Au Saint Nau (chant de Noël poitevin traditionnel, 15ème siècle)
Au Saint nau (traditional Christmas song from Poitou, 15th century)
Le plus ancien de ces poètes populaires, Lucas
Lemoigne, curé de Saint-Georges et de Notre-Dame-
du-Puy-la-Garde en Poitou, ne nous a laissé que
son nom. Encore n'est-il pas certain qu'il n'ait pas
pris un pseudonyme, comme Jean Daniel, l'organiste
d'Angers, qui signait Mitou. Dans ce cas, nous n'hé-
siterions pas à reconnaître dans ce curé de Saint-
Georges, le « vieux oncle, seigneur de Saint-Georges,
nommé Frapin », qui selon Rabelais avait « faict et
composé les beaux et joyeux Noels en langage poicte-
vin ». Guil. Frapin, personnage véritable, était réelle-
ment grand oncle de l'auteur de Pantagruel, puisque
la grand'mère maternelle de Rabelais, Andrée Pavin,
s'était remariée à un Frapin. Il vivait à la fin du
xv e siècle, ce qui correspond assez bien à l'allure
générale du recueil. Le ton fort gaillard de certaines
pièces suffirait à expliquer qu'il n'ait pas publié
l'ouvrage sous son nom.
Peut-on faire honneur à Frapin (ou Lucas Lemoigne)
du plus célèbre de nos Noëls, ce Saint Nau dont
frère Jean des Entommeures entonne à pleine voix
le refrain, à la fin de la tempête?
Y n'en daignerai ren craindre,
Car le jour est feriau,
Nau, nau, nau.
Au saint Nau
Chanterai sans point mi feindre,
Y n'en daignerai ren creindre
Car le jour est fériau,
Nau, nau, nau,
Car le jour est fériau.
Nous fusmes en grand émoi
Y ne sait pas ce qu'o puet estre,
Daux autres bergers et moi,
En menant noz brebis paistre,
Dau forfait qu'Adam fit contre son maistre,
Quand dau fruit il osit paistre
Dont il fit péché mortau,
Nau, Nau, Nau,
Dont il fit péché mortau
Y m'assis sur le muguet
En disant de ma pibolle
Et mon compaignon Huguet
Mi respond de sa flageole
Arriva, in ange dau ceau qui vole
Disant allègre parole
Dont y fut joyeux et bault
Nau ! Nau ! Nau !
Dont y fut joyeux et bault
A l’oure de plain minet
Y veis le souleil esclourre
Que t'en semble Colinet ?
Y penses-tu point acourre ?
Y lairrai touz mes brebis et mon lourre
O ne m'en chaut ou me fourre
Per vouère le doux Messiau
Nau ! Nau ! Nau !
Per vouère le doux Messiau
Nau ! Nau ! Nau !
Y corri d'itau randun
Que ma langue devint seche
Y trouvi Marie adon
A geneuil devant la creche
Et le buef et l'asne qui le lesche
Joseph o in poi de mesche
Esclaire parmi l’ostau
Nau ! Nau ! Nau !
Esclaire parmi l’ostau
Quant vi iquau bel enfant
Y mis le genoil à tere
Tout le corps m’alloit dansant
Mon cuer n’estoit pas en serre
Y li dis : « toi qui mets fin à la guerre,
Vrai Dé, te viens requerre
Pardon de tous mes deffauz »
Nau ! Nau ! Nau !
Pardon de tous mes deffauz
Au saint Nau
Chanterai sans point mi feindre,
Y n'en daignerai ren creindre
Car le jour est fériau,
Nau, nau, nau,
Car le jour est fériau.