'élever autel contre autel, mais à l'ombre du mystère, et en s'associant à des laïques pieux, capables de garder le secret tant qu'il serait nécessaire (1).

 

Sur le texte fort étendu de cette pièce, les missionnaires de Saint-Laurent rédigèrent aussitôt des instructions, dont plusieurs exemplaires furent depuis saisis entre leurs mains, et qu'ils répandirent avec profusion dans les campagnes.

 

Ces pamphlets incendiaires défendaient au peuple d'accepter les sacrements de la main profane des intrus, et même de paraître dans leurs églises, sous peine de damnation ; c'était un péché mortel d'entendre la messe qu'ils célébraient. On lisait dans les instructions ; « Ceux qui auront l'audace de se faire marier par les intrus, ne seront pas  mariés ; ils attireront la malédiction sur eux et  sur leurs enfants. »

 

A ces écrits se joignaient les prédications virulentes des missionnaires, colporteurs apostoliques, qui couraient de hameau en hameau, alarmant les consciences, animant les faibles, exaltant les forts; ils s'appliquaient surtout à frapper les esprits par des peintures animées des tortures éternelles de l'enfer, dont le ciel menaçait l’impie qui refuserait d'embrasser leur parti.

 

Les paroisses se divisèrent, et une légère opposition servit de levain à la fermentation des passions acres et furibondes. Bientôt on vit des femmes abandonner leur mari, des enfants leur père ; les fonctionnaires publics, devenus l'objet de l'aversion générale, étaient sans force pour l'exécution des lois; les intrus, en horreur aux paysans, furent abandonnés dans les églises désertes, et les bons prêtres célébraient l'office dans des granges, au fond de quelques métairies isolées, où les fidèles accouraient par milliers recueillir le bienfait de la parole de Dieu.

 

 

 

1 Cette lettre pastorale méritait d'être recueillie par l'histoire comme pièce justificative dans ce procès important; elle dément hautement l'assertion des ennemis de la révolution, qui s'obstinent à soutenir, contre l'évidence, qu'il a suffi de l'aversion des Vendéens contre le nouveau régime, pour les jeter dans les excès déplorables dont ils ont été les victimes.

 

La lettre fut insérée dans le rapport fait à la barre de l'Assemblée législative, le 8 octobre 1791, par les commissaires civils que l'Assemblée constituante avait envoyés sur les lieux. On peut lire ce rapport dans l'ouvrage récemment publié dont le titre est : Guerres des Vendéens et des Chouans, par un officier supérieur des armées de la République, habitant la Vendée avant les troubles. Cet ouvrage, en 6 vol. in-8°, qui se compose des documents les plus authentiques, classés par ordre de dates, offre enfin, aux lecteurs dégagés de l'esprit de parti, la vérité si longtemps outragée par les passions contre-révolutionnaires.

 

 

 

Mais, au lieu du langage si simple et si touchant de l'Evangile, et de cette morale sublime qui prescrit le pardon des offenses, ils n'entendaient que de violentes provocations à la révolte et au meurtre : elles portèrent leur fruit.

 

Une première mutinerie, dans le district de Challans, fut d'abord promptement comprimée par la garde nationale de Nantes ; une seconde, plus effrayante, éclata bientôt après vers la fin de juin ; les cantons de Saint-Gille, de Palluau, d'Apremont, de Saint-Jean-de-Mont, de Machecoul, et surtout de Châtillon, s'insurgèrent à la fois aux cris de vive la religion !

 

Mon corps est au roi, mon âme est au pape. La troupe, jointe à la garde nationale, parvint à dissiper ces nouveaux rassemblements ; mais ce fut dans des flots de sang qu'il fallut étouffer la révolte. Les pauvres villageois étaient enivrés d'une fureur sacrée, dont l'exaltation les privait de l'usage du sens commun. L'un d'eux, couvert de blessures, continuait à se battre en désespéré; un soldat voulait l'épargner : « Rends-toi ! lui disait-il. — Rends - moi mon Dieu ! » répond le forcené en s'acharnant à frapper ; et il tombe percé d'un coup mortel.

 

Ce rugissement d'un fanatisme délirant est pourtant l’un des traits que l'esprit de parti propose à l'admiration de la France comme un modèle d'héroïsme !

 

Quoi qu'il en soit, ces mouvements insurrectionnels attirèrent l'attention de l'Assemblée nationale; des commissaires, Gallois et Gensonné, furent envoyés sur les lieux; ils observèrent et reconnurent avec sagacité les causes du mal.

 

Leur rapport, daté du mois d'octobre 1791, est une pièce historique du plus grand intérêt; il prouve la réalité de l'action des prêtres insermentés sur ce pays fanatisé, et jette un grand jour sur l'origine de la guerre civile.

 

Cependant les événements se succédaient rapidement à Paris : la fuite de Louis XVI, son retour , l'acceptation de l'acte constitutionnel ; une première loi contre les émigrés, à laquelle le roi opposa Faction de son veto ; un nouveau décret contre les prêtres réfractaires, qu'il refusa également de sanctionner, excitèrent vivement les passions du parti qui s'agitait dans la Vendée.

 

Durant toute la fin de 1791 et les premiers mois de l'année suivante, les intrigues sacerdotales redoublèrent d'activité : l'éloquence des prédicateurs était à bout, on eut recours aux miracles. Le bruit se répandit que la sainte Vierge apparaissait dans un vieux chêne, près du bourg de Saint-Laurent de la Plaine. Aussitôt les paroisses voisines accoururent à la file, avec la croix et les cierges allumés ; des processions partirent même de plus de six lieues à l'entour, promenant dans tout le pays cet appareil imposant ; le concours en était immense, et, sur leur chemin, elles contraignaient les habitants des hameaux affligés d'un pasteur intrus, à envelopper les croix de leurs églises et de leurs calvaires avec un crêpe funèbre, dont l'aspect saisissait d'horreur les âmes pieuses.

 

Le chêne de Saint-Laurent avait fait fortune; l'abbaye de Belle-Fontaine, près Bégroles, eut aussi son arbre miraculeux et sa Vierge : celle-ci était de faïence, et n'agréait d'hommages publics que la nuit, à la clarté de la lune. Il était défendu aux processions de s'approcher du rustique sanctuaire au -delà de certaines limites, dans la crainte de troubler le mystère sacré. On voyait des anges qui descendaient du ciel et célébraient des messes nocturnes, fécondes en indulgences ; mais il fallait surtout se garder avec soin de fixer les regards sur ce divin spectacle, dont l'éclat éblouissant pouvait aveugler les imprudents. La Vierge ne

 

dédaignait pas de donner un baiser aux béates en état de grâce (1).

 

Les autorités intervinrent ; on détrôna la Vierge de faïence, mais sans outrages, et elle fut transportée respectueusement du chêne miraculeux à l'église de Notre-Dame de Chollet.

 

Dans cet état de réclusion, la sainte captive continuait à s'environner la nuit de lumières célestes, qu'on allait admirer à travers les fentes de la porte (2), et la superstition n'avait rien perdu. Bien plus, il fut avéré que la Vierge retournait toutes les nuits à son arbre chéri : les processions recommencèrent; il fallut recourir à la force pour les dissiper, et la coignée fit justice du chêne.

 

1 Relation du président du tribunal de Chollet, citée par l'officier supérieur, auteur des Guerres des Vendéens etc.

 

2 Je vis à mon tour, dit le président du tribunal, que la lumière de la lampe était réfléchie par le clinquant des ornements de la Vierge, et je m'éloignai en silence.

 

Ce n'est pas tout : la Vierge opiniâtre alla chercher un refuge à Légé, dans la Basse-Vendée. Là, ce fut encore dans un chêne qu'elle fixa son domicile; mais s'humanisant davantage, elle descendait du tronc sacré avec l'enfant Jésus, accompagnée de saint François d'Assise,

 

 

 

saluait les processions, et souriait aux vrais dévots qu'elle démêlait dans la foule de ses adorateurs.

 

Ces jongleries avaient pour but de frapper vivement la faible imagination des paysans vendéens, et de les maintenir dans l'état d'exaltation favorable aux projets des contre-révolutionnaires. Ils crurent un moment leur rêve près de se réaliser. L'émigration s'était grossie de toute la noblesse de France, et ses intrigues avaient entraîné la cour d'Autriche à des actes d'hostilité qui motivèrent, le 20 avril 1792, une déclaration de guerre de Louis XVI à l'empereur François II, mais seulement comme roi de Bohème et de Hongrie ; l'empire n'était point provoqué.

 

La campagne s'ouvrit sous des auspices peu favorables. Bientôt l'Europe s'émut; la première coalition des rois fut nouée au mois de juin, et le fameux manifeste du duc de Brunswick fit explosion le 25 juillet. Cet acte de forfanterie prussienne, le plus étrange à la fois et le plus impolitique dont les annales des peuples civilisés aient jamais fait mention, était plein de menaces insolentes et brutales, qui soulevèrent l'indignation générale de la France ; l'exaspération qu'elles firent naître fut l'une des causes de la sanglante révolte du 10 août, et ce jour éclaira la chute des derniers débris du trône de l'infortuné Louis XVI.

 

Mais tandis que la nation irritée courait aux armes, le parti-prêtre souriait dans la Vendée aux espérances de l'émigration, et se disposait à seconder ses efforts. Des vicaires apostoliques du Saint-Siège venaient enfin de se montrer au milieu des Vendéens, excitant le zèle des missionnaires de Saint-Laurent, et des autres ecclésiastiques mêlés dans les rangs du peuple sous le costume de garçons meuniers ; ils prêchaient la conservation de la religion catholique , et faisaient un cas de conscience aux villageois de la défendre au prix de leur vie.

 

Les envoyés romains avaient chargé ces boute-feux subalternes de colporter une allocution incendiaire du prélat Zelada (1), qui prescrivait la marche théorique d'une insurrection bien ordonnée, à l'usage des fidèles.

 

Tout était prévu et réglé : le tocsin devait donner le signal ; et quand le combat serait engagé, les prêtres, sur la montagne, lèveraient les mains au ciel comme Moïse, pour invoquer le Seigneur.

 

1 Guerres des Vendéens, etc., ouvrage déjà cité, t. i, p. 6i.

 

 

 

Ces violentes excitations avaient tellement irrité les esprits des paysans vendéens, que, vers le milieu du mois d'août, époque où l'on attendait à tout moment la nouvelle de l'irruption du duc de Brunswick, une étincelle alluma tout à coup l'incendie.

 

Le maire de Bressuire, coupable de quelques excès qui mécontentèrent ses administrés, fut contraint de sortir de la ville ; furieux, il parcourut les campagnes environnantes, et provoqua la révolte.

 

Les bons prêtres saisirent avidement cette occasion; à leurs voix les cloches s'ébranlent, quarante paroisses se lèvent en masse. En peu d'heures, quinze mille hommes, armés de bâtons et de fourches, ou de mauvais fusils, sont réunis et marchent sur Bressuire, conduits par Delouche, le maire de cette ville, et par un gentilhomme nommé Beaudry d'Asson ; les bons prêtres sont dans les rangs sous leur travestissement habituel.

 

Au moment d'agir, les avis se partagent : on ne veut plus attaquer Bressuire ; c'est vers Châtillon que se précipite le torrent populaire. Cette ville est envahie et mise au pillage. La victoire enflamme les cœurs ; on marche alors sur Bressuire  mais il n'était plus temps : le 24 août. la masse désordonnée des insurgés se heurte en avant de cette ville, contre les gardes nationales accourues au secours du point menacé, et qui les attendent rangées en bataille. Les paysans déconcertés reculent et prennent la fuite, laissant cinq cents morts sur la place.

 

Les, prisonniers, en grand nombre, furent traduits au tribunal criminel de Niort ; ils étaient évidemment coupables : cependant on conçut l'espoir que l'indulgence adoucirait l'aigreur des esprits, et aucune sentence de mort ne fut prononcée; les condamnations ne frappèrent que les absents.

 

Tout parut alors rentrer dans l'ordre, et ce calme trompeur dura plusieurs mois.......

 

Histoire des guerres de la Vendée depuis 1792 jusqu'en 1796 . Par M. Mortonval...

Date d'édition : 1828

 

 

==> A saint Florent le VIEIL le 12 mars 1793 commença l'épopée vendéenne, la guerre de géants

==> Ingrandes sur Loire, Révolution Française, Jean Chouan chef de brigands – Guerre de Vendée

==> Arrêtés du 4 aout 1789 relatifs à l'abolition du régime féodal.

 


 

 

Le 22 décembre 1789, les députés de l’Assemblée se mettent d’accord sur une nouvelle division du Royaume de France.

 

La nouvelle unité sera le département. Chaque département sera découpé en districts, eux-mêmes découpés en cantons. 

 

Ce décret est adopté le 22 décembre, mais il faudra ensuite attendre deux mois, pour que le nombre définitif de départements soit fixé à 83.....==> Sur la Terre de nos ancêtres du Poitou

 

 

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