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PHystorique- Les Portes du Temps
17 mars 2018

HOMMAGE A HENRI DONTENVILLE (créateur de la Société française de Mythologie)

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« La Sorbonne littéraire a cent chaires et trente instituts ; elle fait connaître les civilisations sémitiques, roumaine, slaves, chinoise aux différents stades, elle se tait sur ce qui a été l'âme de notre patrie. » On se souvient de la farouche et légitime indignation, de la « sainte colère » sur laquelle s'ouvrait, en 1948, la première édition de la « Mythologie française », indignation et colère qui, vingt ans plus tard, n'étaient toujours pas apaisées : « La Sorbonne a pu tripler ses effectifs en professeurs, demi-professeurs et assistants, elle nous est restée fermée. »

Est-ce donc par amour immodéré du paradoxe ou par malice que le Président des Amis de Rabelais et de la Devinière a demandé à un universitaire précisément de prêter aujourd'hui sa plume et sa voix pour rendre à Henri Dontenville l'hommage qui lui est dû ? Je préfère croire que ma prise de parole au milieu de vous est peut-être le signe que quelque chose est en train de changer, a déjà changé.

Et pourquoi moi ? Parce que je suis né l'année même où, archéologue du mythe, I' « inventeur » de la « Mythologie française » se lançait dans ses premières fouilles, ouvrait ses premières tranchées ? Parce que j'ai vu le jour au pied, pour ainsi dire, de la « colline inspirée », de ce Wedani mons, de ce ' mont de Wotan ' d'où Notre-Dame de Sion a chassé le dieu germanique et où la terre n'est plus au premier occupant ? Plus simplement sans doute parce que je suis médiéviste, de cette race particulière d'universitaires qui prolonge par l'étude des enfances de sa littérature la littérature de ses enfances, qu'on ne peut être aujourd'hui médiéviste sans être aussi quelque peu folkloriste, qu'enfin le moyen âge est présent partout dans l'œuvre d'Henri Dontenville, qu'Artur y côtoie Mélusine, Morgane les Quatre Fils Aymon...

Henri Dontenville était né le 9 juin 1888 et, dès 1909, il était reçu à l'agrégation d'allemand. Pourtant ce n'est qu'en 1938 et, coïncidence qu'il se plaisait à rappeler, à Lyon — ville du dieu gaulois Lug et dont la florissante imprimerie vit naître un beau jour de l'automne 1534 un certain... Gargantua — c'est à Lyon donc qu'il eut la révélation de sa vocation et l'idée de l'entreprise gigantesque (oserais-je dire « gargantuesque » ?) dans laquelle il allait se jeter à corps perdu, mais à âme sauvée... Car c'est bien de cela qu'il s'agissait, de cela qu'il s'agit toujours : sauver son âme !

Au fond, d'un bout à l'autre et sous ses différents aspects, l'activité d'Henri Dontenville a été une œuvre de libération. Peut-être oublie-t-on un peu trop facilement que sa recherche, dans la période troublée où elle naît, se présente comme l'un des visages de la « Résistance ». Et sans doute n'est-ce point là le moindre mérite de son travail, le moins estimable et le moins digne de sympathie et de respect. Dès le départ, ces retrouvailles avec la culture profonde, avec la sève et le sang du peuple français, avec ses racines, revêtaient une forme militante : face à la mythologie des conquérants, à la nouvelle vague des envahisseurs germaniques, il importait de retrouver et d'exalter la spécificité d'une « mythologie française » capable de rassembler un pays disloqué ; comme les moines devant les Vikings, il importait de sauver ses dieux.

Libératrice aussi, et contagieuse, cette combative énergie qui ne cessera de répéter, à temps et à contretemps, que notre culture n'est point seulement inscrite aux pages des « grandes annales officielles, des grandes chroniques du Clergé et des bulletins académiques » (Saint-John Perse), mais qu'elle est écrite dans notre sol, qu'elle est tapie dans la source où s'abreuve le promeneur, cachée derrière le chêne tricentenaire du carrefour, qu'elle nous guette du haut de la colline.

Libératrice enfin cette foi à déplacer les montagnes (image qui s'imposait probablement pour un exégète de Gargantua !), cette foi subversive en une certaine idée de notre identité et de notre culture ! Au moment où tous les pontes et les pontifes allaient répétant que « notre héritage remonte à Athènes », que nous sommes fils de Grecs déguisés en Romains, Henri Dontenville, hérétique, échappant à l'intoxication générale, nous restituait notre authenticité, nous rendait notre mémoire barbare. « Des collégiens s'appliquent encore », écrivait-il, « à voir comment, en vers Virgiliens, Hercule l'emporte sur Cacus mais nul ne va voir comment le magicien Maugis a conquis Bayart... Un bachelier pourra connaître la « Lorelei », qui est création de poète romantique allemand, il ignorera Mélusine qui, avant toute littérature, est de notre terroir, et pas seulement du Poitou. La jeunesse a officiellement droit ici à l'ignorance. » Scandaleuse ignorance, Terra inco-gnita, à l'assaut de laquelle le Maître à qui nous rendons hommage se jetait, dans une enthousiaste opération de « reconquista ».

Enthousiasme communicatif et qui illumine chaque page jaillie sous une plume allègre, un tantinet sorcière, comme arrachée à l'Oiseau bleu ! Sa démarche qui reprenait les sentiers qu'avant lui les Saintyves, les Gaidoz, les Sébillot, les Van Gennep avaient empruntés, demeura un instant solitaire, mais ce rassembleur de divinités était aussi rassembleur d'hommes. Le 1er janvier 1950 le Journal Officiel annonçait la création d'une Société de Mythologie Française. Trente-trois ans après, plus vivante que jamais, elle poursuit l'œuvre commencée, hommage superbe et fidèle à son fondateur.

L'œuvre commencée ! Travailleur infatigable, lecteur et collecteur inlassable, le père de la « Mythologie française » a amassé, au fil des ans et des livres, un matériau luxuriant qui nous fascine et qui nous interpelle. Tantôt scrutateur de grimoire, tantôt coureur des bois, il a avec minutie, avec flair, avec passion et patience, traqué les pas de Gargantua et les sabots du cheval Bayart. Mais il ne s'est pas contenté d'être un collectionneur attentif, pareil à ces mythographes, mécaniques entasseurs et compilateurs maniaques ; de tout ce qu'il consignait, il a tâché à percevoir la cohérence. Défrichage et déchifrage ! Nul n'ignore que pour son découvreur la mythologie française s'organise autour de Gargantua, fils du dieu solaire celtique Belen.

Mélusine, sa parèdre, la fée Morgane, le roi Artur, Merlin, Bayart gravitent dans la constellation du géant mythique. Il incombe aux spécialistes, aux linguistes, de se prononcer sur la validité d'une méthode fondée sur des analogies phonétiques plus que sur une véritable étymologie scientifique... Et pourtant, s'il existait en regard de la linguistique savante une linguistique populaire, indépendante et réglée par des lois propres ? Quoi qu'il en soit, nul ne peut nier que Gargantua « modèle mythiquement » non pas tant le paysage dans sa globalité que le micro-paysage, les accidents de terrains que sont collines, buttes, tertres, pierres levées, lacs ou marais... Pourquoi ? Comment ? Quand ? L'essentiel était de poser les questions et non de donner les réponses. L'essentiel était de nous enseigner la curiosité qui est, comme chacun sait, une belle qualité !

Henri Dontenville nous a quittés le 12 novembre 1981. Un mois plus tôt, très exactement le 15 octobre, sortait de l'imprimerie Mame à Tours (!) le somptueux Dictionnaire des mythologies que les Editions Flammarion publiaient sous la direction d'Yves Bonnefoy. Or, à l'intérieur de ces deux volumes savamment rédigés et richissimement illustrés étaient accueillis enfin le nom d'Henri Dontenville et le concept même de « Mythologie française ». Gargantua y voisinait avec Héraclès, Mélusine avec Déméter. Le vieux lutteur avait gagné la partie. Il pouvait prendre un repos bien mérité.

Demeurent la leçon et le message. Qu'il me soit permis, en terminant, d'en emprunter la formulation à Jean Giono : « Soit qu'elle descende au milieu des fleurs du verger ou qu'elle sinue entre les roseaux, cette haleine que tu crois être le vent est soufflée par le dieu assis là haut sur la colline, au milieu des sauges du ciel. »

(Mairie de Lusignan, le 15 mai 1983) Joël H. GRISWARD, Professeur à l'Université de Tours. (Bulletin / Association des amis de Rabelais et de la Devinière)

Bénédicte Gaudon-Duhard Passeurs de Légendes - Joël Grisward

 


Conférence par Claudine Glot - Joël Grisward - Bénédicte Gaudon-Duhard Passeurs de Légendes

10 ans Passeurs de Légendes - Joël Grisward - Claudine Glot - Bénédicte Gaudon-Duhard

- Conférence par Claudine Glot, marraine et amie, fondatrice et présidente du Centre de l'Imaginaire arthurien en Brocéliande, spécialiste du roi Arthur.
- Conférence par Joël Grisward, parrain, médiéviste, chercheur et professeur à l'université François Rabelais de Tours, spécialiste de l'époque celte et disciple de Georges Dumézil.


 

  ==> MELUSINE ET LUSIGNAN

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